Comment ça deuxième mage d’Eagle’s qu’il sauve ? Il avait déjà croisé Nywell mais il l’avait sauvé en plus ? Misto reconsidéra le mage sous un nouveau jour. Sa défense avait été suicidaire. La jeune femme cherchait encore pour quelle raison il n’avait pas eu la colonne brisée. Elle en vint à la conclusion suivante en voyant les dégâts qu’il occasionnait. Un mode de renforcement physique surement mais cela ne se mariait pas vraiment avec la pistomancie non ? A moins que … Jerenn devait être fort. Très fort même. Elle s’empêcha de sursauter quand il la porta loin du cadavre et hocha la tête pour répondre à sa question.

- Prends ton temps pour récupérer, si j'ai pas activé le temple avec mon numéro, je vais certainement avec besoin de ton talent avec les âmes pour faire ce pourquoi je suis venu. Mais on a le temps alors te presse pas jeune fille.

La prochaine fois, préoccupes-toi de ta sécurité au lieu de la mienne surtout dans une situation comme ça, je suis un grand garçon qui a l'habitude de prendre toute sorte de coups mais merci quand même, c'est bien de penser aux autres aussi. M'enfin l'essentiel c'est d'être encore en vie après pour en parle et en rire.
- Tout le monde va bien c’est le principal. Donne-moi quelques minutes et approche toi s’il te plait Jerenn.

Elle attendit qu’il soit revenu, sa gourde à la main. Il n’avait vraisemblablement pas entendu sa dernière phrase puisqu’il se posa à l’écart pour la laisser en paix. La jeune femme soupira et tenta de se lever une nouvelle fois en surveillant son genou. Elle parvint à se mettre debout et marcha lentement en prenant son temps. Elle se posa juste à côté de lui et grogna en sentant la douleur. Posant sa main sur l’épaule du jeune homme, elle appela son pouvoir.

- Green Ether.

La brume verte s’échappa rapidement de la clochette et s’étala autour d’eux. Misto laissa Runolf grommeler à qui mieux mieux en regardant l’état de sa maitresse.

- Non mais franchement, qu’est ce qui te prend de courir comme un pingouin pendant la saison du givre ? Regarde-moi c’boulot… Manquer de finir en gruyère à cause d’une entorse ! Et puis l’autre là, y’a pas idée de se mettre dos à un machin pareil !

L’esprit se condensa près de Jerenn et le débarrassa rapidement des égratignures qu’il portait avant de se focaliser sur sa protégée. La totalité de la brume se concentra sur la jambe de la jeune femme. Le tatouage vert se fonça légèrement sur la peau clair, remontant jusqu’autour de l’œil. Les arabesques devaient lui donner une drôle de tête mais elle n’y prêta pas attention. La douleur qui résultat de la réparation des ligaments ne lui en laissa pas le temps. Heureusement pour elle, elle se dissipa quelques secondes après avec Runolf. Misto lâcha Jerenn et se leva doucement, encore méfiante.

- Normalement, le temple s’active quand tu es présent c’est ça ?

La demoiselle ferma les yeux et se campa sur ses pieds. Elle regarda la multitude d’âmes à l’intérieur de l’endroit et estima le nombre d’entre elles qui étaient fragmentés. Trop à son goût. La totalité en fait. Elle porta la main à l’un de ses ocarinas avant de se souvenir qu’elle ne devait pas les faire partir. Rouvrant les yeux, elle étudia la bâtisse en posant ses questions à Jerenn.

- Comment ça s’est déroulé dans le précédent ? Tu as activé quelque chose ? Les esprits se sont manifestés d’une façon particulière ?

Elle revint le voir et lui proposa de l’aider à se lever. Son regard se posa sur l’arme qu’il avait rangé peu de temps après. Elle écouta les explications et passa dans son dos lui emprunter le pistolet. Misto sonda l’objet avec une attention redoublée, cherchant un quelconque indice. Elle tiqua en visualisant le contenue de celui-ci.

