Melodyann.
Mon nom est Melodyann.
Il m’a été donné par ma mère. Une femme que ce monde regrettera pour sa richesse d’esprit. Elle était douce et aimante, mais ferme et rigoureuse aussi.
Elle était grande, élancée, et son sourire faisait ressortir des rides que j’ai toujours associées à sa sagesse. C’est elle qui m’a presque tout appris, sur l’histoire, le monde, les symboles, mais les sciences et la magie étaient inculquées à ma jeune cervelle par mon père.
Un grand homme lui aussi. Il était reconnu comme l’un des plus grands mages-joailliers-artisans du pays. Il maniait son pouvoir comme personne, et créait des pierres et des bijoux qui dépassaient n’importe quelle peinture en splendeur, finesse et élégance. Il savait aussi se battre à l’aide de sa magie. Il aidait aussi les agriculteurs en diminuant l’acidité ou la basicité des sols en les nettoyants de certains minéraux, qu’il utilisait pour ses créations. C’était un homme très ingénieux.
Mais la tâche de vendre et de négocier incombait à ma mère. Elle était la troisième fille d’un fermier véreux, et c’est elle qui vendait ses produits sur les marchés dans son enfance. Elle a ainsi pu apprendre le commerce, la rigueur, le monde. Quand elle a épousé mon père, elle, qui vivait dans l’est du royaume de Fiore, est partie avec lui rejoindre la terre natale de son époux, l’une des mines du Nord.
Elle était toujours attendrie en me racontant la première fois où elle a vu ce petit village pittoresque d’artisans, simple, sans chichis, mais aussi riche. Les maisons sont, de loin, simples et trapues, petites. Mais elles sont riches en leur intérieur, et s’étalent sur plusieurs étages en profondeur.
En surface, elles sont faites de granit brut, en une pierre unique, de forme parfaite. En profondeur, les parois associent artistiquement les minéraux dans les sols, créant chez les plus grands artistes de sublimes fresques (de calcaire et jaspes, par exemple).
De plus, en surface, s’étalaient les vitrines d’où l’on pouvait admirer les œuvres des artisans.
Seuls quelques-uns, une quarantaine tout au plus, maniait la magie des minerais; une cinquantaine travaillait la pierre, une centaine le métal, et les mages étaient répartis dans les deux catégories. D’autres artisans peuplaient le village : une centaine environs était spécialisée dans le cuir, profitant de la proximité de monstres montagnards pour en récupérer le cuir. Il y avait une bonne vingtaine de luthiers et une trentaine d’ébénistes venus ici travailler les pins des montagnes, et qui restaient souvent à vie, motivés par le cadre, la chaleur humaine, et les cent cinquante-quatre artisans brasseurs, cuisiniers, pâtissiers et boulangers. Il y avait aussi bien sûr des non artisans, des artistes, des retraités, des hôteliers, des restaurateurs, des ouvriers, des mages, des industriels et leurs bureaux, et tout ce petit monde peuplaient finalement le village de 4682 habitants.
Son organisation était simple. Ce village, niché sur un plateau, s’étendait sur le flanc de sa montagne. Les bâtiments principaux s’agglutinaient au centre du plateau, puis venaient les magasins et échoppes, et enfin les habitations. Toutes avaient un jardin, de plus en plus large quand on s’éloignait du centre du village. Tout était relié par réseau souterrain, pour éviter d’être bloqué par la neige l’hiver. Ces tunnels étaient remplis de cachettes dans lesquels tous les enfants qui en avaient la possibilité ont joué. Moi incluse. Maman avait toujours ce même regard attendri, quand elle me racontait mon enfance et les soucis que je lui causais, dans cette ville souterraine.
J’ai retrouvé son carnet, après sa mort. Elle y racontait ma vie, mon enfance. Je sentis en le trouvant tout l’attachement qu’elle éprouvait pour moi, sa fille unique. Elle a toujours été là pour moi, pour me soutenir et me pousser vers l’avant. Retrouver ce carnet m’a bouleversée. C’est pour tourner la page et accepter tout mon passé que j’écris, comme elle l’a fait.
