La nuit était tombé sur Oshibana. La lueur de la lune commençait à percer les nuages. Une vie assez étrange était sur le point d'émerger des ruelles. Il ne faisait pas bon d'être seul à cette heure.

"Hey ! C'est encore loin? J'aurais mal aux jambes si j'en avais."

Un sans-abris, un peu amoché à l'absinthe, s'était niché dans un coin. Il était interpellé par cette voix étrange. Il avait du mal à savoir d'où elle venait. Il se pencha vers la ruelle et distingua une silhouette venant dans sa direction.

"Je te jure... On a pas idée de donner un rendez-vous professionnel dans un endroit pareil!"

C'était une jeune femme. Court vêtue, affublée d'un chapeau pointue, écarlates.
Il tenta de comprendre. Etait-ce elle qui s'exprimait?

"Quand on le verra, je lui expliquerais le fond de mes coutures !
- T'inquiète, "partenaire", on arrive."

Elle était seule. Ils étaient plusieurs. Persuadé d'avoir trop forcé sur l'alcool, il se recouche et oublie ce qu'il vient de voir...


" Mademoiselle Iota,

De par cette lettre qui vous est destiné, je vous invite à me rencontrer pour discuter de votre avenir.
J'ai une proposition à vous faire.
Je vous donne rendez-vous à l'entrepôt des "denrées municipales", demain soir, vingt-deux heures.

Ne soyez pas en retard.

G.

PS : Lâchez cette lettre, maintenant. Vous risqueriez de vous brûler."


Plus tôt dans l'après-midi, alors qu'elle s'ennuyait comme toujours pendant la journée, elle jouait un concerto à la place du marché. Au moment de ranger Marlène, une lettre siégeait dans l’étui.

I-no ne comprenait pas. Comment quelqu'un pouvait bien connaître son nom de cobaye? Elle l'avait abandonné le jour même où elle s'est enfuit du laboratoire. Ce n'était pas bien grave, elle aimait les mystères. Aussitôt la lettre lu, elle s'immola dans ses mains. Il n'en restait que des cendres indéchiffrables. Ils avaient de sacrés procédés, se dit-elle.

Avec toutes ces missions illégales faites, elle avait dû se faire une petite réputation. Elle se fichait pas mal d'être reconnue. Encore moins d'être discrète. Mais bon, la tranquillité n'a jamais tué personne.

Elle était bien décidé d'écouter cette... "offre". Et rencontrer ce mystérieux G. Elle n'avait aucune idée de sa nature cependant, ni sur la proposition, ni sur l'identité de son interlocuteur. Si ça ne lui convenait pas ou s'il s'avérait que c'était un traquenard, elle n'hésiterait pas à lui faire sauter la tête à coup de décibels.

"Ça fait deux heures que tu me dis ça !
- N’exagère rien. On est partie du centre ville il y'a vingt minutes. Et c'est moi qui marche je te rappelle.
- Mouais..."

Bren, son chapeau et seul ami, était impatient de voir ce drôle énergumène. Enfin... surtout de voir si sa partenaire allait considérer son offre ou si elle allait le tuer.

Trois ruelles plus loin, ils étaient arrivés. Un grand entrepôt, une grande porte en tôle. I-no emprunta la porte de service encastré. Arrivé dans le bâtiment, quelques marchandises éparpillés aux coins. Le centre était vide, mise à part une table, et un homme encore caché dans la pénombre d'une simple lampe suspendu au dessus d'une unique chaise.

Amusée de la scène, I-no approcha, d'un pas sûr. Bren, avait les yeux écarquillés :

"Ouah ! Comme dans les films de gangsters Dandys !"

Oshibana, 22 heures.
La nuit y était tombée depuis longtemps et l’obscurité ambiante était idéale pour exercer des activités « peu conventionnelles », sans être dérangé par un curieux. D’ailleurs il n’y avait généralement pas de problèmes puisque les habitants étaient habitués à leur lot de bizarreries en provenance de la gare ; mais cette fois ce n’était pas pour un simple trafic ou un banal meurtre qu’il était venu.

