Suite à une recrudescence des attaques et assassinats sur quelques personnalités influentes ces derniers temps, le Conseil avait entrepris une lutte contre les tueurs à gages connus. Mais les efforts étaient compliqués à mettre en place, vu la discrétion, et souvent l’habileté de ces personnages à rester dans l’ombre.
Aussi, une liste de cibles avait été dressée, contenant les criminels à abattre ou emprisonner pour de bon. Ainsi, c’était les chasseurs qui devenaient chassés.
Parmi ces assassins, et plutôt situé parmi les têtes de liste, figurait Andrew Thompson, plus connu dans le milieu comme “Le Melon”. Le problème était qu’un seul agent du Conseil l’avait déjà rencontré (et était revenu vivant). D’ailleurs, vu les compétences démontrées par ce mage lors de l’assaut sur Légion, il aurait été possible de le laisser s’occuper de cette mission seul. Mais il y avait un autre problème, beaucoup plus embêtant : ce mage, Agon Noko, était amnésique.
En effet, suite au retour de l’île de Légion, il avait partiellement perdu la mémoire, et reprenait du service peu à peu, ses souvenirs revenant eux aussi, lentement. Alors on pouvait difficilement espérer que la mémoire soit son atout dans une quête comme celle-là.
C’est pour cette raison que le Conseil fit appel au mage d’une guilde légale, car elle avait été mentionnée dans le rapport d’Agon Noko et avait même pris part à des combats. Elle serait certainement en mesure d’aider à arrêter ce criminel.

Ce matin là, Agon Noko était en route vers le village de Tully, ou plutôt vers un restaurant situé un peu en marge du village. Le ciel dégagé laissait espérer une très belle journée.
C’était devant ce restaurant qu’était le rendez-vous. Pendant qu’il marchait, une foule de questions se bousculait dans sa tête. Ce lieu avait-il une importance pour lui ? Et cette femme ? Ce criminel ? Il avait plusieurs fois relu le rapport qu’il avait lui-même rédigé à l’issue de l’incident arrivé dans le restaurant ; c’était pour avoir toutes les informations à sa disposition. Pourtant il avait senti, dans ses propres tournures de phrases, les généralisations très pratiques pour ne pas mentir sans pour autant dévoiler toute la vérité. Il mentait rarement, c’était une certitude, mais son habileté à ne pas se découvrir l’étonnait lui-même un peu.

Par exemple, dans le rapport, il avait annoncé avoir emmené Sybilia Philips dans ce restaurant après avoir interrompu une altercation avec des habitants du village, or les raisons de cette altercation étaient très vagues. En temps normal, il aurait du tenter de décrypter le comportement de la jeune mage, or il n’y avait aucune remarque pouvant l’aiguiller dans un sens ou dans l’autre. En conséquence, il n’avait qu’une vague image du visage de cette femme, et ignorait tout de l’impression qu’il avait laissé sur elle. Dans ce cas, il espérait au moins ne pas avoir de mauvaise surprise...

Sur le criminel par contre, il avait été plus précis, et c’était une chance car s’aventurer contre ce genre de calibre sans informations auraient été suicidaire. Chaque technique utilisée avait été narrée en détail. Il en était de même pour l’allure et l’attitude de cet homme. N’importe qui doté de cette description aurait pu le reconnaître, mais il ne fallait pas s’attendre à ce que n’importe qui puisse l’arrêter. Et puis, même avec ces connaissances, on ne pouvait être certain de la nature du pouvoir de Thompson, car il était sorti vainqueur du combat avec le ninja, et même si cela avait été d’une intensité exceptionnelle, on ne pouvait dire s’il était vraiment au maximum de ses capacités ou s’il avait encore de la marge.

Sur ces questionnements, il tourna dans la rue suivante et le restaurant entra dans son champs de vision. Il lui restait une centaine de mètres pour arriver devant l’entrée. Il serait 9 heures, l’horaire précis du rendez-vous avec la mage légale.
Il ne voyait pas si elle était déjà là, en avance, par contre le restaurant était frappant. On voyait que le propriétaire avait changé. Oui, on ne pouvait pas l’ignorer.
Devant la porte, un totem constitué d’un chat, d’une hibou et d’une sauterelle. Pourvu que ce ne soit pas le menu... Le bâtiment en lui-même avait aussi été modifié, chaque fenêtre était d’un brillance anormale, et le tout rendait une image de propreté trop parfaite. Si l’enquête devait reprendre ici, il faudrait sûrement interroger le singulier personnage à l’origine de ces changements...

