Étaient-ils arrivés dans le temple principal ou bien n’était-ce qu’une énième pièce de passage ? Plutôt la deuxième option. Car bien qu’ils y aient de nombreuses traces de l’ancien culte qui était voué ici, rien n’indiquait que des rituels y étaient pratiqués.

L’eau et ses reflets sur la roche. Ces étranges cristaux luminescents. Ces statues pompeuses. L’ambiance était toutefois beaucoup plus cérémonieuse que dans les autres temples. Peut-être que les prêtresses venaient s’y purifier le corps et l’esprit…

Songeuse, Seiren observait minutieusement les alentours à la recherche d’une faille. Mais rien. Elle inspecta la statue principale, sans succès. L’étape suivante : vérifier les sources des cascades. Là encore, elle n’y gagna rien, à part le fait d’être trempée jusqu’aux os par une eau gelée. Mais au moins, elle était prête pour la prochaine étape, à savoir plonger dans chacun de ces lacs pour trouver un éventuel passage.

La Fée qui avait été prise par ses investigations ne remarqua pas tout de suite l’immobilisme de Jerenn. Et ne prêta pas attention non plus à ses premières paroles. Seul le Je suis désolé parvint à ses oreilles.

Intriguée, la jeune femme s’avança face à son partenaire.

▬ Tu t’excuses pour me laisser me mouiller toute seule ou tu t’excuses en avance pour tes futures bêtises ?

Aucune réaction. C’était comme si le mage de Phantom Lord était perdu dans ses pensées ou ses souvenirs. Aucun mouvement comme figé hors du temps. Seuls les traits de son visage affichèrent des expressions que la jeune femme ne lui avait encore jamais vues : la rage, la tristesse, la culpabilité. Des expressions qu’elle reconnut immédiatement pour les voir souvent dans son propre reflet.

▬ Hé ! Jerenn !!

Seiren posa une main glacée sur la joue du jeune homme comme pour le réveiller, mais la présence d’un individu et son aura vindicative la stoppa. À la place, elle plongea sur Jerenn pour qu’ils tombent tous deux au sol. Une flèche traversa leur ancienne position et se planta dans la statue du dieu serpent à la place de la tête du pistomancien.

Ni une ni deux, la lumière des bottes et des gants de Seiren illumina un peu plus la grotte. Piste de décollage : Jerenn. Piste d’atterrissage : le sousfifre du sorcier. Et un seul geste, une main tendue vers la poitrine de l’adversaire. L’électricité condensée en sa paume le traversa de part en part pour le mettre immédiatement hors d’état de nuire. Elle ne lui laissa aucune chance, car après tout, elle excellait dans ce type d’attaque éclair. L’acte déjà perpétré plusieurs fois par le passé ne fut pas si cruel que ce que les apparences pourraient laisser croire. Car oui, cette fois-ci, elle n’avait pas visé le cœur et ce n’était pas une exécution. Mais la position qu’elle tenait, la mémoire de son corps… Le dégoût surgissait à nouveau dans ses tripes, brûlant. Vite, se concentrer sur autre chose pour tout ravaler.

▬ Est-ce que ça va ? J’ai été encore une fois un peu brusque. Excuse-moi.

Accroupie non-loin, au-dessus d’un Jerenn encore allongé au sol, comme abasourdi, Seiren s’efforça de sourire pour le distraire.

▬ Tu as repris tes esprits ? Tu es pâle ou alors c’est ce vert ambiant qui ne te va pas. Peut-être que tu devrais te reposer encore un peu jusqu’à ce qu’on trouve l’autel. Ca serait normal que tu ne sois pas encore en grande forme après notre dernière rencontre. Alors redresse-toi. Monte-la garde. Et laisse-moi la recherche de l’emplacement de l’autel.

Elle vit qu’il allait retorquer, mais elle ne lui en laissa pas le temps.

▬ Et puis tu ne peux voir dans le noir. Ces petits cristaux dans les lacs ne sont que des lumières d’ambiance. Moi je pourrais voir.

La Fée laissa son manteau sur son accolyte et réactiva sa technique de déplacement dont elle détournerait la fonction première. Pour une fois que cette lumière lui donnait l’avantage -celui d’être quasiment une lampe torche humaine- il fallait s’en servir.