Je suis née un 28 avril, après une vingtaine d’heures de souffrances. L’accouchement s’est mal passé, et ma mère en est devenue stérile ; je ne connais pas les détails.
Etant sa seule enfant, elle m’a couvée, protégée plus que raison, et j’adorais échapper à son étroite vigilance. J’étais une enfant éveillée, taquine, futée, et très souriante.
J’adorais apprendre, bavarder avec les adultes et jouer avec eux. Ils avaient de la sympathie pour la jeune enfant que j’étais, et me transmettaient donc de l’affection. De plus, ils me savaient intelligente, et, bien que collante, capable de comprendre. J’étais à la fois mature et très enfantine. Ma maturité est probablement due aux problèmes de santé de ma mère, suite à ces couches, qui empoisonnèrent les 4 premières années de ma vie, me dotant d’un sens aigu des priorités et des responsabilités. Dans son carnet, ma mère raconte que je faisais exactement ce qu’il fallait lorsqu’elle avait un problème, à savoir lui apporter les bons médicaments, les lui administrer dans un ordre bien précis, contacter les bonnes personnes, si elles n’étaient pas loin. J’étais, selon elle, capable de cela aux alentours de mes trois ans et demi. Ces tâches étaient simples, aussi j’ai encore du mal à comprendre pourquoi cela lui paraissait si incroyable. Le seul souvenir qu’il me reste d’avant mes six ans, c’est celui de ma mère allongée sur son lit, crispée dans son sommeil, avec une perfusion, et un mage guérisseur s’occupant d’elle et de ses plaies : elle était tombée en coupant des carottes pour le dîner. Son carnet a été aussi une source de renseignements sur mon passé précieuse, et j’ai ainsi découvert que c’est vers mes 4 ans que j’ai commencé à me séparer des autres enfants et à être seule.
Je ne comprenais pas leur inconscience, leur manque de responsabilité, leur lenteur de compréhension. J’essayais d’être avec eux, de jouer avec eux, mais nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt. Jusqu’à mes 7 ans, je jouais néanmoins encore beaucoup avec eux jusqu’à ce ‘jour maudit’ comme le disait-elle si bien. J’avais à peu près 6 ans et demi.
Lien carnet à souligner!
J’allais à l’école, avec l’impression désagréable d’être une vache en partance pour l’abattoir. Je m’ennuyais là-bas, et les pestes du village m’avaient désignée comme étant une cible de choix : je faisais leurs devoirs, leur donnait mes gouters, me faisait racketter régulièrement de mes jouets d’enfants, que je cessais d’emmener hors de la maison. Etant la cible des morues, j’étais évitée par les autres, et jouais seule.
Vers mes 6 ans et demi, donc, j’eus une nouvelle maitresse. Elle était la mère d’une de mes tortionnaires, et lui avait plus que probablement transmit son caractère. Elle ne supportait pas que je réponde à ses questions et que je lui en pose, dans la plus grande innocence, avec toute ma curiosité. Le fait qu’elle n’ait pas de réponses devait l’insupporter au plus haut point. Elle avait aussi la particularité de faire des fautes, en parlant comme dans ses cours. Je les lui signalais, ignorante du fait que cela était humiliant pour elle.
Nous nous détestions l’une l’autre, et cette situation était lourde à porter pour mon jeune âge.
Du fait de cette situation, mes angines, qui devinrent alors fréquentes, étaient bienvenues. Mon seul réconfort était un adorable chaton noir, rejeté par les autres comme moi, du fait de sa couleur portant soi-disant malheur.
Ma mère parvint à m’extirper des griffes de l'institutrice véreuse au bout de trois mois, mes mots de gorge chroniques cessèrent aussitôt. Je refusais catégoriquement d’y retourner un an plus tard, avec un autre enseignant. J’y fus néanmoins trainée. Il me méprisait avant même mon arrivée dans sa classe, ma précédente institutrice m’ayant bâti une réputation déplorable. Il resta néanmoins plus modéré, et était juste cassant et indifférent avec moi. J’y restai l’année entière, en souffrant, tombant malade chaque semaine, puis mes parents prirent en main mon éducation et mon apprentissage.
