Il pleut à verse... depuis beaucoup trop longtemps. Je peux même pas aller jouer dehors. Il va falloir encore attendre. C'est trop barbant. Le nid des oiseaux à crête rouge était si beau à voir... Les oeufs vont bientôt éclore, et si ça se trouve je pourrais même pas voir les petits! Ils devront vite apprendre à voler, parce qu'ils ne sont pas très en sécurité sur leur grand arbre dur à escalader. Un séquoia qu'il m'a dit, mon papa. C'était dur de monter. Lisse, et les lianes que je peux déployer sont pas très solides. J'ai trop grandi: l'autre soir, en rentrant, une a cassé sous mon poids. Je me recroqueville sur moi même, puis je me dirige à quatre pattes vers la sortie. Discrètement. Sous cette pluie les tomates doivent avoir bien gonflé. J'aimerais bien en cueillir une avant le retour de papa. Il est toujours de mauvais poil quand il pleut et il adore les tomates. Je vais lui faire une surprise!
Soudain, on m'attaque! Des mains ennemies chaudes se glissent sous la couverture de camouflage et m'attaquent sournoisement mes flancs. J'éclate de rire, même si c'est pas marrant! C'est pas du jeu!
-Mamoune!
Je me redresse, et lance un regard désorienté autour de moi. Maman?
… Non. Ce n'était qu'un rêve, et je n'ai plus sept an. Je passe une main sur mon visage, chassant les derniers vestiges du rêve en même temps que cette odeur rassurante d'humus. Puis je regarde autour de moi. Chose encourageante, je ne suis pas attaché. Ce qui veut dire qu'on ne m'a pas assommé et envoyé au cachot à cause d'ivresse sur la voix publique. Pourtant mon corps me fait encore plus mal que si je m'étais battu à mains nues contre un dragon. Je crois que j'ai encore forcé sur le thé, hier soir...
Ah non, c'est vrai, j'ai détruit une plante dangereuse qui menaçait de détruire toute la ville avec l'aide d'un magicien qui prend son corps pour un mégaphone... à moins que ça ne fasse partie d'un rêve psychélique extrêmement élaboré, comme la dernière fois où j'ai parlé à un arbre magique. M'enfin bon, vu la douleur aiguë que j'ai aux mains, ça semble correspondre parfaitement. Mais ce qui est étonnant, c'est que je me réveille dans un lit.... Je suis censé m'être endormi dans l'herbe. Je repousse la couverture épaisse et un peu malodorante, puis j'essaye de me lever. Je dois m'y reprendre à trois fois, avant de réussir, en réprimant la douleur. Courbatures, vieilles amies... Ouh, là c'est pire. Bouche pâteuse, jambes en compote. J'ai besoin d'un bon gros bol de thé. Sans en abuser, il en va de soit.
Je me dirige vers la sortie de la pièce, que je ne connais pas, et me retrouve dans un couloir que je ne reconnais pas non plus. La lumière m'agresse les yeux, et cette couleur orange dont on a recouvert les murs n'arrange pas les choses. Avec un grognement, je m'adosse à un mur, le temps de m'habituer. Puis une voix connue, m'interpelle.
-Oh! Vous êtes enfin réveillé!
Le jardinier savant fou. Ça doit être sa maison alors. Il s'approche de moi d'un pas énergique. Il a perdu tout son air sévère et ennuyeux. Il semble dynamique, comme un homme qui fait ce qui lui plaît. Et il me demande avec un air affable.
-Bien dormi?
-Parfaitement. Où sont mes affaires?
- Dans un coin de votre chambre. Vous n'avez pas dû faire attention.
-Je vois... Combien de temps ai-je dormi?
-Un jour entier...
Je laisse échapper un sifflement impressionné. La fatigue accumulée du voyage, plus des utilisations fréquentes et intenses de la magie ne laissaient pas d'autre choix à mon corps. Pourtant, même dans ma jeunesse, j'étais connu pour ne pas avoir plus besoin de sommeil qu'un arbre. La vie dans les bois m'a ramolli à ce point? Je ne laisse rien douter des interrogations de plus en plus caféinées qui circulent dans ma tête, et rend son sourire à mon interlocuteur. Il baisse les yeux, légèrement honteux.
-J'ai hésité à appeler un médecin. Vous étiez si pâle...
-Du sang perdu, de la routine! Un bain et un bon repas et il n'y paraîtra plus.
