« Les Epices, Mission Rang C »
Alice
Je m'étais reposée une journée avant de retourner en mission. La dernière n'avait pas été si fatigante, mais elle m'avait marquée. Elle était le symbole de ma nouvelle parole. D'une fille forte qui arrive enfin à se gérer, à pouvoir parler un petit peu pour avoir des informations. J'avais aimé cet autre contact que j'avais perdu ces années passant, et qui m'était devenu si étranger. Je n'avais plus l'habitude d'utiliser le son de ma voix. Cela me viendrait peut-être. En tout cas, ce qui était sûr, c'est que j'avais décidé d'être plus forte, et que je ne baisserais pas les bras. Il me restait quatre missions à effectuer avant de rentrer. Je me sentais déjà plus forte, plus sûre de moi. D'ici quatre missions, qui sait, j'allais peut-être l'être encore plus ? C'est ce que j'espérais. Mais le fait que je sois une fille et en plus de cela aussi jeune donnait toujours une première impression que je n'aimais pas. Non, je n'étais pas faible et oui j'en étais capable. Il fallait donc que mon nom soit connu pour qu'on reconnaisse enfin que j'étais capable de me débrouiller seule ? A croire.
La silhouette de la ville d'Hosenka se forma petit à petit devant nous. Aquarelle marchait au pas, et Yuki dormait dans la poche de ma petite veste. Il faisait encore un peu frais ces temps-ci, même si l'on sentait que le printemps approchait.
Le « Super-Express » était le magasin dans lequel je devais me rendre. Mais le soleil ne tarda pas à décliner, je pris donc une chambre d'auberge et un box à l'écurie.
Le lendemain, je passai ma matinée à la recherche du restaurant. Après l'avoir demandé -par écrit- à un passant, il ne me fut pas bien difficile de le trouver.
Le patron était un homme robuste, avec une longue moustache qu'il ne cessait de tripoter. Ses yeux étaient en amande, sa bouche en carotte... Oui, ça semble bizarre, mais c'était le cas. Un sourire s'étira sur mes lèvres lorsque son second m'apprit qu'il ne parlait pas. Je me voyais à travers lui et ne cessais de me demander pourquoi il taisait sa voix, comme moi. Il y avait sûrement une raison. C'était obligé, plutôt. Cette fois-ci, je ne fus pas obligée de dévoiler la mienne : son subordonné me dit avec exactitude ce que je devais faire, me donna des croquis des aliments concernés, me souhaita bonne chance et me mit à la porte en s'excusant : la requête pressait énormément, le restaurant avait à tout prix besoin de ces « épices » en forme d'étoile.
Ma destination était donc la Web Valley, immensité désertique où le soleil était plus cuisant qu'ailleurs. On n'y croisait que très peu de gens, la plupart étaient des vagabonds ou bien encore des marchands de passage. Chercher dans un désert de roches, c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. J'avais beau poser mon regard partout, rien à l'horizon. Le paysage était constitué d'une terre sèche, aride et poussiéreuse de couleur orangée. Des murs gigantesques de cette matière s'élevaient dans les cieux, formant un canyon, donnant vie à un labyrinthe.
Alors que la journée touchait à sa fin, je ressentais la soif. Malheureusement, j'avais bu ma gourde entière dans l'après-midi... Manque de réflexion et d'organisation, je ne savais pas ce qu'il fallait faire ou non dans un désert. J'allais m'en souvenir pour la prochaine fois -s'il y en avait une, ce que je n'espérais pas- il faut économiser le plus possible l'eau.
Le soleil se couchait, et les environs commençaient à disparaître sous un voile noir. La chaleur lourde et pesante laissa place à un froid inattendu. Comment, dans un désert si chaud, la nuit pouvait être si froide ? Aquarelle se coucha contre un des « murs » du canyon, et je me lovai contre elle, m'installant contre ses flancs et me recouvrant de la veste que j'avais mise dans mon sac. Heureusement que j'avais oublié de l'en enlever.
La nuit passa et je dormis très mal, souvent réveillée par des cris de rapace résonnant dans le désert vide.
Le réveil fut difficile, mes paupières avaient du mal à rester levées.
