Alicia ajusta son décolleté. Une dernière touche purpurine sur ses lèvres, et elle était prête. Ce soir, elle allait jouer un peu...
La mission du jour manquait en elle même un tantinet de piment. Il ne s'agissait guère de voler une broche à un homme. Pas la moindre poursuite, ou mise à mort. Cependant, il fallait jouer. Jouer, mentir, tromper, se faire désirer et admirer... En ce sens, ce n'était pas une complète perte de temps. Elle avait amplement les moyens de s'amuser, même si ce serait très « sage ». Une stupide glousseuse surmaquillée voulait récupérer la broche de mariage de son richissime divorcé. Pour cela, Alicia s'était arrangé pour avoir l'emploi du temps de l'ex mari. Il lui avait suffit d'appeler quelques unes de ses marionnettes. Obtenir des données était d'un banal... Plus intéressant, il semblait que monsieur n'ait pas perdu de temps. A peine le divorce signé, il avait enchaîné les bals, les réceptions, les mondanités, mais aussi les filles de joie, les soirées déshabillées, et les clubs libertins. En somme, il aimait s'amuser. Ce serait facile. Très facile. Déjà que les hommes étaient des machines à fantasmes, si en plus celui ci ne vivait que pour les réaliser... Cela avait presque une dimension pathétique de voir qu'un homme était ainsi soumis à ses désirs, pauvre esclave... Mais bon, ce n'était qu'un mortel idiot comme tant d'autres, et puis question esclaves... La jeune femme s'y connaissait un peu...

Elle s'était arrangée pour obtenir la date de sa prochaine sortie. Un bal réservé aux hommes du monde, à Hosenka. Et dont le « divertissement artistique » était composé uniquement de femmes... Vilains petits coquins... Et bien sûr, qui mieux qu'un homme sait ce que veulent les hommes ? Donc naturellement, l'organisateur des « réjouissances » était un homme... Il suffit d'une touche de charme, et d'un tantinet de magie pour que la jeune femme se fasse engager pour un petit tour de chant. Elle avait déjà donné de la voix au cours d'un assassinat. Mais c'était dans une vulgaire taverne. Une glorieuse prestation cependant. Là, elle n'aura qu'à l'attiser un peu... Elle avait choisi une robe fluide rouge écarlate, pour trancher avec la pâleur de sa peau, et ses cheveux d'argent. Elle interviendrait autour de minuit. Ce qui lui laissait quatre à cinq heures après sa performance pour obtenir ce qu'elle voulait.



Le soir du bal, la jeune femme se tenait sur un balcon interne de la salle, observant discrètement les convives en attendant l'heure de sa performance. Ils étaient là, tous de noir vêtus, comme une nuée d'ombres. Et pourtant, si brillants et clinquants. Montres, bagues, chevalières, chaînes... Un classement social très strict. Plus on exhibait d'or, plus on était riche. Pitoyable de raisonner ainsi. Le requin qui montre son éperon perd sa proie, alors que celui qui reste sous la surface l'aura par surprise. Enfin, la Lady ne comptait pas réussir à rattraper les tares de l'humanité. Elle avait rapidement trouvé sa cible. Quarantaine, encore bien portant, avec une énorme montre en or. Les hommes avaient un vrai complexe sur la taille de leur montre. Sans doute pour compenser... Bref, elle avait ce qu'elle voulait, sa position. Elle vit l'organisateur lui jeter un petit regard depuis la scène. C'était son tour visiblement. Parfait, le timing était impeccable. Plutôt que de passer par derrière, Alicia décida de passer par l'entrée principale. Elle navigua ainsi au milieu des hommes, étoile sanglante dans ces costumes noirs, seule femme parmi les hommes. Elle marchait lentement, ondulant doucement les hanches, la tête droite, légèrement relevée pour offrir sa gorge. Tant qu'à se faire désirer, autant commencer... Une fois arrivée à la scène, elle était sûre d'avoir acquis l'attention de la salle. Elle grimpa les quelques marches, puis vint se placer devant le micro. Elle fit un petit signe à l'orchestre derrière qui commença à jouer.

