La soirée se déroulait comme sur des roulettes. Les serveurs du Halfcocor virevoltaient sur la piste. Les convives discutant, dansant, buvant sous le regard acéré de la jeune aigle. Celle-ci attendait tranquillement avec son verre d’alcool à la main. Sa proie de ce soir ? Un homme. Quel était sa faute ? Celle d’être le Don Juan de ses dames. Les commanditaires avaient été on ne peut plus clair avec la mage. Elles voulaient à tout prix qu’on le retrouve et qu’on le coince. Ce qui l’avait fait le plus réagir dans cette histoire, c’était tous les témoignages. Toutes ses jeunes filles qui avaient subi sans pouvoir contre attaquer. Quand elles avaient évoqué la récompense, la mage d’Eagle’s Claw avait catégoriquement refusé.

- Je ne travaille pas pour l’argent.

Plus vraisemblablement, elle était sur le coup pour une autre raison. Plus personnelle cette fois. L’indic qui avait vendu ses compagnons ressemblait à la description donnée dans la mission. Et elle avait comme qui dirait un compte à régler avec lui. Elle porta son verre à ses lèvres et but sans se détacher des invités. La Kashu soupira et s’accouda à la rambarde de l’escalier où elle avait établi son observatoire. Sa robe blanche ondula doucement alors qu’un courant d’air se faisait sentir dans son dos. Misto ne bougea pas et écouta le souffle de l’homme.

Il était serein et en bonne santé. Sûr de lui et attentif à ses réactions. L’adolescente fit tourner son liquide dans son verre sans bouger. Elle n’était pas intéressée et n’avait pas besoin d’être distraite. L’inconnu s’accouda près d’elle après un long moment, histoire de lui faire comprendre qu’il ne lâcherait pas l’affaire. La jeune aigle réprima un soupir et changea de tactique.

- Que puis-je pour vous monsieur ? fit-elle les yeux rivés sur une des invitées qui venait de bondir du bar au grand dam du barman.
- Vous voir ainsi seule et sans cavalier m’attriste.
Un dragueur du dimanche. Mon dieu.
Asulf ? Où en es-tu dehors ?
J’ai rien trouvé. La dèche la plus totale.
- La solitude me convient. Je n’aime pas la foule de toute façon.
- C’est du gâchis avec votre joli minois. Vous avez largement de quoi charmer le prince de vos rêves qui danse en bas.

Un sourire naquit sur le visage de l’adolescente. Si seulement il savait …

- Je n’ai pas de prince et je n’en aurais jamais je pense.
- Puis-je vous montrer que vous vous trompez ?

Misto sentit la poigne du jeune homme (si son timbre de voix ne la trompait pas) sur son bras alors qu’elle pivotait sans son accord. Il l’attira près de lui sans vraiment se coller et déposa sa main libre sur son menton pour la forcée à le regarder. La mage put ainsi profiter de sa tête de taupe mal léchée, boutonneuse de partout et binoclarde à souhait. Elle réagit au quart de tour et lui colla sa main dans le visage.

- Je ne me trompe pas et vous n’êtes pas du tout celui qui m’intéresse alors disparaissez.

Il tenta de se défendre mais elle l’arrêta d’un geste. Ses yeux se posèrent brièvement sur un couple qui sortait de la soirée. Une très jeune et jolie demoiselle accompagnée d’un homme qui avait l’air tout à fait respectable. Enfin si on oubliait l’espèce de pressentiment qui se dégageait de lui. Un peu comme s’il était inquiété.

- Il n’y a pas de raison que je vous écoute. Vous m’ennuyez profondément et me rappelez pourquoi je déteste ce genre de fête.

Misto posa son verre sur la rambarde et prend appuis sur celle-ci. Elle planta là l’homme et sauta en bas, au milieu de la foule pour suivre le duo qui lui paraissait louche. Elle joua des coudes pour se faufiler jusqu’à la sortie et appela silencieusement Asulf.

