Le soleil faisait magnifiquement miroiter les vitres des boutiques de Magnoria en ce début d’après-midi, faisant le bonheur des commerçants et des badauds.
Dans une des rues de la ville, un jeune homme attirait cependant l’attention des autres passants par son attitude qui jurait avec l’atmosphère détendue dans tout le quartier.

Détendu, il ne l’était presque jamais, ou en tout cas ça ne se voyait pas. A force d’être toujours prêt à recevoir un ordre pour partir en mission ou au combat, il avait développé une sorte de rigidité de tout instant, comme une défense contre la surprise. Forcément, ça n’aidait pas à avoir l’air relax…

Non seulement son visage avait précisément cet air sévère, mais il se trouve que ce jour là il marchait d’un pas rapide et cadencé. Comme toutes les fois où il était pressé, cela raisonnait d’une façon très singulière. Il n’était pas en retard, mais c’était pour lui une règle d’arriver aussi précisément que prévu ; et le meilleur moyen pour ça était de marcher en rythme.
Forcément, ça avait moins d’allure quand on était tout seul et quand il n’y avait pas une fanfare pour dicter le temps. Tout le monde fixait donc cet énergumène de passage, dans son uniforme impeccable de soldat – il n’avait pas encore reçu la tenue officielle de mage du Conseil, étant encore à l’essai en tant que serviteur.

Soudain, il se figea, comme si un fantôme était apparu devant lui. Au lieu d’un fantôme, c’était une horloge qu’il venait de voir.
Ne s’interrogeant pas sur les raisons qui poussaient deux jeunes hommes à déplacer ainsi un tel objet, il venait surtout de se rendre compte qu’il était en avance de précisément 2 heures.

Comment une personne aussi méthodique et ordonnée que lui avait-elle put faire une telle erreur ? Il n’en revenait toujours pas et restait planté au beau milieu de la rue.

Décidant de s’occuper en attendant, il reprit brusquement sa route pour aller s’asseoir dans un café. Seulement il n’avait pas remarqué qu’une jeune femme marchait tranquillement au même endroit. Son geste avait été tellement sec et brutal qu’il la heurta violemment, la faisant tomber au sol.

Un peu décontenancé, il l’aida à se relever et à épousseter ses vêtements tout en se confondant en une multitude d’excuses, oubliant même de se présenter.

Spoiler:

« Ne vous inquiétez pas, je n’ai rien, c’est le principal ! »


C’était le principal en effet, mais il se sentait terriblement coupable d’avoir été aussi négligeant. La jeune fille avait d’ailleurs l’air d’excellente humeur puisqu’elle souriait largement. C’était une demoiselle, un peu plus jeune que lui, avec des cheveux d’une couleur d’argent et de beaux yeux gris.

Elle avait l’air un peu gênée, et il y avait de quoi puisque tout le monde s’était tourné vers eux, même si à présent certains reprenaient leur chemin.

« Je m’appelle Ai, et vous ? »

Encore peu habitué à se présenter de manière ordinaire, Cesus eut le réflexe de se mettre au garde à vous. Le torse bombé, le menton en angle droit avec la gorge, il était le fruit d’années de discipline. Il parla comme quand son commandant exigeait un rapport, avec force et vitesse. Sa gorge crispée laissait apparaître quelques veines.

« Cesus Nero, ex lieutenant du Fort des Tours de Lune !
Actuellement mage du Conseil au rang de serviteur ! M’Dame ! »

Ce n’était pas vraiment approprié à la situation, surtout le « M’Dame » face à quelqu’un d’aussi jeune, et il s’en rendit compte dans la seconde qui suivit. Ou plutôt, les têtes qui se tournaient à nouveau vers eux l’alertèrent que ce n’était pas la conduite à adopter. Il reprit une posture normale et parla à nouveau.

« Excusez-moi, je suis un peu brusque. J’ai du mal à me défaire de mes habitudes acquises au Fort. »

Il laissa un temps de silence.

