Entraînement.

Sans doutes le meilleur moment. M'y voilà, enfin. Je ne sais pas pourquoi ni d'où sort cette incapacité à me rendre ici plus tôt mais le fait est que maintenant, j'y suis. J'observe. Mon regard se laisse attirer par tout ce qui m'entoure, par ce désastre. Je ne peu m'empêcher de sourire devant cette catastrophe, devant cette désillusion humaine. Mon sourire est une réaction à tout ce temps où je fermais les yeux, ils sont tous là. Je tente d'agresser mon psychisme, de me provoquer, de me dire 'Tiens yuuki, regardes un peu ce que tu as raté pendant que tu étais centré sur ton nombril.' Effectivement, peu importe l'endroit sur lequel mes yeux se posent, j'ai encore cette même pensée. Bien que cela remonte à plusieurs mois, c'est toujours présent, cette culpabilité, ce nombrilisme vomissant. Si je m'en rends compte maintenant, si je suis ici aujourd'hui, si j'ai changé dans le but de rompre tout ça, dois-je encore me sentir coupable ?

Oui – Sans aucun doutes, ça c'est la vérité. Ces gens dans leurs habitations minuscules réalisées de débris, c'est ma vérité. Une implacable vérité qui est bien plus réelle pour eux. Ceux qui ont tout perdus, ceux pour qui se lever ce matin, a dût être une épreuve d'une douleur inhumaine. Pour certains, ils sont rassemblés devant des tonneaux, ils jouent. Même les plus âgés s'amusent avec les plus jeunes et je me demande si ce n'est pas eux, finalement, qui ont compris cette vie. Là où je me positionne comme une victime qui doit subir, eux, qu'ont-ils pour eux ? Ce désastre ils ne l'ont pas demandés, ils ont subis. Je me vois encore m'envoler sur l'aigle de l’impératrice pendant que tout les autres sont en guerre. Je me vois encore quitter le champ de bataille et le regard de Raven qui est prêt à me tuer, armé de son épée.

J'avais préféré partir, et c'est pour ce départ honteux que ma vie est aujourd'hui dans les mains de la royauté. Pour tout ça que ma magie est aujourd'hui à disposition de l'épée royale. Pour tout ça que je me dresse dans ce bidonville, habillé de ma tenue de milicien, celle que j'ai enfin accepté de porter. C'est étrange. Respecter un code vestimentaire est bien loin d'être dans mes habitudes mais je l'ai enfin compris, je ne suis pas meilleur qu'un autre, je ne suis pas au-dessus d'un autre non plus. Je suis simplement ce type prêt à défendre son pays. Comme ceux qui depuis tout ça, ont souhaités rejoindre la milice. Je suis l'un d'eux.

Je traverse alors la foule, les regards sont posés sur moi, je ressens des injures psychiques, je ressens des agressions mentales, des forces négatives qui me pénètre. Je ne le sais que trop bien, je ne suis pas le bienvenue. Il y a toujours ceux qui ont l'espoir que la milice les protégera contre une prochaine attaque mais il y a aussi ceux qui pensent que nous ne sommes que la relève d'un conseil qui a était impuissant. Que nous ne sommes que ces conseillers déguisés dans les ordres d'une royauté. Auraient-ils tord de le penser ? Sommes-nous capables d'assumer cette protection ? Je me dois d'y croire, de montrer que c'est possible, de donner du courage à ces gens. Je sers à ça.

Mes pieds s'enfoncent dans la boue, venant tâcher par moments, le bas blanc de cette sorte de cape qui me recouvre. Je m'arrête un instant devant une famille, une mère décide de se détacher de ses enfants pour venir à ma rencontre, c'est la première. Alors je lui adresse un sourire sincère. Ce genre de sourire qui continue de contraster avec mon comportement pourtant si... froid.

« Bonjour. Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi vous êtes ici ? Quelque chose ce passe pas vrai ? » - Je suis un peu surpris d'une telle psychose, mais comment lui en vouloir ? Je me gratte la nuque un petit instant en la fuyant du regard. Je voudrais percevoir tout ça en elle, comprendre ce qu'elle pense, vraiment connaître son émotion, savoir jauger ma réponse en fonction de cela. « Rassurez-vous euh... je fait juste du repérage. » Si je peu appeler ça comme ça... Je continue de la regarder car je sens quelque chose en elle, comme quelque chose de flou. Je tente alors de respirer modérément en même temps que mes pupilles s'agitent, comme si elles cherchaient inlassablement quelque chose. Je décide donc de fermer les yeux. De légers picotements se font alors ressentir, ce n'est qu'en les ouvrant que je réalise. Que je vois ce voile transparent et coloré la recouvrir, ce dernier est gris, un gris foncé que je ne parviens pas à comprendre.
Je cligne des yeux à plusieurs reprises, cherchant une explication que je ne trouve pas dans l'immédiat. « Je suis là pour m'assurer que tout va bien dans le coin... » Mes lèvres tremblent alors que le voile change doucement de couleur pour passer à un gris plus clair jusqu'à devenir blanc, un blanc aux reflets légèrement grisés.

« D'accord, je vous remercie. » Elle semble rassurée mais ses sourcils restent cependant froncés, comme se demandant sans doutes pourquoi je la regardais si étrangement, elle retourne finalement avec sa famille, laissant le temps au voile de disparaître. Je reste troublé et reste ainsi sur place quelques secondes avant de me remettre en chemin, n'ayant qu'une sombre idée de ce que ce voile pouvait représenter. Je décide de refaire la même chose, sur d'autres personnes, de garder cette concentration pendant que mes yeux essayent de calculer ce qui se passe chez la personne. Je m'émerveille à chaque nouvelle couleur qui apparaît, comprenant que c'est un désir de connaître l'émotion de l'autre mais ne sachant pas s'il s'agit d'une évolution de ma magie ou une réponse à tout ce changement, le désir de comprendre l'autre, de le cerner, m'en préoccuper alors qu'auparavant je ne cherchais qu'à le manipuler. Je comprends à quoi je fait face. Je comprends que tout ça n'est pas pour rien, ce n'est plus le cas.

If i lay here, if i just lay here.
Would you lie with me. And just forget the world ?