La guilde avait constamment besoin de nouveaux membres pour étendre son influence. Et on ne pouvait pas se contenter des porte-flingues jetables, ces gorilles que l’on supprimait après quelques utilisations. Pour s’en débarrasser, il avait par ailleurs trouvé une méthode très efficace et rapide récemment. Il donnait à la cible un contrat avec comme objectif d’assassiner Alicia…
Le secret et la discrétion était de rigueur, mais Purple Bugloss avait aussi besoin de mages de confiance, pour exécuter des missions plus délicates.
A cet effet, il fallait recruter des mages avec suffisamment de potentiel, et pas de scrupules. Mais d’un point de vue personnel, il considérait que pouvoir les manipuler était aussi un critère important, sinon crucial pour sa quête de pouvoir.

Comme prévue à cette heure, elle fit son apparition dans l’entrepôt. Pour l’avoir déjà observé de loin, il reconnut la jeune femme. Force était d’ailleurs de constater que les tenues légères étaient très fréquentes chez les femmes dans ce « milieu »… Le chapeau en revanche était plus original, même si la couleur n’était pas des plus discrètes.

S’il fallait une heure tardive, c’était aussi pour apprécier cette mise en scène. Les zones d’ombre étaient nombreuses, et des hommes de main pouvaient facilement s’y dissimuler. Que ce soit le cas ou non, cela contribuait à créer une atmosphère dangereuse, on pouvait ainsi voir la réaction de la personne dans ce genre d’environnement. Mettre les potentielles recrues à l’aise n’était pas une nécessité. Livrer un combat à mort pour tester sa force non plus d’ailleurs…

Celle de ce soir avait plus l’air amusée qu’autre chose par ce petit effet. Quand elle approcha, le siège pivota lentement sur lui-même pour lui faire face. La lumière était arrangée de façon à ce que son visage soit très faiblement éclairé et reste dans la pénombre. Son costume élégant respirait la richesse et la puissance, et pour une rare occasion comme celle-ci, il arborait à découvert le pendentif de Purple Bugloss. La petite fleur violette sur son torse semblait répandre autour d’elle une aura sombre, comme si elle aspirait ou détruisait la lumière autour.
Sur ses genoux, un petit chat qu'il caressait ou avec lequel il jouait de temps à autre, l'air de rien. Il parla avec une voix lente et basse, pleine d’assurance.

« Bonsoir Mademoiselle Iota. Et…Bren je suppose ? »

Il prenait son temps pour se faire entendre, n’hésitant pas à faire des pauses.

« J’ai appris que vous aviez certaines aptitudes qui pourraient être utiles à mon organisation. Je vous propose donc une collaboration.

Si c’est l’argent, le pouvoir, la distraction ou autre que vous recherchez, vous pouvez l’avoir.

Il vous suffit pour cela d’apporter cette somme ici, dans deux jours. Bien entendu, c’est sans commune mesure avec ce que vous obtiendrez par la suite. »

Il désigna un morceau de papier replié sur lui et posé sur un coin de la table. Il la fixait avec un regard calme. A aucun moment il n’avait évoqué une activité illégale, ou quoi que ce soit qui puisse y être directement assimilé, et pourtant le message était clair. La lettre avait du être assez explicite sur le pouvoir dont disposait la guilde.

"Yahahaha... gloussa-t-elle.
Elle s'approcha de la table. A chaque pas, son fessier faisait un débattement qui ferait tourner de l’œil un eunuque.
- Vous aimez en mettre plein la vue, pas vrai? Laissez moi deviner... Trois ou quatre hommes de mains sont cachés derrières, parmis ces caisses et un autre a condamné l'entrée après mon passage. Ou je me fais des films? Dans les deux cas, c'est réussi.
- Et le chat? C'est obligatoire le chat? Je déteste ces bestioles... Ils aiment faire leurs besoins et leurs griffes partout. En particulier sur du cuir... En particulier... sur moi... Bon après, tout dépend si je...
I-no le frappa du tranchant de la main.
- Aïeuh ! Quoi encore?!"

Elle s'assit au coin où la feuille était posé. Dans une pose assez... lascive. Elle l'ouvrit. Bren tenta de se pencher d'autant qu'il pouvait.

"...Tout ça?! Z'êtes pas bien dans vot' bidoche?! Si on ramasse autant d'argent, autant aller s'installer au soleil !
- Tss... Tais-toi."