- Je pense que la différence réside là-dedans, fit-elle en faisant mine de se positionner comme Jerenn lors du combat. Je m’explique : les âmes du temple sont fragmentées et celles du précédent devait être entière. Mais je ne vois pas le lien entre la pistomancie et les âmes. A moins que tu puisses les réunir ?

Misto demeurait tout de même perplexe. L'issue de l’énigme de ce sanctuaire lui échappait et les loups ne semblaient pas vouloir éclairer ses lanternes. Elle restait donc là, impuissante, a chercher une réponse qui ne venait pas. Peut être Jerenn aurait-il une idée qui l'aiguillerais ? Parce que sinon, ils étaient dans de beaux draps.

Les esprits se précipitaient vers Jerenn, dans un joyeux halo lumineux qui irradiait les sens de la jeune fille. Attentive, elle observa le phénomène de résonnance entre lui et eux. Tout se mouvait, s’organisait autour de la puissance qu’il dégageait. Comme une huitre autour d’une perle. La demoiselle se souvint des paroles du pistomancien et analysa son avancée par rapport à son descriptif. Méditation, ok. Rituel, en cours mais apparemment bloqué. Les esprits ne l’identifiaient donc pas immédiatement. Ce qui pourrait expliquer la latence du temple. Il ne restait plus qu’à en trouve la cause maintenant. Qu’est ce qui avait été assez puissant pour fragmentée autant d’âmes et un sanctuaire tout entier ?

Misto s’approcha de Jerenn. Sa main avait sorti distraitement l’ocarina de Radulf de son emplacement. Ses pas se firent dans un silence total, sa concentration entièrement concentrée sur ce qui se déroulait près d’elle. La Kashu franchit le premier cercle sans se poser de question, l’esprit tendu vers la réponse à sa grande question. La plante qu’ils avaient trouvée était certainement la clé de tous les problèmes. Cependant la jeune femme s’interrogeait. Elle ne connaissait qu’un seul monstre qui pouvait faire ça et ce n’était pas le bon profil. La fleur carnivore n’était pas la Wyvern tueuse d’âme de son clan. Elle s’assit, dos à dos avec son ainé, pour reprendre la déduction à sa racine.

- Si le premier temple était vide et complet, celui-là était parasité par l’espèce de bestiole que tu as pulvérisée et son contenu à surement été pompé par le dit nuisible. Autrement dit, nous avons, enfin surtout toi, éliminé un monstre qui aspire les âmes pour se nourrir. Il a vidé le sanctuaire de son énergie pour grossir et c’est attaqué aux esprits quand il n’a plus eu assez de nourriture. Je n’ai connu qu’un cas comme ça et celui-ci est loin et en vie. Du moins pour l’instant …

Enfin ce n’est pas vraiment la question. Le problème avec ton rituel n’est pas que le sanctuaire soit amorphe mais que tu n’es pas la totalité des âmes errantes. Voilà pourquoi elle ne te reconnaisse pas sans l’indicateur de ton aura.

C’était bien beau de lui expliquer ce qui clochait mais cela ne lui donnait pas le moyen de les lier à lui comme il semblait l’avoir fait auparavant. Misto fouilla dans ses capacités pour trouver un moyen comme un autre de rassembler les âmes pour le processus. Radulf pouvait le faire temporairement mais il y avait toujours la contrainte. Oui, celle des esprits incomplets. La jeune fille pouvait improviser la mélodie mais ça perdrai immédiatement sa propriété de lien et ferait capoter le sort en beauté. Avec un peu de malchance, l’âme se dissoudrait même complètement.

Dis-moi ma petite, il y a bien des esprits dans son troisième flingue ?
En effet oui. Une vingtaine je crois.
Il y a peut-être la mélodie que tu cherches à l’intérieur.
Si tu alignes fragment par fragment sur le pistolet et Jerenn, tu pourrais peut-être les récupérer en entier.
En cas de pépin, tout s’envolera Runi. Je doute qu’il apprécie.
Oui. Pas faux.

