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L'Envie et Le courage
 MessageSujet: L'Envie et Le courage    L'Envie et Le courage  EmptyDim 30 Juin - 10:24

Oméa K. Shizuka
Oméa K. Shizuka

Ajatar Virke

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Se souvenir ranime seulement... vouloir se souvenir détruit.
PV No one ♪



Je franchis le pas de la porte. Le capuchon rabattu sur ma tête et le long manteau noir dissimule le sourire qui s’est peint sur mon visage. L’église est vide. Pas un prêtre, pas un témoin. Juste l’autel, les statuts de plâtre sordide de femmes nues et moi. Je m’avance tranquillement dans l’allée. Je ne sais même plus pourquoi je suis là. Une envie, me souffle une petite voix sournoise dans un recoin de mon esprit. Je n’y crois pas une seconde. Je trouve les églises austères et guère accueillantes alors pourquoi m’y risquerais-je par envie ? Une plaisanterie de mauvais goût. Voilà à quoi se résume cette action étrange dictée par la curiosité.

J’effleure l’un des bancs du bout des doigts, pensive. Pourquoi est-ce que c’était vide ? Où se trouvaient les gens qui animaient les lieux ? Où était donc le curé ennuyeux qui chantait ses psaumes d’une voix fervente ? Et la bonne sœur de permanence qui souriait doucement en écoutant les confessions et doléances ? Le bruit de mes talons qui claque trouble le silence de mort des lieux. Maigre son de vie dans cette bâtisse immobile aux murs stériles. Je retire mon capuchon et tourne sur moi-même, les yeux fixés sur le plafond. Les voûtes semblait à elles seules constituer l’ornement de toute la nef. Les peintures aux couleurs à demi fanées par le temps et leur scène toute plus farfelues les unes que les autres conservaient au moins le mérite du talent déployé à les ébaucher sur la pierre nue.

Je me déchausse, refusant d’être la source d’un bruit sec, discordant dans cette atmosphère statique d’un temps lointain. Mon manteau ne tarde pas à rejoindre mes bottes sur un des bancs, dévoilant une tenue de voyage des plus normales. Je continue sur ma lancée, posant bientôt mes deux mains sur l’autel de pierre noire aux décors d’argent. Je ferme doucement les yeux en respirant cette odeur propre aux choses anciennes qu’on vient de mettre à jour après des années d’enfermement. Je me sens bien. J’ai pour la première fois de ma vie l’impression d’être chez moi. Un sourire triste passe furtivement sur mon visage alors que j’observe mon reflet dans la pierre miroir. J’ai changé. La petite fille stupide est devenue adolescente débile puis semi adulte ahurie. Elle est belle la Shizu’ tient. Elle a beaucoup de chose. Du sang sur les mains, des morts sur les bras… Elle a presque tout sauf le plus important. Les souvenirs d’un chez soi.

« Si tu veux réellement les retrouver, tu peux me le demander »

Je sursaute. Je ne m’attendais pas à être observée, et encore moins par le détenteur de cette voix de ténor aux notes basses et enjôleuses. Je sens la main de l’homme se poser délicatement sur mon épaule et me forcer à pivoter face à lui. Mes yeux verts se lève vers le blond à la mine lointaine qui me domine de toute sa hauteur. Sa main libre chasse gentiment la larme qui m’avait échappé à l’évocation du vide qui entourait le temps avant Sylva. Les cinq ans de trous de ma mémoire et le seul indice qui en découlait, gravé sur ma hanche. Une cicatrice de serpent qui se mord la queue, laissée par un fer à marquer le bétail. Ouroboros de l’esclavage. Un doigt se posa sur ma tempe.

« Hé bien, hé bien. L’Envie contient parfois ce qu’on cherche. Alors ? Quel est ton rêve jeune enfant ?
- Je veux… »

Ma voix se suspend, interdite, alors que mes sens de tueuse me rappellent à l’ordre. Les chaines glacées qui m’entourent les chevilles m’empêchent de m’écarter. J’avais un instant de retard. Un instant qui risquait de m’être fatal. Pourtant, mon interlocuteur ne bougea pas d’un iota. Il n’esquissa pas la moindre contrariété ni même le plus simple agacement quand je tire sur les chainons.

« Quel est ton envie Oméa ? Dis la moi et je l’exaucerais contre ton âme. »

Han le goujat… Il avait foutu en l’air toute son approche subtile avec une voix un brin trop désireuse de posséder mes rêves. Les yeux désintéressés étaient devenu des soleils miniatures avides de posséder. Et cette tournure de phrase… Un démon, à n’en plus douter. Un démon suffisamment passionné pour se faire emporter par ses pulsions avant de nuire à celui qui avait été l’objet de sa jalousie. Je cligne des yeux devant cet enfant appâté par la sucrerie crédule que je suis. Le septième péché. L’Envie du Léviathan.