Elle froissa la feuille et la tendit à Bren. Ce dernier l'avala. Il avait au moins l'utilité de stocker de petits objets...

Elle croisa ses jambes, posa le coude sur son genou et posa sa tête sur son poignet. Elle fixa nonchalamment son interlocuteur.

"Avant que je donne ma réponse, je désire en obtenir. Comment avez vous eu connaissance de mon vrai nom? Et qu'en savez vous? Il n'est pas courant non plus de connaître la nature de mon partenaire. Saviez-vous qu'il n'est pas très... "Gentleman", de fouiner dans la vie d'une demoiselle, Monsieur... G? C'est ça?
- Pfrfrffr, G... Gentleman... pffrfrf."
Bren pouffait du jeu de mot qu'il avait trouvé...

Bon. Il pouvait faire une croix sur la discrétion… avec ce genre d’accoutrement, de gloussement et de démarche ; mais ce n’était pas tellement un problème. Il avait des tas de moyens à sa disposition pour étouffer le bruit si besoin, quitte à supprimer les oreilles de ceux qui se tenaient trop près de « la scène ». Ajouter quelques personnes aux clubs des invalides et amputés de la ville n’était pas non plus une méthode inefficace pour arriver à ses fins…
Dans ces cas là, ce qui comptait était la force brutale, la puissance pour écraser la volonté de l’honnête citoyen, et elle pouvait certainement tenir ce rôle, ainsi que plusieurs autres.

Elle n’avait pas l’air mal à l’aise même si elle suspectait la présence d’hommes de mains tapis dans l’ombre. Tout en continuant à jouer nonchalamment avec le chat, il lui répondit d’une voix amusée :

« Rassurez vous, l’entrée est tout à fait libre, vous pouvez partir quand vous le souhaitez… »

Oubli ou omission volontaire du léger détail sur les sbires ? Il n’était pas là pour qu’elle se détende après tout. Même s’il était possible que certaines cibles se comportent ainsi avec leur exécutrice, dans la plupart des cas elles étaient méfiantes ou désagréables. Qui enverrait un assassin de haut niveau pour tuer un vieil homme joyeux et affable ? Il était plus courant d’avoir affaire à de vrais truands.
Et si elle tenait tellement à être seule avec lui elle n’avait qu’à demander… Encore que, avec le chapeau ce ne serait pas de la tarte.

Quand elle vint s’asseoir, il ne put s’empêcher de remarquer qu’elle savait se servir à merveille de ses arguments : un atout non négligeable dans cette profession.

Et voilà qu’elle se mettait à vouloir des réponses à ses questions. Soit elle voulait le tester, soit elle était habituée à obtenir ce qu’elle voulait assez facilement. Mais il fallait un peu plus qu’un croisement de jambes et une pose charmante pour l’amadouer.

« Votre vrai nom ? Votre histoire ? C’est une information comme une autre disponible dans le réseau. Je n’ai pas besoin d’en connaître la source pour en connaître la fiabilité. »

Il savait parce que d’autres savaient : ou comment répondre sans répondre vraiment.

« Oh, et vous serez certainement amenée à rencontrer des personnes aux manières bien plus mauvaises que les miennes, si tant est que j’ai quoi que ce soit à me reprocher. Mais c'est étonnant de vous voir aussi...farouche, tout à coup.»

Oui, il aurait pu lui asséner violemment la vérité en pleine face, ou bien la laisser bien moins libre de ses mouvements qu’elle ne l’était maintenant (ce qui aurait été dommage par ailleurs), mais il se contentait de rester imperturbable, un brin ironique et le chat bien sûr toujours sur ses genoux.

« D’autres questions ? »

Elle pouvait y aller, qu’obtiendrait-elle de lui au final ? Quelques réponses évasives dans le meilleur cas, et des fausses pistes ou des pièges si elle se montrait trop curieuse...

Elle ne savait pas trop comment apprécier ces réponses. Le fait que son histoire se baladait sur un réseau d'information de malfrats ne l'enchantait guère. Elle savait que l'organisation qui tenait le laboratoire la cherchait. Elle n'avait jamais imaginé qu'elle avait finalement été tracé.

Cela éveilla en elle une sorte... d'excitation.