Je les ai perdu.
De qui tu parles ?

Un cri l’empêcha de poursuivre sa discussion interne. La Kashu tourna vivement la tête dans la direction du bruit et s’élança. Sur le chemin, elle retrouva l’esprit qui portait ses armes. Elle les enfila sans s’arrêter, inquiète de la tournure que prenaient les évènements. Elle ne devait pas le laisser recommencer.

Une ruelle étroite et sombre dissimula le couple et l’endroit d’où provenait le cri. Un cri sinistre de terreur. Deux corps dans un face à face artificiel. L’un semble joyeux et l’autre reste immobile et sans réaction. Misto se met en garde et élève la voix. Elle vient sans doute de trouver leur homme. Elle se dirige à pas de loup vers les deux tourtereaux. Dissimulée dans l’ombre, elle se manifesta alors.

- Si j’étais vous je la lâcherais avant de commettre une erreur. N’est-ce pas monsieur ?

- En effet cela n’en ai pas une mais je crains de ne pas pouvoir te le laisser.

Elle fit signe à Asulf de s’avancer vers l’homme pour s’assurer qu’il ne tenterait rien de désespéré et s’occupa de la victime. Elle semblait traumatisée mais en bonne santé. Elles étaient arrivées juste à temps.

- Misto Shida, mage d’Eagle’s Claw. Cet homme est ma proie de ce soir et mes employeurs le veulent entier. Alors rassure toi, il n’est pas près de nuire à nouveau.

L’esprit renifla l’homme et fronça le nez. Il n’en était pas à sa première victime de la soirée. Le loup afficha une mine dégoutée. La Kashu se rapprocha de l’inconnue tranquillement quand un mouvement sur sa droite attira son attention. Son fleuret quitta son fourreau et para le couteau alors que les yeux de la jeune demoiselle croisaient ceux du pervers. Asulf s’élança aussitôt et lui sauta à la gorge pour l’éloigner des deux jeunes femmes. Il lui montra un sourire carnassier.

- Tu t’es trompé de cible mon vieux. Tant que je serais là, tu ne les toucheras pas.

Misto soupira en voyant l’homme se débattre comme un beau diable pour se relever. Il ne semblait pas avoir compris qu’il n’irait nulle part. La jeune fille sortit son second fleuret et s’approcha du pervers. Elle déposa la lame vibrante du poison violet de Runi sur son cou.

- J’ai comme l’impression que tu as besoin d’une bonne leçon. Les demoiselles qui m’ont engagée veulent que je te ramène à elle mais elles n’ont pas précisé dans quel état …

Elle le sentit tressaillir. Au moins il n’était pas stupide, il comprenait où elle souhaitait en venir. Il se mit à la supplier alors qu’elle relevait sa lame et rengainait Rolf pour prendre Runi à deux mains. Elle traça un trait sur sa joue avec son fleuret empoisonné.

- Maintenant tu vas souffrir tout le long de leur vengeance. Après tout, qui de plus apte à juger que les victimes elles-mêmes ?

Il lâcha un gémissement apeuré et Asulf claqua des mâchoires pour l’empêcher de se lever.

- Rassure-toi, je m’assurerais que la milice te trouve vivant. Ôtez la vie c’est moche. Même si ça concerne une vermine comme toi.

Elle agrandit son trait et attendit que les effets du poison ne se fassent ressentir. Elle rengaina sa rapière et écouta silencieusement le ronflement de sa proie. Un vague sentiment de facilité submergea la jeune femme mais elle n’en tira aucun orgueil. Juste une impression de perdre son temps pour rien. Misto se tourna vers l’inconnue.

- Etant donné que je n’étais pas seule sur le coup, autant que tu viennes avec moi. Il y a une forte récompense pour cet hurluberlu alors autant que tu la reçoives. Tu as été la première à agir après tout, sourit-elle en attrapant le pervers par le col de sa chemise et en le trainant par terre. Le point de rendez-vous est par là.