Ma mère avait déjà bien fait ma culture, durant ces longues journées de maladie. Elle me laissait ainsi l’essentiel de mon temps avec mon père. Il m’enseigna l’amour de l’art et des sciences. Il me montrait des schémas qu’il composait de pierres, et mettait en mouvement par magie.
A 8 ans, j’avais compris le fonctionnement de ce qui deviendrait ma magie un an plus tard, mais mon père refusait toujours de m’enseigner la magie et avait demandé aux autres mages de ne pas le faire. J’enrageais, je voulais à tout prix pouvoir manipuler les pierres. Je sentais que j’en étais capable, moi aussi, de ciseler un saphir sans avoir recours à des outils, auxquels je n’avais d’ailleurs pas le droit de toucher sans mon père dans un rayon d’un mètre. Il était surprotecteur. Je me mis à dessiner des œuvres de pierres que je me promis de réaliser un jour. Des objets de petite fille, un chaton en pierre de lave et calcaire, un dragon que je voulais fait de jaspe rouge, des fleurs de malachite et de sodalite, et autres.
Je me mis à apprendre les caractéristiques des différentes pierres en cachette. Il le découvrit une quinzaine de jours avant mon neuvième anniversaire. Il déplaça les documents informatifs sur le sujet, et m’interdit de m’intéresser aux pierres. Mes neuf ans furent fêtés dans une atmosphère tendue.
Mes parents eurent le culot de m’offrir des poupées en bois et des vêtements d’un rose trop vif pour les vêtir, me disant de me féminiser. J’étais coquette, mais moins que la plupart des filles. Je n’aimais pas l’odeur des cosmétiques, boudait les coiffures qui prennent un temps fou en réalisation et ne me permettaient pas de gambader et de jouer comme un garçon. J’appris par le carnet de ma mère que je fis une grimace qui se voulait souriante et que les poupées subirent toutes sortent de tortures par la suite. Mon manque de féminité se traduisit par une recrudescence de mes dessins d’armes.
Quinze jours après mes 9 ans, ma mère m’emmena faire une ballade, qui fut courte en raison de la chaleur. En rentrant, je vis mon père sortir de la maison, emportant une grande caisse vers son établi, probablement pour la clouer. Elle était visiblement lourde. Je m’approchai, curieuse. Je perdis mes sabots en courant. Je me mis sur la pointe des pieds pour voir le contenu de la caisse, que mon père tentait vainement de dérober à ma vue. J’y parvins et y reconnus mes pierres, que j’avais glanées un peu partout, et auxquelles de tenais bien sûr beaucoup. J’entrai dans une forte colère. Non seulement mon père refusait de m’enseigner la magie, mais en plus il me privait de mes pierres ! Je plongeai ma main dans la caisse, dans une tentative désespérée de rattraper une pierre ou deux. Il tenta de m’en empêcher, mais je saisis une grosse pierre de quartz, d’un volume d’à peu près vingt centimètres cubes.
J’analysai instinctivement la structure, la forme, tout apparaissait clairement dans mon esprit. Je sus quelles parties du quartz toucher, et je le transformai en un couteau de lancer, un que j’avais rêvé pour cette pierre. Mon père, surprit, lâcha la caisse, qui se renversa au sol. J’étais médusée et regardait mes mains. Je me souviens de la sensation qu’utiliser la magie me procura, comme si c’était hier. Une sorte de sensation de puissance, d’ivresse, et un effacement de la solitude qui m’étreignait le cœur depuis trois ans. Mon père me tira de ma transe par une monumentale claque. La première fois qu’il me frappa. La dernière aussi. Ma mère lui en fournit une. Choqués tous les deux, nous lui obéirent quand elle nous ordonna, rouge de colère, de nous rendre dans nos chambres respectives.
