Ma prochaine destination était la ville de Kunnugi, où un groupe de bandits armés et aptes à utiliser la magie sévissait.
D'après les villageois, toutes les personnes qui s'étaient éloignées de la ville elle-même avaient été retrouvées mortes, vivantes ou bien encore n'avaient pas été retrouvées du tout. Il manquait maris, femmes autant qu'enfants, car ces derniers n'étaient pas épargnés par ces brigands de grand chemin. Toucher à un adulte était une chose, mais toucher à un enfant en était une autre. Moi-même avais failli mourir entre les mains de personnes malveillantes, et mon frère y avait lui, laissé la vie. Alors j'imaginais très bien ce que ressentaient ces petits, car je l'avais vécu, je l'avais ressenti et je savais les traces que cela laissait quand on ressortait d'entre les mains de la mort. Encore aujourd'hui je repensais à ce jour qui avait changé ma vie, à ce qui avait évanoui ma voix, et ce qui m'avait coupé les nuits par d'horribles cauchemars incessants. Je ne laisserais personne vivre l'enfer qui avait été mien. Car oublier était une chose difficile, quasiment impossible. J'essayais d'avancer puisque ce fait n'était pas disponible ; celui d' « oublier ».

J'avais déjà ma petite idée sur la manière dont j'allais procéder. Aquarelle et Yuki étaient en danger s'ils venaient avec moi, ils étaient des biens exploitables pour les brigands ou bien encore une source de nourriture ; je les avais donc laissé aux villageois le temps de ma mission.
Marchant sur la route en direction de la forêt, faisant mine d'être une jeune fille tout ce qu'il y avait de plus inoffensive, je cueillais les fleurs que je rencontrais sur mon passage.
Mon plan ? Ils allaient me prendre pour une villageoise inconsciente, allaient me dépouiller, et peut-être même essayer de me tuer. Un petit combat, -que j'allais gagner-, des questions, et hop ! C'était dans la poche, je trouverais le repère de ces méchants-vilains-pas-beaux.

Mais à vrai dire, je n'avais pas prévu ce qui se passa ensuite... Un groupe d'une dizaine d'homme m'attrapa. Pendant que la plupart me tenait, l'un d'entre eux abattit une énorme bouteille en verre sur ma tête. Elle explosa à la rencontre de mon crâne, et je tombai dans les paumes. Ce n'était peut-être pas plus mal ? Ainsi je me retrouvais, sans chercher, dans leur planque.

Saucissonée avec un cordage brun, je repris peu à peu conscience. Ma tête me brûlait, j'avais l'impression d'avoir passée une semaine d'insomnie. Des abeilles bourdonnaient dans mes oreilles, m'empêchant d'entendre ce qui se passait alentour. Les bruits étaient incompréhensibles, tel un brouhahas très lointain. Mes yeux voyaient flous, à moitié fermés, les paupières trop lourdes pour rester entièrement ouvertes.
Quelques heures passèrent.
Impossible de connaître l'heure qu'il était, d'ailleurs.
La pièce dans laquelle je me trouvais était très peu éclairée et ce par une lumière provenant d'une lampe à huile dont la flamme rétrécissait. Je me sentais moins étourdie, et, même si ma tête me faisait toujours souffrir, mes yeux -eux- y voyaient clairs et mon ouïe était revenue à la normal. Je sentais comme une odeur d'humidité et l'air ambiant était quelque peu acide, me brûlant les narines. Ma gorge, elle, était sèche. Malgré tout, je ne me plains pas et ne fis aucun bruit attestant mon réveil ni ma présence.

« C'est une mage légale. » cracha alors une voix de jeune homme.
« De quelle guilde ? » demanda une femme.
« Je n'en suis pas sûre, mais notre taupe nous a parlé d'Angel's Sky. » répondit le même homme.

Il y avait donc un infiltré dans le village, qui les avait prévenu de mon arrivée. Voilà pourquoi ils avaient su où me trouver et m'avaient attrapé par surprise. Je serais plus prudente à l'avenir.

« Je crois qu'elle est réveillée » sortit alors une voix de nul part.