Elle lui désigna la route qui menait à la place en l'invitant à ce joindre à elle. Sur le chemin, elle crût même bon d'ajouter deux trois mots. Elle jugeait cette personne plutôt intéressante malgré le peu d'information qu'elle en avait. Une sorte de souveraineté féminine se dégageait d'elle. Une vague impression de force également.

- Dis-moi, que faisais-tu seule comme ça ? Tu n'as pas de guilde ? Les temps sont dangereux pour un mage seul. Surtout quand celui-ci est une femme. Non pas que tu ne paraisse pas en mesure de te défendre, bien au contraire. Disons simplement que je trouve curieux que tu n'es pas de compagnon de route...

Misto jeta l’homme sur les pavés. Les jeunes femmes qui avaient engagé la Kashu se regroupèrent autour d’elle comme une volée d’étourneau. Elles étaient toutes armées, leur attirail passant du rouleau à pâtisserie pour aller jusqu’à la planche de bois. Misto distingua un vague éclat rutilant dans la lumière. Un couteau vraisemblablement. L’adolescente posa sa botte sur le dos de l’homme et les arrêta d’un geste alors qu’elle s’approchait.

- Restez raisonnable mes dames. Ne vous faites pas du tort pour ça. Il n’en vaut clairement pas la peine. Avant de vous le laisser, je vous demanderais juste une chose. Remettez-moi les couteaux. Je ne veux pas de meurtre en ma présence.

Certaines s’approchèrent et tendirent les lames. La mage d’Eagle’s Claw les récupéra et leur livra le pervers qui venait tout juste de se réveiller. L’une des commanditaires lui jeta la récompense. L’adolescente hocha la tête, un mince sourire sur le visage.

- Amusez-vous bien !

Elle s’en alla rejoindre sa camarade à laquelle elle jeta la bourse de Jewels. S’adossant au mur, elle posa les yeux sur la ruée qui lapidait le pauvre homme. Elle allait rester jusqu’à la fin de cette histoire pour être sûre qu’il ne s’enfuirait ni qu’il ne trépasserait.

- Parlons affaire toute les deux.

Un bruit de poêle qui heurte un crâne. Puis d’un rouleau. Pauvre type. Elle aurait peut-être dû demander toute les armes avant de le lâcher dans leurs griffes… Asulf faisait le tour du cercle pour s’assurer qu’il ne partirait pas et pour le rattraper si cette charmante idée avait le temps de lui venir à l’esprit.

- Moi je peux te proposer une guilde qui voudra de toi. Mais toi, veux-tu d’Eagle’s Claw petit oiseau sans nom ?

Les femmes se déchainaient. On peut les comprendre. Le fait de se faire humilier leur rendait donnait la rancune tenace et la main généreuse. La jeune fille se demanda brièvement comment elle réagirait. Peut-être pareil en fait.

- A moins que tu n’es peur de voir comment vole un aigle ?

Elle décolla son dos du mur et fit signe à Asulf. Le loup vint se poser près d’elle en regardant Arkhana avec curiosité. Il la jaugea. Elle était plus vieille que Misto. Plus vieille mais moins forte curieusement. Il se demanda ce qui attirait sa jeune maîtresse à lui proposer de les rejoindre. Il attendit donc la réponse de la jeune femme, les yeux plissés, en se demandant si tout cela n’était pas qu’une vaste blague.

- Retrouve moi au pied des montagnes de fer de Jura dans deux jours si tu es intéressée.

Elle lui adressa un vague signe de la main et la planta là pour retourner chez elle. A la guilde. Avec ses frères d'armes tapageurs et surtout sa soeur qu'elle aimait tant. En chemin, elle s'interrogea sur le futur contenu de son épreuve. Elle n'allait pas essayer de la tuer comme à chaque fois. Non. Elle avait envie de changement mais seulement que faire ? Un vague sourire naquit sur son visage. Et si pour une fois l'épreuve n'était qu'un cauchemar ?