La suite est floue dans ma mémoire, je me souviens juste qu’elle me rapporta mes pierres, et m’amena mes repas dans ma chambre les deux semaines qui suivirent. Je refusai de la quitter, et j’expérimentais mes dons. Je refusai de voir mon père. Je ne comprenais pas pourquoi il m’avait interdit l’accès à cette merveille qu’est la magie. Ma mère me promis d’expliquer ses raisons plus tard. Lassée de cette atmosphère pesante, je daignai lui pardonner. Ma mère et moi, nous parvînmes à le convaincre de m’enseigner la magie. Il se montra peu coopératif au début mais eu de plus en plus de mal à cacher le plaisir qu’il prenait à m’enseigner et me voir progresser. Il était fier comme un coq. Moi, j’étais complètement immergée dans la magie, et ne m’intéressait plus à rien d’autre.
A douze ans, je la maitrisais, et seul l’entrainement pouvait encore me faire progresser. Je visitais régulièrement les ateliers des autres mages, avide de savoir. J’aidais, acquérant ainsi expérience magique mais aussi professionnelle. Je repris goût aux contacts humains et me découvris une vocation pour le négoce.
A quatorze ans, seul mon caractère impulsif et bourru faisait obstacle à l’ouverture de mon propre commerce. En amour, il en était de même avec ce foutu caractère
Je rêvais -et rêve toujours- au prince charmant, à un homme capable de m’aimer et de se faire aimer de moi. Pour le moment, l’affection de mes connaissances et du chat noir me suffisent amplement. J’ai adopté en partie le comportement de celui-ci depuis que je le connaissais: miaulements, façon de s’étirer, mouvements de nez, feulements, dos rond, et ma pilosité s’hérissant lors de mes fréquentes crises de nerfs. Ce côté félin me valut divers surnoms, Koneko, Gros chat, Chathon, etc. Je les accepte en riant de bon cœur. Je me voulais –et me veut toujours- chat.
C’est aux alentours de mes 14 ans que mes anciennes tortionnaires, écumantes de rage derrière leurs divers travaux de serveuses, secrétaires ou coiffeuses, décidèrent de reprendre leur ancienne occupation favorite. Omettant bien peu prudemment que je n’étais plus une enfant sans défense. Après quelques griffures, écorchures et fixation des pieds dans le sol, elles abandonnèrent l’approche directe. Je me reposais sur mes lauriers, oubliant qu’elles aussi avaient grandi et pouvaient imaginer des moyens efficaces de vengeance. Et cruels.
C’est ainsi qu’un matin, cherchant mon chat, mon adorable soutient moral, je le trouvais écrasé sur la route. Je pensais à un accident. Jusqu’à l’arrivée de cette bande de pestes qui vinrent me présenter leurs condoléances d’une expression mielleuse et poisseuse comme un fruit empoisonné. Ma peine se mut en colère. Mes larmes et mes gémissements en explosions violentes de magie et en hurlements réclamant vengeance. Elles fuirent et se réfugièrent dans la maison de l’une d’entre elles. Je posais la paume sur un pan de mur, le déstructurant et le faisant exploser. Les morues se réveillèrent trois jours plus tard à l’hôpital.
Pour ma part, je passais ce laps de temps au tribunal devant mes parents, le chef du village, les gens qui croyaient en moi, etc. Je versai des larmes de désespoir, de haine, de tristesse, de colère et de regret. Je m’en voulais de pleurer, d’être si faible.
Je fus exilée du village durant six mois. Je les passais loin de là, profondément dans les montagnes. Je m’y épuisais en créations de pierres, transformant plusieurs petites grottes en salles majestueuses en quelques semaines. Je me nourrissais en me rendant à un village de paysans et en leur échangeant de petits bijoux contre des denrées. Je prenais plaisir à vivre dans ce petit univers nouveau, sans préjugés, où mon passé était inconnu, et où les gens m’acceptaient de bon cœur. Je ne voulais pus repartir, je m’étais fait une petite place là-bas, celle de l’étrangère bizarre aux mains modeleuses. La nostalgie finit par me rappeler sous le giron de mes parents. Mon père vint me chercher, et me ramena à la maison. De retour chez moi, on m’accueillit à bras ouverts pour ceux qui me connaissaient, et avec crainte pour les autres. Je fêtais mon quinzième printemps sereinement, et joyeusement. Je repris ma vie d’aide, de création, et de magie y ajoutant enfin le négoce. Mon père était impressionné par mes progrès, me gonflant de fierté et d’orgueil. J’étais heureuse.
