Tu les avais écoutés parler. Tous autant qu’ils sont. Tu avais écouté le discours de l’un, l’annonce de l’autre, les avertissements de l’un, l’appel à l’aide de l’autre. Tu les avais tous écoutés avec attention et plus t’y penses, plus te dis que l’hôpital se fout de la charité. C’est que maintenant qu’ils prennent de tels mesures ? Que maintenant qu’ils réalisent ? Ouais forcément, ce ne sont que des hommes. Les hommes ne se plaignent qu’après avoir été touchés par le malheur. Ils ne le voient pas venir et pourtant, il est là, toujours là, au-dessus de leur tête.

Quelque part, derrière chacun, il y a cette ombre menaçante. Derrière chacun, il y a ce petit diablotin qui vous regarde avec un sourire jusqu’aux oreilles, attendant seulement que vous saisissez cette main qu’il vous tend.

Bacchus avait cet air mi triste, mi joyeux ou faussement joyeux sur son visage depuis la fin des événements. Pendant un moment, il s’était même absenté hors de la guilde, certains disaient qu’il allait à des funérailles à Mermaid Heel.
Quant à Hyun et Björn, eh bah tu ne sais pas trop où ils sont passés. Peut-être qu’ils courent à droite ou à gauche, à aider les gens du mieux que Quatro pouvait offrir son aide mais les mages n’étaient plus les bienvenus chez les gens. Les mages étaient les maudits, les méchants, ceux qui apportaient la mort et ceux qui représentaient les incapables de ce monde. Les mages avaient failli à leur tâche que de protéger le pays. Mais comment en vouloir ? Les mages ne sont pas des super-héros, ce n’est qu’un attroupement d’hommes et l’homme est fait d’erreur. Les attentats…Tu te demandes si Uriel y a pris part ? Certainement pas. Lui qui n’aimait pas se battre sans réelle raison…Pourquoi il se serait mis dans tout ça ?

N’empêche, toute cette folie meurtrière et toutes ses nouvelles restrictions t’avais permis de faire le point en t’exilant de Fiore quelque temps. Il était temps que tu tiennes une promesse. Cela faisait…un an maintenant.

Un an que tu n’étais pas retourné à Joya, chez toi. Un an que tu avais tourné le dos à ton père et tu doutes que tu sois le bienvenue chez les Faun une nouvelle fois. Que penserait-il de ta venue ? Allait-il encore te provoquer ? Allait-il encore te faire remarquer ton inutilité vis-à-vis du monde ? Vis-à-vis de son monde ? Tu n’as jamais vraiment eu de bons rapports avec ton père et encore moins depuis que tu as appris pour l’existence de Dylan. Les choses s’étaient soudainement si compliqués.
Personne ne savait que tu étais parti, encore. Personne ne savait où tu allais, comme souvent. Personne ne savait que tu te rendais là-bas, comme d’habitude. Personne ne devait savoir qu’au-delà de l’attardé mental…Il y avait le fils de riche, le noble aux bonnes manières.
Venir à Joya était une décision personnelle pour plusieurs raisons. La première était cette promesse faite à Dylan, la seconde était pour retrouver une nouvelle fois, Célestia. Et enfin, la dernière…C’était pour ce que tu avais laissé derrière toi, il y a cinq ans de cela. Personne n’était au courant. Personne ne devait l’être. Les gens qui te connaissais ne devait en aucun cas savoir pour ce petit secret car… Qu’est-ce qu’ils penseraient alors de toi ?

Deux semaines de voyage à travers les champs et les forêts te permis d’atteindre le manoir sans trop de difficultés. Deux semaines de voyages pour arriver devant les grilles forgées, fermées. Que fais-tu ? Les passeras-tu ? Oseras-tu te présenter ? Tu ne pouvais pas fuir toute ta vie et puis…Il y avait Dylan.

« - Maître Ethan ? »

Une voix t’interpelle alors qu’une autre te murmures de fuir, de détourner les talons. Une autre te dit de partir d’ici. Tu relèves les yeux et remarque le visage ridé d’Hector, le majordome du domaine. Qu’est-ce qu’il faisait à traîner ici celui-là ?

« - Mais oui c’est bien vous jeune maître ! Quel plaisir cela me procure que de vous revoir ! Mais Maître Jacques ne nous a pas averti de votre venue, je suis confus !
- Tout va bien, je ne suis pas là sur la demande de mon père. Disons, que je passais dans le coin. Puis-je entrer ?
- Oh oui bien entendu ! Veuillez m’excuser. »

Demander à rentrer chez soi c’était…Particulier. De toute façon, ce n’était plus chez toi depuis longtemps.
Tu le suis à travers le petit sentier et tu remarques que son regard s’éparpille à travers la propriété comme s’il avait malencontreusement égaré quelque chose d’important. Il avait cet air inquiet sur le visage donc logiquement, tu savais que c’était en rapport avec ton père.

« - Vous semblez chercher quelque chose d’important. Auriez-vous perdu quelque chose ?
- Ah euh non, non, ne vous inquiétez pas…
- Vous mentez tellement mal. »

Un bruit dans les feuillages, dans les arbres au-dessus de vous et là, un placage au sol façon rugbyman. Quelque chose t’es tombé dessus. Quelque chose de lourd t’avais littéralement maîtrisé au sol.

