Deux minutes. Pendant deux minutes, ton cœur s’est arrêté. Pendant deux minutes, le monde s’est stoppé. Pendant deux minutes, tout ton univers s’est écroulé. Cette douleur à la poignante à la poitrine et cette colère que tu ne connaissais pas. Cette haine enivrante qui te murmurait alors que ton corps, gisait-là, par terre, sur le sol de ta chambre d’auberge. Les meubles sont à l’envers, tous retournés, ton visage est détruit par le chagrin qui s’estompe pour laisser place à la haine. Pendant deux minutes, tu n’as fait que lire une page. Aligner des mots les uns à la suite des autres, sans jamais te douter de l’inévitable, sans jamais te douter de la fin de cette lettre provenant d’un pays lointain. Le papier est déchiré, froissé par la culpabilité et la honte. Froissé par ce que tu ressentais envers le monde. Envers toi-même.
« Robin, Je ne sais pas par où je dois commencer et je ne sais pas si cette lettre te parviendra un jour, avant qu’il ne soit trop tard. Ici, les choses…Vont au plus mal. Cela n’est pas une nouveauté, tu le sais mais je ne t’écris pas pour me plaindre, je veux que tu reviennes. Je veux que tu reviennes ici parce que j’ai besoin de toi. Mia ne va pas bien. Revient vite. Cassandra. »
Ces mots te hantent encore comme un écho te poignardant le cœur à chaque fois que tu relis cette même et unique phrase « Mia ne va pas bien ». Mia ne va pas bien. Tu repenses alors à ses cheveux bruns en désordre, à son air ahurie et souriante. Tu repenses à ses yeux saphir te fixant en te demandant d’aller jouer dehors avec elle. Tu repenses au rire et au sourire de cette petite fille qui constituait ton monde. Ton univers….que tu as laissé derrière toi sans te poser de questions. Oui. Tu étais responsable des malheurs de ta sœur. Responsable de sa souffrance. Responsable de tout ce qu’elle ressentait, elle qui n’avait jamais connue vos parents. Elle ne se souvient certainement pas du rire de votre mère ou du sourire de votre père, pourtant, elle en avait hérité. Elle n’était qu’un bébé quand tout s’est produit. Elle n’était rien d’autres qu’une petite boule aux cheveux frisés aux yeux du monde.
Elle n’était rien, qu’une petite fille, le cœur en peine, s’accrochant à la chemise de son frère.
Alors sans réfléchir, tu étais parti. Sans réfléchir, tu avais pris la décision, de rentrer. Chez toi. Retourner à Pergand. Retourner là où tu as tout perdu. Retourner là où la justice fait défaut, accusant les plus faibles. Retourner là, où tu as croisé, les yeux embûmes de ta petite soeur pour une dernière fois, jusqu’à aujourd’hui.
Cela faisait déjà un an. Un an que tu étais parti. Parfois, tu as l’impression que c’était hier et parfois, que c’était il y a encore plus longtemps. Pergand te manques. Mia te manque. Ces gens un peu chiants te manquent. Tu te rappelles alors de ce brun, quand tu étais enfant, celui qui te suivait partout comme une mouche se collant bêtement à un fruit pourri. Tu ne voulais pas de lui. Plus d’une fois, tu avais essayé de t’en débarrasser, te cachant dans chaque recoin de la librairie. Et puis, lui aussi, un jour, il a disparu. Sans revenir.
Tout le monde disparaît. Un jour ou l’autre. Tes parents avaient disparus. Ce petit enquiquineur avait disparu. Enya avait disparue. Tout le monde disparaît, laissant les autres derrière. Leur laissant le choix le plus difficile : Partir à la recherche ou tourner la page ? Mais comment tourner la page quand c’est tout un pan de votre vie qui vous glisse entre les doigts ? Comment avancer quand toute votre vie est basé sur une erreur ?