Seiren plongea immédiatement dans le premier bassin. L’exploration commença et se poursuivit jusqu’au deuxième, troisième, puis quatrième bassin. Mais rien pour l’instant. Aucun passage. La jeune femme écumait chacun des plans d’eau. Plongeant, remontant à la surface pour reprendre de l’air, puis replongeant. Ballet incessant, elle ne faisait plus vraiment attention à la température de l’eau pourtant glaciale. Puis en ressortant une nouvelle fois, Seiren reprit accidentellement de la hauteur, ce qui lui permit de voir que chaque bassin consituait une forme plus générale, celle d’une goutte. Une goutte d’eau selon tout vraisemblance. Elle décida alors de se rendre dans le bassin représentant la pointe de la goutte, car depuis les airs, elle invitait et montrait une direction précise. Bien qu’en surface, cela ne mène littéralement dans un mur.

Déduction exacte. Elle avait enfin trouvé le passage. Il ne restait plus qu’à y entrainer Jerenn.

▬ Si Monsieur veut bien me suivre. J’ai trouvé l’accès.

Elle le guida jusqu’au bassin ultime, lui précisa la localisation du passage, bien qu’elle lui assura qu’elle passerait devait pour illuminer le trajet, mais malgré les précautions qu’elle prenait Jerenn ne semblait pas emballer par une plongée.
Alors, Isaya osa. Et à nouveau sa main glacée sur la joue du jeune mage pour tenter de le sortir de sa léthargie.

▬ Jerenn… Est-ce que… Est-ce que tu as peur de l’eau ? Je peux y aller seule, tu sais.

Et encore cette sensation que le temps est arrété.

▬ Est-ce que tu veux en parler ?

Comme si de rien n’était, Seiren se pencha sur Jerenn, approchant son visage au plus près et planta son regard dans le sien sans vergogne.
▬ Je vais t’avouer quelque chose. Même si j’ai dit que je ferai des efforts… Le chevalier servant, protecteur de ses dames, commence à me taper sur les nerfs. Ta bosse, tu l’as méritée.

La fée releva les yeux lorsqu’elle sentit le sol vibrer sous ses genoux. Les sols et les murs se mirent à nouveau en mouvement pour un nouvel essorage. Mais cette fois-ci, la jeune femme activa sa technique de déplacement pour rester en suspension dans les airs. Ayant embarqué Jerenn contre elle, les deux mages ne touchaient plus aucune des parois.

▬ Mais ça ne veut pas dire que tu ne peux pas agir quand il le faut. J’ai les mains prises alors tu attends quoi pour nous créer un passage ? rétorqua-t-elle, la mine boudeuse.

Le pistomancien s’exécuta en tirant dans l’un des murs, formant une brèche dans laquelle Seiren s’empressa de s’engouffrer. Elle libéra son partenaire de son entrave puis reprit le chemin tout en marmonnant de colère.

▬ Et puis si tu as des soucis, ce n’est pas à moi de te dire quand en parler. C’est plutôt l’inverse. Tu en parles quand tu en ressens le besoin. Je ne vais pas faire un interrogatoire, triple-idiot.

Alors qu’elle pestiférait dans sa barbe (qu’elle n’a pas, on est bien d’accord è.é), les deux mages avaient pénétré une nouvelle salle. Démesurément grande et ressemblant plutôt à une grotte, il n’y avait rien à part quelques gravures et reliefs errodés dans les parois rocheuses. Le sol était toutefois une peu gadoueux, un sable noir le recouvrait et l’air était encore plus humide qu’avant.

Atchoum !

Seiren commençait à greloter. Et dire qu’elle n’avait jamais été malade. Ca serait le comble pour elle que ça arrive en pleine mission, mais ce froid humide pouvait presque atteindre les os. Elle commençait à préférer le temple du Phénix.
Mais, là encore, elle feinta. Comme si ce n’était rien.

▬ Il doit y avoir un mécanisme à actionner quelque part…

Évidemment au moment où elle prononça cette phrase, Jerenn marcha sur quelque chose.
Clac !
L’air béta, il se mit à rire nerveusement. Et l’ensemble de la grotte se mit à trembler de toute part.