« Comment pourrai-je me faire pardonner ? »

Ai était souriante et semblait presque sûre d’elle comparée à lui qui n’était pas du tout habitué à entretenir des relations amicales avec les autres. Jusqu’à présent cela avait surtout été des rapports hiérarchiques, des missions à effectuer et des combats d’entrainements. Pas vraiment de quoi rendre le jeune homme bavard… Il ne pouvait se défaire d’un certain sentiment de gêne à parler de la sorte sans autre but que de se connaître.

« Comment pourrai-je me faire pardonner ? »

Sa demande la fit sursauter, puis elle l’observa un moment, comme pour vérifier s’il était sérieux. Ayant sûrement jugé que c’était le cas, elle jeta un œil aux alentours et son regard s’attarda sur un café. Elle lui fit un sourire, un de plus… Il n’était pas habitué à ce qu’on soit aussi amical avec lui et cela l’avait perturbé au début. Mais à présent, il sentait une sensation agréable qu’il avait du mal à déchiffrer. Il voulait à son tour se rendre agréable mais ne savait pas comment.

"Vous n’avez pas besoin de vous faire pardonner, Cesus-san. Ou alors, si vous le souhaitez vraiment, accompagnez moi jusqu’à ce café proche où nous pourrons discuter calmement. »

Il accepta en essayant d'avoir autant d'entrain qu'elle, mais de sa part ce n'était pas encore très naturel... On voyait qu'il se forçait, et pourtant il avait l'air sincère et plein de bonne volonté. Ils s'installèrent sur une table un peu à l'écart. Cesus voulait parler, rompre le silence qui s'était installé pendant qu'ils venaient, mais il ne trouvait rien à dire, et ce fut elle qui parla quand ils furent assis.

« Vous avez dit faire partie du Conseil. Je suis aussi une de leurs mages, travaillant au rang de combattante. »

C'était à son tour de sursauter ; il ne s'attendait sûrement pas à ça. La faute à ses a-priori sur ce que seraient les mages du Conseil: pour lui ce seraient des guerriers très puissants, capable de prouesses au combat, rivalisant de force et de bestialité - des hyper soldats en somme. Et là il avait en face de lui une adolescente, encore plus jeune que lui, amicale au possible et à l'apparence délicate. Bien sûr, il ne s'attardait pas sur ces apparences et se doutait qu'elle était une redoutable combattante maintenant qu'elle l'avait dit, mais il n'avait pas vraiment dissimulé sa surprise en l'apprenant. Ses yeux encore grands ouverts la fixèrent pendant quelques secondes que vint briser le serveur.
Elle commanda un verre d'eau, et lui de même. Il buvait très rarement autre chose que de l'eau. Par contre le serveur le lança un regard étonné, qui étaient ces énergumènes qui venaient dans un café pour boire de l'eau, dont un en tenue étrange ?

Son grade de combattante signifiait aussi qu'elle était sa supérieure hiérarchique. S'il l'avait appris dès le début, il n'en aurait été que plus rigide et aurait gardé les mêmes habitudes qu'avec n'importe quel supérieur, mais à présent, il sentait qu'il devait laisser de côté ce détail. C'était une évolution conséquente en soi.

« Dites-moi, Cesus-san, puis-je savoir quelle type de magie utilisez-vous ? Je vous demande cela car, travaillant tous les deux pour le Conseil, je pense que nous serons amenés à nous revoir. »

Il fit un mouvement rapide pour déposer son trousseau de clés sur la table en se levant au garde à vous et en énumérant en vitesse chaque clé et ses pouvoirs. Ou en tout cas, c'est ce qu'il aurait fait il y a peu. En réalité, le réflexe lui avait traversé l'esprit, mais il avait juste porté en vitesse sa main vers le trousseau, et le reste était bien plus naturel. Il le déposa devant lui, puis parla sans avoir de hâte dans la voix:

"Je suis un mage constellationistes, j'invoque les esprits des clés pour qu'ils m'aident à combattre, voire combattent seuls. Je dispose de 5 clés pour l'instant, 4 en argent et une en or. Je pourrais vous faire une démonstration, mais peut-être pas ici."

Après tout, ils avaient suffisamment attiré l'attention pour la journée, et même la semaine. Cesus marqua un petit temps d'arrêt pour reprendre son souffle, il était rarement aussi bavard.

