Les yeux de la jeune femme se posèrent sur la pénombre. Elle avait refusé de s’arrêter dans une auberge pour gagner du temps sur sa longue route mais elle le regrettait à présent. La mage s’était précipité après une information et avait négligé la plus simple prudence. Elle se trouvait donc en plein milieu de Bosco, dans la nuit, sans avoir la moindre idée d’où elle pouvait bien se localiser sur une carte. Elle souffla sur ses mains et reprit sa marche, à la recherche d’un endroit où passer la nuit à la belle étoile. La brune n’avait pas croisé grand monde. Elle ne savait pas vraiment si c’était une bonne chose. Le pays était instable et les routes désertes étaient parfois bien plus dangereuses que celles qui étaient grandement fréquentée.

Misto savoura le silence et la nuit. Les erreurs qui parsemaient son début de voyage avaient au moins un avantage : celui de lui permettre d’être avec elle-même et de se ressourcer. Loin de la guilde et de son devoir de protéger son supérieur absent. La jeune femme en avait assez de porter une ombre à bout de bras sous le nez des aigles.

Depuis ses dernières semaines, ils se faisaient de plus en plus véhéments. Ils devenaient belliqueux, menaçaient de s’emparer des rennes que personnes ne tenaient. La jeune aigle avait chassé l’un des siens il y a peu. Un homme qu’elle adorait mais qui était devenu incontrôlable avec le temps. Elle s’était enfermée dans la bibliothèque peu de temps après ça, mortifiée par les dégâts causé par la négligence de Tsukiyo. Mais ça, ce n’était que le premier maillon de la chaine.

Le second, il s’appelait cauchemar. Des cauchemars de plus en plus fréquent avec toujours la même symbolique. Une vieille chanson. Des paroles tristes. Une vague impression de perdre ses sens et après un son unique et répétitif. Elle se mit à les fredonner en marchant, peuplant le silence paisible de la nature.

- Esprit du givre. Dame des glaces.
As-tu échoué à les protéger ?
Courant de mort. Inconsciente des trépas.
As-tu oublié ce qui guidait tes pas ?
Seule au milieu de la neige,
Tu pleures ce que tu as perdu.
Alors que cette peau pourtant si beige
Ne ressent plus le froid.

Un bruissement à sa gauche la tira de sa rêverie. Une dizaine d’homme l’encerclèrent. L’adolescente, sa capuche rabattue sur le crâne, soupira. Encore un problème de plus.

- File nous ton fric et tes objets de valeur et on te laissera peut être partir.

Misto ne réagit pas le moins du monde à l’homme l’interpella et continua son chemin. Elle se plaça devant celui qui lui barrait la route et le regarda dans les yeux.

- Poussez-vous s’il vous plait, j’aimerais allez me coucher avant demain matin.
- Je crois que t’as pas bien compris à qui tu as affaire alors tu vas planter tes pieds dans le sol et tu vas obéir bien sagement si tu veux pas mourir.

Le dit pied de la Kashu quitta la terre battue de la route et rencontra la face de l’affreux jojo en face. Elle n’aimait pas qu’on l’enquiquine. Et à cette heure-ci, elle n’avait pas sa patience habituelle. Les esprits qu’elle portait en elle dormait à l’heure actuelle, ce qui lui permettait un silence quasi complet si ce n’est quelques ronflements qui lui parvenait parfois.

- Mon pied, je le mets où il me plait. Pourriez-vous me laisser passer maintenant plutôt que de me faire perdre mon temps ?
- Sale garce …

Les brigands se rapprochèrent de Misto en cercle resserré. L’un deux fit jaillir une étincelle de ses mains. L’aigle chassa immédiatement sa fatigue pour regarder les flammes qui l’entourait. Les hommes, satisfait d’avoir attiré son attention, relancèrent.

- File nous tes affaires et on oubliera peut être ce que tu viens de faire.
- Si tes protections ne sont pas éternelles,
Je figerais ton tourment dans la glace…

La température de la jeune fille chuta brusquement. De même que son corps changea au fur et à mesure de la mélodie. Sa cape et sa tenue disparurent sous la robe caractéristique du Requiem. La brune continua de chanter tranquillement sans s’inquiéter des réactions autour d’elle. Tout ce qui lui importait était de finir son invocation.

- Si ce monde n’est pas celui qu’on t’avait promis,
Je chercherais celui qu’on t’a omis
Et changerais celui-ci en terre d’oubli.

Les chainons cerclèrent ses chevilles et de fine corde relièrent ses collants à sa robe. Elle adressa un grand sourire à ses agresseurs qui la regardait, bouche-bée. Puis l’enfer se déchaina. Misto pouvait les assourdir mais, en plein milieu de nulle part sans perspective d’aide, cela n’avait aucun sens. Le plus important pour elle, dans l’immédiat, c’était de faire chuter la température. La faire chuter et se débarrasser de ses adversaires pour pouvoir reprendre son chemin. Elle ferma les yeux et se concentra.

Les bandits n’avaient pas bougé quand elle les ré ouvrit. L’adolescente observa tour à tour ses interlocuteurs puis se lassa. Elle mourrait d’envie d’un lit. Un bon lit de chez elle et ses paysages enneigés. C’est en se remémorant les plaines gelés parcouru par le blizzard d’Iceberg que l’aigle se souvint d’une petite comptine. Le chef de la bande la menaça mais elle l’ignora. Elle se mit à en siffler l’air, inconsciemment guidée par un souvenir qu’elle dont elle ne connaissait pas l’existence. Le vent se leva et les alentours se rafraichirent. Un premier flocon se posa doucement sur la joue de la jeune femme alors que celle-ci tendait la main pour en attraper un second. Le vent s’enroula autour d’elle, emportant la neige qui tomba rapidement dru. Le sort s’élança vers les hommes proches, les piégeant avec fureur entre le vent, le froid et la neige. Misto, curieuse, tenta d’amplifier le phénomène en y consacrant plus de magie, nullement gênée par le changement de température.

Une main la saisit au poignet puis se retira vivement, comme si elle s’était brulée. La jeune Kashu posa les yeux sur le mage qui luttait contre le froid. Leurs regards se croisèrent brièvement. Il avait les lèvres bleuies par le froid et son affinité avec le feu ne suffisait pas à le réchauffer. Il l’implora silencieusement de cesser. La tempête se leva, obéissant à la volonté de son invocatrice, dévoilant les résultats de son passage. La terre avait été refroidie sur un simple rayon de plusieurs mètres.

Misto plaqua ses deux mains sur sa bouche pour s’empêcher de hurler. La plupart des brigands, à terre, étaient transi de froid et certains portaient des engelures. Les larmes se mirent à couler alors qu’elle remarquait que l’un d’entre eux avait été épargné. La jeune fille se précipita vers lui et l’emmitoufla dans sa cape avant de le serrer dans ses bras pour le réchauffer. Elle murmurait ses excuses sans s’arrêter, mortifiée par ce qu’elle venait de faire. L’enfant que l’aigle tenait restait silencieux. Il la regardait de ses grands yeux. Celle qui avait supprimé autrui par caprice. Pourtant, alors qu’il aurait dû la haïr, il ne ressentait que de la pitié.