Sofia vérifia soigneusement le coulissement du dernier de ses éventails, avant de le glisser les nœuds de sa lourde ceinture. Elle l'avait abîmé au cours du dernier combat du tournoi d'Angel's Sky, et avait donc du s'arranger avec un forgeron local pour redresser le métal de l'armature. Ou plutôt, le forgeron lui avait gracieusement offert ce service en échange d'une non inspection de ses locaux. Ses deux victoires au tournoi n'avaient certes pas permis au Conseil de s'élever très haut dans le classement, mais elles avaient permis à la jeune femme de se distinguer. Et de gagner le titre non moins glorieux « d'ingénieure en environnement ». Une allusion tout à fait déplacée de la part des juges à son léger accident lors de l'affrontement avec Fairy Tail, où elle avait manqué de détruire l'arène, les gradins, et sans doute une fraction d'Angel's Sky. Un tel acharnement sur sa légère erreur de jugement concernant la puissance de son attaque occasionnée avait fait bouillir de rage la demoiselle. Cependant, Mère Rosa avait toujours argué que la violence en réponse à l'atteinte n'était que stérile. Sofia avait donc renoncé à faire définitivement exploser toute la zone. A la place, elle avait spécifié dans son rapport l'apparente défaillance de la capacité à juger de la puissance des explosifs placés des organisateurs du tournoi, et donc du risque potentiel qu'ils représentaient. Elle se considérait ainsi justement traitée. Ses supérieurs avaient salué sa créativité et sa vivacité, et n'avaient pas fait de remarque quant à l'explosion. Pas directe du moins. Mais de nombreux autres membres de son grade n'avaient pas manqué de se moquer d'elle à ce sujet. Ceux là avaient rencontré une explosion, puisqu'ils le désiraient tant. Quant au dernier point du tournoi, ses adversaires... Elle ne préférait pas y songer. Elle était fermement décidée à éliminer Sir Ijeel à la première occasion. Ou du moins, à lui faire regretter son comportement. Ce n'était pas une vengeance comme les réprimandait Mère Rosa. C'était de l'éducation voilà tout. Et pour le second combat... Sofia ne tenait pas à recroiser Sir Damaz. Elle avait eu peur sur le coup. Cet imbécile était d'une stupidité bornée, et d'une sauvagerie sans fin. Qu'importe les dégâts élevés qu'il prenait, il ne s'arrêtait pas. Et pourtant, considérant son très faible niveau magique, il tenait du miracle qu'il ait ainsi résisté. Aussi était il possible qu'il ait simplement péri de ses blessures, l'adrénaline dissipée à la fin du combat. Ou pas. Qu'importe, elle ne voulait pas le savoir. Elle en avait juste déduit qu'elle devait devenir plus impitoyable encore, pour ne plus jamais se retrouver aussi vulnérable à un assaillant. Car même s'il périssait après le combat, du moment qu'il vous avait tué, la partie était terminée. Et elle ne pouvait se permettre ça.

Aujourd'hui, elle participait donc à un exercice de survie. Le genre d'exercice mis en place par le Conseil magique pour « entraîner » ses troupes. Et donc, le genre d'exercices pour lesquels il n'y avait jamais de volontaire. En l'occurrence, il s'agissait d'une sorte de version de la « prise de drapeau ». L'un des officiers devait s'emparer du drapeau dissimulé dans la forêt jouxtant le QG par le reste d'entre eux. Il devrait échapper à tous ses collègues, et laisser le minimum de traces possibles. Si dans la théorie, Sofia approuvait le développement des capacités d'improvisation, de discrétion, et de dissimulation, elle ne pouvait cependant s'empêcher de noter que l'exercice serait tout aussi utile dans le cadre de l'assassinat. Si le Conseil prohibait fermement le meurtre, même de la part des forces armées, elle savait que cela lui servirait peut être un jour sous des auspices plus sombres. Dans tous les cas, l'exercice lui serait utile.
Elle se rendit au terrain d'entraînement prestement, sa longue tunique voletant autour d'elle. Là bas, elle ne put manquer le sourire condescendant de certains de ses adversaires. Elle savait ce qu'ils pensaient d'elle. Elle n'était ni liante, ni conviviale. Pas même aimable à vrai dire. Aussi, même à ce niveau de l'armée, rumeurs, critiques, et boucs émissaires se créaient rapidement. Considérant la force du vent, et l'effet provoqué sur ses vêtements, elle supposait que l'objet de la raillerie concernait la longueur de ses vêtements. Elle avait déjà par plusieurs fois reçu des demandes pour « raccourcir » ses tenues. Tant parce que ce serait « chouette vu qu'elle est mignonne », que parce que l'on considérait qu'une tunique aussi longue n'avait pas sa place sur le terrain, pour des opérations telles que le combat, ou les acrobaties. Mais elle était restée ferme. Le dernier à avoir fait une suggestion avait fait une chute de deux étages.
Elle avait pourtant songé que ses réussites au tournoi lui vaudrait un peu d'estime, ou du moins de neutralité, auprès de ces anciens adolescents boutonneux. Mais ils n'apprendraient jamais la leçon. Vivement qu'elle monte en grade. Elle leur ferait récurer les toilettes avec des brosses à dent. La leur si possible.


