Solis regardait l'obscure forêt qui se dressait à l'extérieur de Shirotsume. Derrière lui, une jeune femme versait des larmes silencieuses.
"Vous avez ce que j'ai demandé?"
Solis était arrivé le matin même. Cela faisait un moment qu'il était resté à la guilde, à exécuter des missions ingrates aux alentours, aussi avait il hâte de partir pour une mission un peu plus périlleuse et à l'extérieur. Il avait ainsi sauté sur l'occasion en voyant une mission de recherche à Shirotsume. Un homme avait disparu il y avait de cela trois jours en allant dans la forêt.
La femme du disparu lui tendit une des cannes à pêche de son époux.
"Ne vous inquiétez pas. Les missions de recherche sont ma spécialité."
Le constellationniste sortit une de ses clés.
"Que s'ouvre la porte de la boussole! Pyxis!"
La jolie fée apparut devant lui dans un éclair doré.
"C'est moi! Solis!"
La fée se mit à voleter de haut en bas à toute vitesse. La femme lança un regard glacé au pauvre mage.
"Euh... Pyxis... Je suis très heureux de te revoir aussi mais... On pourrait fêter ça plus tard? On a du boulot là..."
"Oups"
Solis se saisit de la canne et la tendit à la petite fée.
"Elle appartient au disparu. Tu peux le localiser?"
L'esprit posa sa petite main sur le bois usé puis cessa de bouger un instant. Puis soudain elle reprit vie, encore plus excitée qu'avant.
"Yata! C'est parti pour le pistage! Golden Compass!"
Elle prit la forme d'une petite aiguille dorée, puis pointa vers le ruisseau. Désormais, Solis pourrait suivre exactement le même chemin que le disparu. Le jeune femme le retint par la manche.
"Prenez garde. On dit que la forêt est remplie d'esprits. Et tous ne sont pas bienveillants."
"Merci. Nous le retrouverons."
Solis laissa la petite aiguille se poser au creux de sa main, puis suivit ses indications. Il sentait le regard pesant de la femme dans sa nuque.
*Comment lui dire si jamais on le retrouve mort?*
"Tu n'as pu le localiser directement plutôt que de retracer ses déplacement?"
"Non... Trop difficile avec juste un bout de bois pourri..."
Après une heure de marche en forêt, Solis commençait à perdre patience.
"Tu es sûre de ce que tu fais?"
"Mais oui! Mais apparemment il est remonté loin pour pêcher"
Solis se sentait mal à l'aise au coeur des bois. Touffus et sombres, Solis avait l'impression constante d'être épié. Il lui avait même semblé entendre par moment une petite musique aigrelette et des rires. Et la recherche ne finissait pas.
Soudain, au niveau d'un coude de la rivière, l'aiguille se mit à tourner sur elle même.
"Tu l'as trouvé?"
"Non... Quelque chose bloque le traçage... Quelque chose de magique est intervenu ici."
"Je vais continuer seul. Merci Pyxis."
"Oui! Tu sais que j'aime te rendre service!"
"Porte de la boussole, ferme toi."
L'aiguille se volatilisa. Solis regarda autour de lui. Cet endroit n'avait rien de différent du reste de la forêt. Cependant, il avait quelque chose d'oppressant. Impossible de savoir si il y avait une source magique ici, l'air de la forêt était tellement saturé en pouvoir que Solis avait l'impression de baigner dedans. Il se pencha pour pouvoir boire dans la rivière, avisant l'eau claire et pure du cours d'eau. Après s'être hydraté, il se releva très légèrement en regardant son reflet dans l'eau. Celui d'une jeune femme aux yeux turquoises. Il mit un instant à réagir.
*Une jeune femme?*
Deux bras liquides jaillirent de la rivière et le saisirent par la nuque. Il fut plongé dans la rivière. Sa tête heurta un des galets qui tapissaient le fond du cours d'eau, et il perdit conscience.
Lorsque Solis rouvrit les yeux, il était allongé dans une caverne humide, aux côtés d'un jeune homme. Il le reconnut grâce aux photos qu'on lui avait montré. C'était sa cible. L'homme était inconscient et semblait délirer. Son front était brûlant.
*Il faut que je le sorte d'ici*
Solis sentit une présence dans son dos.
