Choix de test :
L'évasion de Jellal.
-As-tu compris ?Je n’étais pas certaine de pouvoir répondre à l’affirmative sans mentir. Il y avait des centaines de choses qui échappaient ma compréhension, mais je supposais que c’était normal. Depuis une poignée de semaines, tout ce que j'avais cru savoir se mélangeait étrangement et les notions de vrai et de faux ou de bien et de mal me semblaient bornées de frontière floues et inverses qui me déroutaient plus chaque jour.
-Oui, mentis-je, incapable de décevoir Ultear.
Ma presque-mère avait le visage sévère des veilles de missions. Pourtant, son regard était aujourd’hui mêlé d’autre chose, d’incertain, comme une lueur vacillante de doute ; déstabilisant parce cela la rendait fragile. Et cela correspondait à tout ce qu’Ultear n’était pas. Ou n’avait jamais été.
Moi qui croyais que le monde s’inverserait avec l’éveil de Zeleph… Les incidents de l’île Tenrô avaient suffi. Presque sans magie, la face du monde avait changé.
Ultear se redressa sur son séant.
-Bien, martela-t-elle.
Il est temps de passer à l’attaque.La jeune femme se saisit de son arme du jour, un ramassis de métal tordu, et le glissa à l’abri dans son haut. Puis, faisant claquer ses talons, elle se dirigea au cœur de la ruelle, les pans de sa cape rabattus d’un geste ample sur sa silhouette et le visage dissimulé sous son capuchon. Je suivis de loin le balancement de ses hanches et de sa chevelure flottante. Il avait été convenu que nous ne progresserions pas groupées, car rien n’aurait mieux attiré l’attention des gardes que deux étrangers encapuchonnés marchant de front vers le lieu le plus sécurisé de Fiore, et se faire repérer avant même d’en avoir atteint le seuil n’était pas exactement dans nos objectifs.
Je souris. Même perforée par les doutes, la mage du temps gardait une classe inaltérable. Ses talons frappaient les dalles de la chaussée à un rythme harmonieux, quasi hypnotique. Il n’y avait rien de plus envoûtant que l’approche fauve d’une Ultear, à visage découvert ou non.
La femme atteint les gardes le sourire aux lèvres, sa petite bouche pulpeuse en forme de cœur pour enjoliver le spectacle. Elle y posa à peine un doigt ; les gardes frémirent et semblèrent soudain figés. Elle continua sa route, droite et naturelle. Sa main passa dans son décolleté pour en tirer l’amas métallique informe qu’elle enveloppa d’une bulle sombre, présente une seconde à peine. Pas assez pour qu’un regard distrait s’y attarde et comprenne. Déjà, la clé se forma entre ses mains.
« Rappelle-toi, » fit la voix d’Ultear dans ma mémoire.
« Le Conseil connait ma signature magique, mais pas la tienne. Nous sommes la combinaison parfaite. Je fige les gardes, je pose la clé, et tu entres. Puis tu déjoues cette très chère sirène. »Je m’avançais, un sourire distordu ornant mes lèvres juvéniles. Moi qui avais cru peiner à imiter le naturel qu’avait sa mentor !
Le passage se déroula sans heurt. Les gardes restés en station ne frémirent même pas lorsque je les dépassais pour pousser les lourdes portes. Il n’y avait rien à craindre. Si jamais le moindre badaud trouvait à redire à ce manège, Ultear protégerait mes arrières.
Je me glissais dans le corridor, maintenant avec précaution une sphère olivâtre entre mes doigts. Puis l’entrebâillure du chêne se referma et je me retrouvais bercée par l’unique lueur des torches-lacrimas. Objectif : trouver la fameuse alarme.
Je me glissais entre les ombres, le temps d’échapper à la ronde d’une faction en approche. Les hommes paraissaient sûrs d’eux et surtout distraits ; il ne me fut d’aucune difficulté de me dissimuler dans l’angle dur d’un mur de grès. Ma fameuse cible pendait au-dessus, depuis le plafond : une nuée de petits objets triangulaires qui composaient l’une des pointes du pentacle qui protégeait les lieux. Ultear m(avait assuré qu’il suffirait d’en détruire un pour neutraliser le signal.
J'nspirais lentement. Les gardes avaient disparu, aussi m’avançais-je au milieu du couloir pour mieux viser ma cible. Mon bras se détendit comme un ressort, et je projetais la sphère confiée par Ultear. Celle-ci toucha sa cible et l’alarme régressa pour se trouver réduite à l’état de monceaux de cuivre qui tombèrent au sol dans un tintement assourdissant, de concert avec la roche qui les avait suspendus.