Tu n’avais pas envie que ta sœur disparaisse à son tour. Pas elle. Elle était trop jeune. Mia n’était qu’une fillette, parmi tant d’autres. Une fillette du monde, ouverte et courageuse, certainement plus que tu ne l’as jamais été. Mia a toujours pris ta défense, même quand son adversaire faisait bien trois têtes de plus qu’elle. Elle était têtue, bornée et surtout bienveillante. Protectrice. Ta sœur était tout un mélange explosif d’émotions et de sentiments. Elle ne cachait rien. Jamais. Elle était tout ce que tu n’étais pas. Elle ressentait les choses qui vous entouraient avec deux fois plus d’impact que toi alors tu t’étais dit qu’elle ressentait pour vous deux.
Elle a toujours été un plus. Toujours.
Tandis que tu te faufiles entre les rues et les ruelles, tu cherches l’adresse que Cassandra t’as indiqué sur le bout de papier. Cassandra, elle était particulière aussi. Un petit peu trop à ton goût. Avec ses yeux gris perçant, son air menaçant et ses cheveux roux en bataille. Cassandra, elle a toujours plus ou moins veillé sur vous, parce qu’elle s’en était fait un devoir. Une sorte de crédo mais t’as toujours su que Cassandra, elle t’aimait bien, trop bien même.
Tu ouvres la porte, tendu, les mains moites, le cœur battant. Qu’allais-tu apprendre en tourner la poignée ? Qu’allais-tu….Non. Tu ne veux pas penser à ça. Tu ne veux pas imaginer une seule seconde que l’histoire se répète. Encore. Pas pour vous. Cela n’est pas juste.
Cette dernière s’ouvre et tu bascules en avant, tombant sur quelque chose de mou. De chaud. De lisse. Tu regardes devant toi et tu vois les joues rouges à peine cachés par les mèches rouquines de la femme sur laquelle tu venais de tomber.
« - Si un jour, on m’aurait dit que je réaliserais mon fantasme aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru. »
Brusquement, tu t’écartes et tu te relèves, en lui tendant la main pour qu’elle te suive.
« - Si un jour, on m’aurait dit que j’aurais à revenir ici, je ne l’aurais pas cru. Où est Mia ? - Bonjour Robin, moi aussi ça me fait très plaisir de te voir et au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je vais bien. Ça fait plaisir que tu en prennes soucis. - Cassandra…Où est ma sœur ? J’ai eu ta lettre ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Raconte-moi ! - Alors déjà, tu vas t’asseoir et tu vas te calmer. »
Elle te regarde avec cet air de défi comme elle l’a toujours fait. Elle a toujours tout contesté venant de toi, ne t’écoutant jamais et pleurant dès qu’elle était en danger quelque part, coincée dans un arbre ou pire encore. Elle avait le don pour ce genre de frasques.
La porte s’ouvre à nouveau derrière toi et une petite silhouette entre. Ses grands cheveux noirs lui retombait en cascade jusqu’aux fesses et ses yeux bleus te fixaient avec plus de surprise qu’il n’est possible de décrire.
« - Robin ?! »
Tu n’as pas le temps de dire quoique ce soit que tu te retrouves plaqué par terre, une nouvelle fois, tandis que ses petits bras peinent à faire le tour de ton torse.
« - Mais qu’est-ce que tu fais là ?! Je pensais que tu étais en voyage. T’as dit que tu reviendrais pour moi, c’est l’heure ? Tu m’emmènes avec toi ? Dis ! Tu m’emmènes avec toi ? - Moi aussi, j’aimerais bien savoir ce que je fais là…N’est-ce pas Cassandra ? - Ce n’est pas du tout ce que tu crois. Mia, si tu montais à l’étage et que tu nous laissais discuter ton frère et moi ? - Mais… - T’inquiète pas, je suis tout à toi après, tu me raconteras toutes tes aventures. Ça marche ? - Ok ! On fait comme ça. »
Elle part et une fois que la porte à l’étage se referme, ton regard se refroidie et se pose sur la femme, assise à côté de toi.
