Il n'y avait rien à faire. Et quand je n'ai rien à faire, la proposition du premier venu qui m'est inconnu est accueillie à bras ouvert. J'explique quelques peu. Midi est passé, et pourtant, je finis tout juste mon repas. Poussant l'assiette pour laisser la place à mes coudes tenant ma tête, je souffle, ennuyée. Les mages présents rient autour de moi et envoient quelques mots moqueurs à une personne assise à une table, plus loin. Je tourne mon regard vers les mages qui n'ont que de veines paroles, et pose mes pupilles bleutées sur le jeune homme. Il me dit quelque chose. Je l'ai déjà vu quelque part. Bien sûr, Alice, que tu l'as déjà vu ! Il fait partie de ta Guilde, idiote... Non, ce n'est pas dans les bâtiments que je l'ai croisé... Je laisse peser mon regard sur lui, cherchant dans mes souvenirs, encore vagues sur les derniers événements qui se sont passés avant mon coma. Mais oui ! Les événements... Le Festival ! Bien sûre, comment puis-je être aussi bête... Mais impossible de me souvenir de son prénom. Les anges continuent de lui balancer des mots tel que « nudiste », ce que je ne comprends pas et laisse vite tomber. Haussant les épaules, je préfère me dire que ce ne sont pas mes affaires. Moins j'en sais, mieux je me porte, dans ces cas-là. Le blond se lève et s'approche du Panneau des Missions. Il y jette un bref coup d’œil avant de piocher un des papiers accrochés. Il pivote sur ses pieds et regarde l'assemblée des mages qui lui jette des sourires vaniteux. Sûrement suis-je l'une des seules à ne pas me préoccuper de ce qui se passe ? « Hey, vient avec moi faire cette mission, j’ai envie de changer d’air, et d’entourage. » Non, en effet, je n'ai pas pu réagir, que le jeune homme s'emparait de mon bras et m'emmenais dans ses sillages. Ahurie, je le laisse me conduire là où il souhaitait aller. Il a parlé de mission, ce qui veut dire... Partir, faire des efforts. Je n'avais pas la tête à ça, mais je n'avais rien à faire, donc tuons le temps en répandant de bonnes actions. Au lieu de m'emmener vers le lieu de téléportation, il s'arrêta une fois sorti de la pièce. Je hochais la tête tandis qu'il m'indiquait que je devais me trouver à l'entrée principale de Shirotsume dans deux heures. Deux heures ? M'ouais, ça pourrait-être possible. Si j'y vais à cheval. J'approuve de nouveau et le laisse filer, partant de l'autre côté, je me rends aux douches. Une fois toute propre, je mets les habits qui m'arrivent les premiers dans les mains et les enfile. Je n'oublie pas d'accrocher mes deux poignards et me faufile à l'extérieur de la bâtisse. Tapant deux fois dans mes mains, ma jument apparaît en galopant, Yuki dans ses crins. Je ne pus m'empêcher de leur sourire. Grimpant sur l'appaloose, nous nous dirigeons vers le lieu de téléportation. Je répète mentalement la formule et deux secondes plus tard, je me retrouve sous la Guilde. Le mage blond devait déjà être loin. Quelle heure il est ? Haaa j'n'ai pas de montres... Je devrais y remédier. Plus tard. Lançant Aquarelle au galop, nous arrivâmes en avance à l'entrée de Shirotsume. L'ange n'était pas là, je lâchais donc Aquarelle qui partit dans les grands espaces, plus loin, là où je ne pus plus la voir, emmenant Yuki avec elle. J'essayai de la suivre, histoire de la retrouver plus tard, mais rien à faire, elle avait disparu. Haussant les épaules, je revenais sur mes pas, où je fus accueillie par le jeune homme. Il s'excusa de son comportement, ce qui m'hota un bref sourire, puis il m'expliqua le lieu de la mission. Un village voisin. «  Moi c’est Miku, et toi ? » Mon réflexe ne vint que quelques secondes trop tard, et il fut bien entendu de sortir mon stylo de sa pochette et d 'écrire un joli « Suzu » dans les airs. « Suzu ? Tu t’appelles Suzu ? Joli prénom. Je suppose que tu ne peux pas parler… Flute alors, ça doit être embêtant ça... Pas grave, je