"Tu es réveillé?"
Il se retourna et reconnu la femme qu'il avait vu dans la rivière. Grande, élancée, des yeux turquoises et des cheveux vert d'eau, elle portait une longue robe blanche.
"Mon nom est Nimuë."
*Mieux vaut jouer les idiots. J'ai bien peur qu'elle ne soit plus que ce qu'elle montre...*
"Merci d'avoir retrouvé cet homme. Les gens le cherchent depuis plusieurs jours déjà. Je vais pouvoir le ramener et..."
Nimuë sourit.
"Je ne pense pas non."
Elle avança lentement vers Solis.
"Désormais, vous êtes miens. Maintenant, et pour toujours."
Solis commença à frissoner.
*Elle a perdu la boule...*
La jeune femme cessa soudain de bouger.
"Une autre victime potentielle? Si elle s'approche assez..."
Le corps de Nimuë se liquéfia, puis s'éleva en geyser, traversant le plafond.
Solis se releva.
*Il va falloir profiter de cette absence...*
Il chercha une issue dans la grotte, sans en trouver. Le sol et les murs étaient réels, et bien solide. La lumière bleue verte projetée par le plafond donnait une allure surnaturelle à la caverne. Puis Solis remarqua les mouvements dans le plafond. Rien de concis. Juste des... remous. Puis il vit une énorme carpe passer.
*On est SOUS une étendue d'eau! Elle a bloqué l'écoulement par magie!*
Les chances de réussir une fuite s'amincissaient. Il leur faudrait non seulement tromper la vigilance de leur gardienne, mais aussi atteindre le plafond, puis atteindre la surface. Et l'autre homme semblait trop mal en point pour faire tout cela.
Un des murs semblaient pouvoir être escaladé. Il serait possible d'atteindre le sommet de la grotte. Restait le problème de la profondeur et de l'état de santé de l'ex disparu. Solis fouilla sa besace. Il avait dedans une foule d'objets invraisemblables, qu'il accumulait sans trop y penser. Il y aurait sûrement quelque chose d'utilisable.
*L'onguent de guérison des plaies profondes? Non, ça c'est un cadeau d'une autre mission et ce serait inutile. Une corde? ça pourrait, mais il faudrait qu'elle soit raide. Une encyclopédie des herbes? Peut être que je pourrais assomer Nimuë avec...*
Solis fit ainsi un inventaire détaillé. Il échafauda plusieurs plans tous invraisemblables. Son principal soucis était la profondeur du "plafond". Même si il trouvait quelque chose d'assez long, commet savoir quand son objet atteindrait l'air libre? Il regarda de nouveau son fouilli personnel. Puis il eut une idée. Il attacha un ballon publicitaire gonflé à sa corde. Il escalada ensuite la paroi de la caverne, jusqu'à atteindre la limite eau/air.
*Et si jamais le plafond éclatait comme une bulle de savon? Tant pis, je n'ai pas le choix...*
Solis enfonça le ballon dans l'eau. L'eau ne se mit pas à envahir la grotte, ce qui signifiait que son plan rencontrait un succès relatif. Avec la poussée d'archimède, le ballon remontait, entrainant la corde. Ainsi, quand il rencontrerait la surface, il cesserait de monter, puisque le ballon restait plus lourd que l'air. Et donc, il suffirait de voir quelle distance de corde aurait été mouillée.
*Je suis brillant brillant brillant!*
Au final, Solis en déduisit que la mare au dessus d'eux faisait deux mètres de profondeur. Rien d'insurmontable. Mais il lui faudrait aussi trainer le malade.
Il commença par lui donner de l'eau. Puis il secoua doucement.
"Hey! Debout!"
"Miranda...."
*Non... Rien à faire...*
Crater était indisponible, et il n'avait aucun remède contre la fièvre sur lui. Il ne tombait que rarement malade, aussi avait il tendance à être un peu laxiste sur les médicaments de base. Il ne lui restait qu'une solution.
"Oh non... Oh non... Non non non non..."
Il n'existait qu'un seul être qui puisse les sortir de là. Ou plutôt, un seul esprit.
*Quand il faut y aller...*
"Ouvre toi, porte du cocher! Auriga!"
Le bel homme apparut dans un son de cloche.
