Voltaire, c'est ce sale gosse de dix ans. Ce sale gosse de dix ans qui vous méprise, avec sa voix fluette, son timbre criard, et cette façon de vous dévisager comme si vous n'étiez rien. Comme si vous ne valiez rien. Ce genre de gamin à abuser des larmes de crocodile, passant son temps à vous berner. A se rire de vous. A feindre les larmes et à sourire doucement une fois que vous lui aurez tourné le dos. Le genre de gosse à venir vous donner des coups de pieds dans les tibias pour se calmer, à vous mordre ou vous pincer si vous le mettez en colère.

Car le petit monsieur est colérique. Il s'énerve rapidement. Il a tendance à rapidement craquer. A vite fondre en larme, à finir rouge de colère, à vous frapper de ses petits poings. A tenter de faire pleuvoir des coups qu'il sait inefficaces. Parce qu'il sait ce qu'il est. Il n'est qu'un gamin de dix ans. Un gamin un peu trop mignon. Une petite gueule d'ange qui sait parfaitement comment en tirer profit. La petite peste par excellence en somme. Il crie, il hurle, il griffe. Tout ce que les gens ne supportent pas. Tout pour que les gens le détestent. Parce qu'il n'aime pas les gens. Il les méprise. Il leur cracherai volontiers dessus. Car le petit monsieur est bien au dessus d'eux tous. Le petit monsieur est prétentieux. Gonflé d'orgueil. Car monsieur connait bien plus de choses qu'on ne pourrait le croire. Monsieur est bien au dessus de la populace. Monsieur a lu les grands auteurs. Il a pratiqué l'escrime. La magie. Pendant des années et des années. Monsieur vous crache dessus en voyant vos pâles techniques. Car lui sait comment vous devriez exécuter ceci, comment vous devriez tourner cela. Mais pourquoi est-il si insupportable ? Pourquoi est-il si invivable, cet enfant ? Tout bonnement parce qu'il n'en est pas un.

Oui, le petit monsieur Chevalier a plus de trente ans. Et non, le petit Chevalier n'est pas l'enfant qu'il semble être. Le sieur Chevalier est simplement victime d'une malédiction. Il n'a pas eu de chance. Il est simplement victime de lui même. De son excès de confiance, que ce soit en lui même ou en les autres. Alors il déteste la magie. Il déteste les gens. Les femmes. Le monde. Ne croire personne. N'aider personne. La confiance n'est qu'une illusion. L'amour qu'un sentiment éphémère. La connaissance qu'un mensonge. Vous n'êtes rien. Vous ne savez rien. Rien de vous même, rien des autres, rien du tout. Vos sentiments ne sont que des prétextes. Et il vous regarde du haut de son petit piédestal. Du haut de l'escabeau sur lequel il est allé grimpé. Il vous méprise. Il a fait son temps. Il a fait son chemin. Et ce n'est plus qu'un baroud d'honneur. Si il continue à avancer, c'est simplement pour satisfaire ce peu d'orgueil qui brûle encore au fond de lui. Il continue à avancer, engoncé dans ce petit corps, limité dans ses déplacements, dans ses mouvements, dans sa magie. Il continue à marcher, un rictus sur le visage. Il se rit de vous. Des autres. Il se joue des gens en général. Il aime les charmer. Les manipuler. Jouer la carte de l'enfant adorable pour mieux saccager l'image que vous aviez de lui par la suite. Pour mieux paraître détestable par la suite.

Et puis parfois, la malédiction s'affaiblit. Parfois, l'homme refait surface, et reprend la place de l'enfant. Régulièrement, le grand Voltaire Chevalier repointe le bout de son nez, pour se faire assaillir de remarques sur son soi-disant fils. Sur le soi-disant Voltaire junior. Et il finit toujours par envoyer paître ces moutons, incapables de voir, et encore moins de comprendre ce qu'il est. Ce qu'il endure. Ce qu'il ressent. Alors il les repousse. Il les dégage, en les écartant du revers de la main, ceux qui n'en valent pas la peine. Il crache sur les autres, n'hésitant pas à les poignarder, à les trahir. Car il ne veut pas de ceux là non plus. Il ne veut pas les laisser approcher. Il ne veut pas s'y lier. Il ne veut pas devoir briser ses liens à nouveau. Il ne veut pas se reconstruire un petit monde, si c'est pour risque de le voir s'effondrer. Alors il erre, la tête dans les nuages. Dans la lune. Il reste évasif. Il s'isole.