ferai la conversation pour deux dans ce cas! » Je lui souris. Ce n'était pas embêtant, au contraire, ça résolvait beaucoup de problèmes, et ça permettait de ne pas en dire trop. De sauver des vies, selon les circonstances. Et de ne pas sortir de bêtises et paroles inutiles. Non, en fait, c'était bien pratique, que de se taire, à jamais. Tout le long du chemin, le dit Miku n'arrêta pas de parler. C'était assez ironique... Nous étions opposés, contradictoires. Lui parlait énormément et moi me taisais. Ce qui me valut certains sourires qui ne rimaient à rien dans son monologue. Il raconta et raconta encore. Ses anecdotes parlaient de tout et de rien, mais elles avaient toujours quelque chose qui les faisait ressortir. Miku coupa alors sa dernière phrase et mit fin à son monologue. Devant nous se dressait une modeste maison de bois, fermée comme elle le permettait. Le jeune homme n'y réfléchit pas à deux fois, après un bref regard à mon intention, il cassa une fenêtre et s'infiltra à l'intérieur. Je le suivais, trouvant tout de même sa réaction excessive. Il aurait pu frapper, cela ne lui coûtait rien. Et démolir après. Si nécessaire... Une fois entrée, je l'entendis marmonner une phrase dont je ne compris que la moitié. « Se passe ici ? » En gros, il voulait savoir le pourquoi du comment. Il ne comprenait pas. Et moi non plus, par la même occasion... Me voulant rassurante, je m'approchai du couple et de leur enfant. Ils étaient tapis sous une couverture verte. Alors que je ne me tenais qu'à quelques mètres d'eux, ils se mirent à trembler et s'enfuirent vers une autre pièce. Le bruit d'un verrou qui se referme résonna dans la pièce. Je … les avais... effrayé ? N'y comprenant vraiment rien, je tournais vers Miku une mine déconcertée. Je haussai les épaules et me dirigeai vers la porte qu'ils venaient de fermer. Me mordant les lèvres, j'entrepris de frapper, mais rien ni personne ne répondit. Alors je frappais de nouveau. Voyant que cela ne marchait guère, me vint à l'idée d'utiliser la méthode « Miku ». Non, trop excessif... Sortant de mes poches un stylo normal et des feuilles (mes objets de secours), j'écrivis un petit mot que je faisais passer sous la porte. « Miku et Suzu d'Angel's Sky, nous sommes là pour la mission qui nous a été envoyé. » En réponse, le verrou se rouvrit et les trois personnes sortirent de la pièce et s'avancèrent tandis que je reculais pour leur laisser place. « Oh mon dieu, merci ! Merci d'être venu ! » lança la femme, apeurée. « Il va nous manger, tout cru ! Mais ce n'est pas un loup ! » pleura l'enfant, qui devait n'avoir que quatre ou cinq ans. « Et bien, qu'est-ce, si ce n'est pas un loup, petit ? » répondit Miku, la mine vaguement amusée, tout en se rapprochant. « Du brouillard. » répondit le père de famille. Ils ont peur... d'un brouillard ? Le père dut lire sur mon visage, car il nous expliqua que ce n'était pas n'importe quel brouillard. Une fumée blanche, glaciale, qui enveloppait tout sur son passage et qui tuait quiconque s'en approcher de trop près et osait le toucher. Sa description me fit froid dans le dos. D'après lui, il n'apparaissait que la nuit et on entendait dans ses profondeurs « l'appel désespéré de la mort », des hurlements aigus ou rauques, qui venaient et s'en allaient. Je plaçais un regard assez plein de questions vers Miku. Sa description était tout de même vague. N'y avait-il pas moyen d'en savoir plus ? Ce que j'espérais en tout cas, c'est que nous n'en aurions pas pour trop longtemps, et surtout que nous ne laisserions pas notre peau dans cette mission. D'ailleurs, pourquoi m'avait-il embarqué ? Cette mission n'était pas de mon ressort... Mais nous allions y arriver. « Pourquoi ne resteriez-vous pas jusqu'à la nuit, pour observer de vos propres yeux ? » Ce fut la proposition de la femme. De nouveau, je portais mon regard sur Miku...

