Je regardais avec un sourire amusé le trafiquant de thé se faufiler avec agilité et vitesse entre les caisses, parcourant la distance qui nous séparait de nos cibles dans un silence presque fantomatique. La froideur mortuaire qui régnait parmi les esclaves servait à donner un aspect surréaliste à l'ensemble, le regard d'émeraude flambant d'un éclat espiègle d'un aiglon rehaussant le tout. Un immense sourire et des oreilles de chat, et l'on eu dit le Chat de Cheshire façon Tim Burton.
Tiens, mais qui est donc ce Tim Burton ? Bah, pas grave ♥

Aussitôt le jeune homme sale et au regard vitreux avait-il été remarqué par la brigade de trafiquants que je m'élançais avec légèreté, marchant au bord du quai dans l'ombre immense du bateau qui devait sûrement contenir des milliers d'esclaves. Quelques banderoles et des personnes habillées dans un style aristocratique sur le pont, et l'on aurait pu croire que c'était un bateau de croisière. Une ruse astucieuse pour éviter les soupçons des autorités maritimes qui sont ces temps-ci fort dépassées par les affaires de trafics humains. Ma foi, il ne doit pas y avoir que des idiots dans ce convoi.
Il ne fallut pas longtemps pour que mon complice ne soit maîtrisé par les sbires de bas étage qui composaient cet équipage, suffisamment longtemps pour que j'escalade la paroi du bateau grâce aux chaînes et aux cordes qui y étaient accrochées et que je sois hors de la vue des hommes à terre. Proche du pont, j'observai avec discrétion celui-ci, perçant la nuit par mes yeux rubis. Il n'y avait à son bord qu'un seul homme désarmé, assis le dos appuyé contre le mât, la tête penchée en avant, ronflant comme un ours. Montant à bord du bateau en prenant soin de marcher avec légèreté sur le sol craquant du pont, je me glissais derrière lui, et m'étais au passage assurée que la vigie n'était pas à son poste. Passant ma tête d'un côté du mat et mon bras armé de l'autre côté, j'assurai un tranchage vif et sec. Net, précis, un tranchage tout dans l'art et la manière, sans douleur ou résistance. Traînant l'homme désormais en deux bouts vers un coin du bateau, je pris soin de dissimuler son corps derrière des caissons et des tas de cordes. Il ne faudrait pas que l'intrusion soit découverte trop tôt, sinon on ne pourrait pas s'amuser autant que nous le voudrions.

Troquant mon kimono rougeâtre et élégant contre une piètre tenue de marin d'eau douce déchirée par plusieurs endroits, je cachais mon sabre dans la pantalon trois fois trop large pour ma silhouette frêle. Heureusement que j'étais tombée sur un homme large... J'avais attaché mes cheveux que j'avais dissimulés sous le chapeau fourni avec le costume et tenté de ne pas paraître suspecte parmi tout les hommes qui composaient l'équipage.
Fort heureusement pour moi, lorsque je descendais les escaliers menant à l'étage inférieur, je me rendis compte au travers des quelques hommes que je croisai que le niveau intellectuel de cet équipage devait sûrement être proche du négatif... Comme Lund, je passai inaperçue dans la foule réunie à bord du bateau.
Amassés dans des cages à peines dignes d'accueillir des animaux, les esclaves relégués au rang d'ordures émettaient parfois des plaintes sous la pression de la douleur et de la faim, tandis que certains semblaient presque rendre l'âme. C'est dans cette atmosphère glauque que je marchais, ne sachant pas réellement où aller.

- Hep hep hep toi, où tu vas comme ça ?!

Me retournant, je voyais face à moi un homme aux épaules très larges de près de deux fois ma taille, les mains sur les hanches.

- T'es un des petits nouveaux c'est ça ? Par là, c'est le bureau de Monsieur le Capitaine, personne n'a le droit d'accéder à cette zone hormis quelques personnes. De toute façon, pour accéder à cette partie de bateau, il te faut la clé, et ne compte pas sur moi pour te la donner, elle ne quittera jamais cette ceinture ! Dit-il en bombant le torse et en arborant fièrement un trousseau avec de nombreuses clés de grande taille et à l'apparence assez lourdes. Bref, retourne plutôt à ton poste, va aider les autres à embarquer la cargaison !
- Ou... Oui Chef ! Dis-je en tentant d'adopter une voix grave et masculine.

L'homme continua son chemin sans chercher à comprendre un peu plus la situation. Observant autour de moi, je vis que seuls quelques hommes affairés à leurs tâches nous entouraient. Hésitant à le suivre, je me résignais à cette idée, préférant tout d'abord réunir un maximum d'informations sur l'équipage du bateau, sur celui qui était à sa tête, et surtout sur la localisation d'Asako. J'avais montré la photo de celle-ci à Lund qui était infiltré parmi les troupes des esclaves, mais rien n'était moins sûr qu'il n'y ai pas spécialement prêté attention, préférant étudier les différentes espèces des plantes dans la bibliothèque qui pourraient lui servir de base pour son thé ou pour d'autres utilisations bien plus officieuses.
Marchant en silence, je vis une dizaine d'hommes occupés à « maîtriser » l'un des esclaves dont les chaînes en piteux état s'étaient brisées. Médusé, voir zombifié, celui-ci ne semblait même pas apte à assurer un minimum sa défense. Comme quoi, ces hommes sont vraiment des bras cassés.

- Viens ici me le dire en face !
- Ouais, et je te redessinerai le portrait au passage !

Me retournant en direction de cette soudaine agitation, je vis deux membres de l'équipage se disputer avec violence. En venant tout d'abord aux mains, ils se servirent ensuite de leur magie. Les flammes commencèrent à se mêler à l'eau. En peu de temps, ils furent arrêtés par l'un des encadrants qui, pour les stopper, utilisa une magie de terre. En soit, on peut en venir à supposer que les membres de cet équipage maîtrise des magies élémentaires de bas niveau étant donné la démonstration pathétique à laquelle je venais d'assister. Les vaincre sera sûrement assez facile, à partir où l'on ne s'attaque pas à tous les mages d'un seul coup. Il faudra sûrement les éliminer un à un avec une grande discrétion.
Le soucis, c'est que l'infiltration n'est pas vraiment notre spécialité...

- Hé oh, toi là, si tu venais nous aider plutôt que de rêvasser ?!
- Euh, Oui ! Dis-je.

C'est ainsi que je me retrouvais à suivre le convoi s'acheminant vers la partie du bateau d'un groupe d'esclaves destinés à être vendus dans un pays voisin. Bien que m'éloignant de plus en plus du bureau du capitaine du bateau que je tenais à surveiller, mieux valait s'éloigner de l'entrée du bateau où s’agglutinaient la plus grandes partie de l'équipage. Sûrement allais-je m'occuper de ceux sous ma main avant de m'attaquer petit à petit du reste. Bien sûr, il faudrait faire attention aux esclaves : il ne faudrait pas qu'ils s'échappent et me trahissent ainsi au reste des mages...

Devant parfois assumer mon « rôle » de tyran, je fouettais certains esclaves de temps à autre.
Au même moment, Lund et la troupe à laquelle il avait été assigné s'éloignaient de plus en plus de la mienne.