La bouteille tourne, tourne, tourne. Elle s'arrête. Un gamin boit et fait tourner la bouteille. Encore et encore, elle tourne. Elle valse. Les gamins rient, les gamins tanguent.
Ils ne se connaissent pas et vivent ensemble, ils ont un secret gardé, celui du passé, de l'enfance, de l'explication de leurs présences ici. Ce sont des amis, des frères et des sœurs, de cœur et de sang, d'armes.
Ils boivent encore et oublient pourquoi, ce qu'ils sont et ce qu'ils font. Et puis arrivent les questions fatidiques, celles qui dévoilent l'ombre sur les êtres. Ils parlent, un par un, juste une phrase pour expliquer. Un synopsis.
"
J'ai arraché l'oreille de quelqu'un. Avec mes dents."
On le regarde, on boit, et on tourne. On continue, ce n'est rien.
* * *
780
Paco courait dans la rue, petit enfant de la ville aux souliers de cuir et aux cheveux en bataille, le sourire aux lèvres et les éclats de rire semés sur son chemin comme des petits cailloux. Un autre courrait après, voulant l'attraper. Jouer au loup, jouer aux enfants dans un corps grandissant. Les pieds gauches, disproportionnés et maladroits juraient sur les pavés. Ils trébuchaient sur le plat, cognaient contre les marches et, déséquilibrés, les enfants riaient.
Ils rentraient chez eux, ces frères adolescents. Paco, le cadet, s'avérait le plus nerveux, le plus fort alors que Juan, son aîné, était plus intellectuel, dans l'esprit. Il était devant malgré sa jeunesse, plus rapide, plus élancé. Et Maman les attendait un sourire aux lèvres, une tartine prête pour chacun. Ils dévorèrent la tartine, firent leurs devoirs et se couchèrent tôt.
Le lendemain, l'idylle se termina.
Juan avait des lunettes et le stéréotype voulait que personne n'appréciait les lunettes. Paco, lui, était convoqué.
Tu as mis le feu, pourquoi ? Je n'ai pas fait exprès ? Regard sévère de la dame, mains farouches. Paco était intimidé même s'il n'avait rien fait. Alors il la défia. Je n'ai rien fait, je n'ai pas fait exprès. Non, il testait, il s'amusait. C'était marrant la fumée, les étincelles. Et le feu aussi. Dans cette école, ils devaient tous être droits, être justes, ne pas s'écarter du chemin. Là, Paco avait sauté du pont, on le punissait sévèrement. Mais pour sa mère et son frère, il mima la culpabilité tout en fomentant une revanche en sourdine. Elle allait brûler, tous ses papiers, toutes ses notes sur tous les élèves. L'école du roi ne serait plus qu'un tas de cendre.
Sa renommée prouvait Paco impulsif. Et un peu violent, même pour un gamin de douze ans, mais il se contenait pour son frère et tous les efforts de sa mère.
Les mains dans le dos il sortit. Il vit la cours, vidée des élèves, sauf un attroupement au milieu. Il y avait un gamin qu'il n'aimait pas en particulier, un riche parmi les riches, un encore plus que les autres. Un fils d'un des proches du roi, entré ici grâce à son nom et sa noblesse alors que lui était entré grâce aux notes de son frère. On avait fait entrer l'aîné, pourquoi pas le cadet ? Et ce gamin, ce petit bourge incapable, paradait de son invincibilité. En contrebas, dans la cour, il tapait un gosse et les autres l'acclamaient, s'assouvissaient à sa fausse toute-puissance. On se battait pour être son chien ou sa groupie, on le léchait et on lui tenait le mioche pour qu'il puisse le défigurer.
Il avait des lunettes brisées.
La directrice le reconnu après Paco, tenta de le retenir en vain. Paco était impulsif, fort pour son âge, habitué des petites bagarres et des grandes courses. Il fendit la foule entourant le gamin, fracassa l'arcade sourcilière du noble et beugla, hurla qu'on lâche son frère. Les mains libérèrent l'étreinte pour tenter d'entraver Paco. Il se débattait, frappait en tout sens et visant particulièrement le gamin haï. On l'attrapa mais il gigotait, il se libéra, griffa, cogna. Mais se trouvaient trop de mains, trop de bras, pour continuer. Le riche se releva, altier et hautin, et s'approcha de Paco. Il se riait de sa rage, voulu lui cracher dessus. Il n'avait ni main pour se battre ni jambe pour s'approcher. Que ses dents pour expulser sa haine. La directrice cria des ordres inutiles, huile sur le feu. Et Paco se propulsa en avant, de toutes ses forces, vers le riche qui n'esquiva guère. Il croqua entre ses dents le premier morceau de chair et tira. Tira ! Arracha un morceau de l'oreille.