"Et bien sûr, je me bats à l'épée aussi. Et vous, quelle magie utilisez-vous ?"

Pendant qu’il évoquait son pouvoir, la jeune demoiselle avait pris une mine réjouit. Elle s’apprêtait à parler quand le serveur apporta enfin les verres d’eau. Ils burent chacun une gorgée puis elle parla :

« J’ai toujours voulu rencontrer un constellationniste. Cette magie me passionne depuis que je suis petite. Je pensais ne jamais rencontre de mage comme vous ! »

De mages comme lui… il ne s’attendait pas à ce que son type de magie soit aussi apprécié, après tout il était entièrement dépendant de ses clés. Sans elles il n’était pas plus mage que jongleur ou barman…
Mais il était rassuré de pouvoir en parler et commençait à sourire. Enfin pas encore, il était passé du stade « ultra tendu » à celui de « presque pas stressé », et il devenait en quelque sorte plus vivant, plus humain.

« Je suis une mage à arsenal magique. Ma magie n’est pas aussi belle que la votre, cependant. »

il eut une légère absence, le regard fixant son verre comme s’il rêvait. Il n’avait jamais songé à sa magie en tant qu’esthétique. Elle lui servait à se défendre ou à accomplir des missions, mais il n’avait jamais recherché la beauté dans ses gestes. Il espérait ne pas la décevoir à cause de ça.


Puisque vous l’avez proposé plus tôt, pourquoi ne nous ferions-nous pas une démonstration de nos pouvoirs, Cesus-san ? Pas ici, bien sûr, mais dans un endroit dégagé. Cela vous tente ? »

Se rendant soudainement compte qu’il n’avait qu’à moitié écouté ce qu’elle disait il se reprit en se secouant la tête. Ne sachant quoi faire il s’était réfugié en attrapant son verre et en buvant quelques gorgées. Ce n’était pas vraiment

« Bonne idée, mais je connais très peu cette ville, connaissez-vous un endroit où nous pourrions le faire ? »

Maintenant qu’ils étaient sur le point de faire de la magie, sa curiosité était piquée au vif. D’une part il voulait voir la puissance que devait avoir cette combattante du Conseil, et d’autre part, il éprouvait une certaine nostalgie vis-à-vis de son tuteur. La seule personne qui savait pour sa magie, et le seul mage qu’il ait vraiment connu jusque là. Et par une certaine coïncidence, c’était aussi un mage à arsenal magique.
Il réfléchissait en vitesse à la clé qu'il ferait mieux de montrer en premier...

Spoiler:

La demoiselle sourit une nouvelle fois.

« Eh bien, suivez-moi, Cesus-san. Je pense que le parc sera un endroit parfait en cet après-midi. »

Ils prirent le chemin du parc, alors que le soleil illuminait toujours Magnoria, ce serait sans doute un endroit très agréable à cette heure de la journée, malgré la chaleur.
Pendant le trajet, Cesus ne savait pas quoi dire, comment reprendre la conversation, et comme à chaque fois, ce fut à Yume de rompre le silence :

« Est-ce qu’avant de rejoindre le Conseil vous faisiez partie d’une guilde ? Ou bien vous êtes toujours resté jusqu’au Fort avant de rentrer dans ses rangs ? »

« Non, j’ai été recueilli par le fort quand mon village natal à été entièrement détruit. J’étais encore lieutenant du fort il y a quelques semaines avant que mes dons de mage soient mis en évidence. C’est la que j’ai rejoint le Conseil sur l’avis du commandant. Mon tuteur en revanche préconisait de rejoindre une guilde, je me demande si j’ai fait le bon choix… »

Il resta pensif un instant. Le ton de sa voix ne semblait pas présenter d’émotions quand il avait parlé du drame de son village, il était envahi d’une certaine apathie à ce moment. Puis sa voix gagnait en fermeté, il reprit tout en esquissant un léger sourire :
« Et vous Yume-San, avez-vous fait partie d’une guilde avant ? »

Quelque chose avait l’air de la troubler quand il disait ça, notamment sur les « vous » et « san », peut-être que la formule de politesse était trop peu formelle et pas assez respectueuse, il tenterait de se rattraper.