D’un côté, un trou béant se formit dans le sable, laissant ce qui ressemblait à un autel remonter à la surface.
De l’autre côté, un des murs s’écroula. L’obscurité faisant, on ne pouvait compter que sur ses autres sens : le tss et deux paires d’yeux rouges. Au final, il ne s’agissait là que de deux serpents… Mais pas n’importe lesquels. Deux cobras géants qui sortirent d’un tunnel improvisé. La gueule ouverte, leurs langues empoisonnées sifflant et leur énorme queue claquant le sol. Cela n’allait pas être une partie de plaisir…

Surtout lorsque, d’un autre côté, une fontaine d’eau incrustée à même la roche venait de lancer une course contre la montre.

▬ C’est une blague ou quoi ?!

Avant que la grotte ne soit totalement innondée, les deux mages allaient devoir affrontrer les serpents pour accéder à l’autel et récupérer enfin l’image votive.
Les deux complices échangèrent un regard et se mirent d’accord pour se partager le travail. À chacun son serpent.

Seiren s’élança vers celui de gauche, le bras armé de son Raitei et ciblant immédiatement la tête. Mais c’était sans compte sur l’apparition de…

▬ Hellooooww !!!

La lieutenant du sorcier venait d’apparaître dans la trajectoire de la fée et la repoussa d’un coup de pied dans l’abdomen. Seiren fut éjectée dans la position opposée et échoua violemment contre un mur.

▬ Daisy !!
▬ Yeay ! Je le savais. Tu te souviens de mon nom. Ca tombe bien, parce que je suis venue pour toi…

Ignorant totalement la précense des reptiles, Daisy fonça directement sur le mage de Phantom Lord…

Le choc fut violent contre la roche. En se relevant Seiren sentit un liquide perler dans son dos. Mais la douleur était infime et au toucher du doigt, cela ne semblait être qu’une belle égratignure. En revanche, sa cheville la gênait. Mais de pas de quoi en faire tout un plat, surtout lorsqu’un serpent géant vous fait face et qu’un combat acharné entre son partenaire et l’ennemi a lieu dans le même temps.

Mais pas le temps d’observer le combat que la queue du serpent claque le sol. La fée l’avait senti venir et n’avait fait qu’un seul pas sur le côté pour esquiver. En guise de réponse, elle détourna la fonction première de son Hiketsu, en rejetant la tête du serpent pour qu’elle s’écrase contre le plafond. Elle tint la position pendant de longues secondes, accentuant la force de la répulsion, puis relâcha sa technique. Le corps du serpent retomba lourdement à terre, inerte.

Dans le même temps Jerenn fit battre en retraite Daisy et s’occupa du second serpent. Il ne restait plus qu’à récupérer l’image votive, avant que l’eau n’ait complètement envahi la grotte. Les deux mages se retrouvèrent devant l’autel et pratiquèrent le rituel dont ils avaient maintenant l’habitude. Malheureusement pour Jerenn, pas la moindre apparition serpentesque n’était à déclarer. Donc pas de sèche-linge, pas de serviettes, ni de vêtements secs.
Maintenant, il fallait rebrousser chemin pour récupérer leurs affaires. Et rebelottte, l’équipe enfila à nouveau à sa casquette de plongeurs et dû aller un peu plus vite qu’à l’aller. Question d’oxygène… dont la quantité se réduisait comme une peau de chagrin à chaque montée des eaux. Une fois de l’autre côté, l’affaire était dans le sac (sans mauvais jeu de mots) et ils ressortirent sans trop d’encombres.

Après dix minutes de marche, direction la dernière étape de leur épopée, Jerenn se planta sur la route de Seiren et s’accroupit, lui tournant le dos.
▬ On va arrêter de faire semblant de rien remarquer… Monte. Et on fera une halte pour la nuit.

La jeune femme resta sans voix, surprise par sa soudaine autorité. Puis, elle obtempéra, venant entourer son cou de ses bras et se coller à son dos. Quelques ajustements et mouvements incongrus plus tard, ils reprirent leur route en silence... comme emprisonnés par l’embarras.

Pas que la tentation de s’endormir dans cette position ne soit pas là… mais la cariole d’un fermier fut la bienvenue pour les mener au prochain village. À l’entrée de celui-ci, en plein crépuscule, des enfants têtus jouaient encore à chat et s’éparpillaient sur le passage des deux mages. Pour les quelques mètres à parcourir, Seiren avait refusé d’être portée. La fée se stoppa un instant lorsqu’une petite fille trébucha. Elle s’apprêtait à la rejoindre pour l’aider à se relever quand celle que la petite fille appelait « onee-chan » accourut pour la consoler.
La fatigue n’aidant pas à conserver correctement son flegme habituel, elle-même sentit que son masque d’apparat se fissurait lorsque son cœur se serra, emprunt de nostalgie. Mais la sensation désagréable qui se faisait insistante fut balayée d’un revers de main… Cette même main qui remit en ordre ses longs cheveux.