Ils étaient 6. Elle savait que les « ennemis » se classaient en deux catégories. Une moitié était déjà présente dans la forêt, et avait dissimulé le drapeau. L'autre partie se lancerait à sa poursuite environ quinze minutes après son départ. Soit un total de 12 adversaires. A éviter, ou à supprimer. Qu'importe, elle ne comptait pas perdre. L'officier donna le coup de départ.

Elle sentit une bouffée de frustration envahir sa tempe gauche. Elle l'aurait en dernier. Vengeance.
Puis elle fuit vers la forêt.

Milieu de nature spontanée, au stade forestier. Information ajoutée à la base de données. Elle s'élançait souplement entre les racines et les branches basses, tâchant de ne pas rester empêtrée dans des ronces. Peut être que les remarques sur sa tenue avaient un fond de pertinence. Mais il y songerait plus tard. L'augmentation du nombre de branches brisées, et la diminution du nombres d'espèces mobiles suggéraient une concentration humaine locale supérieure à la normale. Autrement dit, certains l'attendaient là.
Ils étaient trois, profitant d'une légère éclaircie dans la densité végétale. Stature moyenne estimée à des proportions standards type 3. Masse totale estimée 240kg, soit une différence de 190kg. Confrontation directe non envisagée, pour contrebalance de force physique. Elle allait devoir les éliminer un par un.


La demoiselle gonfla les joues dans sa tanière. Ils la pensaient donc à ce point incapable de réussir l'épreuve ? Il serait le premier à être brisé.
Il s'écarta du centre pour soulager ses besoins primaires. Sofia nota soigneusement cette information. Ses futurs généraux seraient également sélectionnés à partir de la taille de leur vessie, vu que visiblement, c'était un « facteur » handicapant. Sa victime s'arrêta devant un chêne vert, commençant à l'arroser gaiement.
Sofia posa la main au sol, laissant son pouvoir irradier dans la zone. Elle devait se contenter de la placer sous son contrôle seulement, et ne surtout pas la nourrir d'énergie. Avoir une aire soudainement couverte de jolies fleurs seraient une mauvaise méthode de camouflage. Puis, elle se sentit prête. Elle attendit simplement qu'il prenne le temps de remonter sa braguette pour ne pas risquer d'abîmer ses yeux. Puis elle attaque.


Les racines jaillirent du sol autour de sa paume, se jetant sur l'arroseur municipal, l'attachant tête en bas au tronc offensé, et s'enroulant autour de sa bouche pour l'empêcher de crier.


Utilisant une autre racine, elle se fit hisser dans les branches de l'arbre. Utiliser une méthode encombrante dans le cas d'un combat multiple présentait plusieurs avantages. La première victime était en général facile à avoir, car isolée, et prise par surprise. D'autant qu'elle est choisie pour sa facilité de capture. Le fait d'utiliser volontairement une action bruyante, comme une charge de racines qui jaillissent du sol, permet de créer un son de type « combat offensif ». Cela permet donc d'attirer les autres ennemis proches, qui vont exercer leur rôle sentinelle. Le premier adversaire passe ainsi de victime à appât.


L'effet de surprise de l'attaque, et la volonté empathique d'aider leur camarade déchu leur faisait baisser leur garde, voulant le libérer avant de sécuriser la zone. Elle se laissa tomber derrière eux, avant de déployer ses éventails.


La bourrasque les cueillit dans le creux du dos, les propulsant tête première contre les arbres, où ils s'écroulèrent, assommés. Puis Sofia revint vers sa première victime qui roulait des yeux exorbités.


Elle le frappa rapidement, usant de ses points de tension, pour l'envoyer rejoindre ses petits camarades. Puis elle lâcha la prise sur ses racines. Elle avait perdu beaucoup de temps. Ses quinze minutes d'avance étaient amplement écoulées. Elle reprit sa course.

Sa victime suivante fut bien plus rapide. Car isolée. Esprit estival.


Elle n'avait pas pris la peine de freiner sa course. Elle avait déboulé derrière lui, lui envoyant l'onde de choc de plein fouet. Elle s'assura uniquement de ne pas toucher une zone de peau nue. Ce sortilège était un de ses plus puissants charmes offensifs, et les brûlures qu'il engendrait pouvaient être définitives si mal traitées, surtout si près. Elle se demanda si Sir Damaz avait survécu d'ailleurs.