Pauvre fou !
Pauvre enfant !
Ah, du sang !
Opportunité, Paco et Juan se levèrent et s'enfuirent, s'éclipsèrent dans un nuage de poussière.
* * *
"
Tu vas faire quoi toi, plus tard ?
- Plus tard, quand on sera sorti d'ici ?
- Oui, Paco.
- Je ne sais pas, j'aimerai bien être un sorcier.
- On ne devient pas sorcier, tu sais.
- Oui. Je sais. Mais ce serait tellement plus simple, non ? De vivre d'aventures, de tout justifier par sa magie. Sans se soucier d'avoir un travail, juste des aventures. Partir et revenir. J'aimerai aussi prouver à mon frère que je ne suis pas un raté."
* * *
784
Le crayon tourbillonna sur son doigt, acrobate de bois, avant d'être de nouveau emparé par la main vorace, frénétique. La mine s'écrasa sur le papier, furieuse, et les coups de crayon dansèrent, sautèrent, sur le papier immaculé. Le crayon vomit son carbone, tâchant bien vite la blancheur de mille et une nuance de gris. Des formes, des traits, des esquisses, se formèrent sur le papier.
"
Tu dessines bien. Tu dessines quoi ?"
Paco haussa un sourcil, lâcha son crayon. Il se sentit mal, on voyait son dessin, il le cacha, le froissa.
"
Rien."
L'image peinte sur le papier se déforma, le regard de la silhouette se brisa, son bras se déchira.
"
Ils disent qu'il faut que je dessine, ça m'aide à m’extérioriser.
- Et tu le fais ?
- J'aime bien dessiner, c'est pour ça qu'ils me disent ça."
Paco fouilla sa poche et en dévoila un briquet. La pierre fut frottée, vieux briquet qui ne veut plus marcher, mais une simple étincelle suffit, une légère flamme lécha le papier. Il s'embrasa, devint cendre.
"
Mais c'est moche.
- Non, c'était beau."
Il souffla de dépit, les cendres s'envolèrent en d'épais flocons de suie. De sa main, il brisa le crayon. Ses dents se crispèrent quand le bois entra dans sa chair.
"
Tu viens, on sort."
Paco s'exécuta, laissa là feu dessin et crayon cassé.
Ils étaient cinq, dehors. Cinq jeunes inadaptés socialement. Cinq adolescents considérés comme rebelles, racailles ou atteints de troubles mentaux. Ou les trois à la fois, comme Paco. Des déchets, des gens qui ne serviront à rien plus tard mais, par humanité, que l'on doit aider. Nourrir et éviter que, plus tard, ils jonchent les rues. Ce seront de bons ouvriers d'usines, des maçons tranquilles, des agents de sécurité de magasin. Ils ne seront rien et on le faisait comprendre en filigrane ici bas.
Ils voyaient des stagiaires, apprentis psychiatres, ils avaient des infirmiers derniers de leurs concours, des étudiants assez bon pour l'être mais pas assez pour intégrer les vrais centres médicaux. On les laissait vivre s'ils ne faisaient d'émules, au moindre mouvement étrange on les punissait. On les privait. Ils allaient à l'école escortés, stigmatisés de l'inaptitude sociale. On tentait de les occuper par le sport, le foot ils adoraient ça. En plus, un ballon est assez bon marché.
Ils ne devaient juste pas faire de connerie, après le reste n'était pas du ressort de l'institut. Ils devaient, aussi, éviter de redoubler. Afin d'éviter que les cafards ne gangrènent le système scolaire plus longtemps.