Pas la peine de le faire culpabiliser. Un médecin mage aurait voulu connaître la cause de mes blessures et je me doute que le jardinier a une réputation à défendre. Mais le brave homme a bien l'intention de se rattraper. Il m'envoie à sa cuisine, tandis qu'il va tirer de l'eau au puits. Apparemment, je vais encore pouvoir profiter d'un petit déjeuner et d'un bain gratuit avant de repartir pour Kunnugi.
J'ai un frémissement horrifié. Le morceau de pain tombe de ma main, me laissant découvrir les traces de zébrures d'un vert émeraude qui me parcourent toute la main en lignes asymétriques. Je retiens un cri, difficilement, puis examine la chose. Je plie mes mains et les fait bouger dans tous les sens. Aucune perte de mouvement, et au toucher non plus. Les zébrures vertes ne sont pas des creusures au niveau de la peau. Au contraire, il semblent s'intégrer harmonieusement au reste. Je suis sûr que la dernière fois que j'ai pris le thé, il n'y avait pas ceci sur ma main. D'où ça peut bien venir?
Je laisse définitivement tomber mon petit déjeuner pourtant alléchant pour me concentrer. Ma magie se régénère d'elle même quand je me repose, mais je reste quand même incapable de créer des graines d'un niveau supérieur à celui d'un théier frêle. Il me faut beaucoup plus de temps pour récupérer que quand j'étais jeune: il faut donc ruser. « J'allume » mes mains avec une petite étincelle de magie, à peine de quoi les faire luire. Mes mains vibre, et un léger picotement se fait ressentir au niveau des zébrures, confirmant ce que je pensais: ce sont des cellules de plantes. Des cellules d'herbes, que j'ai utilisé instinctivement comme « reboucheur » pour mes plaies.
J'ai déjà utilisé ce genre de technique pour me soigner. La plupart du temps, ça a mal tourné. Mon corps contrôle les plantes, mais reste humain. Les membres que je soigne avec ce genre de techniques finissent par considérer cette « greffe magique » comme une infection, et la combattent, ce qui peut conduire à une forte fièvre, voire à une nécrose du membre. Heureusement que je me suis réveillé à temps. Mon corps, trop occupé à récupérer son énergie, n'a pas eu le temps de combattre l'infection.
Je ferme les yeux. Il va falloir être délicat dans l'extraction de ces cellules. Impossible de procéder n'importe comment, sinon je risque d'ouvrir toutes mes plaies. Pour l'instant, autant profiter du petit déjeuner. Je dévore donc avec l'ardeur de mes vingt ans la demi-miche de pain beurrée, et avale avec ladite ardeur le thé chaud (et commercial) qu'il a sans doute acheté pour moi car cette pièce a un arrière fumet de boisson du diable. Une fois rassasié, je me dirige d'un pas vif dans l'arrière cour. Le jardinier est introuvable, mais les baquets d'eau fraîchement tirée du puits sont disposés bien en évidence. Okay. Un passage par ma chambre plus tard, je me retrouve torse nu, dans une serviette courte, avec dans mon bras droit le secret ultime de ma séduction en un autre temps: un savon au thé.
Mon nettoyage est laborieux car méticuleux. Je me lave à peine une fois toutes les deux semaines depuis que je voyage. Chaque partie de mon corps a donc tendance à accumuler beaucoup de crasse et mon savon, à fondre très vite. Une demi-heure plus tard, propre comme un sou neuf, et ayant dû reprendre de l'eau du puits, je suis habillé, je sens l'Earl Grey, et je trempe mes mains dans le dernier baquet d'eau propre qu'il me reste. La sensation froide et humide s'efface bientôt sous la chaleur vitale de ma magie. J'écarte consciencieusement tous mes doigts, car je dois sentir chaque action que j'effectue. Doucement, ma Vegetal Hand repousse les cellules qui adhérent à ma peau, laissant exposées à la morsure du froid des cicatrices rosées. Il y a bien quelque ratés, quand les cellules se dégagent trop brusquement, et une goutte de sang perle de temps en temps, mais il le faut. J'arrête rapidement mon flux de magie, légèrement essoufflé, puis retire mes mains de l'eau devenue verte. Des mains veinées, couturées, qui ont repris un aspect normal.
Aucune tâche verte, même là où j'ai laissé dix ou douze cellules. Celles là seront éliminées naturellement, sans qu'il ne soit nécessaire pour mon organisme de provoquer une fièvre. Une main se pose sur mon épaule, et je me retourne avec un peu d'inquiétude. Je suis vraiment pas en état d'être pris dans une altercation. C'est le jardinier.
