Un regard qui se perd dans le vide, il scrute l’invisible, voit sans voir, perçoit sans discerner l’objet où se perd son regard. Présent et absent, air demeuré d’un gamin attardé, lèvres entrouvertes, expression hébété sur lequel s’attarde les yeux de quelques passants peu rassurés. Débilité flagrante sur un visage d’ange, immonde mélange. Et lui ? Il voyage, se perd en des lieux d’une splendeur funéraire. Il voit les flots se déchainer, heurtant les récifs sacrés. Un sentiment de paix et de malaise mêlés, la solitude qui le pèse, une volonté de fuir ce paysage de rêve. Sa bouche s’ouvre tel les flots, laissant jaillir la puissance des mots, litanie chantante d’une âme exubérante. Elle accepte sa présence ? Ignore-t-elle son intrusion dans son indécence ? Il ne le sait, ne sait pas, ne sait plus, sens partagés dans la communion de leurs âmes l’espace de minutes enchantées, ils sont l’éternité, liés. Il sent ses émotions le traverser, sent la nostalgie des temps passés, découverte faite par un appel qu’elle n’a aucunement causé, simplement une communion d’âmes liées pour l’éternité. Tel est sa magie dans sa beauté, beauté entachée de tant de perversité. Il se laisse noyer dans cet instant de pureté, comprenant d’avantage le caractère de cette diva oubliée.
Son esprit vagabonde, absente et hors du monde, il plonge dans les méandres du secret, se rappelle sa condamnation à perpétuée. Trop absorbée par ses rêves effilés et pensées étiolées, elle ne remarque pas l’appel les ayant liés, intrusion dans son corps de la psyché de cette chose avec laquelle elle a pactisé. Rien, le néant alors que nait son chant, contemplant l’horizon son esprit voyage, vagabond. Litanie de la nostalgie franchissant ses lèvres, hymne à la vie bafouée dans une complainte funèbre. Son chant la transporte dans les souvenirs de l’oubli, elle revoit le jour où tout à finit, vie volée pour renaître dans l’eau salée, condamnée à l’éternité d’une solitude détestée. Damnée.
***
La robe légère vole au vent, tissu blanc vrillant l’air dans un courant ascendant, elle danse, poupée au visage émacié, elle danse sur la falaise comme si plus rien ne comptait. Son fredonnement s’élève au rythme de ses mouvements fluets, elle se libère de ses chaînes détestées. Elle ralentit, accélère, dansant sur le rythme d’un chant haché qu’elle laisse flotter dans l’air, reposant et attristant, ode aux marins qui jamais ne reviendront vivants. Elle se stoppe, essoufflée, les mots meurent dans sa respiration saccadée, disques violets se relevant pour contempler l’immensité, océan ou les récifs abondent dans un écho de toute beauté.
Elle se laisse tomber, ses fesses amortissent la chute sur la pierre brune où le soleil a chauffé tout l’été. Sa fin arrive dans le délice d’une brise glacée, le soleil se couchant sous ses yeux émerveillés, spectacle dont elle ne se lasserait jamais, qu’elle pense que jamais il ne pourra l’ennuyer… Si elle savait. Elle reste là un long moment, comme chaque jour depuis ses six ans, refuge pour fuir des responsabilités qu’elle ne veut pas accepter, son refuge à elle pour faire ce qu’elle aime à en crever. Le chant des flots l’apaise, ce spectacle la rend niaise et efface tout malaise. Son regard se perd sur les récifs où le vent meurt dans une complainte lascive, écho qui la bouleverse dans sa pureté qui siffle. Elle se lève, dans son regard nait une détermination éphémère, elle veut apprendre, elle veut savoir, cet écho strident au chant enivrant, elle suit l’appel, elle veut en devenir la souveraine, être capable de le reproduire au son de sa voix à la sonorité si pure, elle veut pouvoir souffler dans cette flûte ne la quittant jamais, capable de reproduire cet ode à la mer que le récif vient de lui révéler.
Elle court, la fluette à la chevelure rosée dévale les sentiers escarpés, besoin compulsif et obsédant de plus s’approcher, d’entrer au cœur de ce son l’ayant bouleversée. Véritable appel entraînant son être dans un élan de folie funeste… La plage, une barque abandonnée, elle hésite un instant, elle ne sait pas nager, écho qui retentit à nouveau dans son absolue pureté, elle doit y aller, être en son cœur, s’en imprégner, s’en imprégner pour mieux subjuguer. La robe s’humidifie au contact de l’écume des flots, la jeune fille de dix-sept années pénètre dans l’embarcation abandonnée, elle suit son instinct, pagaye comme elle peut de ses bras enfantins.
Elle sent les flots caresser l’embarcation avec une vigueur démesurée, elle s’en moque, elle doit s’approcher, le vent, l’odeur, les sons, ils sont ce qu’elle a toujours rêvé, mer qu’elle adule pour sa beauté et ses chants murmurés. Folie venant de sceller son destin à jamais… Elle est a porté, les récifs l’enlacent de leurs échos démesurés, et les flots gagnent en puissance, commencent à se déchaîner, elle ne ressent pas la peur dans la tourmente de ces vagues heurtant la barque où elle se trouve. Comme possédée elle continue, tente d’avancer, encore plus prêt, toujours plus prêt.
La violence augmente sous l’effet des récifs où le vent déchaîne la mer dans son immédiateté. Une rafale s’engouffrant entre les rochers, flots balayant d’une seule poussée la carcasse de la barque abandonnée. Un son étouffé alors que l’eau s’engouffre dans sa trachée, que son corps se fait emporté dans le tumulte d’une mer déchaînée, son regard pourtant reste figer, ni la frayeur, ni l’excès alors que ses bras s’agitent dans des mouvements confus et désespérés. Son regard trahit une sérénité mortifère, qu’il continue d'observer, il admire la beauté de l’eau venant le noyer, puis lentement il vient se fermer, les gestes s’arrêtent dans une langueur anesthésiée. Conscience la quittant alors que l’appel enlace son âme de sa froideur glacée, corps inerte se laissant porter par la furie des vagues, alors que sur les récifs il est soudainement projeté dans une effusion de sang déjà asphyxié. Jambes broyées alors qu’un souffle semble s’extirper de sa carcasse lacérée pour se mêler à l’eau et aux rochers déchainés.
Appel auquel elle n’a su résister, appel l’ayant condamnée à l’éternité.
***
Elle s’étouffe, son chant se brise alors qu’au rythme des souvenirs l’air vient à lui manquer, qu’elle exulte dans une complainte faisant vibrer les récifs alliés. Râle d’agonie qu’elle n’a jamais pu proférer, qu’enfin elle réalise l’intrusion dans son corps, une violente poussée éjectant l’esprit de ce truc avec lequel elle a pactisé. Truc ayant ressentie l’étouffement et l’asphyxie l’ayant enlacée, brun retrouvant conscience dans son corps à l’air hébété, que dans un sursaut de lucidité, choqué il veut comprendre ce qu’il s’était passé. Le pourquoi de cette sensation qui l’avait frappé… Qu’à ses yeux Lys prend un aspect qu’il n’avait jusqu’à lors jamais soupçonné… Une simple question émergeant dans son esprit choqué, que lui était-il arrivé ?