Il ne la reconnut pas immédiatement, dans son faible souvenir elle était différente. Mais elle semblait se souvenir de lui un peu mieux.

Monsieur Noko? Vous allez bien? C'est moi, Sybilia. Vous vous souvenez?

Devait-il être franc dès le début, ou devait-il au contraire essayer de cacher son amnésie ? La question revenait à accorder ou non sa confiance à la mage légale. La franchise s'était déjà avérée payante avec son supérieur, alors il se décida :

A vrai dire, je suis sujet à une amnésie assez profonde depuis quelques temps, donc certains passages de mon passé me sont inaccessibles. Mais mes souvenirs reviennent peu à peu.

Après ces courtes explications, ils entrèrent dans le restaurant. Il y aurait certainement de la route à faire, et ils auraient tout le temps pour parler en chemin. Il serait improbable de trouver des indices, vu tous les changements, cependant, un coupable revient souvent sur le lieu de crime, alors les propriétaires actuels auraient peut-être des informations...

Ze peux vous z'aider mezzieurs damez?

Nous aimerions voir le propriétaire s'il vous plaît.

Le visage de l'adolescent était quelque peu familier à Agon, sans qu'il puisse savoir pourquoi. Il l'avait peut-être croisé lors de son précédent passage à Tully après tout.
Le propriétaire arriva, mais c'était une entrée assez désagréable à cause du bruit excessif. On se demandait bien pourquoi tant de clients étaient présents.

JE PEUX VOUS AIDER?! POURQUOI VOULEZ-VOUS ME RENCONTRER?!

C'était inattendu, mais en fin de compte pleinement justifié par l'absence d'oreilles, qui laissaient la place à de simples trous...
Ils emmenèrent l'homme à l'écart pour plus de discrétion, mais apparemment ce serait peine perdue...

Il y a quelques temps, un meurtre a été commis dans cet établissement, nous voulons vous poser quelques questions, dans une pièce plus discrète si possible.

QUOI ? J'AI RIEN ENTENDU ! ARTICULEZ !

Agon observait les réactions du restaurateur autant que celle des clients. Vu l'historique du lieu, et l'étrangeté actuelle, il ne serait pas étonnant que des hors-la-loi y soient présents en ce même moment. Les paroles criées faisaient plus qu'attirer l'attention sur eux, alors il était compliqué d'observer discrètement la clientèle. Il se contentait donc de dévisager ceux dont le regard se portait sur eux.

Il n'avait aucune envie de crier, car cela révélerait leur but, et le Melon aurait alors toutes les raisons de les éviter. A moins qu’en apprenant cela il ne cherche à les éliminer... Il aurait de très bonnes raisons aussi, car seules 2 personnes étaient en mesure de l’identifier (même si pour une d’entre elles c’était assez incertain).

Agon se “prêta donc au jeu” et éleva la voix à son tour :

“NOUS CHERCHONS UN MEURTRIER QUI S’APPELLE ANDREW THOMPSON, OU LE MELON. L’AVEZ-VOUS VU ?”

Le propriétaire répondit toujours aussi fort !
PAS LA PEINE DE CRIER, JE SUIS PAS SOURD !NON JE NE L’AI PAS VU.

Agon se doutait que l'homme ne donnerait aucune information, à moins d'être un complice, ou soi-même un criminel, il voyait passer chaque jours de nouveaux visages, et n'était certainement pas du genre à "écouter" les conversations des clients.
Si le volume restait élevé, il n’avait pas eu de mouvement de trouble ou de gêne, alors qu’on venait de parler d’un meurtrier (avait-il seulement compris la question ?). Il y avait évidemment beaucoup de réactions dans la salle, mais comment distinguer s'il y en avait des suspectes ?
Déjà des murmures filaient de part et d'autre. Si quelqu'un s'esquivait soudainement, il deviendrait un suspect dans cette enquête...

Comme escompté, les réactions étaient diverses mais très prononcées. Il y avait les mouvements craintifs de clients lambda, mais également certains regards fuyants ou faussement indifférents. D’ailleurs il y en avait plus que prévu...une petite descente de mages du Conseil à l’improviste pour contrôler ce beau monde n’aurait pas été inutile, mais pour cette fois, l’objectif était de trouver Thompson.
Sybilia avait l’air troublée ou agacée par ces cris, et cela étonna à peine Agon quand elle bondit sur un homme roux pour le plaquer violemment au sol et le maîtriser. A entendre la voix pleurnicharde du pauvre homme, il n’avait pas tout à fait l’étoffe d’un caïd, mais il fallait s’attendre à tout. Pendant ce temps, le mage du Conseil avait gardé son calme et avait continué d’observer la situation. Il était donc prêt pour se lancer derrière le fuyard. Cette échappée était d’ailleurs parfaitement réalisée, juste au moment où il avait tourné la tête, heureusement que sa partenaire avait de nouveau réagi avec vivacité.

