La mélodie touche à sa fin, mais les mots ne retrouvent pas leur place. Encore enlisés dans cette mélancolie qui écorche à vif. Les mains restent quelques instants en suspend au-dessus du chemin en noir et blanc. Puis la peau reprend contact une dernière fois, effleure le « la » avant de disparaître sur les genoux de la demoiselle. À l’intérieur, elle se fissure. À l’extérieur, le masque d’indifférence tente de reprendre forme, mais laisse entrevoir des fêlures. La gêne est à peine perceptible. Son regard d’ordinaire si direct devient fuyant. Pourtant, il croise celui du chat. Même en une fraction de seconde, elle comprend, envisage ce qu’il voudrait lui dire. Alors elle se contente de hausser timidement les épaules. L’allure fière s’affaisse un peu. Et sa bouche libère quelques mots.

▬ « Désolée. Je ne sais jouer que ce genre de musique… »

Son visage se tourne vers le propriétaire des lieux et affiche un sourire teinté d’excuses lui aussi. C’était à se demander si Seiren saurait un jour faire meilleur usage de son sourire. La fée reporte son attention sur le piano et pose à nouveau une main sur le clavier. Geste gracile qu’elle récupère rapidement. Elle se ravise. Une autre partition en tête, une autre harmonie apprise dans l’obscurité de sa malédiction… Ce n’est pas nécessaire de leur affliger tel représentation. Alors, elle se lève et en vient même à sourire à nouveau. Faux et forcé, quitte à se dénigrer soi-même.

▬ « Mais reprenez donc votre place Monsieur. Votre musique est bien meilleure. »

La fée se fait même entreprenante poussant doucement l’homme d’âge mûr vers le siège pour qu’il s’y installe. Puis elle se tourne vers son « guide ». Le jeune blond dont elle ignore tout excepté ses agissements espiègles et sa musique insolente.

▬ « Et peut-être que tu pourrais… l’accompagner ? »

Les actes, l’intonation, elle ne leur laisse pas vraiment le choix. Elle s’écarte de leur scène pour qu’ils se l’approprient. Seiren s’adosse contre un mur en silencieuse spectatrice. Attentive aux mouvements préliminaires des musiciens, elle les observe sans vergogne pour remplir son esprit avec de nouveaux détails et laisser une autre atmosphère envahir l’air…

Iles étaient en place, prêts à jouer. Mais le chenapan se stoppa dans son élan, laissant l’homme qui les accueillait seul face à son piano. Mais il ne sembla pas s’offusquer outre mesure, jetant un coup d’œil distrait vers le duo improbable qui avait passé la porte de sa boutique. Un sourire rassurant se dessina sur ses lèvres et sans même encore regarder ce qu’il faisait, ses doigts s’approprièrent les zébrures de ce clavier mélodieux. Un clin d’œil qui lui était destiné mais dont la jeune fée ne comprit pas le sens, et enfin il se tourna pour mieux se concentrer. Rythme léger, balade douce… Rien d’agressif ne ressortait de cet homme, mais son champ de vision fut brusquement gêné par l’arrivée du jeune homme. Il lâcha un seul et unique mot … qui exprimait déjà l’évidente prise de position.

Seiren haussa un sourcil et se demanda ce qu’il voulait de plus. Pourquoi restait-il planté là ? Était-elle dans le collimateur de cet étrange blondinet ? Elle soupira rien qu’à cette pensée. Un pot de colle, il ne manquait plus que ça. Certes, aujourd’hui, elle avait du temps à perdre, mais il y avait des limites à l’intrusion dans sa vie. Les secondes défilaient alors que le musicien jouait toujours et elle gardait le silence, le visage impassible malgré un regard qui s’aiguisait un peu plus face à cette insistance qu’elle jugeait déplacée. Cette habitude typique des gens de Fiore commençait véritablement à la fatiguer. Pourquoi tenaient-ils tous tant que ça à se mêler de ce qui ne les regarde pas ? Profondément persuadée qu’elle ne pouvait pas être si intrigante que ça, elle conclut que c’était eux qui avait un problème.

Ses digressions lui avaient fait loupé une grande partie de la prestation du pianiste qui se levait déjà pour reprendre son travail. Il eut même la délicatesse de leur dire qu’ils pouvaient rester le temps qu’ils le voulaient. À ses dires, Seiren se redressa et contourna le jeune bondlinet.