"Tu fais appel à moi de moins en moins souvent je trouve... c'est mesquin..."
"C'est justement parce que TU es mesquin que je refuse de t'appeler..."
"Hem... Oui. Que puis je donc faire pour toi aujourd'hui?"
"Pas vraiment une distance, mais plutôt une hauteur. Il faudrait que tu nous ramène à la surface, au sec, moi et cet homme."
L'oeil du cocher étincella.
"Il te faudra son accord si je dois le transporter."
"Quoi?!"
"Ce sont les règles."
"Et si c'était un otage, tu crois qu'il me donnerait son accord?"
"Mais ce n'en pas un. Aussi cette règle peut s'appliquer à lui."
Solis soupira puis retourna vers l'homme.
"Mi...Miranda?"
*Il délire toujours...*
"Oui, c'est Miranda."
*Rusons*
"Miranda...."
"Tu m'aimes?"
"Oui...."
*Gagné!*
"Voilà! Il a dit oui. Allez, transporte nous!"
"Hum, profiter ainsi de la faiblesse des gens..."
"Et c'est toi qui ça?"
"C'est partit!"
Le cocher claqua des doigts. Une nausée plus tard, Solis et la victime se trouvait au bord du coude de la rivière.
"C'est fait. A présent je me retire."
"C'est ça..."
Auriga se dissipa en levant son haut de forme.
*A chaque fois que je l'appelle, j'ai l'impression de tenter de rouler le diable...*
Solis souleva le blessé sur son dos. L'homme était bien bâti et pesait lourd. Solis commença à se traîner en suivant le cours. Normalement, il devrait ainsi pouvoir sortir de la forêt.
Quelques kilomètres plus tard, alors qu'il avançait comme une tortue, il entendit un sifflement furieux derrière lui.
*Oups... Je l'avais oubliée celle là...*
La rivière se déchaîna. Solis fut jeté à terre par une vague. Le blessé fut projeté non loin de là, à l'abri. De l'eau se dressa alors la silhouette de leur tortionnaire.
"Vous allez payer!"
Elle se posa à terre. Elle leva les bras et les tendis vers Solis. Deux tentacules d'eau jaillirent de la rivière et foncèrent vers lui. Il les esquiva en roulant sur le côté. Il sortit alors ses lames.
"Je déteste blesser les gens, mais tu ne me laisses pas le choix!"
Il chargea et trancha. La coupure se referma aussitôt.
"Inutile mortel. Je suis un pur esprit des eaux. Tant que mon corps possède de l'eau, je suis intouchable! Tu vas périr! Et ton âme sera mienne, éternellement!"
Elle lança un nouvel assaut.
*Comment vaincre quelqu'un que je ne peux toucher?*
Elle attaqua une nouvelle fois. Il ne put qu'esquiver.
"Tu vas souffrir! Comme il m'a fait souffrir!"
*Comme il l'a fait souffrir? Qui?*
"Si tu es esprit, je vais te montrer les miens! Ouvres toi, porte du palais du bélier! Aries!"
La jeune fille se matérialisa.
"Je ne vous pardonnerait pas."
Puis elle remarqua le terrain. Elle frémit à la vue de la rivière. Solis sut pourquoi. La dernière fois qu'elle avait combattu dans une rivière, elle avait du affronter Leo, et avait finalement été trahie par sa propriétaire.
"Ne t'inquiètes pas. Cette fois, rien n'est pareil."
"Tu... Tu as raison."
Le frèle esprit attaqua. Son coup de botte traversa la taille de Nimuë.
"Inutile! Inutile!"
Elle frappa Aries violemment. Celle ci s'écrasa au sol.
"Aries!"
L'esprit se releva.
"Il en faudra plus."
"Elle est invulnérable tant qu'il y aura de l'eau..."
Aries eut un sourire malicieux.
"Donc si je lui retire, elle ne résistera plus?"
"Euh oui..."
"Parfait."
Aries retenta un assaut.
"Inutile! Périt!"
Au dernier moment, Aries feinta, et bondit dans les airs, pour atterrir derrière Nimuë, coupant l'accès à la rivière.
"Wool Bomb!"
La créature vit l'orbe violet s'écraser à ses pieds, et fut soudainement prise dans un gros bloc de laine.
