«
Hoy ! Dame Ecarlate ! »
La rousse fait volteface et observe l’homme qui court dans sa direction. Inconsciemment, elle pose sa main sur la garde de son fleuret, alors que le type s’appuie sur ses genoux pour reprendre son souffle. Il fait tomber son sac à terre, soulevant la poussière déposée ce matin par le passage des charrettes allant au festival. La jeune femme penche la tête sur le côté alors que le garçon se met à fouiller dans ses fontes.
«
J’ai réussi… à faire ce que vous m’avez demandé…. J’ai réussi… C’est un de mes plus beaux chefs-d’œuvre… »
L’Aigle se contente de hocher la tête. Elle a marqué un temps d’hésitation puis a fini par le reconnaitre. Vêtu d’un costume en trois pièces, couvert de divers résidu non identifié, une paire de lunette plutôt étrange coincée dans des cheveux en bataille, il a toujours la même bouille ahurie que ce matin quand elle lui est tombée dessus. Il lui offre un magnifique sourire tandis qu’il farfouille dans son sac. L’aigle remarque alors une fois de plus les multiples cicatrices de ses mains et s’attarde sur le blason plutôt connu dans les environs. Un alchimiste ambulant. Il soulève une drôle de boite en bois et la tend à sa cliente.
«
Normalement, l’effet sera effectif une poignée de minute. Pensez juste à placer les lacrymas à des endroits stratégiques, je n’avais pas assez de matière pour en faire d’avantage. »
La rousse acquiesce et détache lentement les cordons de sa bourse avant de la lancer au jeune homme. Elle sourit délicatement avant de s’approcher de lui. Son entreprise, bien que légale, reste totalement hasardeuse et risque certainement d’attirer des ennuis à ce pauvre type. La demoiselle jette à œil à la petite silhouette emmitouflée dans sa cape non loin d’elle avant de se pencher vers le marchand.
«
Soyez prudent quand le Conseil viendra vous voir. »
Et elle le plante sur place, la boite sous le bras et suivie de près par son allié. L’alchimiste n’a pas le temps de poser la moindre question que déjà les deux mages ont disparu à l’angle d’une rue. Pourtant, ce qui les trahira sans doute quand il sera pris sous le coup des enquêteurs du Conseil, il n’oubliera sans doute jamais la chevelure rouge feu ni l’étrange nom de celle qu’il connait sous le pseudo de Dame Ecarlate.
*
Où en es-tu des préparatifs Toto ?
J’ai fait le tour de la place où se trouvent les marchands.
Beaucoup de monde ?
Un certain nombre de mage, pas mal de gens normaux.
Des patrouilles ?
Quelques une, rien de bien inquiétant pour le plan si je m’en charge.
Ne te fais pas attraper.
Comme si un adulte pouvait espérer m’attraper…
Le dernier lacryma est en place, tu peux y aller Misto.
L’aigle s’étire lascivement avant de prendre l’émetteur magique d’une main mal assurée. Elle ferme les yeux et respire longuement, se remémorant sa propre tactique. Obtenir des lacrymas de communication, profiter du festival pour les placer à des endroits stratégiques du centre-ville, laisser Toto et les loups se charger de retarder les forces de l’ordre pendant qu’elle émet, prendre la poudre d’escampette. La maitresse de guilde se raidit avant de prendre son élan pour sauter sur le toit suivant. Mais pas n’importe quel toit. Bleu roi parmi les couleurs rose et rouge des tuiles, on n’avait aucun mal à reconnaitre l’imposante place de siège du Conseil de Crocus. Enfin, une des places de siège les moins surveillées et les plus désertes à ce moment-ci. Se laissant tomber sur la céramique chauffée par le soleil, la mage inspire à nouveau.
En place.
Prêt ?
Quand tu veux.
Misto porte l’émetteur à ses lèvres avant de fermer les yeux et de se concentrer. Lentement, elle commence à parler alors que Toto et les huit loups se dispersent dans la foule, les lacrymas dans leur poche. Le discours de la jeune femme n’était pas long mais la proximité immédiate des gardes rendait la tâche ardue. Aussi, quand le son se répandit dans les allées du festival, la garde se mit à bouger.
«
Bonjour, gens de Crocus ! J’espère que vous ne souffrez pas trop de la fraicheur d'automne. On m’a dit que le festival est fantastique, plein de belles choses et de soin de la part des marchands. Vous amusez vous ? J’ose penser que j’entends un oui général à la question. Mais si vous vous ennuyez, j’ai de quoi vous divertir un peu… »
Les mages du Conseil commencèrent à prendre en chasse les neufs lacrymas circulant dans la foule. Les porteurs de lacrymas accélèrent le rythme calme de leur pas en essayant de se fondre dans la populace. Les dizaines de têtes encapuchonnées se lèvent comme un seul homme et on remarque un sourire s’étirer sur leurs lèvres, visibles malgré leur déguisement. Ces dizaines d’âmes, souriantes, retournent à leur mission d’aide au civil. La première partie du plan s’enclenche alors que leurs mouvements deviennent un peu plus énergiques.