« Eh bien, que dirais tu que les deux mages les plus puissants d’Angel’s Sky veille sur toi ce soir ? » Mes yeux s'écarquillèrent et mon regard laissa filtrer l'amusement qui s'emparait de moi. « Nous allons nous occuper de ce mystère, ayez confiance. N’est-ce pas ? » finit-il, à mon intention. Je hauchais vaguement la tête, tout doucement, montrant en même temps mon incrédulité qui, heureusement, ne toucha pas les villageois, qui semblaient avoir confiance en Miku. J'étais loin d'être l'une des plus fortes mages d'Angel's Sky. A vrai dire, j'étais sûrement l'une des plus nulles. Ce qui me valut une grimace. Bien que j'essaie d'être forte, de me débrouiller toute seule et de ne pas montrer toutes ces faiblesses que je possédais, je savais très bien que tout le monde voyait en moi un insecte facile à écraser. Un microbe. Ces pensées, au lieu de me déstabiliser et de me fragiliser encore plus, me rendirent plus forte. J'allais montrer une fois de plus, comme au festival, que je pouvais me débrouiller. Et que j'étais capable de travailler en équipe, bien que ce ne soit pas la chose que j'aime le plus. Pourquoi toutes les personnes qu'on côtoie, quand elles passent plus de temps à nos côtés ; essaient toujours de s'infiltrer dans notre bulle, dans nos pensées, et de régler tous nos problème ? Cela n'a pas de sens. Si on ne leur en parle pas, c'est qu'on ne trouve pas bénéfique pour nous de le faire. Alors pourquoi essayer de nous soutirer les informations ? Voilà une des raisons pour lesquels je ne m'approchais pas des gens, du moins, de trop près. J'avais envie, mais en même temps, l'idée de devoir dévoiler tous mes sentiments à quelqu'un... C'était horrible. J'étais terrifiée, rien qu'à cette idée. Bien que cela semble très... bête ? Le restant de l'après-midi, Miku répara son erreur qu'il avait commis plus tôt : casser la fenêtre. D'après les villageois, le brouillard se rapprochait de plus en plus des maisons et la nuit passée, il s'était infiltré dans les endroits manquant d'isolation. C'était donc pour cela que lorsque nous sommes arrivés, cette maison était barricadée avec les moyens du bord trouvés par la petite famille. Bien que ce fut l'erreur de mon camarade, je participai avec ardeur et bonne volonté à cette tâche, tendant des sourires à tous. Miku courut longuement derrière le petit garçon, faisant mine de l'attraper pour le manger. Ces jeux entre un jeune et un bien plus petit me ramena quelques instant dans le passé, ravivant le souvenir de mon frère décédé en train de jouer à chat avec moi, dans le village. Mais aussi à cache-cache, au loup glacé, et toutes sortes d'autres jeux qui me paraissaient bien amusant à l'époque. Mon rire enfantin, clochettes tintinnabulantes transportées par le vent, résonna quelques instants de plus dans mon esprit, ne voulant pas me quitter, et disparaissant en s'effaçant un peu plus chaque seconde qui passait ; jusqu'à ne plus être qu'un lointain souvenir. Des larmes se détachèrent de mes yeux, coulant le long de ma joue, tandis que je souriais, continuant de regarder Miku et l'enfant. Mon partenaire leva sa tête vers moi et je me dépêchai de me retourner, rouge de honte, essuyant mes larmes et espérant qu'il n'avait pas remarqué les gouttelettes scintillantes. Raaah, Aliiiiice euuuh ! L'air devint de plus en plus froid, et sortait de ma bouche la vapeur causée par la chaleur qui sortait de mon corps. Je frissonnais, et le cri dont avait parlé les villageois, sorte de plainte, de crissement, de chuintement... Enfin, de sifflement, je ne sais trop ; retentit. Miku et moi nous regardâmes et eûmes exactement la même réaction : sortir à l'extérieur. A peine nos deux pieds étaient contre terre, que la petite maison fut fermée de toute part. Me retournant, j'entendis seulement la petite voix du garçonnet qui nous souhaitait bonne chance. « Allons y Suzu ! » J'avale subitement une gorgée de salive et hoche pensivement la tête. Cela devenait plus qu'une manie... Je ne faisais que cela, hocher la tête par-ci, hocher la tête par-là, une nouvelle fois par ici, … Miku prit l'initiative de passer devant et de se frayer un chemin parmi l'épais brouillard blanc. Plus nous avancions, plus celui-ci se faisait froid, duveteux et il commençait à me piquer la peau. L'air semblait se raréfier aussi. J'avais de plus en plus de mal à respirer et nous toussions de plus en plus, autant Miku que moi, ce qui était assez étrange. Ma première pensée alla vers la fumée que dégageaient les volcans qui entraient en éruption, mais ça ne pouvait pas être le cas ici, je n'avais vu aucune trace de volcan, et si ça avait été ça, le phénomène se serait produit jour et nuit ; ce qui n'était pas le cas ici. Ce qui me dérangeait le plus n'était pas d'étouffer, mais de ne pas savoir le pourquoi du comment. Les bruits aigus, ce que les villageois pensaient être des cris, s'intensifièrent et se firent de plus en plus couramment et avec les mêmes écarts, de manière très répétitives. Intéressant... Puis me vint alors une idée, entre deux toussotements. Je cherchai aux alentours une branche, quelque chose de long et dur tout du moins. Mais on ne voyait rien sous cette fumée. Tout ce que je savais, c'est que Miku était à côté de moi. En même temps, pas moyen de le râter, c'est une vrai pipelette. Pensais-je quelque peu amusée. Je tâtais aux alentours dans l'espoir de trouver ce qui correspondait à mes critères. Et par inadvertance... J'aggripais le bras de mon camarade. Le lâchant de suite, je m'empourprai et manquai … Pardon, je tombai, en réalité. Ma tête heurta un objet froid et coupant. Aïe... Portant mes mains vers la coupure, je les sentis chaude et mouillée. Voulant vérifier ce que je pensais que ça pouvait être, je portais ma main vers ma bouche et tentais un rapide coup de langue. C'était du sang. Mon sang. Ce genre de choses n'arrivaient donc qu'à moi... La tête sous l'épaisse masse blanche, je n'arrivais plus à respirer et la substance s'introduisit jusque dans mes poumons, d'où elle ne voulut plus ressortir... C'était le moment de mettre mon plan à exécution, histoire de ne pas mourir d'une façon si idiote ! Ce que j'avaix percuté, j'espérais que mes soupçons soient vrais, devaient être une épée. Ainsi, Miku avait dégainé son épée. Je me jetais sur lui et la prenais à pleine main, le privant ainsi de sa lame et le faisant valser sur le sol. Il m'emmena d'ailleurs dans ses sillages et je me retrouvais collée contre lui, tous deux couchés sur le sol. Je m'empourprai de nouveau et me levai aussi vite que je ne l'avais jamais fait. Fermant les yeux, je tentai de visualiser le monde qui m'entourait. Mais sans mes yeux pour voir lorsqu'ils étaient ouverts, c'était bien plus difficil. Je devais me concentrer d'avantage. Et en forçant, je finis par réussir, mais cela fit couler en plus grosse quantité le sang sur ma joue, qui se déversa en de plus grosses gouttes. Ayant parfaitement visualisée l'arme et les quelques arbres qui nous entouraient, je la lâchais. Cette dernière se tint immobile dans les airs, imperturbable tandis que je menais un combat en moi-même. Un combat de concentration et d'effort. Le sang continua de couler, et les gouttes de sueur perlèrent sur mon front pour se perdre dans ma mèche, collant les brins de cheveux