Il s’élança par la fenêtre pour le suivre. Même si elle n’était pas particulièrement rapide, la personne en fuite était très agile, et effaçait les obstacles sur son chemin avec la souplesse d’un félin. De son côté, Agon se servait de ses pouvoirs de manieurs de sol pour s’aider, en formant des escaliers ou autres structures facilitant le passage. Il remarqua soudain l’absence de Sybilia ; il espérait la voir surgir soudain pour couper la route de l’acrobate. Du peu qu’il avait vu/retenu d’elle, c’était son caractère déterminé, donc un renoncement n’était pas à considérer.

Au détour d’une ruelle, ils crut l’avoir cerné, en voyant une impasse, mais le fugitif escalada une gouttière comme s’il avait fait ça toute sa vie. Or ce n’était pas vraiment le cas de son poursuivant. Heureusement avait-il plus d’un tour dans son sac.

*Stone Shield*

Un amas de pierre forma un disque sur lequel il put prendre l’appui qui lui manquait pour passer cet obstacle. Même s’il ne pouvait pas se porter entièrement avec cette technique, le fait d’avoir un appui stable pour ses pieds lui permit d’arriver sur le toit. La sensation de hauteur lui parut étrangement singulière, et associée à quelques expériences antérieurs dont il ne pouvait distinguer les contours. Le temps n’étant pas aux réflexions existentielles sur le pourquoi du comment de son rapport singulier aux ballades rapides sur les toits semi-urbains, il se lança à nouveau derrière le fuyard.

Quoiqu’il puisse faire, la zone était assez restreinte. Tully était un simple village et non une grande ville : il serait difficile de s’y cacher, ou bien alors avec l’aide d’un habitant, mais on n’en était pas encore là. Il commençait à gagner du terrain, la poursuite continuait comme si le fuyard essayait de le faire tourner en rond, mais il vit où voulait arriver sa “cible”, quelques maisons plus loin, la forêt lui fournirait un parcours plein d‘obstacles et de cachettes pour s’échapper ou se dissimuler, s’ils ne l’attrapaient pas avant, leurs chances d’obtenir quoi que ce soit seraient presque réduites à néant.
Lui attendait le moment propice pour déséquilibrer le suspect en plein saut, mais après cela il faudrait atterrir sans se blesser, et c’était plus compliqué pour un non-acrobate.
Enfin l’occasion se présenta, avant qu’ils aient atteint le dernier toit avant la forêt. Agon envoya le bouclier de pierres dont il s’était servi dans les côtes de sa cible qui s’écrasa comme privée de force contre le mur du dernier bâtiment avant de s’écraser au sol. Il fallait maintenant que la mage du Conseil redescende, et même si la hauteur n’était pas excessive ni très dangereuse, il valait mieux être prudent et en même temps véloce pour que la course-poursuite ne soit pas vaine.

Là, il aperçut sa partenaire qui accourait pour maîtriser le suspect comme elle l’avait fait quelques minutes plutôt. Au moins ils l’avaient attrapés, maintenant il leur fallait des réponses.
Agon avisa la gouttière de la maison où il se trouvait pour descendre maladroitement, mais sans rien se casser.

On ne pouvait en dire autant du suspect, ou plus exactement, de la suspecte, qui était dans un piteux état. Quelques côtes et une jambe fracturée au moins, le bon point était qu’elle n’était plus en état de fuir, ni de combattre.
Tentant de reprendre son souffle, il adressa un “Bon travail” à Sybilia Philips entre deux respirations saccadées. Il allait d’ailleurs la laisser commencer l’interrogatoire car il devait récupérer.

