Chris ne mit pas longtemps à réagir, alors que je le regardais, ne sachant que faire. Je n'étais pas faible. Voilà que maintenant il allait me croire comme tel. Il allait falloir que je redouble d'intelligence et de force. Tout ce qu'il trouva à faire, c'était de me sourire bêtement. Il enchaina par des paroles qui se voulaient quelques peu réconfortantes. Puis il rit, d'un doux rire à peine audible. J'étais sûrement la seule à l'entendre. Je me levais et m'avançais vers lui, confiante. J'avais l'impression que cette mission se terminerait bientôt. Nous formions une belle équipe, et cette quête semblait tellement facile au point où nous en étions. Chris me prit par la main et m'entraina - une fois de plus - avec lui, me sortant de ce bar. M'accrochant à son bras comme si je pouvais manquer de tomber à chaque pas, je me repris bien assez vite en me remettant droite. Je n'avais pas besoin d'aide pour marcher, quand même... Durant la route, je regardais mes pieds. Le silence. Beaucoup de personnes trouvaient cela bénéfiques, mais lorsque le silence durait toute une vie, ça semblait long. Mais je m'y accommodais. Après tout, mes paroles n’entraînaient que mort et désolement, alors à choisir... J'hésitais quelques secondes, puis je pointais mon regard sur Chris. Il semblait... déterminé. Je me demandais, quel age pouvait-il bien avoir? J'en avais bientôt 16. J'espérais ne pas être non plus beaucoup plus jeune que lui. Je savais que certaines personnes pensaient que les plus jeunes étaient les plus faibles. Et puis, quelle sorte de magie pouvait-il bien contrôler? Mes yeux devaient briller d'intelligence et de questions à ce moment, et je remarquais enfin que Chris me regardait lui aussi. Et depuis un bout de temps on dirait... Il devait me prendre pour une folle, aussi, je détournais ma tête, embarrassée et rouge de honte. Cela ne se faisait pas de regarder les gens ainsi! Chris s'arrêta. Je regardais dans la même direction que lui. Un bâtiment, délabré, où aucune trace de vie ne semblait existé nous faisait face.C'était si évident. Les voleurs devaient avoir cachés leur butin ici. Il fallait vraiment être bête pour les exposer au premier venu venant visiter ce bâtiment, curieux.

« ... »

C'est ce que nous allions faire. Nous comporter comme des curieux simplement venu regarder. J'avançais d'un pas, puis de deux. La fenêtre était cassée, et j'entrais par là, c'était tellement plus... ressemblant à de l'aventure. Cela devenait marrant. Nous avions juste à chercher dans les pièces de ce qui restait d'une maison. Sans prendre la peine de me retourner vers Chris, je continuais ma petite inspection. J'entendis un "sploc" et je stoppais net mon mouvement. J'avais marché dans du liquide. M'accroupissant, je trempais mon doigt dans le liquide et fit comme Chris précédemment, je le sentis. Beuuurk, de l'alcool. Nous étions au bon endroit. J'avançais encore et ouvris une porte, puis une autre, et une troisième, rien. J'empruntais un couloir qui nous mena à toute une série de porte. Il n'y avait qu'à les ouvrir pour regarder à l'intérieur? Chouette. Je laissais la rangée de gauche à Chris et pris celle de droite. J'ouvris six portes, et à la septième, une ribambelle de cintres apparurent. Sur ceux-ci, pleins de vêtements. Je me retournais pour chercher mon co-équipier, mais il n'était plus là. Fermant la porte, je courus dans le couloir à sa recherche. Sa silhouette m'apparut à l'angle du mur. Il semblait lui aussi avoir fait une découverte. Bingo!

« Eh regarde Suzu ! Regarde ! »

S'il savait que mon prénom n'était pas Suzu mais Alice. D'ailleurs, cela faisait longtemps que je n'avais pas entendue quelqu'un m'appelait comme cela. Le dernier à l'avoir fait était mon frère. Le tragique destin d'Alice. L'ensemble du village devait d'ailleurs me croire morte. Tant mieux, c'était meilleur pour eux. Chris attrapa les pattes avant du chat et les leva vers son buste. La pauvre petite bête se retrouvait suspendue dans les airs. Il n'avait pas honte? Martyriser ainsi un si joli chat...