« - Donc ? Tu m’expliques ? - Tu n’as rien remarqué ? - De quoi tu parles ? T’en as pas assez de me faire tourner autour du pot au lieu de me dire le pourquoi du comment. - Je te l’ai dit. C’est Mia. - Mia va bien. Tu n’imagines même pas le nombre de scénarios tordus qui me sont passés en tête le temps que j’arrive ici. Cela t’amuserait donc tant que ça de me torturer l’esprit ? - Non Robin. Mia ne va pas bien. Je te parie tout ce que tu veux qu’à l’heure où nous parlons, elle n’est déjà plus dans sa chambre… - Qu’est-ce que tu… »
Tu montes, tu toques à la porte et personne ne te réponds. Te permettant d’entrer, tu remarques en effet que cette dernière est complètement vide. La fenêtre est grande ouverte, faisant voler les voiles à l’extérieur. Elle n’était plus là. Déjà. Tu venais à peine de la revoir qu’elle avait disparue, une nouvelle fois. Courant dans l’escalier, tu retrouves Cassandra qui n’a pas bougé un pouce en bas.
« - Tu m’expliques ce que cela veut dire ?! Où est-ce qu’elle est partie ? - Pas la moindre idée. Mais cela lui arrive de temps en temps de partir en douce pendant que j’ai le dos tourné, je l’ai remarqué mais elle refuse de me dire où est-ce qu’elle se rend. J’ai donc pensé que si son frère lui parlait…Peut-être que… - T’es vraiment pas possible ! Je te confie ma sœur et t’es pas foutue de veiller sur elle un instant ! Je te remercie bien ! - Eh oh monsieur les grands airs, rappel moi qui s’est fait la belle en laissant sa sœur chérie derrière lui déjà ? Tu penses vraiment que t’es en position de me faire des reproches hein ? Pendant que tu vivais la belle et grande aventure, moi, je fais de mon mieux pour veiller sur Mia mais elle a 16 ans putain ! Et je ne suis pas sa mère. Assume donc un peu tes responsabilités. »
Elle n’avait pas tort. Tu le savais. Tu savais qu’au plus profond de toi, Mia c’était ta responsabilité, tu l’avais promis. Promis à tes parents qui disparaissaient sous tes yeux alors que tu la tenais dans tes bras. Tu leur avait juré de toujours être là pour elle et au lieu de cela, tu étais partis, la laissant derrière toi. Chaque jour tu penses à elle. Chaque jour, tu te demandes ce qu’elle fait, comment elle va. Il n’y a pas un jour qui passe sans que tu ne puisses penser à ta sœur et à ce que tu lui as fait. Et même si elle ne semble pas t’en porter rancune, toi, tu ne le te pardonneras jamais.
« - Je suis désolé. Je n’aurais pas dû….. - Tu sais que c’est la première fois que tu me cris dessus ? Tu n’as jamais rien montré d’autre que de l’indifférence envers les gens qui t’entourait et là...Tu me cris dessus ? Je devrais plutôt être flattée. Tu deviens humain. - Parce que tu pensais que je ne l’étais pas ? - Tu as un cœur de glace Robin Marshall. A celui ou celle qui le brisera, ils ne verront qu’un homme souffrant. Tu penses tellement que tout ce qui arrive est ta faute, même quand ce n’est pas le cas. - Et toi, tu penses toujours qu’il faut que tu veilles sur moi. - Parce que personne d’autre ne le fera à ma place. »
Son sourire était aussi faible que la lueur des bougies s’éteignant petit à petit dans la pièce. Peut-être qu’en fin de compte, il y avait dans le monde, plus de gens capables de te comprendre que tu ne l’aurais imaginé.
« - Je dois la retrouver. Je dois savoir où est-ce qu’elle est partie et ce qu’elle fait dans ton dos. - Tu crois vraiment que ça va lui plaire que tu te mêles de sa vie ? - Je….Non laisse tomber. Je vais la chercher avec ou sans ton aide Cassandra. A toi de voir. - Oh je t’accompagne. Je ne voudrais rater ça pour rien au monde vois-tu ? Ça pourrait être drôle. »
Depuis que tu étais arrivé ici, tu as toujours eu cette impression que Cassandra ne te disais pas tout. Qu’elle te cachait forcément quelque chose. Son comportement, ses paroles, tout la trahissait et elle devait certainement se douter que tu commençais à t’en apercevoir. Elle n’était pas bête. Mais malgré tout, elle avait de l’avance sur toi et on aurait dit qu’elle voulait te montrer quelque chose. Quelque chose que tu comprendrais que si c’était en face de tes yeux.