Ce climat donnait à ces cinq-là une maturité étrange. Ils savaient tout de cette mascarade, ils lisaient entre les lignes et dans la lassitude des psychiatres. Il se trouvait entre les surveillants et les surveillés une sorte de connivence tacite, une symbiose : ils voulaient vider le Centre. Alors ils s’exécutaient, étaient sages, avaient une belle image. Paco était bon en sport, à l'école il ne mordit l'oreille de personne. Il était juste bizarre. Eren ne venait jamais travailler avec un couteau et ne menaçait jamais personne. Ambre ne parlait pas, elle ne volait pas ni ne griffait. Non, elle écoutait et mâchait du chewing-gum en sourdine au fond de la classe.
Mais ensemble, hors de la scolarité et du centre, ils se sentaient libres.
L'esprit de contradiction des adolescents, de rébellion, de prouver sa propre valeur et de tester ressortaient. Ils avaient entre quatorze et seize ans et ils traînaient des pieds dans la rue, crachaient par terre et parlaient fort. Ils buvaient et fumaient en secret, volaient des pommes sur les étals et quand quelqu'un disait quoi que ce soit, ils hurlaient et frappaient. Dans ce centre aux interdits millimétrés, aux règles strictes et la vie cadencée, ils ne pouvaient rien faire. Enfants en cage, humains enchaînés ; une fois sortis ils se sentaient libres. Ils voulaient tester la liberté, quels interdits s'avéraient utiles et les autres non. Ils souhaitaient détruire, apporter la dissymétrie pour sortir du carcan ordonné et blanc du centre. Par simple esprit d'opposition. Chez "eux", ils devaient ranger. Dehors non, alors ils jetaient dans la rue. Tout était droit, lisse, à l'intérieur. Dehors, non. Ils froissaient, brisaient. Sortis d'un univers trop quadrillés, ils cherchaient simplement une feuille blanche pour se dessiner dessus, s'y peindre ; mais à leurs âges, les feuilles blanches n'existaient plus, déjà trop brunies de vie. Alors, ils la construisaient. Ils rasaient, politique de la terre brûlée, avançaient sans laisser de trace. Et de la cendre ils naîtront, comme des phénix, du gravas poussera ce qu'ils souhaitaient être, des perces-neige de la ville.
Ils voulaient juste grandir pour partir de cet état là car ils savaient que leurs enfances respectives étaient enterrées depuis bien trop longtemps.
Ce soir-là, ils se trouvaient dans un parc. Tranquillement. Une bière dans une main, une cigarette dans l'autre. Trop jeunes pour tout ça ; si seulement ils s'arrêtaient là, on imaginait bien pire. Ils parlaient de tout et de rien, des profs stupides, des infirmiers incapables, du beau temps. Des "tu te souviens de", des oreilles arrachées, des feux déclarés et de ce lien entre eux. Ces accords tacites, cette bande invincible.
Ils étaient un peu ivres, un peu défoncés aussi. Le Soleil se couchait. Ils allèrent voir un pote à eux, un collègue de l'école qui était aussi inadapté socialement mais qui n'avait rien fait pour l'instant, pour se retrouver dans le centre. Ils jouèrent encore un peu à fuir la réalité quand elle les rattrapa. Ils étaient dans la rue, bruyants énergumènes, à qui on demanda de se taire. Mais ils étaient violents, impulsifs ; tas de poudre sèche qui n'attendait qu'une étincelle. Ils rirent, huèrent l'inconnu qui invita alors ses amis à le rejoindre. Une demi-dizaine d'adultes, ils se provoquèrent du regard, des positions. Et se frappèrent ensuite.
Ils savaient se battre, les bougres. Paco en mis un à terre en premier, profitant de l'effet de surprise il le marqua, lui laissa sa griffe comme un chien marque son territoire. Ivre, énervé par tant de provocations, il voyait rouge et ses dents se ruèrent sur le lobe de l'oreille qu'il arracha d'un coup sec.
Partir en riant, à leur trousse une meute d'humains enragés, les yeux injectés de sang, les corps emplis de spasmes nerveux. Nuage de fumée dans le dédale urbain, rats connaissant les canalisations des quartiers insalubres, ils s'éclipsèrent, trouvèrent un havre tranquille pour le crépuscule. Un pont oublié d'un endroit sans habitation, industriel le jour et mort la nuit.
S'allonger sur le parapet, sans peur de tomber. Regarder la lune au loin tanguer et profiter.
"
Il faudrait qu'on rentre.
- J'ai toujours le goût du sang dans la bouche, c'est dégueu.