-Avant de partir, vous devriez regarder dans la poche de votre manteau.
-Ma poche?
Ma main y glisse, et y trouve un objet inconnu. Du papier. Je sors des jewels de ma poche. Et écarquille les yeux. C'est une belle somme. Ébahi, je compte mille Jewels. Je regarde mon employeur avec des yeux brillants.
-C'est ma paie?
-Votre paie? *rire* Non. Vu toutes les bêtises que j'ai faites, j'avais à peine les moyens de payer l'autre. C'est le jeune mage qui vous a donné ça quand vous étiez évanoui. Je lui ai expliqué votre volonté de prendre le train et il a glissé ça dans votre poche.
-...
Mon sourire joyeux s'évanouit. Errrlait? Un mage d'une guilde légale ne doit pas trop s'en faire niveau dépense, vu qu'il peut toujours mettre ses achats sur le compte de sa guilde. Mais ça ne me fait pas trop plaisir qu'il m'ait pris en pitié, même si j'apprécie sa gentillesse. Intérieurement, je me promets de lui rendre son argent dès qu'on se recoisera.
-Vous auriez pu lui dire que 500 jewels seraient suffisants... Car l'arrangement tient toujours, n'est-ce pas?
-Bien sûr. Mais le prochain train qui passe par Magnoria étant pour demain, vous avez encore une journée de libre ici. Et je ne pense pas que vous ayez des affaires urgentes dans la ville, non?
-Effectivement. Pourquoi?
-Parfait. Depuis ce matin j'essaie de réparer tous les dégâts que je me suis moi-même infligé, mais c'est long. Et j'aurais bien besoin d'un mage qui manipule les plantes pour m'aider.
-... Mmmh. Et qu'est-ce que je gagne, moi?
-*Rire* Vous avez la dent dure, Monsieur....?
-Tea. Mister Tea.
-Très bien Mister Tea, vous aurez gratuitement le déjeuner, le souper, et le petit déjeuner de demain, ainsi que la possibilité de dormir ici une nuit de plus à mes frais et de profiter de ma conversation.
-... Okay. Ca me semble réglo.
-Topez-là!
-Euh... Non merci, je préfère vous serrer la main.
Les cicatrices sont là, et elles font toujours mal.
Je rentre dans le jardin sous serre. Et j'ai plus l'impression d'être sur un champ de bataille que dans un jardin pouvant produire de la vie. J'ai un léger frisson, en contemplant les cadavres des super-plantes qui m'ont agressées les mains. Je prends une grande inspiration. C'est pas le moment de se laisser aller: le plus dur est passé, et je dois mériter mon dîner. Je me débarrasse de ma veste noire (rapiécée et en piteux état, après ce voyage bien plus long que prévu), et accepte avec reconnaissance le tablier et les gants que m'offrent mon ami jardinier.
Une fois mes manches retroussées je me mets à déambuler entre les allées, avec un air morose. L'odeur de chlorophylle et de fraîcheur a été remplacée par celle de la terre et du fumier. Tout reste à refaire. Et même moi, je ne peux pas faire de miracles. J'ai dépensé environ la moitié de mon énergie pour enlever les cellules végétales intruses. Je ne crois pas avoir assez de magie pour faire pousser une pâquerette. Pour ces travaux, je serais un demi-dieu déguisé en vieillard normal. Ce qui n'est pas plus mal. Voyons voir ce que mes muscles valent encore.
-On va s'occuper d'abord de déraciner toute cette mauvaise herbe. Votre magie...
-Non. Je me fait trop vieux pour utiliser la magie à foison.
-Très bien. On va y aller à la main alors! Vous vous occupez de ce secteur et on se rejoint au fond de la serre.
-Bien.
Le jardinier me tourne le dos et s'attaque vaillamment à une liane recouvertes d'épines. Je me baisse. Mon dos craque. Ouille. C'est pas gagné. J'attrape une plante à mâchoire inanimée, murmure un « pardon » inaudible, puis tire d'un coup sec. Je dois m'y reprendre à plusieurs fois avant qu'elle ne cède... brusquement. Je tombe sur les fesses. J'éclate de rire. Ça faisait longtemps que je n'avais pas ri. Presque deux jours. Une petite onde de bien-être m'envahit. Le bonheur simple d'être ridicule. Avec tous ces soucis, j'en oublierais presque que le thé doit servir au rire, lui aussi.