Spoiler:

Spoiler:

Devant nous, c’était une superbe blonde qui était apparue. Le genre de femme qui n’hésitait pas à se servir de son physique et qui était capable de mener un homme à la baguette si elle le voulait. D’ailleurs, ses premières paroles me confirmèrent ma première impression. Elle s’adressait à moi comme si je devais m’opposer à ma partenaire, pour la défendre elle, même si en d’autres circonstances, j’aurais pu intervenir. Peut-être devais-je entrer dans son jeu pour gagner sa confiance - ou au moins un ersatz - qui pourrait la conduire à se livrer un peu plus et nous conduirait vers Thompson.
Je restais néanmoins impassible pour le moment. Ce serait assurément un jeu dangereux, alors il fallait en premier lieu user de méthodes “conventionnelles”, et je m’étais juré d’être implacable envers les criminels, quitte à devoir rendre la justice moi-même. Pour autant, je sentais que l’usage de la violence contre elle ne serait sans doute pas fructueux.
Au moins ce temps de latence m’avait permis de reprendre mon souffle, et à présent, je sentais sur moi deux regards manifestant un attente. Les deux jeunes femmes semblaient vouloir que je reprenne la main. En soi cela n’était pas un problème pour moi, mais l’envie - ou peut-être bien l’instinct - me poussa à montrer le contraire. Je restais donc là à les toiser tour à tour, l’air totalement désintéressé par ce qui pouvait advenir. En temps normal, mon regard croisant celui de Sybilia aurait pu être le déclencheur d’un plan, d’une action commune ; sauf que cette fois je ne faisais aucun effort d’émotion hormis l’ennui profond. Le message était de ne rien faire : juste garder le silence et attendre. Elle avait de toute façon l’air perturbée et luttant en interne pour savoir quelle posture adopter.
Puis je dévisagait l’inconnue. Il suffisait de la voir pour comprendre qu’elle ne parlerait pas - pourquoi le ferait-elle ? A moins d’être d’une nature servile et fourbe, nous ne lui avions donné aucune raison valable de s’exprimer sur ce qui nous intéressait (la blessure que je lui avais infligé était plus un dommage collatéral de la poursuite qu’une incitation à quoi que ce soit). Pourtant j’avais l’impression qu’elle attendait quelque chose, ses yeux brillait d’une lueur qui ressemblait à de l’impatience. Peut-être espérait-elle un revirement de situation, mais j’eus surtout l’impression que mon attitude l’agaçait. Nos émotions nous rendent vulnérables, c’est pour cela que je m’en défends depuis toujours, mais elle ne devait pas raisonner de la sorte. Et si c’était effectivement le cas, alors il devenait peut-être envisageable de la faire parler. Je n‘avais cherché que ça depuis le début après tout.
En voyant son attitude et les efforts qu’elle mettait en oeuvre pour donner à ses acrobaties un style élégant, j’avais parié sur une personne créative et exubérante, plutôt imbue d’elle-même voire narcissique, alors l’indifférence était le pire affront possible. Si cela n’avait pas été le cas, j’aurais changé mon fusil d’épaule, mais puisque j’avais touché dans le mille autant continuer.

“Qu’est-ce que vous voulez ?”

J’avais retenu un bâillement à la fin de ma question, je me prenais vraiment à ma propre mise en scène, mais cela aurait été trop théâtral, or il fallait être subtil. D’ailleurs, ma partenaire avait assez bien commencé sur cette voie puisque ni elle ni moi n’avions demandé à cette femme de se présenter. Pour un suspect classique, la réponse aurait été d’être libéré, mais elle... si elle le faisait, j’étais déjà prêt à lever les yeux au ciel comme si c’était la chose la plus banale et stupide que j’ai jamais entendue. Heureusement la réponse ne fut pas décevante.

“Je veux de la passion.”

Je levais donc les yeux au ciel, comme si c’était la phrase la plus sotte, la plus débile, la plus ennuyante qu’il m’ait été donné d’entendre.
Je passais maintenant à la dernière phase de mon plan. J’arrêtais totalement de regarder l’inconnue pour me fixer sur Sybilia Philips.

“Elle est inutile. On l’emmène moisir dans une cellule et on continue l’enquête sur le Melon. “

Au temps pour moi, le pire affront possible venait tout juste d’être commis, par mes soin bien sûr. Inutile, mais comment avais-je pu oser ? Elle m’agrippa ainsi que Sybilia avec une lueur de colère dans les yeux. Allait-elle craquer ?

“Je vais vous mener à Thompson.”

Elle se tut ensuite, mais ses yeux disaient : Il vous tuera et je savourerai ce moment. Et vous serez humiliés au point de ne plus pouvoir lever les yeux jusqu’à ce qu’il nous achève.

Je ne donnais aucun signe de satisfaction, mais je jubilais intérieurement. Tout avait marché comme je voulais, et même mieux. Encore fallait-il arriver à Thompson, puis le battre...

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