La femme, je la reconnus car ce furent des chaussures à talons qui résonnèrent sur le sol, s'approcha lentement jusqu'à moi. Elle leva ma tête et m'obligea à ouvrir les yeux. Elle planta ses pupilles cramoisies intensément dans les miennes et souris avec un air sadique. Elle finit par me cracher au visage et me lâcha brutalement. Je n'usai pas de magie pour garder un effet surprise sur ce que j'étais capable de faire. J'avais envie de sourire à cette idée, mais je ne le fis pas. Je devais me retenir.

J'attendis quelques temps que de nouvelles personnes surgissent dans le bâtiment noir. Était-ce une simple cabane, une maison, une grotte ou autres choses encore ? Impossible de le dire tant que mes yeux ne s'habituaient pas complètement à cette obscurité.

Une bonne heure passa, durant laquelle ils tentèrent de m'interroger.

« Tu vois bien qu'elle ne parle pas. »
« Tu as donné ta langue au chat donc ? Je serais toi, je nous dirai ce en quoi consiste ta mission. » continua la femme, présentant un couteau tout en tirant ma langue qu'elle tenait fermement entre son pouce et son index.

Elle était prête à me la couper, une seule goutte de sang coula, lorsque les acolytes des personnes présentes entrèrent. Je pus voir le lieu, une piètre cabane composée de deux pièces délabrées pleine de poussière. Pourtant il y avait un ballet. Mais ça n'empêchait pas le ménage de ne pas être fait...
Les hommes laissèrent la porte ouverte, nous offrant un minimum de visibilité.

« Il n'y a personne à part elle, mademoiselle, et aucun villageois ne sort. Ils restent dans le village, ils doivent attendre son retour pour se remettre à leur quotidien. »

Elle tourna de nouveau sa tête vers moi, ses cheveux me giflèrent le visage par la même occasion.

« Tu nous embêtes bien, tu sais ? »

Et elle caressa ma joue dans laquelle elle planta légèrement et doucement son couteau. Au lieu de crier ou autres, j'exerçai une pression dans le sens inverse sur l'arme blanche, qui partit valser au loin. Par la pensée, je défis les liens qui m'emprisonnaient et prenais le contrôle du couteau de la femme ainsi que de mes deux dagues cachées sur le côté de mes chaussures. Les trois lames vinrent se placer de part et d'autres de la jugulaire féminine.

« Vous êtes une lâche dans l'incapacité de se battre, qui prend par derrière son ennemi en l’assommant et qui l'attache pour vous en mettre à l'abri. Vous vous cachez dans la pénombre et n'osez même pas entrer dans un village, attendant comme un vautour que vos victimes sortent à découvert ! »

Cette fois-ci, je l'avais énervée. Elle se mit à rire et attrapa fermement d'une main le couteau qu'elle rencontra le premier. A la vue du sang qui coula de sa paume, je restai impassible même si au fond de moi j'étais stupéfaite. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle ait une telle réaction, je devais l'admettre. Le sang qui coula de sa main droite se mit alors à trembler inexplicablement. De la magie ? Oui.
Alors que le liquide écarlate continuait de couler, il doublait et triplait de volume par lui-même.

« Tu apprendras par toi-même petite que les armes ne sont pas un problème pour moi, au contraire, fit-elle en souriant avec arrogance. Par les blessures qu'elles m'infligent naît ma magie... »

Un monstre s'éleva alors de la flaque de sang frémissante, un singe haut de plus de deux mètres leva alors son poing vers moi. J'esquivai quelques secondes en retard et quelques gouttes de sang qui le composait s'abattirent sur ma cheville droite. Là où son poing frappa, le mur de la maisonnette explosa, provoquant un nuage de fumée à cause de la poussière de cette maison mal entretenue. Pour faire diversion et prendre un peu d'avance, je continuai de faire voler par mes pensées les milliers de petits grains de poussière, ainsi, j'ôtais un peu plus longtemps la visibilité de mes adversaires.

« Elle est à moi... ! » résonna la voix féminine, intimant ainsi à ses équipiers de ne rien faire.

Le sang qui m'était coulé sur la cheville commença alors à me faire souffrir. Il pétilla et entailla ma cheville. Je ne pus m'empêcher de faire la grimace.