Elle gloussa :

"Fufufuh. Et bien, me voilà bien lotie. Je n'ai plus de questions. Faites juste en sorte que ma vie privée ne soit pas rependue d'avantage ♥.
- Et la mienne non plus !"

Elle lui fit un clin d’œil entendu. Elle se releva et croisa les bras :

"Très bien, j'accepte votre proposition. Mais sous conditions : je veux avoir une liberté absolue dans mes mouvements et procédés. Je veux aussi qu'on efface toutes traces de mon passé. Quitte à me faire passer pour morte dans votre soit-disant réseau. J'espère que vous aimez la musique Monsieur G. Yahahaha !"

Elle gloussa encore, la main à plat devant la bouche.

"Hey ! Hey ! Moi aussi je veux des conditions !
- Qu'est-ce que tu veux, encore?
- Je veux pleins de nanas à forte poitrine que me cire le cuir et ce, deux fois par jour ! I-no veut pas... Et elle a pas une aussi grosse poitrine. "D", c'est pas assez.
Elle soupira.
- Tu m'en diras tant."

Elle posa sa main sur la hanche et saisit le manche de Marlène avec l'autre.

"Notre discussion est terminée?
- C'est que, c'est pas la porte à côté pour rentrer !
I-no leva les yeux au ciel, oubliant qu'elle ne pouvait justement voir que la visière du casse-pied qui lui servait de partenaire et de chapeau.

Elle tenait à préserver sa vie privée ? Non, une personne dans une telle tenue ne pouvait être aussi pudique. Mais ce n'était pas un problème. Purple Bugloss prenait soin de ses membres les plus talentueux et ne tenait pas à ce qu'on parle d'eux dans chaque taverne du Royaume.
Ce n'était pas pour autant une raison de lui céder et de faire cette concession. Comme souvent, je préférais de jouer la carte de la vérité très générale, qui n'est ni un mensonge ni une vraie information.

"Et bien, cela dépendra surtout de vous..."

Avoir confiance en soi était un trait de caractère que j'appréciais, pour diverses raisons, mais je la trouvais bien sûre d'elle. Si c'était un levier intéressant pour l'utiliser, je devrais veiller à ce que cela ne compromette pas son efficacité. Elle devrait encore apprendre deux ou trois bricoles avant d'être entièrement opérationnelle. Quoiqu'il en soit j'en saurais plus avec sa mission de test.

"Votre liberté absolue devra se plier à certaines contraintes, mais rien de trop lourd je vous rassure. Elles vous seront communiquées une fois votre première mission réussie.

Le chapeau... il mettrait à coup sûr de l'animation aux réunions de la guilde, pour peu que sa partenaire et lui arrive jusque là... Je souriais de manière complice :

"Il n'est pas interdit de s'amuser après tout...

...

Oui notre ce sera tout pour ce soir."

Je la laissais repartir, me demandant si je pourrais bientôt l'utiliser pour me débarrasser de quelques "employés" dont le contrat arrivait à terme...

I-no lécha sa lèvre supérieure. Beaucoup d'idées traversaient déjà son esprit. Laisser échapper sa créativité l'excitait terriblement. Bren ressentait cela. La forme pointue du chapeau se souleva, dévoilant une rangée de dents pointues, dessinant eux même un sourire carnassier.

Elle tourna les talons vers la sortie, entre-ouvrit la porte et envoya un baiser :

"A dans deux jours, Mister G. ♥
- Ouai ! Mais à part ça, je veux..."

La porte se referma.

Elle sourit quand elle se fit la remarque que personne ne gardait la porte.

"Ils sont plus intéressants que je les pensais. Ils ont un côté... amusant.
- Ah ouais tu trouves? Je pense qu'un type qui aime les chats n'est pas digne de confiance !"
Elle remonta la ruelle.
"J'ai dit amusant. La "confiance", c'est un terme que je ne connais pas.
- Ouais ouais... n'empêche..."

Elle se mit à glousser... Bren, se demandait bien ce qu'il lui arrivait. Elle gloussa de plus en plus fort par finir à en éclater de rire. Le sans-abris rubicond la revit passer. Il jura cette soirée d'arrêter l'absinthe. Il se contenterait d'un peu d'eau-de-vie.

"Allons faire du bruit dans ce monde immonde !
- Gniark gniark !"