Behind Shadows

PV Salomé, Zenn et Caleb

La rousse laisse un demi-sourire poindre sur son visage mais ne dit rien. Si Caleb a peur qu’on le reconnaisse dans les tavernes, que devrait-elle dire pour elle-même ? Elle se contente de jeter un regard entendu à Salomé et de poursuivre son chemin, saluant nonchalamment les deux hommes de la main. Elles ne sont pas plus avancées, au final. Elles ne savent pas plus où chercher, faute de quelqu’un ayant les informations qu’elles n’ont pas. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir demandé gentiment. Misto soupire. Elle va devoir leur forcer la main, si elle veut être efficace.

Dans la nuit, un cri d’aigle perce le silence. Si les deux membres de Sabertooth lèvent la tête, ils le verront roder au-dessus d’eux. L’animal gris les regardera sans ciller et glatira. Sans discrétion, sans honte non plus. Il les espionne sans aucune retenu, les suit sans aucun soucis d’être invisible à leur yeux. Caleb et Zenn le verront étendre ses ailes pour mieux les replier, plongeant dans le vide pour mieux disparaitre dans la ruelle la plus proche d’eux. Pourtant, quand ils arriveront à sa hauteur, ils ne verront rien de plus qu’une passante. Une femme en armure d’un autre temps, couverte de tatouage comme si c’était des dizaines de cicatrices rassemblé en un motif tribal complexe. Elle posera son regard gris acier sur eux, sans prendre le soin de dissimuler qu’elle les jauge, avant de se joindre à eux.

« Messieurs. Avec tout le respect que je vous dois, c’est bien gentil de coopérer entre guilde mais si on ne sait pas où chercher de notre côté, ça n’a ni queue ni tête. » Un sourire chaleureux, authentique, illumine le visage de la guerrière rousse. « Vous n’avez jamais vu d’esprit de près, n’est-ce pas ? Bah. Vous en faites pas. Vous vous y ferez, c’est monnaie courante quand on fréquente un peu Misto. » La main de l’esprit se lève pour couper court à toute réponse. Son mouvement brille comme un ordre dans son regard. Elle ne semble pas imaginer un instant qu’elle pourrait souffrir de désobéissance. Un peu comme si elle avait l’habitude de mener les choses ou peut-être même plus, des hommes. « Appelez-moi Osulf. Je vais faire l’intermédiaire entre nous, Misto et les autres esprits. Ce sera, et de loin, le plus efficace si on a tous les mêmes informations au bon moment. » Nouveau sourire, mais de défi. Encore une fois, rien dans ces mots ne laissent l’option à un refus. Elle les suivra, qu’ils le souhaitent ou pas.

*

Salomé ressort de la taverne en secouant la tête, arrachant un grognement à l’Impératrice. Ici non plus. Mais où diable peut-il être ? La rousse se met à mordiller sa lèvre inférieure. Plus le temps passe, plus leur chance de le trouver s’amenuise. Ça ne lui plait pas. Elle veut à tout prix savoir si elle doit préparer ses cartes maintenant ou si elle doit encore attendre le dernier moment pour sonner le branle-bas de combat. Si seulement Wilfried avait été là, il aurait sans doute eu un avis plus clair. Il se serait sans doute fichu d’elle. Et peut-être qu’il aurait eu amplement raison. Les deux aigles reprennent les recherches, changeant de rue au profit de la taverne suivante, au profit du prochain coupe-gorge qu’elles devront suspendre pour poser leur question aux gars qui tentent de gagner leur vie malhonnêtement cette nuit. Ces mêmes gars qu’elles planteront sans un mot de plus ni même une sanction parce qu’encore une fois, elles n’ont pas le temps. Tout se presse. Tout doit aller vite, toujours plus vite, encore plus vite tant qu’à l’arrivée, Misto met la main sur l’espion avant qu’il ne soit trop tard.
De nuit, les ruelles se ressemblent toutes. Personne n’y erre à part elles-mêmes et quelques rares ivrognes ou détrousseur de tous horizons. Personne ne leur donne d’informations utiles, pas même un illégal ne sait qui est l’homme qui fouille et mémorise l’organisation de sa ville. Personne ne sait et pourtant ils le devraient, pour leur survie à tous. C’est au détour d’une des rues que Salomé s’immobilise, comme électrisée. Misto la rejoint et pose une main inquiète sur son épaule. Elle est brûlante. De tension ? De maladie ? L’Impératrice ne saurait le dire. Les deux femmes restent un instant immobile puis la voix de l’aiglon trouble le silence de plomb. Elle a une piste. La première, depuis des heures à faire choux blanc. Sans rien ajouter de plus, elle reprend la marche en pressant le pas. Ça bouge. Ça s’échappe même. Est-ce que ça ne veut pas être trouvé ? Misto ferme les yeux, faisant taire la chamade que bat son cœur contre sa poitrine. Elle a besoin de concentration, elle a besoin de tout ce qu’elle pourra pour chasser. Pour traquer cette piste comme elle l’a fait des centaines de fois au pays. Traquer, attraper, éliminer. Mais cette fois, l’élimination est conditionnelle à l’interrogatoire auquel elle ne laissera pas échapper sa proie.

Sans concertation, les deux jeunes femmes se séparent brutalement à un coin de rue. Pour le coincer, il faudra être deux. Il faudra être plus malin et plus rapide. La poursuite dure quelques minutes. De longues minutes durant lesquelles le sang de Misto se met à bouillir. Les loups sont impatients, prêts à en découdre. Une bonne partie des oiseaux qui hantaient le ciel a disparu au moment même où elle s’est mise à courir derrière l’espion. Si tant est que ce soit lui. Encore un détour et l’Impératrice fait face à celui qu’elle pourchasse. Son âme brille comme un soleil au milieu de la ville endormie. Il est inratable. Sans doute inarrêtable aussi, Misto s’en rend compte maintenant qu’elle lui fait face, paupières closes. Elle reste immobile, droite devant lui, sans même oser remuer d’un pouce. Salomé est derrière lui, tout aussi discrète que peut l’être une feuille morte qui frotte contre le pavé. Il n’y a pas un bruit dans l’air, si ce n’est les trois respirations des mages et l’odeur caractéristique de l’hésitation. Maintenant que tu l’as trouvé, Misto, que comptes-tu faire ?