Il me parla de l’habitude qu’ils avaient, ma mère et lui, avant ma naissance : tous les étés, ils allaient à Magnolia pour Fantasia, et y avaient un stand. Cette année, ils voulaient reprendre cette habitude, et me confieraient alors le magasin paternel.
J’acceptai avec enthousiasme. Je pourrais ainsi me faire une réelle expérience. Mes parents partirent pour deux mois, s’offrant quelques vacances au passage. Les trois premières semaines, je m’amusai. Je m’ennuyais ensuite. Dans ce métier de commerçante, seule la création de mes articles me plaisait. Je prenais mon jour de congé hebdomadaire pour chercher une vocation, m’entraîner à ma maîtrise magique.
C’est vers la sixième semaine qu’un mage passa. Un mage de guilde. Des cheveux noir jais, des yeux assombris par un passé visiblement lourd. Je me renseignais sur sa profession. En quoi elle consiste, comment l’exerce-t-on exactement, et autres détails. J’appris que ce métier, qui n’avait éveillé aucun intérêt chez moi auparavant, était un travail très varié, où l’on se servait autant de sa tête que de sa magie, qui me ferait voyager, rencontrer des gens, qui feraient fi de mon passé, avoir des compagnons, de réels liens, et me permettrait de couper le cordon avec mes parents. Ce travail m’offrait la perspective d’un nouveau départ, plus brillant, et ce sans entraves liées à mon passé houleux et douloureux. Je rêvais d’oublier, de renaître. Je pris la décision de me battre avec mes parents pour pouvoir partir. J’étais prête à lutter contre eux, je voulais être mage. Je n’eus nullement besoin d’user de mes talents en négociation et de ma résistance nerveuse (quasi inexistante de ce côté-là).
Au matin de leur retour théorique, personne ne vint ; pas plus que le lendemain. Le surlendemain, ne les voyant guère plus, je décidai d’aller à leur rencontre. Je trouvais une charrette, à une dizaine de kilomètres du village, ressemblant étrangement à la leur. Je ne m’y intéressais pas plus, j'avais d'autres soucis en tête. Elle semblait avoir eu un grave accident. Je continuai ma route sur une dizaine de kilomètres, puis rentra.
C’est au crépuscule que je me retrouvai au niveau de la charrette. La lumière était rasante. Elle mettait ainsi tout relief en valeur. Comme par exemple celui de la main dépassant de la charrette, qui me sembla étrangement familière. Mon sang battit à mes tempes, je jurais, paniquais, mes larmes coulèrent sur mes joues sans que je ne m’en soucie. C’était impossible. Non. Pas eux !
Je me suis jetée dans la charrette, pour y voir son contenu, espérant m’être trompée. Espoir réduit à néant quand je constatai que cette main appartenait à ma mère et se situait à présent à cinquante centimètres de son bras, tout comme sa tête, au visage baigné de sang et tordu de douleur. Je vomis. Sur son ventre à nu des plaies dessinaient un symbole que j’avais déjà vu, et que j’identifiai comme le blason d’une guilde dont le nom m’échappe. Une petite guilde peu puissante des environs, au maître stupide mais à la cruauté grande. Mon père les punissait parfois, quand ils s’attaquaient au village, en détruisant leurs bâtiments. Mais je ne voyais pas son corps. L’avaient ils emmené ? Était-il en vie ? J’eus la réponse en sortant de la charrette. Je vis un affleurement de roche peu naturel, qui avait manifestement servi au combat. Il était couvert de sang et de matière diverses, des potions je suppose.
Derrière, mon père « reposait », dans une position fort peu confortable. Un contorsionniste performant n’aurait pu la faire sans aide, et mon père n’en était pas un. De plus, ses membres semblaient cassés en plusieurs endroits. Ils étaient tous pliés en quatre ou cinq. Ses mains étaient informes. Elles ressemblaient à des petits tas de chairs sanguinolents. Ses jambes passaient au-dessus de sa tête. Mon estomac n’avait plus rien d’autre à rendre qu’une bile acide, brûlante et infâme que je déversais au pied d’un arbre.