Ils arrivèrent enfin au parc. Dans cet endroit, une sensation de paix planait sur les êtres vivants qu’on apercevait ici et là. Des oiseaux qui chantaient quelque part en haut d’un arbre, des papillons qui voletaient de fleurs en fleurs, on pouvait inspirer le calme et la douceur de la vie.

Ils choisirent un endroit dégagé pour ne pas perturber cette nature tranquille, à quelques mètres l’un de l’autre, elle prit l’initiative de commencer.

« Kansô ! »

Cesus avait vu un cercle argenté apparaître sous la… demoiselle n’était plus très approprié, combattante était plus juste, une faux venant d’apparaître dans ses mains. Avec ses spirales rouges et sa lame de couleur, cette magie était assez esthétique, et il n’imaginait pas qu’aucun de ses esprits puissent rivaliser avec, en terme de beauté simplement.

« Eh bien, pour vous montrer ma magie, j’ai choisi Nise Kasai. C’est l’une des deux armes que j’apprécie le plus. Elle me permet de réduire la force des attaques de feu. »

Une fois de plus il ne sut quoi dire, il n’avait pas d’attaques de feu pour tester cette arme. Il se contenta de dire :

« C’est assez impressionnant, je doute que ma magie soit aussi belle. »

« Cesus-san, cela vous dirait que nous fassions un combat amical pour pouvoir nous montrer nos magies ? En essayant de ne rien amocher, bien entendu... »

Il n’avait pas encore mis sa magie à l’œuvre, et cela lui déplaisait de se battre à deux contre une s’il appelait un esprit. Or il ne pouvait rester avec sa seule épée (même s’il pouvait combattre) cela serait manquer de respect que de ne pas la montrer. Il répondit donc ce qui était courant quand un adversaire proposait un combat.

« Ce sera un honneur de vous affronter ! »

Il s’inclina légèrement en disant cela, puis attrapa une clé d’argent, au moins elle était assortie aux cheveux de la mage du Conseil.

« Ouvre-toi porte de l’Ecu de Sobieski ! Lieutenant Scuti !

En l’espace d’un instant, un vieil homme à l’apparence très élégante apparut devant eux. Il portait un costume noir avec une cravate et un chapeau haut de forme et s’appuyait sur une canne en bois raffiné. Ses cheveux grisonnants lui donnait un air sage.

Il prit une mine un peu contrarié en voyant qu’un combat s’annonçait.

« Mes hommages Mademoiselle, il m’a rarement été donné de voir un visage aussi gracieux que le votre. Je regrette profondément que nous ne puissions pas faire plus ample connaissance autour d’un thé Earl grey et de quelques biscuits Short-bread…
Permttez-moi de me présenter, je suis le duc de Scuti, de la constellation de l'ecu. Mon domaine de prédilection est l'étude des relations entre les Hommes.»

Sa voix avait une intonation des plus distinguées, et même pour un esprit, on devinait une ascendance de lignée noble. Il se tourna ensuite vers le constellationniste avec un air de reproche.

« Maitre Cesus, cela n’est pas une manière de traiter une Dame. Nous devrons avoir encore plusieurs leçons de savoir-vivre, vous et moi. Un gentleman doit savoir se conduire comme tel.
Cela étant dit, je ne peux pas m’opposer à une requête de votre part. Je relève donc le défi. »

Il fit une révérence en direction de sa future adversaire puis en un éclat de lumière sa canne se changea en une fine épée, une rapière.
La main gauche sur la hanche, il leva la pointe vers l’adversaire, le bras tendu dans une position d’escrime parfaite.

« En garde jeune demoiselle, daignez me faire l’honneur de croiser nos lames. »

Il s’avançait par petits sauts chassés, la lame toujours en avant. Le spectacle était peut-être inhabituel, mais il y avait là une grande maitrise de l’art de l’épée. Il ne tenterait aucun coup dangereux, juste quelques fentes et de quoi enchainer quelques parades-ripostes.