The day has past, and night is coming
When the lines of what's right is slowly blurring
I've made my choice, you are the one
Who will be my lover tonight...

Elle s'assurait d'osciller contre le socle du micro. La gestuelle avait bien plus d'importance que le sens exact des paroles. Les hommes étaient visuels, pas intellectuels, ça se saurait. Aussi, le mouvement leur servait de point d'accroche inconscient. En particulier, celui qu'elle visait.

I cannot stand this temptation
The more I get, the more I want
I simply cannot get enough

Il suffisait qu'il croise son regard une seule fois... Et il recevrait une décharge qu'il n'oublierait pas.

This is the point of no return
My love this is a perfect night...

Et oui, il avait franchi le point de non retour. Il avait regardé la jeune femme dans les yeux. Celle ci déchaîna son charisme. Elle n'avait pas besoin que toute la salle lui saute dessus. Donc elle limita bien le sort à son seul regard. Mais un regard magique d'une intensité irrésistible pour un simple mortel comme lui. Elle sourit discrètement en constatant qu'il ne la lâchait plus du regard. Chut... Il fallait être sage petit homme... Et attendre la fin de la représentation...
Une fois sa prestation terminée, la jeune femme repartit comme elle était venue, en passant à travers la foule. Une ou deux personnes tentèrent bien un geste vers elle, mais elle les ignora. Elle n'avait pas de temps à perdre.

Sa cible l'attendait près de la sortie.

Bonsoir.

Bonsoir.

Il lui fit un rapide baisemain. Classique... Néanmoins, elle fit un effort pour lui sourire en rosissant. L'avantage d'avoir la peau très pâle, c'était que rosir demandait un effort minime...

Charmante prestation.

Merci bien.

Je dois avouer que je suis un grand amateur de musique, et que vous m'intriguez beaucoup, mademoiselle... ?

Amateur de musique, oui bien sûr... Il était surtout amateur de jolies formes, vu les méritants efforts qu'il faisait pour ne pas plonger le nez en premier dans le bustier de la jeune femme. Enfin, c'était le but de la manœuvre...

Fertrust. Melinda Fertrust.

Melinda... Seriez vous disposée à répondre à quelques questions ?

Mais bien entendu, un homme aussi charmant mérite amplement de l'attention...


Il l'emmena dans un salon de thé très en vogue dans le quartier. Enfin, salon de thé donnait une impression de modestie auquel cet endroit ne pouvait visiblement prétendre, considérant son luxe écrasant. Juste ciel, les mortels ne savaient jamais s'arrêter. Et puis, salon de thé, salon de thé... La jeune femme ne trouva du thé que dans un petit encadré, tout en bas de la carte. Sa proie, elle, demanda un alcool redoutablement fort. Goujat. Il s'imaginait donc qu'il avait conclut la soirée et qu'il pouvait se rendre ivre mort avant de lui bondir dessus ? Tant de bêtise écœurait la jeune femme... Elle eut presque envie de le planter là. Mais elle était une professionnelle, et elle avait un objectif à accomplir. Aussi sirota t elle son thé, mauvais au passage, en répondant à ses questions. Elle aurait presque pu le faire en pilote automatique. Les questions suivaient un ordre invariable. Travail, personnel, conditions de travail pour donner l'impression que le personnel n'avait aucune visée personnelle, et pour finir demande de jugement dépréciatif afin de pouvoir soumettre une offre plus alléchante, et au passage mettre la jeune femme dans son lit, car elle serait alors naturellement débordante de gratitude. Pitié...

Du coup, elle brûla les étapes. Avant de passer à l'étape trois, elle se pencha vers, lui murmurant d'une voix rauque qu'ils seraient sans doute plus à l'aise en privé. Sa cible, qui avait déjà bien bu, eut un petit sursaut de surprise, suivi d'un sourire carnassier. Inconsciemment, il se réjouissait de sauter les étapes, lentes, et tellement peu constructives.