Par sécurité, vous longez les ruelles sombres et les endroits étroits pour ne pas tomber face à une patrouille passant par là. Cela est idiot mais au fond, tu étais resté ce fugitif ayant suivi une femme à la chevelure blanche comme la neige. Une femme dangereuse. Trop dangereuse. Ton corps se plaque soudainement contre le mur, bloquant celui de Cassandra au passage. Durant quelques secondes, vos yeux ne se quittent plus et les mots ne sortent pas. Il y avait…Juste elle …Et toi. Comme avant. Comme autrefois. Juste cette fille un peu délurée et folle alliée et toi, ce petit garçon timide mais pas assez courageux pour dire à la fille ce qu’il pense.
« - Je ne savais pas qu’il y avait une telle proximité entre nous…ouuuh, ça me rends toute chose. - Ne te fais pas d’idées ! C’est par sécurité. Par nécessité je dirais plutôt. - Si on ne peut plus rigoler maintenant…Et donc c’est par « nécessité » que je sens ton cœur s’emballer dès que je pose ma main sur ta poitrine ? - Cassie….. - Ah ! Nous y voilà….Tu m’as appelé « Cassie ». Dis-moi Robin ? Un jour, tu me diras pourquoi tu es parti sans donner de nouvelles ? Un jour, tu me diras pourquoi tu ne m’as jamais répondu ? - Je…Désolé. Pas maintenant. - Comme tu voudras »
Son regard se baisse, ses yeux s’attristent et tu devines à tes paroles maladroites que tout, que tout a toujours été de ta faute. Mia, Cassandra….Combien de personnes avaient souffert de ton départ ? Combien de personnes avaient souffert de ton égoïsme légendaire ? Combien de personnes allaient encore en souffrir ?
Finalement, la patrouille s’éloigne et la distance entre vous est tel un gouffre. Quelque part, tu compris que tu n’avais plus le choix et que tu ne pouvais certainement pas te permettre que Cassie te suives à Fiore avec Mia. Il fallait qu’elles restent là, toutes les deux. Il fallait qu’elles aient leurs vies à elle, sans que la tienne, déjà toute en désordre et catastrophique ne se mêle à la leur. Il fallait les préserver de l’horreur, de la souffrance et du chagrin.
Ainsi, vous avez finit par tomber nez à nez avec un vieil entrepôt désaffecté donnant sur les hauteurs de la ville. Comme un air de déjà-vu hein ? C’est fous ce que le monde peut être petit.
« - Mia ! Mia !!! Je sais que tu es là ! »
Tu entres, l’endroit semble désert mais tu ressentais la présence de ta sœur, juste là, entre ces murs. Juste là, tapie dans l’ombre. Se cachant de toi. Se cachant de son frère.
« - J’aimerais qu’on parle tous les deux…Si tu es d’accord. Aller, je sais que tu es là Mia. Ne te cache pas. De toute façon tu n’as jamais été bonne à cache-cache. - Parce que je te laissais gagner. Tu n’as jamais pris le temps de me chercher convenablement, c’est tout. »
Tu lèves les yeux et tu l’aperçois perchée sur une poutre en bois. Tu l’aperçois et pourtant la reconnait à peine. Tant d’animosité dans ses yeux. Comme une aura sanglante autour d’elle.