▬ « Merci, mais pour ma part, je vais y aller. C’était très agréable de vous écouter. Si vous voulez bien m’excuser… »

Un léger signe de tête plus tard et la jeune femme franchissait déjà le seuil de la boutique pour se retrouver dans cette ruelle bruyante. Bien décidée à ignorer celui qui l’avait guidé jusqu’ici, Seiren tenta de reprendre le chemin inverse. Mais en réalité, au bout d’un virage à gauche au coin d’une rue, puis un autre à droite et encore un autre, elle ne savait déjà plus où elle était. L’agacement bouillonnant, elle le retint à l’intérieur d’elle, préférant réessayer par les airs, là où elle serait plus à l’aise. Et le voyage de toits en toits reprit, attirée bien malgré elle par de grands arbres qu’on pouvait repérer de loin. Un parc peut-être ? Et pendant un instant, elle oublia que quelqu’un pouvait la suivre… D’autant qu’elle ne faisait pas énormément d’efforts de vitesse. Mais en voyant un chat se dorer la pilule sur les tuiles d’un des toits qu’elle parcourait, la tête du flûtiste lui revint en mémoire. Priant pour qu’il ne l’ait pas suivie, elle s’arrêta brusquement sur le rebord de l’immeuble –dernière limite urbaine avant l’espace verdoyant-… Justement pour vérifier qu’il n’était pas derrière elle. Mais le stop brutal et le volteface imprévu entrainèrent la collision.

Une touffe blonde à mi-hauteur de ses yeux, un poids étonnamment lourd sur sa poitrine qui lui coupe le souffle et une chute en arrière. Autrement dit dans le vide. Pas le temps de réagir qu’ils sont déjà en bas. Atterrissage forcé dans buisson… Après les « aïe » et les « ouilles », la voix sévère de Seiren résonna à nouveau.

▬ « Tu n’as rien d’autre à faire ou c’est une habitude chez toi de suivre les inconnus ?! »

D’abord s’énerver et après seulement, se rendre compte de la situation cocasse dans laquelle elle se trouve… Et comme d’habitude, certaines choses ne changent pas. *Politique de l’autruche on !*

Insolent en plus !

Peu importait. L’énervement se changea en agacement, jusqu’à ce que la fierté mal placée reprenne ses droits. Alors sans un mot, juste un regard posé sur sa cible suffit pour activer sa technique de rejet. Le pot de colle fut, par la force des choses ou plutôt par le champ éléectromagnétique, projeté en arrière de quelques petits mètres. Seiren se releva imédiatement, retirant feuilles et brindilles de ses vêtements et cheveux. Et le trou découvert dans son manteau lui déplût beaucoup plus que l’écorchure qui entraînait une légère perte de sang sur son flanc droit. A vrai dire, il ne le remarqua même pas.

▬ « Qu’est-ce que j’en ai à faire que ça soit déprimant pour les autres ou que tu détestes les musiques tristes ? Je fais ce que je veux, je suis qui je suis. Et pour les autres, c’est la même chose. Le reste ne me regarde pas. Et puisque tu t’es permis de juger et faire la morale… Un petit conseil : arrête de fouiner quand ça ne te concerne pas… »

Seiren sortit du buisson et avança vers Yawé. Une main au-dessus de lui, elle réactiva sa technique pour l’enfoncer un peu plus dans le mur sur lequel il avait échoué. Elle se pencha au-dessus de lui et tout en maintenant la pression…

▬ « Car la prochaine fois tu pourrais tomber sur beaucoup moins gentil que moi. »

La petite scène attirait encore les curieux malsaints. Et le mage de Fairy Tail les fit fuir d’un seul regard. Mais Seiren jugea qu’elle avait perdu assez de temps et amorça de reprendre sa route sans pour autant relâcher sa technique… jusqu’à ce qu’elle se retourne une dernière fois sur lui. La pression qui écrasait le blondinet s’évapora en un instant. Il pouvait maintenant percevoir un projectile foncer sur lui.

▬ « Ah ! Et trouve-toi un autre perchoir pour te goinfrer et passe à autre chose. »

Seiren venait de lui laisser, un peu brutalement, les quelques gourmandises qui lui restaient, espérant qu’il s’en contenterait et qu’il choisirait une autre cible pour combler son ennui. Et la fée reprit à nouveau sa route, gardant pour longtemps en mémoire, cette étape de parcours « Era – blondinet collant ».