« Je crois que je ne suis pas seule »
Alice x Alice x Alice
Je me rappelais. Oui, je me rappelais, de ce décor qui, comme le véritable était apparu devant mes yeux larmoyants alors. Comment décrire les émotions qui s'étaient emprises de tout mon être ? Comment définir ce que je ressentais encore ? Tout d'abord, un frisson me parcourut. La curiosité était trop grande, et ces derniers jours, j'avais essayé tant bien que mal de la faire taire. Les deux autres voix qui se disaient être moi n'étaient pas ré-apparues, aussi, je me demandais si ce ne pouvait n'être qu'un rêve éveillé, ou non ?
Je devais vérifier.
Alice, concentre-toi.Assise dans un canapé d'une des vastes pièces du manoir d'Atios, je commençais par fermer les yeux puis entrepris de vider mon esprit. Mais j'avais peur. Trop peur de voir ce que je ne voulais pas voir, pas me rappeler. Si la pièce était apparu, pourquoi les souvenirs ne le pourraient pas aussi, défilant dans ce monde invisible aux autres yeux que les miens ? Non, il ne fallait pas avoir peur. Après tout, c'était bien
mon univers, non ? Du moins, c'est ce qu'avait souligné les deux filles invisibles qui m'avaient adressé la parole. Donc, si ce monde était le mien, pourquoi des choses que je ne voulais pas voir apparaîtraient-elles ? Je contrôlais mon pouvoir, pas l'inverse.
JE contrôle !! Cette fois-ci était la bonne. Une pièce noire comme l'enfer se forma peu à peu autour de moi, faisant fondre le décor actuelle.
« Ah, tu es de retour, Alice. » La voix plus sifflante !« Laisses-la donc, elle part et vient quand elle veut. »
« Peut-être mais avec toi je m'ennuie. »
« Parce que tu crois que tu es une bonne compagnie à mes yeux ? Seize ans, bientôt dix sept que je te supporte. »
« Qu'est-ce que je devrais dire alors ? … »Je ne savais pas vraiment où me placer, écoutant les querelles sans images des deux jeunes filles qui n'avaient pas l'air de s'entendre.
« Dis, Alice ? »
« Quoi ? »
« Quoi ? »
« Rah mes pas toi, elle. »
« Ahah, nous sommes un je te rappelle. »
« Euh... Comment ça, nous sommes un ? » Fis-je, étonnée.
« On ne t'a pas été d'une grande aide la dernière fois, désolée. Bon, tu veux bien imaginer un décor, histoire qu'on puisse se voir ? C'est le noir totale ici... »
« Heuu... Oui bien sûr, désolée ! … »Imaginer un décor... J'avais très envie de voir un jardin, avec des pommiers et des cerisiers, et de l'herbe moelleuse et douce. Cela apparut. Une table aussi, avec du thé chaud et du sucre !
« N'oublies pas les chaises, il en faut trois. »
« Oui, bien sûr ! »Ma manière de m'exprimer n'était pas la même que d'habitude. Je me faisais moins timide, plus direct et avec peu de pauses.
« C'est normal, tu parles avec toi même et tu es là où tu te sens le mieux. C'est bien normal, c'est Wonderland. C'est chez toi. »
« Vous ne m'avez pas expliqué ce que c'était, Wonderland, la dernière fois. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris. »
« C'est facile pourtant. C'est un monde qui vient de ton subconscient et que tu matérialises pour y projeter ta réalité. Tu peux imaginer et faire à peu près tout ce que tu veux. »
« Et vous, où est-ce que vous êtes ? »
« Attends, on arrive. »Je regardai à ma gauche, où deux jeunes filles apparurent, longeant une rangée d'arbres fruitiers et suivant un chemin de terre qui venait de se matérialiser par ma pensée. Les trois chaises firent de même, s'installant autour de la petite table ronde blanche et bleu. L'illusion d'un ciel bleu dépourvu de nuage se colla sur les rebords du « plafond ». Les deux jeunes filles s'approchèrent en souriant. Je ne pus empêcher mes jambes de reculer et, si douée que je l'étais, je tombais sur les fesses et continuais quand même de reculer, la peur et le doute s'emparant de moi.
« Nous sommes toi. »
« Tu comprends mieux ce que cela signifie ? »Hochant vaguement la tête, j'arrêtai de bouger.
« Tu sais, tu n'as pas à avoir peur de toi-même. Au contraire. »Je hochai de nouveau la tête. Il me fallut bien une bonne dizaine de minutes pour me remettre de cet étonnement. Nous restâmes ainsi tout ce temps, à nous regarder. A nous détailler. Oui, nous étions pareil, si ce n'était les habits qui changeaient. La Alice de droite portait un short très court et un haut de maillot de bain, j'avoue qu'elle faisait penser à certains mages illégales dans sa silhouette et son regard. Alors que la Alice de gauche semblait être tout droit sortie d'un château. Elle portait une longue robe qui frôlait le sol, avec un collier de pierres précieuses et une coiffure en chignon. Pour ma part, mes habits n'étaient qu'une jupe qui me tombait à mi-cuisse par dessus une paire de collant couleur peau et un débardeur rouge comme haut. Classique. Je me sentais quelques peu bête contrairement à elles... enfin aux deux moi, car elles avaient un style bien défini et qui les rendait belle à voir, autant l'une que l'autre, bien que ce soit tout à fait différent.
« Tu n'as cas prendre plus soin de toi-même. J'te rappelle que tu vas avoir dix sept ans d'ici quelques mois Alice. Il serait temps que tu te fasses un peu plus féminine... »
« Pour une fois, je suis de son avis. Si tes habits actuels ne te plaisent pas, changes-en. Ou crées-en. Wonderland peut te faire ça. Les habits qui naissent ici sont comme ceux du monde des esprits, après tout, Wonderland est un monde à part, où seule toi a accès. En tout cas, personne ne peut y pénétrer si tu ne l'emmènes pas. »
« Ouais bon bref. »La Alice plus gangster ne semblait pas patiente, ce qui me fit sourire. On aurait dit qu'elles étaient mes contraires, en fait. La Alice raffinée s'approcha, en levant sa robe, de la petite tablée et s'assit à une chaise où elle servit trois tasses de thé, nous invitant, nous deux autres Alice, à s’asseoir. La Alice gangster posa ses pieds sur la table et la princesse Alice lui demanda de les retirer, ce qui valut une nouvelle
bagarre. Au moins, elles étaient drôles, c'était indéniable.
Je les regardai ainsi pendant presque une heure. Une bataille en enchaînait une autre et le sujet de départ disparut bien vite pour en succéder à d'autres. Je perdis vite les comptes de l'heure qui défilait sans s'arrêter, quand le paysage se mit à disparaître avec un « A très bientôt » laissé en suspens, flottant dans les airs de mon esprit. Et je me retrouvai de nouveau sur le canapé d'Atios, recroquevillée comme un chaton et dormant à point fermé.