- C'est marrant quand tu arraches les oreilles, Paco. Inutile mais marrant, et ça doit les traumatiser.
- On va se faire engueuler si on rentre trop tard.
- Comme d'hab'."
* * *
"
Je suis sûr que ta mère te fait des bons petits plats pendant les vacances.
- C'est bizarre, je me sens pas chez moi là-bas. Je mange presque pas.
- C'est ici chez toi ?
- Non. Et toi ?
- Non. Mais tu sais, ma mère est comme moi, un peu.
- Ma mère a peur de moi, je le sens. C'est sous-jacent. Et mon frère a une sorte de haine non-dite envers moi. Quand je suis parti, à l'école il était la risée de tous, le frangin du taré."
* * *
788
Au final, Paco n'aima pas être chez lui. Majeur, adulte, il n'avait plus sa place dans le Centre. Alors, comme tout le monde on le refourgua à ses parents. Diplôme en main mais grosse tâche dans le passé il ne savait quelle école voudrait de lui. Aucune. Chez lui, il n'avait rien à faire si ce n'est regarder le plafond de sa chambre. Et traîner, dehors.
Sa mère l'aimait toujours, au fond. Elle semblait heureuse de le revoir à la maison bien qu'il soit bizarre désormais. Elle était ravie d'avoir encore un enfant là, chez elle, mais... Paco était son échec, elle le lui avait dit hier dans un échange de cris. Dans une explosion.
Hier, les non-dits gisant enterrés depuis des années, depuis la première oreille arrachée, éclatèrent. Paco était rentré un peu soul, et avec un peu de sang sur lui. La mère pleura puis hurla, l'enfant aussi. Juste pour se protéger et fuir les faits. Jusqu'à ce qu'elle avoue que si elle avait su, elle ne l'airait pas gardé. Elle l'aurait laissé à son père. Elle ne voulait pas d'un fils fou.
Paco aurait voulu s'enfuir mais il ne pouvait pas, il se terra dans sa chambre et se sentit mal, excessivement mal. Sa mère ne le percevait que comme un malade, qu'un gamin aux troubles du comportement et un homme dangereux. Elle avait peur de lui.
L'enfant se repliait sur lui : sa mère, en moins de deux mois, avait fait naître en lui une sensation que tous les psychiatres ne purent : la culpabilité. Avant ce n'était qu'un jeu, désormais ce n'était pas bien.
Il se sentait mal.
Alors il voulait partir, s'enfuir, avant que son frère n'arrive. Demain. Quel serait son regard, sur son taré de frère. Celui qui arrache les oreilles et qui est diagnostiqué fou. Celui qui lui a rendu la scolarité infernale, pleine de quolibets. Pourrait-il accepter cela ? Le supporter ?
La vie dans le centre, il la pensait horrible. Derrière des barreaux, sur un lit attaché au sol, ses affaires dans un placard cadenassé, on pouvait penser que cela ressemblait à un enfer. Mais il y mangeait, mal, on lui avait interdit la viande tant il était vigoureux, et il avait un rythme militaire. Il ne s'y souciait de rien pourtant, ni de la nourriture, ni de ses occupations, ni de l'argent. Encore moins du regard des autres. Il était un humain animal enfermé, nourri, dressé pour survivre dans ce monde. Pas pour y vivre. Juste y surnager comme de l'huile sur de l'eau.
Et chez lui, il se sentait vraiment huile. Poisseux et gras, sale.
Paco avait toujours voulu voir le monde, par ses propres yeux et porté par ses jambes. Depuis sa sortie, il avait fait un petit boulot manuel, il aidait un mécano à réparer des engins -de la voiture à la locomotive-, ça lui donnait un peu d'argent. Juste un peu, ce n'était vraiment un travail. Juste un "ça". Il le prendrait, le mettrait dans un sac et partirait. Voir le monde, fuir son frère. Il ne supporterait son jugement. Il ne voulait crier.
Le gamin se leva de son lit, s'empara de son sac et y mit tout ce qu'il put. Des habits, un couteau, son argent. Minuit passa, sa mère dormait, Paco se glissa dans la cuisine et vola à sa propre mère quelques vivres. Le sac pesait son poids désormais. En ultime action, un stylo griffonna quelques mots sur un papier qu'il abandonna sur la table. Allait-il prendre du papier et des crayons pour dessiner ? Non.