entre eux. Puis l'épée se mit à valser et à tournoyer sur elle-même, au départ lentement, puis de plus en plus vite, tandis que je répétais dans ma tête la formule qui me permettait de me concentrer d'avantage sur mon objectif. La fumée commença à se disperser. On y vit claire durant quelques instants. Les yeux toujours fermés, j'entendais Miku qui me parlait, mais je ne l'entendais pas, sa voix n'était que grésillement. Le monde visualisé dans ma tête se fit lui aussi plus limpide, je voyais ce qui m'entourait. La fumée revenait, au loin, peu à peu. Fatiguée, j'arrêtai, gardant mes forces pour plus tard. J'avais vaguement aperçu une forme à une dizaine de mètres, lovée contre des rochers, à gauche du chemin que nous suivions. Plongeant mes yeux dans ceux de Miku, je pense qu'il put y lire la fatigue et le soulagement. Manquant de tomber, je me rattrapai sur les genoux. Faire ainsi bouger une épée continuellement en augmentant sa vitesse était un véritable effort après un peu plus de deux mois d'abstinence à la magie. Fichu Coma !

Miku reprit sans plus tarder son épée, tout en s'abaissant vers moi. Le brouillard commence à se reformer. Je devrais me lever, histoire d'éviter l’asphyxie... Mon coéquipier plonge ses yeux dans les miens. Il semble inquiet. Il a vu, lui aussi ? Il en a bien l'air. Je vois encore cette chose roulée en boule, qui semble plutôt grande... Je tourne mon regard vers l'endroit où je l'ai aperçu. Mais le blanc revient trop vite et lorsque je tente de plonger à mon tour mon regard dans celui de Miku, je ne le vois que quelques instants. Son visage se trouble et disparaît dans la marée de crème. « Hey Suzu, tu l’as vu, toi aussi, hein ? Écoute… Je ne suis pas très doué pour soigner les gens. A vrai dire je préfère prévenir que guérir, alors s’il te plait, reste avec moi. Tes plaies sont mineures, mais elles sont arrivées si vite… Ne laisse pas ce brouillard te voiler l’esprit et garde en tête que nous sommes en mission. » Je tousse et me relève, entraînée par la main de Miku. Les miennes sont chaudes et poisseuses, glissantes. Je souris. L'ange blond veut que je reste avec lui histoire de ne pas me blesser. C'est gentil de sa part. Il a l'air d'être une bonne personne... Mon sourire s'élargit d'avantage. Je presse le pas derrière Miku et nous d'un coup, je le sens s'arrêter. Me stoppant brusquement, je manque de tomber et de frôler le monstre, ce qui n'est pas une très bonne idée. Il n'a pas l'air bien sympathique et mieux vaut ne pas attirer sa colère, on ne sait jamais. Puis, je sens rien qu'à sa présence qu'il est fort, je me sens écrasée... Autour de lui, il n'y a pas de fumée, car celle-ci sort tout bonnement de ses narines qui se gonflent et recrachent ce brouillard dense et crémeux. Et les cris que les villageois croient entendre... Ce sont tout bonnement ses ronflements. Il a le nez bouché ou quoi ? Miku serre un peu plus ma main qui s'engourdit. Il me montre le dos de la bête. Il... Hein quoi ? Mais il est taré ! Le blond n'était pas que bavard, mais je venais d'apprendre qu'il était fou. Le voilà grimpé sur le dos de la grosse bê-bête ! Et en plus de ça, je n'ai pas le temps de lui faire comprendre qu'il doit en descendre que je le vois brandir son épée et la faire ricocher contre les écailles du dragon sans ailes. Autant vous dire que le monstre n'a pas du tout apprécié la blague et, moi par terre et Miku l'enfourchant, je perds sa main. La bestiole se met à hurler et à se tortiller comme un verre de terre. Par la même occasion, je prends un coup de queue poilue dans la figure, telle une baffe, comme si je la méritais. Je n'avais rien