"Tu vas souffrir pour avoir osé!"
Nimuë bougea la main comme elle pouvait, mais rien ne se produisit. Autour d'elle, la laine devenait de plus en plus volumineuse.
"La laine! Elle boit l'eau..."
"Et ainsi, elle perd son pouvoir."
Des larmes se mirent à couler sur les joues de Nimuë.
"Non non non! Plus jamais je ne serais abandonnée!"
Solis tressaillit. Elle avait été abandonnée?
Il se pencha vers le visage larmoyant de sa tortionnaire, prise dans le cocon de laine.
"Raconte moi ton histoire."
Elle lui lança un regard haineux. Mais les larmes l'emportèrent. Et elle commença.
"J'ai vécu il y a de cela bien longtemps. J'étais fiancée au plus bel homme du conté, Harold Finigan. J'étais si heureuse. Toutes m'enviaient, et toutes le désiraient, mais il n'avait d'yeux que pour moi. Toutefois..."
Sa voix se brisa.
"Le jour de notre mariage, il n'est pas venu. Je suis restée seule à l'autel. Les autres idiotes du village ont commencer à se moquer. J'étais indifférente à leur moqueries. Ce qui m'avais vraiment fait mal, c'était qu'Howard ait pu m'abandonner. Je suis alors allée dans la forêt, et je me suis jetée à la rivière. Je m'y suis noyée."
Solis sentit son coeur se serrer.
"Plus rien n'avait d'importance. J'étais seule. J'ai donnée ma vie car je n'en voulais plus. On raconte qu'une des fées de la forêt a eu pitié de moi, et qu'elle a alors fait de moi une ondine. J'ignore si c'est la vérité. J'ai alors erré si longtemps. J'évitais les hommes, car je les craignais. Mais j'avais si mal. Alors j'ai souhaité me venger. Cet individu était parfait. Il est jeune, marié, heureux... Je voulais qu'il ne partage qu'un dixième de ma souffrance... Et j'ai voulu enlever tout les hommes qui m'approcheraient, pour que ces femmes souffrent..."
Elle éclata en sanglots.
Solis ne savait plus quoi faire. Cette femme avait tenté de le tuer, mais d'un autre côté, devait elle être punie pour ses actes?
Un petit orbe de lumière jaillt des fourrés.
"Ma pauvre chérie..."
Nimuë leva ses yeux humides vers le petit esprit.
"Qui êtes vous?"
"Je souhaitais te donner une nouvelle vie. Te donner le bonheur que tu mérites..."
"Vous êtes celle qui m'a..."
"Je t'ai offert une nouvelle existence. Si j'avais su que tu en souffrirais autant, je ne l'aurais pas..."
"Merci."
La boule de lumière scintilla.
"Même si ma plaie s'est infectée, j'ai été heureuse quelques temps ici."
"Tu m'en vois très heureuse."
"Mais je pense que mon temps est venu."
"Cette décision n'appartient qu'à toi ma chérie."
Nimuë se tourna vers Solis.
"Je suis désormais libérée de mes tourments. Je vais partir pour l'autre monde. Merci. Si tu ne m'avais pas arrêtée, je n'aurais jamais pu ouvrir les yeux..."
Nimuë se dissipa lentement. Sa peau devenait doucement transparente, et se décomposait en volutes bleus. Elle disparut enfin, les yeux pleins d'espoir, l'espoir d'un avenir heureux.
Le petit orbe de lumière s'éleva à son tour.
"Ma pauvre petite..."
Elle parut soudain se rendre compte de la présence de Solis et d'Aries.
"Tiens, un mortel et un esprit stellaire. Vous feriez mieux de partir d'ici... Tout les esprits ne sont pas aussi gentils que Nimuë.."
Puis l'orbe se volatilisa.
Solis restait inerte.
*Des fées, des ondines, des résurrections...*
"C'est la dernière fois que je met les pieds dans cette forêt..."
Aries lui tendit la main en rosissant.
"Et si nous rentrions? Il faut encore ramener cet homme."
Les larmes de joie de la jeune femme qui retrouvait enfin son époux méritaient bien ces peines. Toutefois, sur le chemin du retour, Solis gardait un goût amer en bouche. L'amertume de l'histoire d'une malheureuse ondine.