Quand tu ouvres un œil, tu vois son visage tellement prêt du tiens que tu cris comme une fille avant de reculer. Ses grands yeux d’ambre et sa chevelure blonde comme les blés te fixent, amusés.

« - Je pensais que tu n’étais qu’un cambrioleur, je suis déçu.
- Désolé de te décevoir…Cela t’arrives souvent de sauter sur les gens en guise de salutations ou c’est quelque chose de totalement nouveau ?
- Je ne t’attendais pas. Père sait-il que tu es de retour au pays ? Comptes-tu aller le voir ?
- Ai-je le choix maintenant que je suis ici ? Dis-moi, comment va notre mère ? Sa santé s’améliore-t-elle ? »

Ses yeux jusqu’à alors illuminés par ce même air d’imbécile heureux que vous partagiez, s’éteignent soudainement. Son regard dérive vers ses pieds et plus un mot ne sort.

Le pire scénario t’habites alors et tu en oublie de respirer.

« - Dylan….
- On l’a hospitalisé il y a un mois de cela. Depuis son état reste inchangé. Il ne s’améliore pas mais ne déclin pas. Elle est dans un coma profond.
- Que s’est-il passé ? Pourquoi n’ai-je pas été prévenu ?!
- Pourquoi poses-tu une question à laquelle tu as déjà la réponse ? »

Ton père. Forcément. Il n’y avait que lui pour avoir un tel pouvoir. Il n’y avait que lui pour te priver d’une telle nouvelle, aussi mauvaise soit-elle. Il n’y avait que lui pour te mettre de côté de la sorte. Tu aperçois alors sa silhouette, vous regardant de haut, depuis la fenêtre de son bureau. Il était juste là. A quelques mètres seulement. Il était juste là, souriant avec son air hautain.

Tu attrapes ton frère par les épaules et le regarde fixement. Personne ne devra jamais savoir ce qu’il se passera ici.

« - Tu vas monter dans ta chambre, préparer tes affaires, ne prends que le nécessaire pour voyager et tu m’attends devant le portail. Fais-le aussi vite que tu le peux.
- Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas aller le voir ? Que comptes-tu faire ? Ne sois pas idiot.
- C’est moi l’aîné, c’est mon devoir que de veiller à tes intérêts d’accord ? Alors tu vas faire ce que je t’ai dit, sans que je n’aie à me répéter. Vas-y cours maintenant et quoique tu puisses entendre…Tu n’entre pas dans le bureau de notre père. Sous aucun prétexte. »

A quand cela remontait ? A quand cela remontait la dernière fois que tu as éprouvé une telle colère ? Les gens ont l’habitude de te voir sourire, de te voir rire. Personne ne connaît cette facette de ta personnalité et personne ne la connaîtra jamais. Il ne faut pas. Cela devra être enterré avec ta vie ici, une bonne fois pour toute.

Dylan coopère étrangement et monte au niveau des chambres, Hector lui, fait rentrer toutes les domestiques dans la cuisine car aucune ne devaient servir de témoin. Personne ne devra porter ce fardeau, personne sauf toi.
Tu montes, grimpant les marches par paquet de deux voir de trois et tu atteins finalement la porte en bois massif de son bureau. Tu la pousses sans retenue jusqu’à la faire claquer sur les murs derrière et lui, il était juste là. Assit tranquillement, un verre à la main. Il était juste là, dans sa tour d’ivoire où il se pensait intouchable mais il est finit le temps où tu avais peur de lui, peur de te faire battre à la ceinture parce que tu n’étais pas assez doué, pas assez intelligent. Il en est fini le temps où tu n’étais qu’un pion sans jamais avoir été un fils.

« - Je commençais à perdre patience. Je me demandais quand est-ce que tu reviendrais à la maison, Ethan ?
- Je vais prendre Dylan avec moi. Je l’emmène à Fiore, loin de vous et de votre influence. Loin de votre folie. Vous pouvez être en colère contre moi mais jamais plus vous n’aurez la main sur Dylan.
- Tu penses jouer les héros petit insolent ? Tu crois pouvoir m’enlever mon fils sans que je ne lève le petit doigt ?!
- Par respect pour ma mère, je vous déconseille de le lever. »

Tu détournes les talons, les membres tremblants sous la colère et l’adrénaline et à peine arriver au seuil de la porte, tu aperçois Dylan attendant juste devant.

« - Ethan attention !!! »

Sur les murs, il y avait les armoiries de la famille mais il y avait aussi toutes les épées dont votre père était si fier. Celles que vous apprenez à maîtriser. Celles avec lesquelles vous vous battez pour le royaume. Par reflex, tu en attrapes une et la sors de son fourreau avant de te retourner et de transpercer le corps se jetant sur toi.

Et Uriel disait que tu pourrais te blesser avec une épée de 15 kilos ? Si seulement il savait.

« - La prochaine fois, je ne serais pas aussi clément avec vous. »

Tu le pousses contre le mur et tu y plantes la lame ressortie de l’autre côté de la jambe droite alors qu’il grimace tentant de t’attraper au passage, t’injuriant.

« - Vient, on s’en va. Ne te retourne pas. T'écoutes jamais quand on te dit de pas venir ? »

Plaquant sa tête contre ton bras, tu l’obliges à avancer, à ne pas regarder et à ne pas regretter. Ton frère n’avait jamais connu la liberté, le plaisir que d’avoir une vie à soi, pour soi. Tout allait changer dorénavant et lui le premier.