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Les pieds de Lund martelaient le sol.
À chaque foulée, les vibrations partaient de ses talons, remontaient ses jambes jusqu'aux hanches, puis se propageaient le long de son dos pour se terminer à la base du crâne où les chocs répétés ébranlaient ses dents et exacerbaient son mal de tête qui semblait empirer avec chaque mile parcouru. Le rythme monotone de sa course l'avait d'abord exaspéré avant de le plonger dans une sorte de transe : il ne réfléchissait plus, n'était plus que le mouvement.
L'herbe sèche et cassante crépitait sous ses bottes comme des brindilles de bois mort, et de petits nuages de poussière montaient de la terre craquelée. Il n'avait pas dû pleuvoir depuis au moins un mois dans ce coin de Fiore. L'air desséché absorbait l'humidité de son souffle, laissant sa gorge à vif. Il avait beau boire tant et plus, il ne parvenait pas à compenser la quantité d'eau que le soleil et le vent lui volait.
D'où la migraine.

Il arriverait bientôt chez celui qui avait proposé la mission que Lund avait choisi, mais cependant, il lui restait plus à parcourir qu'il ne l'avait espéré. Faute d'argent, Lund courrait parfois et marchait. Ses dernières provisions étaient épuisé et il en serait bientôt de même pour l'eau que Lund avalait par litre dans ce coin désertique.
Il courrait sans s'arrêter.

Dans l'après midi, un vol d'étourneaux traversa le ciel tel un banc de poissons dans le bleu de l'océan. Plissant les yeux, Lund regarda passer les oiseaux. Lorsque les étourneaux revenaient après l'hiver dans la vallée des souvenirs d'enfances de Lund, ils arrivaient pas troupes si denses qu'ils transformaient le jour en nuit. Bien que peu nombreux, ceux-ci lui rappelaient les soirées d'autrefois où, avec Nilween, ils observaient le ballet de ces nuées sombres et bruissantes depuis la terrasse de la maison en buvant un thé à la menthe. Perdu dans ses souvenirs, l'Adepte du Papier s'arrêta et s'assit sur une pierre pour renouer les lacets de ses bottes. Le temps avait changé, il faisait plus frai à présent. Une barre grise sur l'horizon ouest laissait présager un orage. La végétation plus luxuriante s'agrémentait de mousses, de roseaux, de touffes d'herbes vertes. À quelques miles de là, cinq collines venaient ponctuer la monotonie du paysage plat. Celle du milieu s'ornait d'un épais bois de chênes. Au-dessus de la masse brumeuse de feuillage, Lund distinguait des restes de bâtiments abandonnés depuis des lustres, construits jadis par une race ou une autre.

Curieux, il résolut de rompre son jeûne parmi les ruines de ce qui semblait être un vieux moulin. Le petit gibier y abonderait sans doute, et la chasse lui fournirait un prétexte pour explorer les lieux avant de repartir. D'ailleurs, il lui semblait que la maison du vieux ayant perdu son chat se trouvait à côté. Une heure plus tard, il arrivait au pied de la colline ; là, il trouva les vestiges d'une route pavée avec des dalles carrées, qui conduisait au ruines. L'ombre dense des chênes le rafraîchissait tendis qu'il gravissait la pente. Près du sommet, le sol redevint plat, et le bois s'ouvrit sur une vaste clairière dans laquelle se dressait une tour brisée. La base en était large, côtelée comme un tronc d'arbre. L'édifice montait vers le ciel pour se terminer en une gigantesque « hélice » de moulin. La moitié est du moulin s'était effondré et gisait à terre, brisé en des milliers de fragments.

C'est alors qu'il remarqua le potager au bout de la clairière. Un homme y était assis parmi les rangées de plantes, occupé à désherber un carré de pois gourmands. Invisible dans l'ombre, son visage tourné vers le sol était prolongé par une barbe grise. Le vieux au chat.

Spoiler:

« -Tu viens m'aider à nettoyer ces pois, ou pas ? Demanda l'inconnu sans même lever les yeux. Il y a un repas pour toi si tu me donnes un coup de main.

Lund hésita. Puis il réfléchit, sa mission était de l'aider non ? Pourquoi aurait-il peur d'un vieil ermite ? Et il alla se présenter.