Je retins son souffle et j'attendis, mais les gardes ne reparurent pas, guère alertés par le vacarme. Je louais ma chance avant de retourner sur mes pas. Un signe, par les lourdes portes, et Ultear se faufila à ma suite.
C’était là qu’il fallait faire vite : plus personne n’empêcherait le passant lambda signaler l’entrée de l’ex-conseillère et de sa complice à l’intérieur. Il nous fallait neutraliser les absorbeurs de magie ou se débrouiller à la civile et le tout sans se faire repérer. Un regard à Ultear me suffit à comprendre que nous avions déjà eu chaud. Derrière nous maintenant, les gardes de l’entrée fixaient, hébétés, un décor populationnel qui avait beaucoup changé en ce qui leur avait semblé être un dixième de seconde. Ils n’avaient pas l’air d’être des lumières, ce qui était à l’avantage des deux intruses que nous étions.
Jellal Fernandez était au troisième sous-sol. C’était là que l’on enfermait les criminels de rang majeur, et il y avait difficilement cellule plus sécurisée. Ultear s’en était assuré pour y avoir fait enfermer de par le passé une poignée d’opposants politiques un peu trop encombrants et savait désormais qu’il ne s’agissait pas de contes de bonnes femmes.
Je me glissais à sa suite, car la fière femme avait repris la tête des opérations. Elle descendit les escaliers en colimaçon d’un pas furtif, à l’aguet au moindre bruit suspect.
Les protections anti-magie étaient nichées à l’entrée, double tour de liquide vert d’eau enfermé dans deux sabliers de cristal qui encadraient le seuil. La difficulté était aisée à résumer : on pouvait manipuler le verre mais en aucun cas le briser, sans quoi, outre les alertes aux gardes, la magie de l’une et de l’autre seraient neutralisées durablement. La solution d’Ultear était intermédiaire, à savoir faire glisser les deux objets à une distance assez respectable l’un de l’autre pour que l’effet en cesse. Ç’aurait été plus simple via la magie, mais celle-ci était malheureusement encore annulée.
D’un effort conjoint, nous glissâmes un roulement sous le socle et le fîmes circuler le long du couloir – ce qui au passage, pour le prochain tour des gardes, ne passerait pas avec une discrétion inouïe –. Ultear se frotta les mains.
La seconde d’après, nous entrions avec fracas dans le couloir. Les gardes-grenouilles du Conseil sursautèrent, apparemment dérangés en pleine séance de moquerie envers un prisonnier.
Le fouet de ronces givrées d’Ultear saisit le premier au creux du ventre. Le second eut un mouvement de recul désorienté avant de reprendre ses esprits et d’ouvrir le gosier pour hurler à l’aide.
Ma lame sensorielle l’atteignit à la nuque, le pliant en deux d’une douleur pareille à celle qu’il aurait pu ressentir si elle lui avait physiquement tranché le cou.
Trop tard.
Le cri avait résonné à travers toute la prison, faisant vibrer les murs. Inutile de rêver à ce que la patrouille ne l’ait pas entendu : il ne fallut pas dix secondes avant d’entendre des pas précipités. Négligeant les reproches, Ultear se rua à travers le corridor. Les prisonniers, éveillés en sursaut, se jetaient aux barreaux de leur cellule, mais aucun d’entre eux n’arborait la tignasse azur et le tatouage caractéristique du prisonnier. Aucun jusqu’à l’avant-dernière cellule… qui semblait vide.
Je priais de toutes mes forces Zeleph pour qu’on n’ait pas avancé la date de l’exécution. Ultear, en revanche, ne s’embarrassa pas de telles réflexions puisqu’elle pulvérisa les barreaux d’une série de sphères bien ajustées, qui dans les gravats projetés tout autour et surtout vers l’intérieur qui pouvaient tout aussi bien avoir amoché un éventuel locataire s’il y résidait encore, bien plus probablement que de l’avoir évité.
L’épaisse fumée grise des gravats forma un mur entre les intruses et le fond de cellule. Prise au dépourvu, je toussais.
C’est le moment que choisirent les gardes pour rappliquer, ou plutôt, se ruer à l’intérieur du corridor. Et l’écran de fumée s’évanouit.
Derrière, un homme maigre et sale, recroquevillé au sol et qui avait perdu de sa superbe.
Une paire d’yeux écarquillés sous un demi-masque aux volutes sanguines mêlées de haut ciel.
Couleur émeraude.
-L’expiation, hoqueta le jeune homme d’une voix faible alors que la pièce entière se figeait dans un silence surnaturel.
