" Te lier c'est accepter le pire comme le meilleur, te perdre et te noyer, t'oublier toi et tes pensées, tes idéaux et tes rêves. Tu n'es jamais seul Altiel, nous sommes là et il est là, veux-tu prendre le risque que quelqu'un d'autre puisse pénétrer dans cet intimité ? Que quelqu'un puisse nous séparer, briser ça ? Puisse te faire oublier que seule compte la nature et sa beauté ?"
Errance. Drôle de chose que l'errance, triste chose que cet état névralgique qui anime le corps comme une carcasse privé de volonté, qui la conduit dans un flou infini alors que ses pas s'alignent faiblement, instables et comme sur le point de s'effondrer à chaque pas.
L'errance se caractérise par le fait de n'avoir aucune conscience du lieu où on se dirige, d'une destination, ni même de l'endroit où nous nous trouvons. L'errance, c'est l'abandon de l'esprit au profit d'un automatisme que la survie dicte, pure instinct primaire.
Il erre. Tel une bête perdu, entièrement nu, le corps noircie par la crasse de la route qu'il a suivit, une route inconnu et sans chemin alors que seul tournait en boucle l'idée de partir, de fuir ce lieu, de fuir l'endroit de l'ultime trahison. De fuir ce frère qui lui avait arraché tout ce sur quoi il avait bâtie sa vie. Poupée déglinguée alors qu'au fond de son esprit tous se sont tues, comme un silence morbide, incapable de briser cet état névralgique qui l'habitait. Ce besoin de digérer, de comprendre, cet état de choc d'un esprit embrumé par le souvenir encore omniprésent sur sa peau de ce cocon où l'avait enfermé, privé de volonté et de liberté. Ou il l'avait enfermé.
Au loin la vie civilisée se dessine déjà alors que machinalement le corps nu et décharné en prend la direction, que le temps passe dans cette errance sauvage du corps et des sens. Les pieds ensanglantés de la marche ininterrompue depuis des heures, des journées ? Écorchés. Poupée écorchée que les regards dévisagent alors que sa silhouette morbide pénètre l'enceinte de la ville des savoirs, dans son sillage les traces de pas ensanglantés ornent le pavé de la souillure de l'âme et du corps.
Un regard choqué, d'autres horrifiés, une mains cachant des yeux d'enfant alors qu'il avance, machine terrible, triste automate animé des mécanismes primaires d'un esprit à l'agonie. Un regard plongé dans le vide, comme prisonnier du néant alors qu'autour de lui certains fuis, certains l'interpellent sans succès, que tout le monde s'écarte devant ce terrible spectacle. Fou ? Mendiant ? Vagabond ?
Très vite la milice ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Une invective que ses oreilles n'entendent même pas, il continue cette marche zombifié, inconscient du danger grandissant dans son refus, son incapacité à s'arrêter et écouter.