-Je m'appelle Lund. Je viens pour le chat.
- Tenga, grommela le vieillard. Le chat ? Aaaaaaah, oui le chat. »

Pendant une heure, il travailla en silence avec Tenga. Quand ils eurent arraché chaque pied de pourpier, de pissenlit, et de toutes les mauvaises herbes, Lund suivit Tenga jusqu'à une porte étroite sur le devant de la tour. Elle ouvrait sur une salle spacieuse. Au milieu de la pièce, un escalier en colimaçon montait à l'étage. Des livres, des rouleaux et des piles de parchemins non reliés couvraient tous les meubles majeure et la majeure partie du sol. Tenga pointa l'index sur un petit tas de branchages dans l'âtre. Le bois mort crépita et s'enflamma aussitôt. Lund se raidit, prêt pour une empoignade magique avec le vieil ermite.
Ce dernier ne parut pas remarquer sa réaction, il continuait à s'activer, sortait des chopes, des assiettes, des couteaux, des restes pour le repas tout en marmonnant pour lui-même.
Les sens en alerte, Lund s'installa sur le coin dégagé d'une chaise voisine. Le jeune mage regarda autour de lui en quête d'indices sur son hôte. Ses yeux tombèrent sur un rouleau ouvert, avec des colonnes de mots dans un langue oubliée. Il crut y reconnaître un rouleau de sort comme il avait vue la Guérisseuse de son village en posséder. Les magiciens convoitaient ces ouvrages, pour lesquels ils auraient sacrifié n'importe quoi ou presque... Plus étrange encore, Tenga en avait six autres dans cette seule pièce, en plus d'écrits savants sur divers sujets, dont l'histoire, les mathématiques et la botanique.
Un verre d'eau apparut devant Lund, et Tenga poussa sous son nez une assiette garnie de pain, de fromage et d'une part de pâté en croûte.

« Merci, »dit-il.

Le vieux l'ignora et alla déjeuner sans cesser de grommeler dans sa barbe. Après avoir vidé son assiette et bu la dernière d'eau, Lund ne put s'empêcher de demander :

« Que fait-tu ici ? Tu es seul, ou...
-Je cherche la réponse ! S'exclama Tenga.La clé d'une porte close, le secret des arbres et des plantes. Du feu, de la chaleur, des éclairs, de la lumière... La plupart des gens ne connaissent pas la question et errent au hasard dans la plus grande ignorance. Certains connaissent la question et craignent la réponse autant que ses conséquences. Bah ! Depuis des millénaires, nous vivons comme des sauvages. Oui, des sauvages ! Je mettrais un terme à cela. Grâce à moi, une ère de lumière verra le jour, et tous vanteront mes mérites.
-Si je puis me permettre, que cherches-tu exactement ?

Des plis creusèrent le front de Tenga, qui fronça les sourcils :

-Tu ne connais donc pas la questions ? Je pensais que si. À l'évidence, je me trompais. Quoi qu'il en soit, je vois que tu comprend le sens de ma quête. Tu cherches une réponse différente, mais tu cherches, toi aussi. La même flamme brûle dans nos deux cœurs Qui d'autre qu'un frère pèlerin saurait apprécier les sacrifices que l'on consent pour trouver la réponse ?
-La réponse à quoi ?
-À la question que nous avons choisie. »

« Il est fou », songea Lund. Dans l'idée de distraire Tenga et de lui rappeler qu'il était venu pour la mission, il avisa une rangée de statuettes en bois représentant des animaux sur le rebord d'une fenêtre en forme de goutte.

-« Comme elles sont jolies !Remarqua-t-il en les montrant du doigt.Qui les a faites ?
-Elle... avant de s'en aller. Elle fabriquait des babioles en permanence.

Tenga se leva d'un bond et posa l'index sur la première statuettes :

-Lui, l'écureuil qui remue la queue, il est malin et vif, facétieux et moqueur.

Son doigt passa à la suivante :

-Et voilà le dangereux sanglier avec des défenses mortelles... Et le chat avec...
Le chat où est le chat !!?

Tonga avait les yeux révulsés et criait. Lund comprit le véritable but de la mission. IL n'y avait jamais eut de chat ! Tonga était seulement désespérément seul... Lund ne pouvait rien pour lui...
Absorbé par son discours, Tenga ne prêtait plus la moindre attention au mage de Papier, qui battit en retraite, souleva le loquet de la porte, et fidèle à sa mission créa un chat de papier, un simple Origami dépourvu de magie, avant de quitté la maison du vieil homme. Il dévala la pente à travers le bois de chênes, puis laissa derrière lui le groupe de cinq collines et le mage dément qui y résidait.

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