Il l'emmena chez lui. Ils se heurtèrent plusieurs fois dans les couloirs menant à la chambre. Elle prit bien garde à ne pas le laisser la toucher. Il était hors de propos qu'un mortel pose ses mains souillées sur elle. Elle l'attira dans le grand lit à baldaquin, où elle le coucha sur le dos, grimpant à califourchon sur son ventre. Elle se contentait d'osciller légèrement les hanches, pour maintenir sa passion. Elle se pencha lentement vers lui, souffla distraitement le long de sa carotide. Les hommes étaient curieusement excités par cet endroit, alors qu'il s'agissait pourtant d'un de leur principaux points faibles... A moins que ce ne soit l'érotisme du danger justement... ?

J'ai envie de quelque chose qui me rende jolie pour ça...

Ah... ?

Oui... Une babiole qui me rendrait lumineuse dans tes yeux...

Tu l'es déjà.

Juste ciel, elle allait le tuer, et fouiller la pièce, ça irait plus vite. Elle n'avait pas besoin de satané romantisme, elle voulait la broche.

Oh, s'il te plaît, je veux voir mon reflet étinceler dans tes yeux...

Il pencha la main vers une petite table, fouillant dans un tiroir. Quel goujat, en plus il prévoyait le stock à portée de main pour payer sa prise du soir... Bref...
Il lui tendit un bel anneau d'or blanc.

Pour aller avec sa peau si douce...

Mais quel imbécile, elle ne voulait pas de sa camelote !

Oh, qu'elle est belle... Couvre moi tout entière d'or, que je ruisselle comme une étoile ce soir...

Elle appuya rapidement sur plusieurs points stratégiques du corps de sa victime, recommençant à onduler doucement sur lui. Il ne pouvait plus lui désobéir, il était pressé, sous le contrôle de ses hormones, qu'il devait satisfaire, qu'importe le prix. Et Alicia ne prenait pas les crédits, elle ne prenait que comptant...

Il commença alors à lui sortir une camelote monstre. Des bracelets, des diadèmes, des anneaux, des pendentifs, des joyaux, des boucles d'oreille... Elle s'était changée en bazar ambulant... Visiblement, il allait falloir l'aider encore un peu. Elle s'appuya plus volontiers sur les zones érogènes de la stupide proie, puis plongea son regard violet dans les yeux gorgés de désir qui lui faisaient face.

Je suis sûre que tu as mieux que cette camelote... Un objet unique, qui sublimera ma beauté...

Elle déclencha son charme. Plus besoin de retenir le sort. Son visage entier s'éclaira sous la puissance du sortilège, la rendant plus belle qu'aucune créature n'ayant foulé la terre.

Voui...

Il se leva rapidement, marchant un peu bizarrement suite aux contraintes physiques que lui imposaient son corps, et revint avec un écrin. En l'ouvrant, il découvrit une broche finement ciselée, composée d'argent et de perles. Si la broche était banale, le travail du métal était intéressant, la Lady se renseignerait sur son créateur.

Et bien voilà... Ce n'était pas si difficile...

Elle accrut plus encore le pouvoir de son charisme, devenant une véritable étoile dans le cerveau du pauvre homme. Il ne garderait qu'un souvenir trouble, brûlé comme une tache solaire, de l'apparence de la jeune femme.

Bonne nuit maintenant.

Elle se contenta d'appuyer un instant sur sa jugulaire, créant un afflux de sang qui lui fit perdre connaissance. Elle vaporisa quelques goûts d'un parfum de femme bon marché sur lui. De cette manière, il se réveillerait heureux, et persuadé d'avoir exprimé toute sa virilité. Sur ce, elle ouvrit rapidement la fenêtre, puis se coula dans le jardin avant de filer. Quelques personnes la regardèrent bizarrement, beauté en robe rouge de soirée au milieu de la rue, couverte d'or et de bijoux. Mais qu'importe. Elle était belle, et elle l'assumait. Et elle comptait revendre toute la bijouterie que l'autre idiot lui avait offerte. Cela rembourserait le fait d'avoir du se frotter à lui. Et le fait de ne pas avoir pu le tuer aussi. Car mine de rien, la mise à mort était tout aussi drôle que le reste d'un vol bien fait...