Le parc de Blue Pegasus était humide à cause de la rosée matinale, mais le soleil commençait déjà à sécher les quelques gouttes qui subsistaient sur l’extrémité des fleurs. Kôta s’assit sur un coin d’herbe en tailleur, ne faisant pas attention au fait qu’il se mouille le derrière. Il respira un bon coup et ferma les yeux.

Archibald Leigh lui avait fait faire cet exercice de nombreuses fois. Pendant des jours il s’était concentré à ressentir les émanations magiques qui se dégageaient tout autour de lui. Il y était parvenu, et Archibald lui avait donné pour défi de réussir à les assimiler, à se les approprier pour en faire ce qu’il voulait ensuite. Kôta, dans un endroit boisé, s’était concentré à percevoir les effluves magiques de la terre, de l’air, de tout ce qui l’entourait. Il l’avait ressentie se poser dans son corps, il avait ressenti ses propres émanations, et il avait réussi à la canaliser, à la prendre dans le creux de ses mains. Avec un peu plus de concentration, il avait réussi à distinguer les différentes sources de magie. Ainsi, il était capable désormais, en touchant une personne, d’estimer la quantité de magie qu’elle avait en elle (sa technique de la main de Dieu) mais aussi, en la touchant, de réussir à lui voler, à lui dérober de la magie (sa technique de la main du Diable). Pouvait-il aller plus loin ? Il ne s’était pas trop posé la question directement, trop affairé à s’occuper des divers évènements qui lui étaient tombés dessus depuis. Mais actuellement, il avait du temps devant lui. Il avait réussi à contrôler des magies relatives à sa condition de Take-Over récemment, n’était-ce pas la preuve, malgré tout, qu’il pouvait évoluer ? Il s’était alors mis en tête de prolonger ce pouvoir, de retrouver la communion qu’il avait eu avec la nature, avec la magie. Depuis quelques jours il s’installait au même endroit et fermait les yeux pendant des heures, en méditation totale.

Les yeux clos, il voyait dans son esprit pourtant tout ce qui l’entourait grâce à sa mémoire. Il reconnaissait les arbres autour de lui, et en ressentant le mouvement du vent, il devinait le vacillement des feuilles sur les branches. Il imaginait ensuite, à un stade de concentration plus fort, qu’il voyait les particules de magie léviter dans l’air, aller dans lui, dans tout ce qui vit, et insuffler leur force dans ce qu’ils pénétraient. Il avait, au fil des jours, retrouvé cette sensation unique, cette perception exigüe des choses. Il sentait qu’il était prêt à dépasser ses actuelles capacités. Il s’était mis en tête, alors, de réussir à contrôler, comme la dernière fois, les flux de magie qui traversaient son corps. Mais si sa technique de Devil’s Gift lui permettait d’offrir ces flux à une autre personne, c’était aujourd’hui plus compliqué parce qu’il était seul, parce qu’il n’avait pas de cible et donc que le flux de magie était plus difficile à guider. C’est pourquoi il se contenta de le garder en lui-même, en son corps, et qu’il laissa la magie envahir chaque parcelle de lui-même, de le posséder complètement. Il ressentait la magie dans ses cheveux, au bout de son nez, sur ses phalanges, entre ses orteils, vraiment partout, comme une véritable aura qui l’entourait.

Que pouvait-il faire avec ça, alors ? Il tenta de la compacter, de la garder en un seul point. Ce fut difficile, et seulement au bout de quelques temps il réussit à faire migrer toute sa force magique dans un poing. Il ressentait la présence de sa paume, de ses doigts, et en parallèle, de sa force magique. Mais était-ce suffisant ? Non. Il fallait rompre le parallèle, faire fusionner le corps et la magie pour qu’ils s’échangent leurs forces respectives.