fait moi pourtant ! Miku nous sort des « wooooh, woooh » digne des cow-boys et converse avec le monstre, qui ne semble pas très d'accord sur les propositions de mon partenaire. Au fait... Je fais quoi les fesses par terre ? Bref, je me relève d'un petit saut et tente de trouver le preux chevalier qui a des idées assez bizarres. La vue ne marche pas... Je ferme donc les yeux et visualise... et … ils sont en haut. Bon allez, Alice... Tu l'as déjà fait avec Aquarelle et Yuki, non ? … Je souffle un grand coup. Courage. Responsabilité. Dépendait de moi la survie de mon partenaire. On en sait jamais que la bête réussisse à le désarçonner. J'allais les ramener tous les deux sur la terre ferme. Et, bien que la bête gesticule dans tous les sens, j'arrivais à la stopper dans son ascension. Mais comment un dragon sans ailes pouvaient voler ? Et puis, ce ne devait pas être un dragon d'ailleurs... Donc qu'est-ce que c'était que ce truc-vermisceau-volant ? Je ne pouvais plus tenir. Bien que la bête ait commencé à redescendre sous mes ordres, elle exerçait une pression trop forte vers le haut. Et elle devait être douée d'intelligence... car à peine eus-je cesser de la forcer qu'elle descendit en piqué et me fonça dessus. Je n'eus que le temps de me pousser, elle atterrit à l'endroit exact où je me tenais. Elle avait voulu m'écrabouiller ? … C'était, comment dire ? Morbide. Le brouillard autour de moi s'est dissipé, la bête ne dormant plus, elle ne sécrète plus cette fumée mortelle. Je la fixe, hébétée. Elle me regarde, la tête haute, le regard fier. Ses yeux sont vides d'expression, dépourvus de pupilles et rouges, rouges sanguinolents. Je lance un coup d'oeil vers Miku, agrippé tant bien que mal à un morceau de... fourrure ? Cette bête était loin d'être un dragon, elle n'avait pas d'écailles. Elle leva une de ses pattes et m'attrapa de ses quatre doigts extensibles, qui pouvaient lui servir comme les mains à l'homme. Saucissonné entre les doigts de la bête, je la vois ouvrir grand la gueule. Mon visage se décompose. Elle va me manger... Il fallait aller vite. Alors j'allai vite. Je n'eus pas le temps de fermer les yeux. Chaque micro-secondes comptaient. Un des rochers qu'elle avait fait tomber, en se cognant contre les parois, se leva bien haut, de derrière la bête, passa au dessus de Miku et s'arrêta juste en haut de la gueule grande ouverte de Poilu. Oui, j'allais la surnommer comme ça, Poilu. Je lâchais alors ma volonté de la pierre et fis comme lors de ma précédente mission au restaurant, j'exerçai une pression continue qui augmenta de quelques peu la vitesse de la pierre, qui se fracassa quelques instants plus tard sur la tête de la bête, qui se coupa un morceau de langue en refermant ses mâchoires pointues à cause du poids du gros caillou, qui se fendit en deux. Par la même occasion, elle fut surprise et me lâcha. Je retombai de nouveau fesse contre terre. Dans le feu de l'action, je ne voulus pas m'arrêter qu'à cela. Je lui réservais autres choses... Poilu se remettait de ses émotions et j'en profitais habilement... Une nuée de petits cailloux s'élevèrent dans le ciel, accompagnée de grains de poussière et s'abattirent sur le poitrail de la bête. J'espérais ne pas avoir fait de mauvaise manœuvre, histoire que ça n'ait pas touché Miku... Mon but n'étant pas de blesser mon partenaire. J'étais épuisée. Mais il me restait encore un peu de force pour continuer la bataille contre le monstre. Seulement, je n'y arriverais pas seule. J'avais besoin que Miku me vienne en aide. C'est fait pour ça, les partenaires, non ? Je souris à cette pensée, espérant qu'il comprendra mon appel...