Le lendemain, sa mère put lire effarée le petit bout de papier sur lequel était inscrit "Je pars parce que je vous aime."
* * *
"
Elle sont étranges ces retrouvailles.
- Oui, un peu. On n'a pas changé au final. Paco arrache toujours des oreilles, Ambre vole toujours autant et Eren...
- Il n'a pas fait long feu lui, dans la vie de dehors, déjà enfermé de nouveau.
- En fait, je m'attendais à ce que ce soit toi, Paco, qui aille en taule le premier. Mais tu t'es bien rangé finalement.
- Tu te ballades, tu vois du monde, comme on a voulu faire tous.
- Mais je vis au jour le jour, ramassant des fruits ou servant des cafés, mais ça va se finir.
- Ah ?
-J'ai trouvé un vrai travail, je vais travailler dans une fête foraine. Mobile. Je vais être payé à voyager."
* * *
790
La nuit venait de tomber, la chaleur estivale couvrait encore la ville de son drap chaud. Les enfants ne dormaient encore, ils jouaient dehors, piaillaient et riaient avec leurs parents et d'autres enfants. Certains avaient une énorme barbe-à-papa dans la main, d'autres une énorme peluche, l'odeur de la praline émanait du quartier et la musique, ainsi que les couleurs, démontraient que la fête foraine s'était belle et bien installée ici.
Un microcosme installé dans la ville, dans un petit quartier qui, le temps d'une semaine, devenait le centre névralgique de toutes les activités. On riait de joie, on criait d'extase.
Ce soir, Paco aidait au stand de tir. Des fusils en plastique et des munitions en mousse pour faire tomber des briques. Tout était truqué, on le lui avait appris, sauf qu'il y avait une astuce pour gagner, pour prouver que ce n'était pas truqué si jamais quelqu'un venait à s'énerver.
Les vieilles astuces des forains pour gagner un peu d'argent, pour vivre de leurs métiers. Paco l'aimait bien, quoi que trop honnête pour savoir mentir à la perfection, trop candide. On l'aimait bien aussi, ils étaient tous un peu comme lui. Bien brave, pas trop intelligent mais assez débrouillard. Survivant dans cette société sans y vivre.
Les enfants l'appréciaient aussi, sans vraiment savoir pourquoi. Ils ne se rendaient peut-être guère compte qu'il était ... différent. Bizarre. Peut-être aussi qu'il était un peu comme eux, naïf, admiratif devant les étoiles et les explosions de lumière.
Au final, Paco s'était intégré à son mode de vie. Il s'y plaisait et ne voyait rien qui pouvait changer cela.
Ce soir-là pourtant, l'idylle commença.
Par un accident. Un drame.
Un manège devait s'arrêter ou du moins décélérer. Par chance, il n'était qu'à moitié plein, des enfants, des ados qui hurlaient de joie et un peu de peur quand le manège accéléra. Mais c'était cool. Sauf que, paniqués, les forains cherchèrent par tous les moyens d'enliser l'accident. D'éviter que ça ne déraille. La catastrophe arrivait sous le regard impuissant de cette famille, de ces forains qui, pourtant, devaient gérer ces problèmes.
A cet instant précis, dans cette panique folle et la peur de voir une dizaine d'êtres mourir là, une sphère vermeille, lumineuse, jailli des doigts de Paco et se rua sur la wagonnet. Aussitôt il fut ralenti. Aussitôt, le problème fut géré. Personne ne su.
Ce soir-là, le rêve enfantin de Paco se réalisa. Il était un sorcier.
* *
Pourtant, il ne décida pas de partir. Il resta avec ses manèges et ses peluches, avec sa famille adoptive. Il voyagea encore, toujours. Encore aujourd'hui. Ce n'était un grand sorcier, comme ceux qui détruisaient des villes ou combattaient des démons de la taille d'un immeuble, le pouvoir de Paco s'avérait juste secondaire. Simple enchanteur. Mais cela lui suffisait, lui donnait l'espoir d'être un jour assez fort, assez utile, pour entrer dans une guilde et vivre d'aventure. Comme quand il était enfant. Car aujourd'hui il l'est plus que jamais et à jamais, enfant.