« Et oui... Mon sang est corrosif, c'est pourquoi tu as fait la grossière erreur d'utiliser une arme contre moi... » fit elle en sortant du nuage poussiéreux, dévoilant peu à peu sa silhouette.

Deux tresses composaient ses cheveux grisées et entouraient son visage angélique. Pourtant, elle était loin de l'être. Ici, le seul ange, c'était moi. J'allais faire honneur à ma guilde. Exerçant une pression sur les molécules d'air entourant ma cheville, je fis valser le sang qui me brûlait la peau.

« Tu ne m'impressionnes pas. Et ton gorille écarlate non plus. Il faudra plus que ça pour ne serait-ce qu'espérer me battre. »

Ses lèvres s'étirèrent tandis qu'elle me regardait avec des yeux plissés.

« Ta tête me dit quelque chose. Tu ne serais pas... Suzu ? Suzu, l'enfant sans parole ? » Elle se mit à rire. « A croire que le chat t'a rendu ta langue... Je vais te la reprendre !! »

Alors que ses yeux étaient devenus énormes, son visage, lui, puait le sadisme. Elle se jeta sur moi à corps perdu, sortant un sabre de son fourreau. Sa lame virevoltait tandis que le singe tentait de me frapper, joignant ses poings l'un contre l'autre. Mes lames vinrent alors à mon secours, après quelques bonnes minutes durant lesquelles je les avais cherchées. J'avais beau les enfoncer dans n'importe quelle partie du singe, soit elles passaient à travers, soit le sang s'écartait pour les laisser passer. Et, lorsque je tentais de toucher la jeune femme, elle paraît mes coups. Je n'étais pas très forte à l'épée, même si je savais me débrouiller avec mes deux dagues en mains. Aussi, j'avais deux ennemis contre moi. Je ne savais pas par lequel commençait. Si je me concentrais sur l'un, l'autre prenait l'avantage et inversement. Si je mettais K.O. La jeune femme, son bonobo le serait aussi, mais il protégeait sans relâche sa créatrice. J'avais beau esquiver chacune de leurs attaques, quelque gouttes de sang m'atteignaient sur diverses parties de mon corps, faisant s'échapper de minuscules liasses de fumée là où elles m'avaient percuté. Je savais qu'à ce rythme là, je ne tiendrais pas longtemps. Alors que nous nous séparions à quelques mètres de distance, je remarquai enfin que nous n'étions plus dans la maisonnette mais dans la forêt. Malgré que je sois égratignée et plus fatiguée que mon adversaire qui, elle, ne haletait même pas; j'avais désormais plus de chance de sortir vainqueur de ce combat. Ici au moins, j'avais l'espace pour me déplacer et des objets à contrôler. Reprenant mon souffle rapidement, les yeux fermés, je les rouvrais plus déterminée.

« Prépare-toi à connaître la douleur d'une défaite cuisante... » me fit-elle.
« Même pas en rêve, tu ne peux pas battre un ange alors que tu es un démon. » lui répondis-je le plus naturellement possible.
« Alors si je te bats... Tu me dis combien de mages compose ta guilde... Et si toi tu me bats... Je te révélerai un petit secret... ». Ses yeux étaient emplis de malice.

Fronçant les sourcils, je me posai la question de ce que pouvait vouloir signifier cet arrangement.

« J'accepte. »

Et sur ces mots, je disparus. La femme me chercha des yeux, son gorille grogna. Je m'étais volatilisée. La forêt regorgeait d'arbres, c'était un bon endroit pour jouer à cache-cache. Elle épiait chaque bruit, chaque mouvement. Mais elle ne me vit pas frapper.
J'arrivai à grande vitesse vers elle et la percutai de plein fouet dans le dos, l'envoyant valser plus loin. Récupérant mes lames à deux mains, je continuai d'attaquer, mais la femme fit vite volte-face et para chacun de mes coups. Son gorille se jeta sur moi. Aussi, j'en profitai pour m'écarter au dernier moment.

« Tu n'es pas très intelligente... » lui fis-je.

Son gorille ayant un sang corrosif, je me doutais qu'il y soit elle aussi vulnérable lorsque c'était à grosse quantité. Durant tout le combat, elle s'était positionnée le plus loin possible de lui. Enfin... elle avait essayé de ne pas rentrer en contact avec lui. Ce n'était pas son sang qui était corrosif, c'était son sang changé en ce qu'elle souhaitait qui devenait corrosif.