Curieuse de vérifier l’hypothèse du loup, elle serra ses mains sur la crosse de l’arme et se concentra exclusivement dessus. L’Uta ne se fit pas ressentir, la laissant renouveler l’expérience une nouvelle fois. Au bout du sixième essai, Misto perçut un mouvement fugace de début de mélodie. Elle se mordit la lèvre en entendant la multitude de note accordée entre elle. Trop d’âme au sein de l’objet pour faire un air les réunissant tous à la fois. Elle posa l’arme dans les mains de Jerenn et lui proposa sa dernière carte à double tranchant.

- J’ai un moyen pour peut-être réparer ce bazar mais pour ça, il va falloir agir de concert et risqué de n’avoir aucun résultat.

La Kashu se suspendit un instant avant de poursuivre.

- Je vais jouer ton âme et laisser les esprits autour de nous se matérialiser. Ton pistolet détient l’autre partie de leur souvenir et la plante à aspirer un autre morceau. Je peux récupérer les stigmates dans le premier mais pas dans l’autre. Ce qui fait que, vu que la mélodie est incomplète, je vais vous relier tous ensemble mais pendant un très court laps de temps. Tu n’auras plus qu’à reprendre le rituel en vitesse avant que je ne perde tout ce qui se trouve dans le sanctuaire.

Je tiens à préciser que malgré que ce soit une illusion, tout ce qui se passera pendant le sort sera réelle. Entaille comme égratignure. Je ne pourrais pas agir ou même interagir autrement qu’en faisant ma chanson jusqu’au bout mais ne t’en fait pas, les joyeux lurons que tu as vu tout à l’heure t’aideront. La seule nuance est qu’ils ne seront pas trois mais sept.

Elle laissa le silence s’installer alors qu’elle s’installait plus confortablement pour son concerto imprévu. Misto s’assura que Jerenn avait bien tout comprit avant de lui demander s’il était prêt à courir le risque. Sa réponse la fit sourire. Un vrai petit héro. Elle porta donc l’instrument à son visage et commença à souffler doucement l’ouverture de cette mélodie singulière qui mélangeait un bon millier d’âmes vibrant à l’unisson. Les yeux fermés, elle se noya sous la multitude, abandonnant son environnement pour suivre quelque chose qu’elle seule pouvait ressentir.

L’illusion se tissa lentement. Vraiment lentement, les projetant en douceur dans un lieu sombre peuplé de feuilles volantes dans les airs. Enfin, feuilles n’était pas le nom exact. Sur la surface de cette multitude de ramures se dessinait des dizaines, des centaines, des milliers de scènes différentes qui s’estompaient pour mieux renaitre la seconde d’après. Les loups apparurent un à un et se contentèrent d’entourer la jeune femme qui jouait, sans dire un mot. Assis en paix à observer, ils laissaient à Jerenn un patchwork de vert, roux, noir, blanc, brun, gris à dévisager. Les différents pistomanciens commençaient à se profiler dans l’obscurité quand l’un d’eux se décida à briser le calme.

- Tu sais gamin, si tu ne te bouges pas, tu vas perdre le trois quart de ce que tu vas voir incessamment sous peu.
- Runi, tu pourrais être un peu plus aimable non ? lui reprocha Rolf
- Radulf, c’est normal que tu es perdu le décor ? Parce que ton noir glauque ça fait un peu tâche …
- Je fais avec ce que j’ai. Moitié d’âme, moitié d’illusion.
- Bah. Au pire, on s’en fout, ça devrait pas survivre plus de cinq – six minutes. De quoi faire la vidange du sanctuaire avec le cow boy, trancha Henning.
- S’il se bouge oui. Parce que je ne veux pas être méchant mais, en plus d’être suicidaire, il est lent à réagir…

Runolf grommela et posa sa grosse tête sur l’épaule de Jerenn.

