Une fois qu'elle eût nettoyé l'ensemble du sang qui avait éclaboussé ses joues, la faucheuse prit le temps d'analyser ce que venait de dire son partenaire. Des maladies ? Elle haussa les épaules. Son père devait sans doute en traîner plus d'une et il ne lui avait rien refilé en dix ans. Ça n'étaient pas trois gouttes de sang qui allaient lui faire peur.
Kuro avait profité de ses brefs instants de réflexion pour recommencer à agir de sa façon ridicule : franchement, qui marchait ainsi les bras derrière la tête ? Ça n'arrivait que dans les mangas que lisait sa cousine... La mimique d'après fut du même registre, puisqu'il pointa du doigt le ciel qui semblait lui avoir fait grâce d'une idée.
«
Une photo pour immortaliser notre première mission réussie ? »
Cette réflexion lui arracha un haussement de sourcils. Qui au
monde proposait une photo dans un moment pareil ? Peut-être était-ce une coutume dans le monde de l'assassinat ? La pensée vint à Lucile que Kuro était très certainement du genre à prendre en photo toutes les filles qu'il avait l'intention de tuer. Elle espéra que si c'était le cas, sa présence dans un album ne le pousserait pas à faire d'elle une cible...De plus, la lueur dans les yeux du photographe lui faisait presque peur. Bien sûr, notre petite rouquine n'y connaissait strictement rien en passions, personne ne pouvait donc lui en vouloir de ne pas avoir saisi l'envie de Kuro de prendre une photo pour commémorer le premier double meurtre de leur carrière commune.
«
Pourquoi pas. Mais je te préviens, il est hors de question que je sois seule dessus. »
Le photographe approuva et s'en alla poser son appareil, apparemment un bijou dans le genre, sur la barrière de la maison voisine. Il effectua quelques réglages durant lesquels Lucile ne bougea pas d'un cil (et en plus ça rime), puis il revint à son côté. La demoiselle fixa l'appareil durant une seconde sans se dépourvoir de son air implacablement impassible ; cependant, une soudaine brise vint soulever ses cheveux, une brise qui dégageait une faible énergie magique... Lucile ne put donc s'empêcher de s'amuser des efforts de son partenaire pour que la photo soit réussie. A peine ses lèvres s'étaient-elles épanouies en un sourire que l'appareil se déclencha, fixant à jamais ce moment unique ; aussitôt le mage du vent récupéra son bien.
«
Tu veux voir ? », fit-il avec un sourire malicieux que pour une fois, sa coéquipière ne détesta pas.
«
Comment ne pas le vouloir ? », soupira-t-elle en guise de réponse.
Kuro appuya sur un des nombreux boutons et un carré de papier s'imprima automatiquement ; sans que rien ne fût visible sur son visage de marbre, Lucile fut impressionnée par cette technologie. La photo lui fut tendue du bout des doigts, sans doute car l'encre n'était pas tout à fait sèche, et elle usa de la même précaution pour ne pas abîmer le cliché. L'image qu'elle vit lui décrocha un rire franc : sa chevelure effectuait un mouvement si sublime qu'il n'était qu'à peine naturel, et le sourire qu'elle avait commencé à afficher était presque inquiétant. De plus, une mystérieuse aura d'un violet sombre l'enveloppait totalement, ce qui ne donnait que plus envie de s'enfuir en courant. Cela la surprit, car ce n'était jamais arrivé lorsque sa tante la prenait en photo. A côté d'elle, le jeune homme qui l’accompagnait n’aurait pas pu être mieux assorti : la Nature avait autant gâté son visage, mais il était défiguré par le même genre d’expression malsaine qui ne faisait absolument pas envie. Pourtant il avait pris la pose et souriait, mais c’était un sourire en coin qui le plaçait à la frontière du méchant et du gentil en oscillant fortement vers le méchant.
L’inquiétante demoiselle rendit le cliché au non moins inquiétant photographe en continuant de rire.
«
Je crois qu’on fait la paire, au moins en photographie ! Il faudra l’encadrer… »
Elle essuya une larme qui avait coulé sur sa joue, et songea que quelques secondes auparavant, c’était du sang qui se trouvait là.
«
Cette fois, on rentre… A notre très chère et noble guilde… »
Notre guilde, c’était encore beaucoup dire. Mais Lucile en avait assez d’errer ; elle voulait retrouver le sentiment d’avoir un toit… Elle et Kuro s’éloignèrent donc côte à côte de la maison désormais sans propriétaire, dans la direction de Silver Fang.
A bientôt pour de nouvelles aventures, les enfants