« Je peux te rendre ses cinq ans de vide si c’est ce que tu désires, mais tu devras me donner autre chose en échange. Si tu négociais…
- Mon âme est partie depuis belle lurette. Je ne confierais pas ma vie à quelqu’un comme toi. Je n’ai rien à t’offrir.
- Tes souvenirs… si précieux souvenirs d’enfances… »

Le doute m’assaille. Je veux savoir. Chacune des fibres de mon corps m’ordonne de lutter mais c’est ma volonté qui domine. Ma volonté berné qui voit un rêve enfermé sous clé sur le point d’être offert par un démon des enfers en personne.

« Je peux te les rendre. Je peux aussi te donner ton vrai rêve et réaliser tes désirs les plus fous. »

La tentation. La conviction. Les deux s’allient sournoisement sous mes yeux pour m’obliger à faire la bêtise de signer ce contrat empoisonné.

« Quel est ton prix ? »

Le démon sourit. Il a gagné. Seulement, il ne sait pas que je peux toujours refuser le prix à payer. Je sens mes poignets se faire doucement étreindre par le métal glacé des menottes alors que je bascule doucement en arrière pour finir allongée sur l’autel de pierre sombre qui m’avait servi d’appuis jusqu’à maintenant. Je remarque du coin de l’œil les écailles sèches du démon aquatique qui me tourne autour.

« Oublie-les. Sylva, Bastian… Oublie donc ses sombres humains. Reprend une nouvelle voie tracée par mes soins à mes côtés en temps qu’épouse. »

Je manque de m’étrangler. Le prix était trop élevé. Mais que pouvais-je lui dire ? Je voulais avant tout mes souvenirs mais je ne voulais pas non plus perdre mon but. Cette petite chose si fragile qui faisait que je me levais le matin pour aller travailler ou encore qui me donnait le courage de ne jamais renoncer quand toute mes voies de fuites étaient bloquées. Ainsi c’était dont ça… Mes maîtres. Mes espoirs et mes gardes fous. Surement les deux seules personnes qui pourraient m’arrêter si je décidais de tout massacrer. Alors c’était ça le prix de l’envie. Vivre sans rêve et errer ou vivre sans passé et se battre. Mes yeux se perdent dans le plafond alors que le démon continue son charme. Il veut. Il jalouse. Il détruit.

« Dis-moi quel est ton désir et je me plierais en quatre pour te l’apporter , me souffla-t-il doucement dans l’oreille. Laisse-moi de l’offrir et en échange devient mienne… »

Je ne sais plus ce que je suis sensée faire. Dois-je me battre ? Dois-je accepter sans broncher ? Est-ce donc ça le fameux destin dont Sylva me rabâchait les oreilles ? Un sourire las se dessine sur mon visage. Valent-ils vraiment mes cinq ans de black-out ? J’avais un doute. Un très gros doute. Un satané doute bien trop gros pour être ignoré. Le Léviathan avait toutefois proposé une chose intéressante. Mais il y avait aussi une question. Allez Oméa. Ne soit pas blonde et conne pour une fois. Montre-moi que tu peux être bien plus que ça…

« Ce que je désire plus que tout… »

L’Envie sourit. Le contrat semblait dans sa poche. Mais non. Ce n’était pas fini. C’était très loin d’être fini. Je vois son regard pendu à mes lèvres. Il est prêt à boire mes paroles. Je dois devenir sienne dans tous les cas. Mais on a le choix. On a toujours le choix de contrôler ce qui nous atteindra.

« Je désire que tu deviennes mon arme. Je veux que tu sois mon ultime péché dans mon arsenal. Et en échange…
- En échange ?
- Je resterais à tes côtés le jour où mon rôle ici sera terminé. »

Le visage du Léviathan changea de couleur. Blanc, vert, cramoisie, rouge… Toute la palette lui refit le portrait alors que les chaines chauffaient. Un contrat déloyal. C’était ce qu’il m’avait proposé. C’était maintenant mon tour de jouer. Et j’avais vraisemblablement touché juste vu sa réaction. Haine, désir, amour, mépris… Tout se mélangeait sur sa face écaillée comme la peinture du plafond au-dessus de moi. La chaleur du métal me mordit les chevilles et les poignets. Mais je m’en foutais. Je l’avais plumé. Il était à moi et il savait. Un sourire vaguement soulagé se dessina sur mes lèvres. J’avais gagné contre l’enfer. J’allais bientôt pouvoir retourner voir Satan le cœur tranquille. Mais à mon insu, j'avais fait mon premier pas sur la voie des Vertus.



   
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