Un rythme de vie normal. Tu as envie de lui rire au nez. Vivre aux côtés d’Enya ou d’Oméa n’avait rien eu de normal, bien au contraire. Elles allaient à toute vitesse, pensaient pour deux ou parfois pour trois, elles imposaient leurs choix, leurs décisions. Elles étaient de ces femmes décisionnaires qui allaient plus vite que le monde. Elles étaient de ces femmes qui laissaient les faibles derrière et ne continuaient qu’avec ceux qui arrivaient à suivre. Que ceux qui en valaient la peine. Alors avoir un rythme de vie normale, tu ne sais pas trop ce que ça veut dire. Tu as oublié. Après la fermeture d’Echoic, tu as pris quelques jours pour toi, tu as fait des rencontres ou tu as revue de vieilles amies, tout semblait si lent à tes yeux…Si mou. Mais ce n’était que le rythme de vie normal.
Alors malgré tes craintes et malgré tes peurs, tu trouves une certaine sérénité et une certaine sécurité dans ses paroles. Le moindre petit grain de sable peut jouer en la faveur du monde. Le moindre petit grain de poussière peut en causer sa perte. C’était fou dis comme ça mais ça prenait tout son sens ou alors, comment une poignée de mages, à peine sortis de l’ombre, on réussit à mettre à feu, à sang et à mal tout un pays ? Parce qu’ils ont pris conscience de l’importance qu’ils avaient. Ils savent qui ils sont. Ils savent ce qu’ils veulent. Ils savent quels sont leur objectif. Mais toi ? Quels sont les tiens ? Quels sont tes rêves ?
Tu te souviens, jusqu’à très récemment, du visage de ta sœur. Tu te souviens du goût de tes larmes. Tu te souviens de ce que tu as ressentis quand, enfin, vos regards se sont croisés. Et tu te souviens, de cette prière silencieuse, adressée à la seule femme qui t’a toujours aidé. Tu te souviens de la présence de Lilith et aujourd’hui, tu en es certain, elle a raconté son épopée à Pergand à Enya.
Peut-être un jour, tu lui parleras d’Enya. Peut-être un jour, tu lui diras d’où tu viens et ce que tu as fait. Et peut-être que ce jour-là, il te mettra en prison ou il acceptera ta vision des choses. Mais pas maintenant. Maintenant, tu le suis à travers le dédale de rues et de ruelles pour retourner d’où vous venez tous les deux. Le Palais Royal.
Tu entends sa question et tu t’y mets à réfléchir. Etrangement. Jusqu’à présent, tu ne t’étais jamais posé ce genre de question. Tes points forts ? Si tu devais lui donner une réponse immédiate tu lui dirais bien que tu n’en avais aucun. Tu es cet homme un peu médiocre de partout, juste assez bon pour survivre aux aléas de la vie. Juste assez bon pour faire face à toutes les situations. Ou presque.
« - Hmm je ne dirais pas que je suis un fin stratège, je n’ai pas cette prétention mais je suis bien mieux dans une salle à réfléchir que sur un champ de bataille. Je pense que ça, je l’ai démontré aujourd’hui. Honnêtement, je n’ai aucun talent ou point fort dans le sens propre du terme. Par contre, quelque chose me gêne dans vos propos Major… »
Hésitant à être franc avec lui, tu te souviens des mots d’Enya à son sujet. Tu te souviens de ce qu’elle t’a dit sur celui qui a préféré discuter avec elle plutôt que de se battre avec. Etait-il vraiment ce genre-là ?
« - Ne vous dérangez pas pour moi. Je veux dire, je ne veux pas d’un quelconque coup de pouce de votre part. Si je dois commencer comme éplucheur de patates, je le ferais. Il faut bien commencer quelque part non ? Et je doute que tous les hommes ici présents aient le droit à un traitement de faveur ? Cela serait gênant vraiment. Mais je remercie l’attention que vous portez à mon égard. »
Lui adressant un ultime sourire amical, tu voyais en toi ce petit grain de sable qui un jour, tu l’espères, deviendra cette roche solide capable de soutenir bien plus qu’un simple édifice et qu’une simple institution.
Tu espères par le biais de Silver, aider Orihime à retrouver sa sœur. Tu espères, retrouver ta propre sœur également. Tu espères, arrêter la folie d’Oméa avant qu’elle n’atteigne une deuxième fois le pays. Tu espères, une dernière fois, revoir Enya. Parce que tu avais toutes ces questions, tous ces mystères te pesant sur le cœur…Tu te dis qu’elle a forcément les réponses.
Hésitant presque avant de répondre, le jeune Robin offrit quelques bribes de paroles toujours teintées d’une humilité certaine. Kôta écoutait précisément chacun des mots que son interlocuteur lui adressait et constatait, presque surpris, que ce qu’il disait était véritablement sincère. Au fond, c’était juste une personne qui s’était retrouvée là, dans la salle d’inscription, sans trop savoir comment. Un peu comme Kôta, des mois plus tôt, s’était laissé engrené dans le Conseil de la Magie. « Je ne sais pas quoi ni comment, mais je veux faire quelque chose. » Et l’institution lui avait ouvert ses portes. Avec le temps, il ne savait pas vraiment toujours quel était l’impact de ses actes sur son quotidien à lui comme sur celui du royaume. Mais il savait que, minimes ou non, les conséquences étaient importantes pour lui. Il avait l’impression d’exister, de la sorte ; peut-être que Robin connaissait tout ça, lui aussi. Au fond de lui, le major fut pris d’une légère vague d’affection envers l’autre homme.