Allez! Je me relève avec un peu plus de souplesse, puis je me remets au travail. En suivant les conseil du jardinier, j'arrive à arracher les plantes sans m'égratigner le derrière. Il faut saisir les lianes à piques à la base, et tirer doucement jusqu'à ce qu'elles arrivent. Tandis qu'on doit prendre les plantes à mâchoire juste en dessous de la bouche, et tirer d'un coup sec. Ça a l'air simple dit comme ça, mais encore faut-il prendre en compte que les plantes salivent encore après leur mort. Et que leur bave est collante et attire les aiguilles des lianes. Même mortes, elles continuent à nous poser problème.
Mais au bout d'une heure de labeur, et d'une multitude de petites piqûres bénignes, nous arrivons à déblayer la majeure partie du jardin. Nous devons nous y mettre à deux pour réussir à tirer la Rafflesius de son nid, formé d'un entrelas complexe de lianes d'un vert malsain. Essoufflé, après avoir tiré comme des boeufs, nous portons la plante-mère vers le tas de plantes nuisible qui s'est peu à peu formé au centre de la serre. Nous la laissons tomber, triomphants, et je peux contempler les zébrures et les marques profondes laissées par la magie d'Errrrrlait. Quoique ce soit, cette déferlante était aussi puissante que sonore. C'est quoi déjà, sa guilde?... Angel's Sky? Fondée par l'arrière gamin du maître de Fairy Tail. Pas étonnant qu'elle soit puissante, à mon avis.
M'enfin. Je préfère ma bonne vieille cabane à un rassemblement de jeunes mages boostés par les hormones et désireux de faire leurs preuves. Je regarde avec un air songeur les flammes ronger la plante géante, et le reste du tas d'abominations végétale. Il faut quand même faire quelque chose vis à vis de ma magie. Ces dernières années, je me suis contenté d'un petit panel de plantes, essentielles à ma survie et à mon confort dans ma petite forêt. Avec autant d'arbres autour de moi, je limitais mes efforts de création de plantes, et même si ça me fait un peu mal au coeur de penser ça, il faut avouer que j'ai régressé.
Et ça se confirme avec l'épisode des plantes. Il y a dix ans, j'aurais remué un petit doigt, et elles auraient lutté un peu avant de s'attaquer les un les autres. Ma réserve de magie dépend de beaucoup de chose. L'état de mon corps, prioritairement, mais aussi ma confiance en moi. Les deux étant intimement liés, il faut absolument que je me reprenne en main physiquement pour pouvoir redevenir au top.
-Monsieur Tea? Monsieur Tea? Vous êtes là?
-... Hein!? Oui, oui. Excusez moi, je pensais à... autre chose.
-Eh bien, pensez à aller me remplir des seaux d'eau. Au cas où le feu deviendrait trop dangereux. Vite!
Je m'exécute, et reviens avec deux seaux remplis à ras bord, une petite minute plus tard. Juste à temps. À cause d'une flammèche volante, le tronc du God of Tea que j'ai planté est bientôt attaqué. Aussitôt né, le feu est maîtrisé. Le jardinier pousse un soupir de soulagement, puis il éteint le tas de cendres qui était jadis des plantes contaminées.
-Bon. Je crois que même à deux, on va avoir du mal à brûler ce théier sans foutre le feu à toute la serre.
-Effectivement. Mais l'arbre est mort. On peut en faire du petit bois.
-Pas pour le moment. J'ai de nouveaux plants en stocks. Des graines et une trentaine de bourgeons. J'aimerais attendre le moins possible et profiter de la saison clémente. Suivez-moi.
Nous traversons l'arrière cour. Je suis surpris de constater que le soleil a déjà dépassé son zénith depuis très longtemps. C'est vrai que l'échine courbée, en train d'examiner les lianes acérées d'une plante qui peut vous déchiqueter les mains même avec des gants, on songe assez rarement à penser au temps qui passe. On doit avoir passé au moins trois bonnes heures à nettoyer la serre. Elle est vraiment grande, malgré son aspect moyenâgeux. M'enfin. Nous entrons dans la maison, qui est éclairée à présent (mon employeur m'explique qu'il la gardait obscure au cas où les plantes mutantes se seraient échappé.), et nous nous dirigeons vers la réserve. Qui doit faire au moins un quart de la taille de la serre. (Ce qui est déjà très grand.) Nous passons une demi-heure pas très intéressante (surtout pour mon dos) à faire des allers retours entre la réserve et la serre. Une fois que les nouveaux plants ont déménagé, le jardinier remarque enfin que je me frotte douloureusement le bassin.