« Regarde regarde ! Je vais de montrer un truc marrant ! »

"de montrer"? Il était stupide, à ce moment précis. Agissait-il souvent de la sorte, en vrai gosse? Que je sache, il était plus âgé que moi, et pourtant il avait l'air d'avoir des instants de puérilité plus abondants... Il souriait comme un idiot, béat, et faisait danser le chat sur ses pattes arrières. Celui-ci émit quelques miaulements de désapprobation mais Chris sembla passer outre et continua son manège. En fait, ce n'était pas ce que j'appelais danser, mais plutôt tourner. Rooh... Pauvre chat! Pour conclure son petit numéro dont il semblait fier, il fit une phrase de fin. Un petit « Regarde, lui aussi c'est un alcoolique. ». Cela semblait futile. Mais, c'est vrai, il avait droit à sa part d'enfantillage de temps à autres. Cela arrivait à tout le monde à près tout. Enfin...
Voulant essayer de lui dire que j'avais trouvé, je remarquais ne plus avoir de papier. Mince. J'essayais de lui faire comprendre avec les gestes, lui indiquant de l'indexe la position des produits, et mon autre main mes vêtements. Ensuite, j'essayais d’imiter les tops models pour lui faire comprendre que c'était beau. Mais rien à y faire.

« Tu veux danser c'est ça ? »


« ... »

Il était vraiment débile à ce moment là. Il y avait de quoi se lamenter sur sa personne... Mais au lieu de cela, je rentrais dans son jeu. Oui, nous allions danser. Attrapant chacune de ses mains, je l'emmenais en voltigeant jusqu'à l'endroit même où j'avais découvert le butin des voleurs. Durant notre petite danse qui ne dura que quelques instants, j'évitais de le regarder, trop indécise sur mon propre comportement. Ce n'était pas dans mon habitude d'être aussi proche des gens, je m'étais toujours tenue à l'écart des autres. Avais-je peur de la population en général? Non, j'avais peur de leur réaction. Les humains étaient des personnes si instables, sujettes à des émotions pouvant prendre le dessus. Tout comme ce qu'il m'était arrivé il y a neuf ans, bientôt dix. Je les avais tous tués, alors que je n'avais que six ans à cette époque. Mon regard était vide, sans expression à dévoiler. J'en avais quinze, bientôt seize maintenant, quels ravages pouvais-je bien faire, maintenant, avec un peu d'entrainement? Je chassais ces mauvaises pensées. Me rendant compte que nous étions prêts de la porte, je lâchais les mains de Chris et restais là, plantée comme un arbre ancré au sol. Ma main droite rejoignit le haut de mon autre bras, que j'empoignais. J'avais la tête basse. Le temps s'écoula. Les secondes filèrent, les minutes perdurèrent. J'avançais ma main et essayais d'attraper la chemise de mon équipier. Je l'attrapais, et le tirais pour le planter plus en devant de la porte, juste à côté de moi. J'avais trouvé. La mission s'arrêtait là, nous n'allions pas tarder à nous séparer. Et je me retrouverais seule... J'imagine que je retournerais à Angel's Sky, que je me reposerais. Peut-être recroiserais-je Atios, et Arthuria. Je ferais une nouvelle mission, rencontrerais d'autres mages. Et j'imagine que Chris ne pensera bientôt plus à moi, oubliant jusqu'à mon existence.