Spoiler:

« SUZU ! » Je me retourne vers Miku et son regard plein d'espoir sans faille. Il me fait confiance, il espère quelque chose venant de moi. En suis-je toujours capable ? J'ai dépensé beaucoup d'énergie magique jusqu'ici. Et mes attaques sont trop répétitives, je n'ai plus d'idées nouvelles. Je tourne lentement sur moi-même, cherchant quelque chose qui pourrait m'aider. Des arbres, des rochers, de l'herbe, de la terre... Mes poignards ! Les mains tremblantes, je les attrape et les lance dans les airs. Me concentrant autant que je le pouvais, je les fis voler dans le ciel, jusqu'à ne plus réussir à les contrôler. Ils disparurent. Je rouvre les yeux. Je ne l'ai pas vu, mais le monstre s'est rapprochée de moi et souffle son haleine glacée dans mon cou. J'ai froid. Je tremble. Je lui fais un sourire chaleureux. Et je crois entendre Miku m'appeler. Le monstre ouvre grand la gueule et aspire l'air, qu'il refroidit. Il est prêt à me le renvoyer et me tuer par la même occasion. Mais un sifflement retentit, aigu. Mes poignards redescendent vers la terre ferme. Mes yeux restent grands ouverts, et pourtant, je vois tout. Je sens la moindre parcelle des courbes des poignards qui se rapprochent dangereusement et à grande vitesse du sol. Je leur intime de se pencher vers le monstre. Je les pousse quelque peu. Ils le cognent, s'enfonçant presque entièrement dans la chair de Poilu,. Puis ils se retirent... Le monstre hurle de douleur et oublie de cracher son souffle frigorifiant, qu'il ravale sans douleur apparente. Les lames valsent dans les airs et le frappent le monstre, ne lui causant que peu de dommages, de simples égratignures si on en compare sa taille. Cela déstabilise le monstre qui cherche tel un chat à attraper les poignards piquant comme les aiguilles d'une rose. Cela me fait sourire. Il a l'air si inoffensif, dans cette position de jeu. Il en a presque oublié ses lacérations et ses saignements, sa colère. D'un côté, je ne veux pas lui faire de mal, mais d'un autre, il est dangereux. Je lance un regard vers Miku et mon sourire disparaît. Nous devons faire ce que nous avons à faire, c'est à dire le faire fuir ou le tuer. Mais il ne doit plus, en aucun cas, ôter la vie à qui que ce soit ; intentionnellement ou non. Je laisse les poignards se rapprocher de moi et se planter dans le sol à mes pieds. La bête saute, tentant de les rattraper, et se trouve à quelques centimètres de moi. Je sens son souffle glaciale traverser mes cheveux. Il reste là, face à moi, yeux dans les yeux. J'ai peur, mais d'un autre côté, un sentiment d'aise s'est emparé de moi. Je me sens bien. Mes yeux se ferment et un sourire naît au creux de mes lèvres, et je le laisse grandir car il est plaisant de le sentir. Poilu est toujours face à moi, j'entends sa respiration et même son cœur qui bat la chamade après cette course. Il s'apaise. Une goutte perle de chacun de mes yeux. Je laisse Miku terminer et quoi qu'il choisisse, je serais dans son sens. Fais un bon choix, camarade. Tel était l'appel que lui envoyait mon cœur.