Il attendit qu’il termina sa phrase pour enfin lâcher le bref rire qu’il contenait jusqu’alors. « Eplucheur de patates ? Tu peux toujours te présenter dans les cuisines, mais ce n’est pas là qu’on envoie ceux qui aiment réfléchir, comme tu le dis ! » Il tenta de croiser le regard de Robin, comme pour s’excuser de ses précédentes paroles maladroites qui l’avaient gêné. « Ce n’est pas un traitement de faveur. On s’efforce juste de placer tout le monde là où ils sont utiles et où ils se sentent efficaces. Tu peux commencer dans n’importe quel service, et tu évolueras rapidement suivant les capacités qu’on remarquera de toi vers tel ou tel autre domaine. »
Ils marchaient toujours vers le quartier général quand Kôta se stoppa soudainement, posant amicalement sa main sur l’épaule de l’autre. « Quant à moi, je vais me faire taper sur les doigts si je ne finis pas mon travail aujourd’hui ! Je n’étais pas forcément censé intervenir là, j’ai pris du retard, donc je te laisse, je file ! En espérant te revoir très bientôt sous les couleurs de la milice. Et n’oublie pas, si tu as le moindre souci ou la moindre demande : demande Hirata Kôta. Je saurais t’écouter. » A peine ses paroles proférées, ses ailes repoussèrent dans son dos et ses pieds quittaient le sol. Il adressa un dernier clin d’œil à Robin et puis fonça en direction du Palais Royal, pour réintégrer son poste le plus vite possible.
Tu ne pus t’empêcher de rigoler en imaginant un homme tel que lui se faisant engueuler. A croire que même aux meilleurs, cela peut arriver. Personne n’est vraiment à l’abri. Alors que vos chemins se séparent, tu le regarde s’envoler dans les airs en réfléchissant à ses dires. Une place. Etre utile. T’en viens à te demander si un jour quelconque, tu arriverais vraiment à être utile ou si ce n’est qu’illusion et mensonge que de prétendre que tu pourrais être comme lui. Comme eux.
Comme toutes ces personnes qui, jusqu’à présent, ont croisés ta route. Tous ces mages qui sont sûrs d’eux-mêmes, sûrs de faire des choses utiles, pouvant servir leur but. Leur objectif. T’aimerais avoir la même conviction en toi mais ce n’est pas le cas. Ce n’est plus le cas. Ta conviction de rendre le monde meilleur, elle s’est brisée il y a de cela bien longtemps maintenant. Peut-être que ce n’est pas toi, qui à bout de bras, réussira à porter le fardeau du monde, peut-être que cette tâche sera confié à quelqu’un d’autre, peut-être que tu ne seras que spectateur comme tu l’as été à Echoic Roar.
Alors que le Major disparait, tu t’assois sur un banc, t’affalant lamentablement dessus et levant les yeux au ciel comme si toutes les réponses que tu cherchais, étaient camouflées par les nuages. Il n’y avait rien dans le ciel. Aucune réponse. Il n’y avait là que de gros et sombres nuages. Il n’y avait là que les oiseaux volant en toute liberté. Il n’y avait là que l’immensité du monde pouvant s’offrir à quiconque saura tendre la main.
Peut-être qu’un jour, tu lui parleras de toi. Peut-être qu’un jour, tu lui diras que tu savais déjà qui il était. Que son nom est dans une pile de dossier encombrant. Peut-être qu’un jour, tu lui parleras de cette femme à la chevelure enflammée et de ses idéaux prêts à mettre à feu et à sang le pays. Peut-être qu’il t’arrêtera ou peut-être qu’il comprendra. Elle était dangereuse mais à la fois nécessaire. Tous ce que vous ne pourrez pas faire, elle le fera. T’en es certain de ça. Qu’au fond…Enya Taylor n’est pas méchante. Elle est un mal, comme un autre. Un mal nécessaire. Elle est cette plaie qui jamais ne se refermera. Peut-être qu’un jour, tu lui diras pour Echoic Roar.
Mais pas maintenant. Maintenant t’as juste envie de rentrer chez toi, t’as envie de t’allonger sur ton lit, t’enfouir ton visage contre l’oreiller et d’oublier tout ça. D’oublier pourquoi t’es venu à Silver Sword. D’oublier pourquoi tu t’es engagé dans ça.
« - Mais d’abords…J’ai du pain sur la planche. »
En te levant, les oiseaux s’envolent derrière toi et un bref rayon de soleil apparait sur le bâtiment d’en face. Comme une brève lueur d’espoir. Cela ne servait à rien de réfléchir à tout ça maintenant ou bien même de réfléchir tout cours. Noah et Enya te l’avais déjà dit. Des fois, il fallait être ce roseau se pliant au gré du vent. Il fallait se laisser aller et voir où cela pouvait nous mener.
Voyons jusqu’où Silver Sword, la milice royale, pouvait t’emmener. Jusqu’où tu pourras aller et si un jour, tu recroiseras sa route, à ce major trop pressé pour toi.
En attendant, pour un premier jour, t’as appris une leçon essentielle. Plus t’es haut gradé….Et moins de la liberté d’agir tu auras. Mieux vaut être un simple éplucheur de patates. Juste pour pouvoir profiter de ce ciel un peu plus longtemps.
« Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit» ► MARK TWAIN