Je repris ma route à la recherche des épices en forme d'étoile. Et la matinée passa, sans que je ne trouve rien.
Les rapaces qui m'avaient empêché de dormir tournaient dans le ciel à la recherche de proies. Leurs cris attirèrent mon attention... Et si... Si ce que je cherchai se trouvait en fait au dessus de moi ?
Ça expliquerait tout... Pourquoi je ne trouve rien, pourquoi il n'y a aucune trace et pourquoi les oiseaux volent si haut... Je n'ai pas croisé une seule bestiole ici à part des scorpions et des serpents...Cela ne coûtait rien d'essayer. Mais Aquarelle et Yuki allaient devoir m'attendre en bas. C'était trop difficile de faire voler Aquarelle, elle était trop lourde et sur longue distance j'allais épuiser toute ma magie.
Prenant le contrôle de mon propre corps, je me faisais monter jusqu'au plus haut rocher. De là, je vis des chemins de fer, loin, très loin. Mais aussi des multitudes de petit buissons rouges disséminés un peu partout dans la Web Valley, perchés sur ces roches touchant le ciel.
Souriante, je repris mon envol.
Alors que mon pied toucha le solide rocher où s'étendaient de ces buissons rouges bordeaux, des petits rongeurs pas plus haut que vingt centimètres et long de trente avec leur longue queue touffue me sautèrent dessus. Je fus obligée de me sur-élever dans les airs pour éviter leur griffe et dent, qui m'avaient déjà entaillé la jambe.
Ce n'est pas que je n'aimais pas voler comme un oiseau, mais à force, cela utilisait de la magie et petite quantité plus petite quantité devenait grande quantité... Et j'avais beau essayer de me descendre pour attraper les épices, à chaque fois j'en ressortais avec une ou deux griffures de plus.
Merde mais je suis bête ou quoi moi aujourd'hui ? ...[i] me rendis-je compte intérieurement.
Par magie, j'étais capable non seulement d'agir sur mon corps, mais aussi sur ceux des autres... Encore mieux, je pouvais emmener ce que je convoitais vers moi, c'est-à-dire que je pouvais « cueillir à distance » les épices. Ces dernières, en forme d'étoile de mer avec un vide en leur milieu, étaient brunes et l'odeur qu'elles dégageaient me mettait l'eau à la bouche. Mon ventre gargouilla alors que le sac que je tenais entre mes mains se remplissait de ma cueillette. Les rongeurs -qui soit-dit en passant avaient une allure d'hermine rose- n'étaient pas contents et tentaient d'attraper au vol leur trésor qui s'envolait. Je m'excusai auprès d'eux avant de redescendre, le sac plein, jusqu'à ma jument.
Ils ne lâchaient vraiment pas l'affaire... !
Les rongeurs descendirent par je ne sais où de leur [i]domicile et arrivèrent en courant jusqu'à nous. Enfourchant ma jument, je la fis galoper aussi vite qu'elle le pouvait pour échapper à l'attaque des centaines de bestioles roses qui nous poursuivaient.
Résultat des comptes, Aquarelle était plus que fatiguée de cette course poursuite, et nous dûmes rentrés par le train que j'avais aperçu lors de ma balade-volante.
***
Le patron sourcilla lorsqu'il vit le sac entièrement plein des épices qu'il voulait tant. Son second me remercia mille fois, et me fit soigner ma jambe endolorie par un de ces amis médecins très compétents. Je n'avais presque plus mal lorsque je repartis, le lendemain matin. Dans cette mission, je ne parlai qu'une seule fois, au médecin pour le remercier des soins qu'il m'avait administré. Il ne voulut d'ailleurs pas que je le paye, car il me reconnut.
« Tu es Suzu, l'enfant sans parole. Nous nous sommes déjà rencontrés par le passé, ma chère enfant. Et t'entendre parler et sourire de la sorte est la plus belle manière de me remercier. Gardes ton argent et continues à faire ce que tu fais le mieux. Tu as un sourire magnifique. Allez, vas, Suzu. »
Je restai bouche bée, car je ne le reconnus pas. Lui, ne m'avait pas oublié. La larme au coin de l’œil, je partis effectuer ma prochaine mission, à Akane Beach où m'attendait un jeune garçon.