Le changement d'humidité dans l'air l'informa de la présence d'une étendue d'eau. Une sorte de lac intérieur. Malheureusement, gardé. La plupart de ses adversaires se tenaient présents, quadrillant soigneusement la zone. Elle les observa un moment, mais ne put déceler une faille directe dans leur surveillance. Cependant, un aussi grand nombre d'ennemis en un même endroit suggérait que le drapeau était ici. Entre autres, elle avisait une petite île avec un fortin au centre du lac, qui faisait ainsi un bastion simple à défendre, et difficile d'accès. Il y avait bien sûr la possibilité d'une mascarade. Déployer une grande partie des forces sur un faux butin, et laisser le vrai avec une petite fraction plus discrète. Cependant, cela ne correspondait pas au schéma d'action de ce type d'adversaires. Et s'ils étaient peu compétents selon elle, ils la savaient rapide, et risquer qu'un petit bataillon tombe nez à nez avec elle par hasard était un risque difficile à assumer. En admettant qu'ils se soient même posé toutes ces questions.

Elle allait devoir procéder doucement. Elle s'assit sagement, inspirant et expirant profondément. Les changements qu'elle allait devoir orchestrer devaient être aussi discrets que possible, pour ne pas éveiller les soupçons. Esprit automnale. Les temps chauds sont passés, les fruits mûrs sont tombés. Esprit de l'hiver.

La zone s'était légèrement rafraîchie. Elle ne pouvait empêcher ce phénomène progressif, pas en gardant un enchantement aussi poussé dans la zone. Cependant, elle pouvait en masquer les prémices en jouant sur la tombée du jour, et le frais naturel qui devait s'installer. Puis, elle se prépara. C'était un sort encore difficile à manier, car usant de plusieurs essences à la fois, mélange subtil entre la Chaleur, le Vent, et la Pluie.


Autour d'elle, l'humidité s'accumula, formant un épais brouillard, qui se répandit lentement sur la zone. Elle s'assura qu'il soit impénétrable, totalement opaque. Puis elle ferma les yeux, et se releva. Le principe du brouillard était de couper la vue aux personnes présentes dans la zone contrôlée. Seule Sofia était en partie épargner. Le brouillard étant chargé de son énergie spirituelle, elle avait la capacité de « sentir » ce qu'il contenait. Branches. Personnes. Objets. C'était cependant une autre façon de voir, difficile à appréhender. La sensation est différente de la vision, elle ne pouvait être totalement sûre de la nature de l'obstacle qu'elle percevait, seulement avoir des soupçons. D'où le nom de ce brouillard traître, traître pour ceux qu'elle poignarderait, et traître pour elle qui pouvait se fourvoyer. Elle s'écoula rapidement vers le bord du lac, entre deux des vigiles qui se hélaient. Elle préférait garder les yeux fermés pour le moment. Elle n'avait pas encore assez d'autocontrôle pour les garder ouvert, elle avait trop tendance à vouloir voir tout de même, et négliger son « sixième sens » conséquent. Garder les yeux fermés tuait toute tentation.

Elle ralentit quand elle sentit qu'elle s'approchait du lac. Celui ci n'était agité par aucune brise, il était plus difficile de « sentir » le passage de la berge rase à celle de l'eau liquide. Et tomber dans le lac aurait été peu discret. Elle s'appuya au possible sur l'humidité et la différence de température qui altéraient son brouillard au dessus du lac. Puis termina à tâtons, frôlant la surface du sol jusqu'à rencontrer la surface du lac. Elle pointa son éventail en direction du lac.


La surface du lac gela sur une longue ligne. Elle commença doucement à avancer sur son ponton artisanal. Puis relança le sort quand elle arriva au bout. Il convenait de ne pas glisser, cela aurait été dommage après tant d'efforts. Elle ne put cependant retenir un soupir de soulagement quand elle toucha la terre ferme. Les avancées mesurées yeux fermés sur de la glace en priant toutes les Oracles pour ne pas se tromper semblait avoir un effet corrosif sur les nerfs. Elle nota. Puis laissa son brouillard se diluer comme il aurait été malvenu de l'emmener dans le fortin.

Le drapeau se trouvait dans un vieux bureau au premier étage du fortin. Un seul homme la gardait. Sofia avisa le vase posé sur la table près du drapeau. Elle s'en empara, et dans un cri de guerre, qui contenait toutes les frustrations diverses envers ses « camarades de promotion », elle le fracassa sur la tête du garde. Puis décrocha le drapeau et l'agita à la fenêtre pour annoncer l'arrêt de la simulation.

Elle était fière d'elle. Fière de sa réussite. Mais surtout fière d'avoir prouvé à tous ces imbéciles incompétents et impotents qu'ils avaient torts. Et cela, c'était des plus satisfaisant.