Je pleurais toute la nuit.
Au matin, je décidais de rentrer avant d’enterrer leurs corps. Je voulais prendre les plus belles pierres pour eux.je devais dormir, aussi. Je croisais notre voisin, en rentrant. Voyant mon visage émacié, il me demanda ce qui n’allait pas. Et eu une réponse peu claire mais qui l’incita au silence. Mon poing dans son nez, qui laissa échapper un filet de sang rouge et épais. Je rentrai en claquant la porte. Je m’endormis sur le canapé, un sommeil peuplé de cauchemards . Je me réveillais au matin avec la certitude que la journée précédente était l’un d’eux.
Le nez boursouflé de mon voisin et son regard hostile me détrompa. Je serrais mes dents pour ne pas pleurer, et me rendit à la mine. Il était à peu près vingt-deux heures, aussi était-elle vide. J’extrayais les plus beaux minerais, et j’avais clos le lieu de mes recherches. J’avais quelques vivres, qui me permirent de tenir les trois jours de prospection. Je sortis de la mine, tirant un chariot couvert d’une bâche. Il était tard, personne ne me vît. J’arrivais à l’aube vers mes parents. Je creusais une cavité dans le flanc de la montagne. J’utilisais ma magie pour déplacer les corps. C’était long, laborieux, mais je ne supportais pas l’idée de les toucher. Je les allongeais sur deux petites estrades. Je sortis du chariot toutes les pierres, et les en recouvrit. Les fondit. Cela ressemblait à un patchwork de pierre. Je les déplaçais, les peaufinais. Je travaillais deux jours sur chaque tombe. Je les avais faites à leurs effigies respectives, souriants, heureux. Des plaques de quartz jaune incrustées d’émeraude et de saphir légendaient les tombes.
Ci-gît Eleonora Judith Charlotte Pyermeistèr.
Puisse-t-elle reposer en paix, pour tout ce qu’elle m’a apporté, pour sa sagesse, sa gentillesse, sa beauté, son dévouement, sa générosité, son écoute, sa grandeur d’âme et toutes ces innombrables qualités qui la caractérisaient.
Ci-gît Belphégor Roger Barthélémus Pyermeistèr.
Puisse-t-il reposer en paix, pour tout le bonheur qu’il a su m‘apporter, pour son courage, sa force de caractère, son humour et autres qualités. C’était un grand homme.
Je rentrais éreintée. J’étais vide de larmes. Je fus happée par la foule de mes connaissances, interloquée par cette semaine étrange. Mon cher voisin réussit à disperser la foule. Il me conduit chez moi. Mon indifférence le choqua. Je me fichais de lui, et apparemment de tout. Mon visage n’exprimait qu’une suprême indifférence envers le monde entier. Il s’assit face à moi. Me tapota la tête. Ce geste anodin me fit fondre en larmes et je lui racontai alors mes deux dernières semaines, en détail. Je m'endormis le visage baigné de larmes sur le sofa. Le lendemain, plus sereine, je fis ma valise, et partis, déterminée à être mage. Pour pouvoir me venger de cette guilde. Je me jurais de revenir pour cela, mais je me dois d'être plus forte pour les affronter.
Je laissai un mot sur la porte, à destination de mes connaissances, et pour garder la maison.
Cette maison restera toujours mon point d'attache. Mon passé est là-bas, je ne veux plus l'oublier.
Aujourd’hui, j’ai compris que je ne pourrais jamais oublier, et je l’ai accepté. Mon passé m’a forgé, et l’oublier reviendrait à nier tout ce que je suis, tout ce que j’ai fait –bien ou mal- et à me perdre moi-même.
Je suis une mage. Je trouverai une guilde, ferai des quêtes, découvrirai les secrets de ce monde, et ses pierres. Je me forgerai un passé, dont je serai fière. Et je veux pouvoir accueillir Ankou comme il se doit: comme une vieille amie.