- Allez Lucky Luke, t’as du pain sur la planche !

Misto perdit conscience à l’instant où le sort se rompit. La totalité des loups disparurent de même que l’intégrité de l’illusion qui lui avait coûté une bonne partie de son énergie. Cependant, elle n’était pas totalement déconnectée de la réalité. Elle sentit la poigne d’un inconnu sur son bras. La sensation de pincement doux qui l’accompagnait et la sollicitude de celui qui l’avait saisie. Elle entendit vaguement que quelqu’un lui parlait. La fatigue dans son timbre de voix ténor. Elle sentit ses pieds quitter le sol et la douceur d’un vêtement qui n’était pas sien. L’odeur qui lui monta aux narines ne lui appartenait pas non plus. Un savant mélange de poudre et d’épice qui lui rappelait quelqu’un.

… Papa …

Juchée sur le dos de Jerenn dont les pas rythmaient son demi-sommeil, elle replongea dans l’ensemble de sensations qui constituaient ses souvenirs. La douceur d’une main aimante. L’abandon d’une vie sans parents. Une renaissance dans les mains douloureuses d’un entrainement acharné. L’étonnement de sentir du métal froid sur sa peau pendant un baiser éphémère. Le réconfort de ne plus se savoir seule. Le découverte d’une place qu’elle ne se pensait pas autorisée à prétendre. Les premiers contacts avec les différents esprits…

La main de la jeune fille se resserra sur la veste de Jerenn, comme si elle ne voulait pas qu’il s’échappe. Le maelström de souvenirs continua. Inlassablement. Cependant, la plus puissante resta une l’impression fugace de protection. Une chaleur qu’elle n’avait connue qu’à sa naissance le temps d’une étreinte. L’odeur du jeune homme l’ancrait durablement alors que la Kashu retombait soudainement en enfance. Dans les bras d’un inconnu qui ne l’avait effleuré qu’une seule fois avant de partir fort fort lointain.

Le contact avec le sol changea la gamme de mémoire. La douleur afflua de toute part en même temps que la peur. Une terreur sans nom pour ce qui se dressait sans doute au-dessus d’elle. La senteur de fumée proche renforça son angoisse. Le doute s’instilla dans la moindre parcelle de son corps comme un poison virulent alors que la souffrance la traversait comme un arc électrique. S’en suivit une lutte silencieuse entre les membres torturés de la demoiselle et sa volonté de bouger. Un sursaut, plus fort que les précédents, la tira de sa demi-conscience.

Misto se redressa violement. Tremblante, elle s’immobilisa pour observer les alentours. Rien. Il n’y avait rien. Son expression apeurée s’évanouit lentement, lui promettant silencieusement de revenir tôt ou tard pour lui chatouiller les nerfs. L’odeur familière qui lui avait chatouillé le nez tantôt revint. Papa. Les yeux de Misto s’étrécirent alors qu’elle se laissait guider par son odorat. La voix de Jerenn la fit sursauter. Elle se tourna vers lui, craintive, avant de faire quelques pas dans sa direction. Inexplicablement pour le pistomancien, elle tomba à genoux devant lui, les yeux embués de larmes.

- Pa … Pa …
- Tu crois pas que je suis un jeune pour être papa ?

Elle se nicha contre lui en pleurant comme une enfant de cinq ans. Elle resta ainsi pendant une bonne dizaine de minutes alors que le pistomancien était perplexe de cette réaction. Ou peut-être plus surement des deux syllabes qu’elle avait prononcées. L'esprit de la jeune femme enregistra l'information. Jerenn. Père. Enfin ressemble à père. Pour une fois, les loups ne firent aucun commentaire sur la situation. Surtout Asulf. Il se sentait coupable.

- Oui oui si tu veux, mais arrêtes de pleurer, d'accord. J'aime pas voir les jeunes femmes qui pleurent, c'est trop triste. Il faut rire dans la vie.