Il ne veut pas avouer qu'il se cherche des excuses. Il ne veut pas accepter le masque de faux semblants qu'il porte. Il ne veut pas s'avouer qu'il est faible. Qu'il blesse les autres, alors que c'est la seule chose qu'il voudrait éviter. Il ne veut pas voir à quel point il a pu changer, ni ce qu'il est devenu. Il ne s'aime pas. Il ne s'aime plus. Alors il se perd dans l'alcool. Et il finit par sombrer, finissant par se réveillé en étant redevenu le petit Voltaire. La petite teigne, prête à pourrir vos existences, et à ensuite aller se recroqueviller sur un coin de son matelas, la tête dans les genoux, en repensant à hier. A ce qu'il a laissé derrière lui. A tout ce qu'il a détruit. Mais ça, vous ne le saurez jamais. Vous n'en aurez jamais vent. Car le petit marche seul. Il s'est isolé sur sa voie. Il s'est écarté de vous. De tout. Et il ne reviendra pas. Il restera dans son petit monde. Au milieu des nuages. Au milieu des étoiles. Mais vous ne l'y rejoindrez pas, cela, il s'en assurera.

Difficile réveil. Il ouvre les yeux. Il se frotte la joue, le coin des yeux, encore mal réveillé. Il soupire en sentant la barbe crisser sous ses ongles. Alors c'est ainsi. Il ferme les yeux, repoussant les draps d'un geste lascif, comme tué par l'effort demandé. Il s’assoit sur le rebord du lit, observant la pièce dans la pénombre. Quelle fatigue. Et pourtant, pourtant il sourit. Il sourit doucement, avec une pointe de mélancolie. Il laisse craquer ses articulations, en s'étirant lentement. Il se passe une main dans les cheveux, muet, la bouche un peu pâteuse. Il a la gorge sèche. Et cette furieuse envie de boire. De boire pour oublier. Il n'a pas envie de retourner dans cette enveloppe minuscule. Il n'a pas envie de retourner à cette forme infantile. Et pourtant. Il sait pertinemment comment se finira la journée. Il le connait bien, à force, ce sentiment d'impuissance lorsqu'il sent la puissance s'écouler de ses membres, et que son corps semble s'écraser sur lui même, se rétracter, se tasser. Comme s'il s'effondrait sur lui même.

Il s'accoude lascivement au bar. Il étouffe un bâillement, faisant un rapide signe de la main au barman. Il sait bien ce que les gens en pensent. Il sait bien ce que pensent les gens tout autour. Mais il s'en fiche. Ils ne comptent pas pour lui. Personne ne peut y prétendre. Plus comme eux. Plus comme elle. Il ferme les yeux, se laissant porter par ses souvenirs. Il se remémore ces instants. Il se rappelle la douleur. Il se rappelle ce goût salé de larmes. Il voudrait oublier. Et pourtant, tout semble gravé en lui. Comme une marque au fer rouge. Comme une scarification qui ne partira décidément pas. Alors il boit. Il laisse le goût de l'alcool se mélanger à celui des larmes. Et il se laisse sombrer. Dans ses souvenirs. Dans l'oubli. Vanité. Tout n'est plus que vanité. Et il boit. Il boit pour oublier.