Plusieurs jours durant, Kôta s’empressa de concentrer toute sa magie dans son poing droit, mais il c’était trop exténuant d’essayer de faire qu’un entre le corps et l’essence magique. Il ne pouvait les fusionner, mais alors il tenta une approche plus subtile. Il demanda à ses flux magiques de comprimer les portes par lesquelles la magie s’échappait de son corps. Ceci fait, sa magie se concentra réellement, sans perte, dans son poing. Il ouvrit les yeux pour la première fois de son entrainement de plusieurs jours et regarda son poing. Un halo quasi invisible l’entourait. De la magie pure, concentrée en tout ce point. Toute la magie du corps de Kôta se trouvait dans sa main. Il se leva, un peu étourdi, et s’approcha de l’arbre le plus proche. Il le frappa d’un coup de poing et sa main s’enfonça aisément dans l’écorce, lui qui, en temps normal, se serait brisé les os avec une simple attaque de ce genre. Emerveillé par ce qu’il venait de découvrir, Kôta regardait le trou qu’il venait de faire dans l’arbre, puis sans s’en rendre compte, s’écroula sur le sol.
Dans l’incapacité de bouger, à terre, il comprit ce qui lui était arrivé. En migrant toute sa magie, toute son énergie magique dans son poing, le reste de son corps n’était pas alimenté et donc devenait plus vulnérable, plus faible. Il avait trop forcé, trop insufflé de force à son poing, si bien que sans s’en rendre compte, il avait consommé une bonne partie de son énergie magique d’un seul coup. Le voilà à terre. Au bout de quelques minutes, il put se relever, et, chancelant, il stoppa l’entrainement pour ce jour-ci et rentra à la guilde.

Mais le lendemain, il était de retour à la même place. Il recommença le même procédé, mais cette fois, il tenta de bien distinguer la masse compacte de magie qui occupait son poing, il tenta de bien la soupeser, de l’appréhender totalement. Il se leva, s’avança vers un autre tronc et le frappa. Le coup était moins fort que la veille mais c’était parce que Kôta l’avait voulu, l’avait drainé, l’avait maitrisé. Il reprit sa méditation, toujours debout. S’il pouvait faire agir son énergie magique sur son propre corps, jusqu’où pouvait-il aller de cette manière ? Il transporta son énergie magique jusque dans ses jambes cette fois, et tenta d’exercer une action cette fois sur ses muscles et sur sa pression artérielle. Il stimula ainsi ses jambes, qui chauffèrent rapidement, ses muscles chauds bouillants. Il ouvrit les yeux, remonta son pantalon et vit les veines et les muscles saillants sur ses jambes d’habitudes si frêles. Il fit un pas, deux pas, concentrant toujours sa magie dans ses jambes pour les stimuler. Il pourrait courir beaucoup plus vite que la normale, non ? Il commença un sprint, s’étonna de sa grande vitesse, mais au bout de quelques mètres un énorme claquage se fit entendre et il se ramassa sur le sol en hurlant.

Il resta une semaine les deux jambes immobiles à la guilde, ne racontant à personne ce qui lui était arrivé, puis une fois qu’il put remarcher, il reprit l’entrainement. Il pouvait faire de grandes choses mais il fallait qu’il apprenne à se maitriser, c’était aussi simple que ça. Tout comme pour son poing, il fallait qu’il régule la quantité de magie qu’il mettait dans ses jambes. Il y alla un peu plus docilement cette fois et repris une course, et couru au moins deux fois plus vite que d’habitude. Il se stoppa. Il n’était pas épuisé directement, mais quand il relâcha toute la pression qu’exerçait sa magie sur son corps, il tomba à nouveau à terre sans s’en rendre compte. Il demandait trop à son corps, qui devenait absolument dépendant de la magie. Mais s’il régule justement l’énergie qu’il utilise, il peut sans doute utiliser ce qu’il venait de découvrir à des fins très utiles. Il rentra à la guilde, s’appuyant sur une branche pour avancer, et alla, encore une fois, se coucher pour se reposer.