-Pause. Je suis fatigué. On reprend dans une dizaine de minutes?
-Avec joie.
Il me rend mon sourire, puis rentre dans la maison. Je me laisse tomber sur le sol avec soulagement. Pfiouu. J'ai pas fait de travaux manuels aussi intenses depuis que j'ai dû renouveler ma chaumière à Kunnugi. Et je faisais des efforts plus mesurés. Le jardinier revient, et me tend un morceau de pain gros comme le point, ainsi qu'un grand verre de lait.
-J'ai avancé deux fois plus vite grâce à vous. Je ne pensais pas arriver à ce point avant demain soir au moins. Ça mérite bien un petit repas supplémentaire, non?
-Merci beaucoup c'est très gentil de votre part.
Je croque dans le pain. Légèrement rassis, mais ce n'est absolument pas le moment de faire la fine bouche. Je le trempe dans le lait pour l'attendrir et profite de mon repas silencieusement. Le jardinier repart, et revient lui aussi avec les mêmes aliments. Il s'installent à côté de moi, et nous contemplons tous les deux les plants qui vont servir à repeupler cette ruine. Des fleurs. Je ne suis pas un grand expert en fleurs. Je connais surtout celles qui poussent dans Kunnugi. Dont je reconnais aisément la pousse.
-Il faudra planter la médolie du côté de l'entrée.
-Oh! Vous vous y connaissez en fleurs?
-Hein? Excusez-moi, je pensais à voix haute. Je ne m'y connais que superficiellement...
-Non, non, continuez. Pourquoi pensez-vous ça? La place centrale correspondrait mieux, c'est là qu'il y a le plus de soleil.
-Oui, mais elle est occupée par mon arbre, et plutôt que de compter sur le soleil, il faut compter sur la lune. C'est une plante qui grandit beaucoup mieux quand elle est frappée par les rayons lunaires. Peut-être une raisonnance magique... En tout cas, étant donné que la lune atteint son intensité maximale quand elle se lève, donc au versant est, il faudrait la placer du côté de l'entrée.
-... Et après vous osez dire que vous ne vous y connaissez pas?
-Eh bien, disons que j'ai eu quelques expériences avec ces fleurs.
J'avale le dernier morceau du repas surprise, puis je me lève. Il y a beaucoup de graines que je ne (re)connais pas mais il y en a au moins autant que j'identifie quasi-immédiatement. Et pour chacune, je constate que l'emplacement que je choisis pour elle est presque toujours le meilleur. Confiant, le jardinier me permet de disposer comme je veux des graines et qu'il se charge de planter la moitié dont je ne connais rien.
Ce qui est cool avec ce genre de jardin, c'est que c'est un terrain parfaitement vierge. Les plantes magiques ont fait fuir ou éliminé tous les insectes, nuisibles ou pas. D'ailleurs. Pas besoin de veiller sur les nouveaux plants ou de les protéger. Il suffit de fermer la porte de la serre, après avoir importé quelques vers de terre et une dizaine de coccinelles pour disposer d'une fleuristerie parfaite. Les plants de médolie finissent donc à l'entrée. Les tournesols, eux sont à côté de mon arbre, pour disposer de l'ensoleillement maximal. Les coquelicots, plantes assez robustes, forment un tapis de protection pour empêcher d'éventuels insectes de s'attaquer trop rapidement aux roses grimpantes, qui, malgré leurs épines, supportent mal les fourmis.
Je commence à connaître cette serre par cœur, et je peux déjà m'imaginer ce que sera le futur jardin. Oui, il suffit de fermer les yeux pour voir à la place de la Rafflesius, un beau parterre de gardenias au parfum sauvage.
-Monsieur Tea? Monsieur Tea? Il fait nuit.
-Hein? Quoi?
Déjà?! Comment ça nuit? Je cligne des yeux, et lève la tête. En effet, le soleil semble s'être couché depuis bien longtemps, et le ciel tapissé d'étoile me regarde avec une lune moqueuse. Je me déplaçais à l'instinct, sans rien voir d'où j'allais. Et je ne m'en n'étais même pas rendu compte que le noir recouvrait déjà toute la serre.
-Il est temps de dîner. Vous avez fait bien plus que votre part du boulot.
J'arbore un grand sourire.
-C'était une vraie partie de plaisir. Je reviendrais sans doute un jour, pour travailler encore ici.