Il se rappelle. La joie. Les sourires. Les ballades estivales, alors qu'ils fuyaient la chaleur sous les feuillages de grands arbres. Il se rappelle surtout le contact de sa main au creux de la sienne. Il se rappelle cette alliance qui devait le lier à elle. Cette alliance qu'il n'a jamais pu lui passer au doigt. Il se rappelle de ses cheveux soyeux. De son rire cristallin. De l'odeur de son parfum. Et puis, plus rien. Plus rien d'autre que la douleur. Que la peine. Il se souvient de ce malheureux accident. De ce tragique accident. Piétinée par un cheval. Il se souvient de l'image qui est restée gravée en lui. De ce cheval hors de contrôle, en train de se cabrer. De ce bruit d'os brisés.

Il sent le verre se briser entre ses doigts. Il sent la douleur des entailles sur sa paume, alors que l'alcool s'y engouffre. Mais ce n'est rien. Ce n'est pas de la douleur. Pas comparée à ces souvenirs. Il se rappelle ces gens. Cette valse de visages tout autour de lui. Il se rappelle toutes ces personnes si longtemps ignorées. Et ce cri. Ce hurlement qu'il avait poussé. Cette insulte qu'il avait faite à tous ceux qui étaient venus compatir à sa douleur. Cette injure qu'il leur avait faite en leur hurlant qu'ils ne comprenaient rien. Qu'ils ne pouvaient pas comprendre sa douleur. Qu'ils ne pouvaient pas comprendre son désarroi. Qu'ils ne pouvaient pas comprendre à quel point plus rien n'avait de sens.

C'est là qu'il avait senti ses forces le quitter. C'est là qu'il avait vu ce visage déformé par la rage. Cette amie qui lui était si chère. Cette amie qu'il connaissait depuis si longtemps. Qui venait de le maudire. De le réduire à presque rien. De l'enfermer dans cette enveloppe enfantine, puisque son comportement n'était rien sinon immature. Il s'était vu rapetisser. Se tasser. Se recroqueviller. Et il avait vu sa rage. Il avait vu sa rancune. Tout ce qu'elle lui reprochait. Tout ce qu'elle ne lui disait pas. Il sentait la magie s'écouler en lui. Il ressentait tout ce qu'elle ne disait pas. Il se sentait honteux de ses mots. De ses actes. De son manque de discernement. De considération. Mais il était trop tard. Il ne pouvait plus faire marche arrière. Il ne pouvait pas remonter le temps.

Il s'était retrouvé dans ce corps d'enfant. Désemparé. Perdu. Il était seul. Il venait de leur hurler qu'ils ne pouvaient pas comprendre. Il ne pouvait plus se tourner vers eux. Plus après ça. Alors il était seul. Il venait de détruire tout ses restes de liens. Il n'avait plus rien. Plus personne. Il n'avait plus de possibilités. Plus d'avenir. Tout venait de se briser. Alors il était parti. Il avait fuit ces gens. Ce pays. Ce passé. Il était parti se réfugier loin. Dans l'espoir de panser ses blessures. Dans l'espoir d'oublier tout cela. Si toutefois c'était possible. Si toutefois il avait encore une chance.

Tous pour Un, et un pour tous. La magie de Voltaire lui permet d'utiliser des flux de magie, sous forme de transferts, les faisant parcourir son corps pour augmenter ses capacités physiques. Il peut d'une part annuler partiellement sa malédiction, reprenant sa forme adulte, mais peut aussi envoyer de puissantes décharges de magie dans ses membres pour améliorer à l'extrême ses capacités physiques. Le contrecoup est malgré tout tellement puissant qu'il manque de détruire les membres sur lesquels il applique à chaque fois. On peut aussi noter un effet permettant à son corps de se régénérer plus rapidement que la moyenne. Les blessures qu'il s'auto-inflige devraient souvent mettre plusieurs mois à guérir, réduit à quelques semaines grâce à la magie qui fait effet sur lui. Il est obligé de rester sous forme enfantine dans ces moments, car rester sous forme adulte alors que sa magie se répand dans son corps pour le soigner serait bien trop coûteux.

Il faut ajouter que lorsqu'il a accepté cette magie, il a également accepté de réduire son espérance de vie de plusieurs dizaines d'années. Les contrecoups que doivent accuser son corps sont en effet trop grands pour que son corps puisse les supporter encore et encore.