Nous emportâmes les vêtements, que nous avions préalablement mis dans des poches et placés sur nos dos, au magasin pour les rendre à leur propriétaire légitime. Celui-ci nous accueillit les bras ouverts, ses airs de bougon supérieur l'ayant quitté. Sa femme lui tomba dans les bras, et ils pleurèrent tous deux, de joie. Je ne pus m'empêcher de leur sourire. Ils étaient si heureux. Ils nous remerciaient sans cesse. Ils nous donnèrent à chacun la récompense. L'argent m'importait peu. Pour Chris, cela semblait être une autre histoire. Du coin de l’œil, je le vis ignorer quelques peu le marchand et sortir dehors. Je tournais la tête et crispais la mâchoire. Les deux bonhommes heureux que notre mission n'ait pas échouée s'arrêtèrent de parler et me regardèrent, reculant d'un pas. Ils se fixèrent, et la femme posa une main réconfortante sur l'une des miennes. Je levais la tête. Elle me fit un sourire, que je ne lui rendis pas. Elle m'intima de rejoindre mon équipier. Je hochais de la tête et fis un signe d’au revoir au couple. Tous deux repartir balayer leur magasin qu'ils comptaient refaire à neuf. Dehors, il n'y avait personne. Chris semblait être parti. Mon sort lui importait donc si peu, pour qu'il fuit dès l'argent encaissé? Au beau milieu de la voie publique, je restais là, plantée comme une asperge bien ancrée au sol. Les gens se poussaient pour ne pas me percuter. Je ne devais pas pleurer, surtout pour quelqu'un qui se foutait tout simplement de moi. Une clochette attira simplement mon attention. C'était Chris. Il n'était pas partie? Quelle idiote d'avoir pu pensée aussi mal de lui. S'il m'avait prévenu aussi... Non, ce n'était pas la peine de me chercher une excuse, c'était mal d'avoir pensé ainsi, point. Et puis, personne n'est parfait, alors pourquoi le serais-je...
Il s'avança vers moi, et me pris par la main, doucement, délicatement; comme si j'étais une fragile feuille qui pouvait tomber de l'arbre au moindre petit coup de vent, comme une fleur pouvant se faire écraser par les jeux d'un enfant. Tout du moins, c'est comme cela que me parvenait les choses, mais peut-être n'en était il pas ainsi. Peut-être que je me faisais des idées. Peut-être, peut-être... Je préférais me concentrer sur nos derniers instant en tant qu'équipe, sur ce qui était la réalité, que sur des choses au conditionnel, sur de simples pensées commençant par un "si" ou un "peut-être". Me concentrer sur nous, sur l'instant présent, et oublier le reste. Faire s'envoler mes peurs futurs d'être à nouveau seule, et mes cauchemars passés. Nous continuons de marcher, et cet instant de répis me faisait du bien. Nous n'avions plus à réfléchir à où chercher, à que faire. Il me restait en tête des remerciements. J'avais fait de nouveau une bonne action; et cela faisait du bien de pouvoir se le dire à sois-même. Et puis, après tout, voyons les beaux côtés de la chose, j'avais fait une rencontre, une rencontre magnifique. Celle d'un garçon, quelques peu gamin sur les bords, plus vieux que moi, mais ses plaisanteries et son comportement m'avaient pourtant bien plus. Il avait su me faire passer d'émotions totalement sinistres à d'autres des plus joyeuses, mêlant mon incohérence à mes joues totalement rougeâtres. Je lui étais reconnaissante, d'avoir su me faire vivre cette belle journée. Ma première mission en tant que mage d'Angel's Sky... Avec un Blue Pegasus. Chris s'arrêta. Je fis de même. Et je me rendis compte que nous avions marchés plus que cela paraissait. Ainsi, c'était ici que nous allions nous quitter. Oui, face à nous, deux routes, qui ne menaient bien sûr pas aux mêmes endroits. Elles s'élargissaient au fil où elle continuait d'avancer. Je levais la tête vers Chris, essayant de trouver ce à quoi il pensait. Mais lui me scrutait déjà; nos yeux se rencontrèrent l'espace d'un instant, mais je préférais baisser la tête. Un silence s'en suivit, que Chris ne semblait pas vouloir rompre. Il continuait de me regarder, silencieux. Il avait bien compris, que je l'appréciais et que je ne voulais pas me retrouver seule à nouveau. Il avait trop bien compris ce que je pensais, et cela me mettait d'ailleurs mal à l'aise. Je le vis faire un petit mouvement de son bras qui alla chercher quelque chose dans sa poche arrière du jean qu'il portait Il ouvrit sa main devant moi, et dans la paume je vis une petite boite violette entourée d'un ruban jaune canaris. Elle était mi-longue, mince. Je voulus les yeux vers Chris, mais il alla plus vite que moi. Il posa la petite boite dans mes mains et ferma mes doigts dessus. Il me lâcha pour m'attraper le menton. Mon coeur battait la chamade, voulant exploser ma poitrine. Que... Il dévia légèrement ma tête et déposa un petit bisous sur ma joue plus pâle qu'à l'ordinaire. A la fatigue s'était ajoutée la tristesse. Un cocktail bien morne. Il détacha ses lèvres roses de ma joue et s'en alla, me laissant seule admirer son départ. Les mains dans les poches, le mage de Blue Pegasus ne se retourna pas. Heureusement, car je croyais bien que mon teint de cachet d'aspirine s'était transformée en celui d'une pomme, vous savez, celles bien rouges qui se vendent si biens sur le marché de Magnoria! Le rire de Chris me parvint tout de même, s'estompant en même temps qu'il disparaissait dans la nuit naissante. Les minutes passèrent. Le soleil disparut peu à peu, les étoiles se collant par petit tas sur le fond foncé cédant aux tons si clairs précédents.

Je fis demi-tour vers la ville, cherchant un moyen de locomotion. Marcher, toujours marcher... Je voulais dormir pour me rendre à la guilde. Cette fois-ci, je devrais me débrouiller pour monter par mes propres moyens, je pense. Il fallait que je reprenne toute mon énergie. Durant le trajet, je ne pleurais pas la séparation de notre équipe, à quoi bon? Avant de fermer les yeux pour m'endormir dans un profond sommeil, je pensais que lui et moi nous rencontrerions sûrement plus vite que je ne le pensais. Le cadeau qu'il m'avait offert était bien au chaud dans la poche de mon short, je n'osais pas l'ouvrir. Je voulais faire perdurer un peu le dernier moment passé avec lui... En fait, je crois que je pouvais le compter dans mes amis. Le premier de la liste qui suivrait.