-C’est bien ce que je craignais, soupira Ultear.
Et sur ces mots, elle balança une sphère phénoménale sous les pieds des soldats.
Je retrouvais alors mes esprits. D’une main rendue experte par l’habitude, je conjurais douze lames jumelles de leur habituel rose bonbon trompeur qui fondirent sur les soldats. Ceux-ci n’eurent pas le temps d’esquiver. Le sol venait de se trouver creusé sous leurs pieds comme par une bombe et ils avaient déjà bien trop à faire à se redresser sur leurs pieds.
Entre temps, dans mon dos, Ultear avait dissolu la chaîne aux pieds de Jellal d’une magie experte. Sans plus réfléchir aux mots hagards de l’ex-conseiller, elle l’attrapa comme un sac et le jeta sur son épaule.
Je me campais sur mes pieds. C’était à moi de couvrir le terrain, cette fois. J'envoyais une nouvelle salve de lames.
Ultear bondit par-dessus les premiers hommes, moi à sa suite. Un autre l’arrêta et elle se lança dans un combat dont je perdis les détails.
L’un des plus jeunes soldats avait fui la scène et poussait le sablier géant du couloir dans l’espoir de bloquer de nouveau leur accès à la magie.
-Arrête-le, siffla Ultear, ses deux mains déjà occupées comme mille devant les assaillants.
Je redirigeais mon fouet de Maguilty qui venait de balayer les chevilles d’un homme proche. La lueur rose siffla tout près des oreilles du garçon. Celui-ci venait de perdre son casque et je remarquais qu’il avait approximativement mon âge.
Ça, et les larmes aux yeux alors qu’il poussait le socle dans un état de panique absolue avec l’énergie du désespoir. L’exacte réplique du regard que j’avais eu, je le savais, le jour où on m'avait enlevé ma famille dans le sang et les larmes.
Pour la première fois de sa vie, j'hésitais.
-Qu’est-ce que tu attends ?! vociféra mon mentor.
Achève-le !Je levais le bras, fouet apprêté lors que mes lames foudroyaient un autre adversaire d’un jeu d’annulaire de la main gauche, comme un jeu de marionnettiste. Le fouet se suspendit, dominant le garçon dépourvu de défenses qui s’échina plus fort encore à pousser le sablier vert.
Un centimètre de plus et leur magie disparaissait.
-Maintenant !J'ouvris la main. Et soudain, des images défilèrent devant mes yeux : des flammes, un village détruit, le grincement monstrueux d’une voix de stentor, le sourire de dément du futur dénommé Zancrow, et puis soudain Ultear, Ultear qui la rassurait, Ultear qui me berçait, Ultear qui séchait mes larmes, Ultear qui m’enserrait d’un sourire tendr- calculateur, et ses regards d’entraînement déformés d’une lueur démoniaque, et le masque du mensonge et des cris, des pleurs, des massacres, et Ultear derrière qui m’exhortait, la voix folle, plus possédée et plus meurtrière que l’esprit de Zeleph lui-même, avec des yeux qui viraient au rouge et sans pupille et ses traits qui se déformaient toujours plus dans la démence, l’incitant à planter des lames dans un corps qui se révélait sien et qui exsudait du sang et qui…
…Je ne tirais pas.
La magie disparut.
Derrière moi, Ultear manqua trébucher sur un corps.
-Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?! dégobilla la femme-démon dont les traits se brouillaient avec ceux de la mère.
Tu es folle ?!! Tu veux nous faire prendre ?Je contemplais ses mains, muette.
Immobile dans une bataille qu’ils venaient de gagner et à la fois de perdre, juchées sur les corps de soldats fixes comme la pierre et avec pour seuls opposants un crapaud groggy et un gamin en sueur.
Puis, le glas des renforts. La sonnerie d’alarme dans toute sa magnificence.
-COURS !!!Le gamin me regarda comme si j'étais folle.
Je lui rendis son regard.
Et puis soudain, je vis les chaines qui trainaient à la suite d’Ultear, encore reliées aux chevilles du conseiller déchu, tintant de vérité.
Je m’animais.
Courus.
Jusqu’au couloir.
La porte d’entrée se pulvérisa.
Je me jetais, à la suite d’Ultear, par la première fenêtre dont les barreaux avaient fait naufrage dans leur entrée fracassante. Elle était au ras du sol, mais elle était dehors, à suivre la traînée sanguinolente des chevilles de Jellal.
Les renforts se précipitèrent par les portes brisées.
Trop tard.
La prison était déjà vide.
Une arcane de temps plus tard, les nous avions disparu.