Les deux complices entrèrent dans la seule auberge du village qui existait et, bien évidemment, il ne restait plus qu’une seule chambre. Entre les baroudeurs et les passionnés de botanique s’y retrouvaient. Botanique ? Et bien oui, car la région était bien connue pour ses plantations de fleurs et herbes en tout genre. Bref. À peine eurent-ils mis les pieds dans la chambre que Seiren s’éclipsa sur un…Je vais prendre une douche. Avant d’en ressortir une quinzaine de minutes plus tard pour laisser la place à Jerenn. De nouveaux vêtements, t-shirt et short, des bouts de tissus tout ce qu’il y a de plus simple pour dormir… et cette bonne odeur de propre. Elle avait pu se réchauffer et se laver, avec l’impression que cela faisait des jours que cela n’avait pas été le cas.

En gentleman, le mage de Phantom Lord avait installé ses affaires par terre. La fée hésita un instant, puis déplaça l’ensemble sur le lit… Ce qui ne manqua de surprendre le pistomancien.

▬ Tu peux dormir ici, à condition de rester SUR les draps.

Jerenn acquiesca sans broncher.

Ensuite, imaginez deux nouilles assis sur un lit, chacun dans leur coin et vous pourrez voir à quoi la scène ressemble.
Seiren prit les devants en proposant de terminer les soins sur les blessures du jeune homme comme refaire les bandages et placer des pansements sur les petites plaies. Elle remarqua que le pistomancien semblait en proie à une certaine agitation, une agitation dont la source qui lui était inconnue. Puis la situation fut inversée lorsque Jerenn entreprit de s’occuper de la cheville de la fée. D’abord rétissante, elle céda après quelques secondes de flottement.

▬ Même maintenant, même après cette mission, tu gardes toujours tes distances. Tu n’as vraiment pas conscience de ce que tu peux provoquer chez les autres, n’est-ce pas ? Est-ce pareil à Fairy Tail ? À quoi ça te sert de jouer les personnes froides, alors que tu es tout le contraire.
Piquée au vif, Seiren dégagea sa cheville de ses mains.
▬ Et toi. À jouer les imbéciles heureux, tu n’en paraîs que plus triste et sombre. … Chacun ses défauts.

Elle aurait voulu le frapper après ce qu’il avait osé dire tout haut. Elle aurait pu. Mais elle n’en avait rien fait et ne savait même pas pourquoi.
Dans tous les cas, elle se replia sur elle-même en se glissant sous les draps. Un bonne nuit prononcé à demi-mots et une lampe de chevet qui s’éteint… La nuit s’annonçait froide.

La fée s’assoupit en ruminant intérieurement des Pour qui il se prend ?! En quoi ça le concerne ?! Alors que lui aussi fait la même chose, etc.
Comportement semblable, mais diamétralement opposé. Des contraires qui s’attirent diraient certains.
La nuit reprit son cours et ses habitudes. Agitée et hantée par les mêmes souvenirs, Seiren se réveilla au beau milieu de la nuit. Un verre d’eau comme pour tout laver et un peu d’air frais suffirait, comme toujours. Seulement, elle savait pertinemment qu’elle ne se rendormirait pas. La fée reprit sa place, prompte à céder à l’ennui, quand Jerenn se mit à bouger vivement. Lui aussi semblait troublé, allant même à marmonner des choses incompréhensibles, comme si il souffrait.

Seiren posa une main sur sa joue avec l’intention inconsciente de l’apaiser. Et cela fonctionna. Il se tourna même sur le côté et chopa sa main.

▬ Doux…

À ce seul mot, Seiren se sentit rougir légèrement, dégagea sa main de son emprise et s’enfouit à nouveau dans les draps, bien contente qu’il fasse nuit.

▬ Désolé…

Un dernier mot qui pouvait se destiner aussi bien à ses fantômes qu’à elle… avant que le lendemain ne s’installe dans le présent et que leurs devoirs de mages ne reprennent le dessus sur ces égarements nocturnes…