« Ce que tu crées avec ton sang n'a pas de volonté propre. Il obéit juste à une règle, qui est de te protéger, coûte que coûte. Il n'est pas rattaché à toi, ta volonté n'a aucun effet sur lui. C'est la faiblesse de ton pouvoir je présume. »

Il n'avait pas de volonté. Ce qui voulait dire que je pouvais aisément prendre possession de lui... Enfin, je veux dire, le contrôler par la seule force de mes pensées. Alors qu'il tenta de me frapper, son poing se figea et explosa en des milliers de goûtes de sang, qui ne m'atteinrent pas : je repoussais tout ce qui tentait de m'approcher à moins d'un mètre ; en revanche la femme reçut deux tiers de ses gouttes. Elle se retint de hurler. J'en profitai pour tenir le monstre à distance en le maintenant figé. Puis j'attaquai la femme, exerçant une pression sur moi-même allant vers elle pour augmenter ma vitesse d'impact. Arrivée sur elle, un coup de pied dans le ventre l'envoya valser. Mais ce n'était pas fini, je l'attrapai par le col et la jetai dans les airs, la récupérant au vol pour l'emmener plus haut et la rejeter à chaque fois qu'elle tentait de me donner un coup de sabre. Lorsque nous fumes dans les environs de cent cinquante mètre au dessus de sol, je la lâchai et la laissai partir en chute libre, exerçant une pression du haut vers le bas, augmentant sa vitesse comme je l'avais fait avec moi-même un peu plus tôt. Elle s'écrasa inerte sur le sol et resta ainsi pendant plusieurs dizaines de secondes. Elle tenta ensuite de se relever, essayant de prendre appuie sur son bras flageolant et tremblant. Son singe disparut alors en une flaque de sang écarlate qui explosa, tâchant le tronc des arbres et maculant le sol. Fatiguée, je redescendis sur la terre ferme où je tombai à genoux. J'avais utilisé beaucoup de magie dans mes attaques, et j'étais au bord de l'évanouissement. La femme se mit à rire nerveusement, tombant au sol comme un sac à patate trop lourd. Son air sadique ne l'avait néanmoins pas quitté et ses yeux devenus globuleux par la colère me fixaient en divaguant.

« Tu as peut-être gagnée, fit-elle, mais tu ne nous auras pas ! Mon secret... c'est que les anges n'ont qu'à bien se tenir ! »

Elle disparut alors, ses acolytes aussi. Ils n'étaient qu'invisibles, je sentais leur présence et en fermant les yeux, je les voyais qui s'activaient à relever leur maîtresse. L'un d'entre eux s'approcha de moi.

« Tu as mis en colère la mauvaise personne. Tu as de la chance qu'elle ne nous ordonne pas de te tuer, gamine ! »

Puis ils disparurent tous, cachés par cette capacité que la jeune femme avait et qui était sûrement sa dernière source de magie possible et qu'elle était alors dans la capacité d'utiliser. Mon corps rencontra le sol frais et terreux. Je tombais dans les paumes, ayant trop abusée de mon pouvoir. J'avais tenu jusqu'à la dernière seconde, et la fatigue s'était faite sentir après...
Lorsque je me réveillai, je me trouvais dans une des bâtisses du village, dans un lit avec des vêtements propres. Mon corps criait famine. Les villageois, s'inquiétant pour ma sécurité puisque j'étais partie depuis deux jours déjà, s'étaient empressés de venir en troupe dans la forêt pour me rechercher. Ils m'avaient trouvé étalée sur le sol et m'avais ramené. Ils avaient soigné mes blessures et j'ai quitté quelques jours plus tard toutes ces personnes pour me rendre sur Angel's Sky. J'avais eu vent que le maître organisait un tournoi pour désigner la guilde la plus forte de Fiore. Je comptais y prendre part. Je m'étais prouvée à moi-même aujourd'hui que j'étais plus forte qu'avant. Et je comptais le prouver à Miku, à Atios, au maître, à tous... qu'ils pouvaient compter sur moi et que je ne me laisserais plus jamais faire... Une nouvelle page était tournée.