«
Mesdames, messieurs, je profite de ce charmant jour festif pour vous annoncer une nouvelle des plus amusantes. Je m’appelle Misto Shida, je suis l’actuelle maitresse de la guilde neutre d’Eagle’s Claw. Pour ceux qui auraient la mémoire courte, j’ai disparu il y a environ six ans. Mais là n’est pas le principal objet de mon intervention… »
Les capes des aigles dispersés tombent comme des feuilles mortes près de leur propriétaire. Un à un, les mages se révèlent sans pour autant cesser leurs activités. Seul importe alors pour la foule qui les regarde bouche bée, l’insigne flamboyant que chacun porte à découvert avec fierté. Misto ne peut s’empêcher de sourire alors qu’elle reçoit les voix de ceux qu’elle a retrouvés grâce à la lettre de Toto. Ils sont tous prêt et compte sur elle.
«
Je suis en quête de mage, de main d’œuvre et de client voyez-vous. Le Conseil refuse de nous donner quoi que ce soit de la part des honnêtes gens et j’ai le plus grand mal à convaincre les artisans de nous aider. Mais le pire, c’est que je suis dans l’incapacité de recruter de jeunes oisillons prometteurs pour nous redonner une crédibilité. Aussi, je profite de ce moment où chacun d’entre vous est réunis pour faire une annonce officielle… »
Des cris s’élèvent dans les rangs du Conseil alors que tous se ruent sur les neufs transporteurs. Ils ont mis moins de temps que prévu, on dirait. Les informations commencent à s’emmêler dans l’esprit de l’Aigle, rendant plus ardue sa tâche. Elle inspire un grand coup puis reprend sa phrase trop longtemps laissée en suspens, faisant sursauter de rares personnes s’étant habituées au silence.
«
La guilde d’Eagle’s Claw est dorénavant ouverte à toutes vos propositions. Avec ou sans l’accord du Conseil, nous sommes indépendant et avant tout nous sommes neutres. Passez une excellente journée, mesdames, messieurs, et au plaisir de vous compter parmi nos amis et nos membres. »
La rousse saute sur ses pieds et dévale le toit en lançant son lacrymas en l’air. Les transporteurs l’imitent avant de disparaitre pour la plupart alors que tous les regards convergent vers les dix lacrymas s’élevant dans les airs avant d’imploser dans un joli motif d’aigle. Arrivant à terre, elle se retourne vers l’imposant bâtiment et y pénètre d’un pas décidé, le son de l’ocarina stoppant toute action.
A l’autre bout de la ville, dans une autre caserne, les gardes, n’ont pas le temps de le loup saisir avant qu’il est dépassé le seuil. Un premier ordre d’arrêt s’élève quand Misto-Henning pose ses deux mains sur la table occupée par un bureaucrate.
«
Vous avez soixante-douze heures pour transmettre à votre supérieur hiérarchique que je souhaite le rencontrer en bonne et due forme. -
Vous…-
Dis-lui que ça vient de la part de Misto Shida. Et que chaque jour de retard entrainera des représailles. Parfaitement identique à celle du bâtiment nord. » Le loup adresse un sourire narquois aux gardes qui l’encerclent et tourne le dos à son messager. «
N’oublie pas, soixante-douze heures, pas une de plus. »
Il disparait alors que les dizaines d’hommes armés se ruent sur lui, laissant derrière lui l’ultime délai d’avertissement. Misto, lentement, fait sortir un à un les mages de sa caserne avant de laisser le soin à Osulf de les ligoter. La musique, savamment accompagnée d’un coup de fleuret chargé de leur inoculer le poison nécessaire à ses plans, couvre le petit Toto qui vient à peine de la rejoindre avec son chargement. Il fonce dans le bâtiment et en ressort, quelques minutes plus tard, un sourire jusqu’aux oreilles. Misto lui sourit avant d’arrêter son illusion et de changer de magie. Elle entre dans le bâtiment, sans un regard en arrière pour les membres du Conseil endormi sur la chaussée, sous la bonne garde de la poignée d’aigle présent. Un long sifflement s’élève dans la bâtisse puis le vent se met à hurler en écho avant qu’un large cercle magique bleu glacé ne se dessine dans la zone. Lentement, la tempête se lève et le vent, chargé de neige, se rue dans l’établissement. De lourd craquement, atténué par les cris du vent, se font entendre alors qu’une boule de métal passe à l’extérieur avant de revenir vers l’un des murs, guidée par le frimas. Bientôt, le fringuant bâtiment est couvert de trou et, pas à pas, la mage sort de son cercle et guide une ultime fois les poids. La caserne, attaquée au niveau des murs porteurs, s’affaisse sur le boulevard désert. Misto pousse un grognement satisfait et révoque sa seconde magie avant de lever le poing serrant le sabre du Nywell vers les cieux.
«
Aujourd’hui sonne le premier jour de notre renaissance. La guilde n'est peut être pas encore achever mais nous sommes déjà prêt. Bon retour parmi nous, aiglons ! »