« - Tu ferais mieux de repartir avant que les autres ne reviennent. - Je ne pars pas sans toi. Qu’est-ce que tu fais ici ? - Cela ne te regarde pas. Pars avant qu’il ne soit trop tard, je ne pourrais pas les retenir. - Dans quoi tu t’es fourré Mia ? Dis-moi ! Je veux t’aider. - Mais tu ne comprends dont pas ? Je ne veux pas de ton aide. Je ne veux pas d’une baby-sitter tout juste bonne à me raconter des histoires et à me faire des leçons de morales. C’était bon quand j’avais 10 ans et encore. J’ai entendu parler de toi tu sais ? Parce que je t’ai cherché, secrètement, dans le dos de Cassandra. - Petite peste…. - On dit que tu fais partie d’une grande guilde qui se bats pour la liberté. On dits que t’as été volé une famille royale. T’as fait pleins de choses en peu de temps. Et moi dans tout ça ? As-tu seulement pensé à moi que tu as laissé derrière ? A moi qui chaque jour, vois un soldat dans mon ombre ? Ils m’espionnent parce qu’ils pensent qu’ils peuvent d’atteindre à travers moi. Ils sont là, tous les jours, depuis que tu es parti. Alors dis-moi, ce que ça fait d’être le parfait grand-frère ? T’as bonne conscience dis-moi ? »
A chaque mot, une image. A chaque mot, une blessure. Jamais tu n’aurais imaginé les choses comme ça. Jamais tu n’aurais imaginé que ta sœur se fasse espionner, craignant de sortir, vivant dans la peur. Jamais tu n’aurais imaginé….Qu’elle serait devenue cette fille que tu reconnais à peine, toi qui vois encore les grands yeux émerveillés de cette petite fille dès qu’un papillon lui passait sous le nez. Elle avait raison. Tu ne méritais pas d’être là. Tu ne méritais pas d’être devant elle. Pas après tout ça. Sa colère était légitime. Sa haine aussi. Comment lui en vouloir ? Tu n’as été qu’un idiot pour imaginer une seule seconde qu’elle t’accueillerait à bras ouverts.
La vie, n’est pas un conte de fées et Mia n’est plus une princesse qu’il te faut protéger du mal du monde.
Le silence règne et pèse soudain sur ta conscience alors que tu as l’impression de voir chaque souvenir de ta vie, s’effacer de ta mémoire. Chaque moment passé avec elle, chaque rire, chaque pleure, chaque douleur. Tout semble s’envoler quand tu prends conscience de ce que tu as fait. Du mal que tu lui as causé. Tout s’effondre. Tout s’écroule. Pendant un bref instant, tu en oublies même de respirer.
« - Je….. - Non. Tu devrais partir maintenant. Retourner de là d’où tu viens. Cassandra n’aurait jamais dû te faire venir ici. Et vous devriez quitter ces lieux sous peu. - Pas sans toi. Je ne pars pas sans toi. Je suis venu pour toi. - Tu es venu parce que Cassandra t’as fait venir mais sinon, tu n’aurais pas pris la décision, du jour au lendemain, de venir me voir. Tu as juste fuis en me laissant derrière. Parce que tu es un lâche et rien de plus. - Tiens, tiens, tiens. Mia ! Tu ne nous avais pas prévenus que l’on aurait de la compagnie aujourd’hui ! C’est qui ? »
Une voix masculine, forte et portante, résonne dans le vieux bâtiment alors qu’un frisson te sort de ta torpeur. Tu as l’impression de reconnaître cette voix. L’impression, de l’avoir déjà entendu, quelque part, il y a longtemps.
Tu jettes un œil à ta sœur qui aborde cette mine contrariée et tes yeux redescendent naturellement sur le petit groupe d’hommes vous faisant face à l’avant du bâtiment.
« - Basil, tu te souviens de mon frère, Robin ? - Oh mais oui ! Le grand-frère de la belle Mia ! Alors vieux comment ça roule ? Paraît que t’es de retour au pays ? Les nouvelles vont vites tu sais. »
Basil. Tu te souviens de son nom. De son visage. Basil, c’était le bagarreur du quartier. C’était celui qui venait tout le temps te faire chier et devant lequel Mia s’interposait tout le temps, prenant ta défense à chaque fois. Elle s’est toujours mise devant lui, comme si c’était ton bouclier et quelque part, tu as toujours plus ou moins profité de son caractère de feu pour avoir la paix. Basil, il aimait bien te faire chier, tu ne l’as jamais aimé petit. Et plus grand, rien n’a changé. Tu n’aimes pas ce qu’il dégage et tu n’aimes pas à savoir qu’il traîne avec ta sœur. Qu’est-ce qu’un individu comme lui pouvait bien faire avec elle ?
« - Bah alors ? T’as donné ta langue au chat l’intello ? Ou alors ton cerveau est déjà partit se planquer entre deux pages d’un roman ? Toujours le même coincé hein ….Heureusement que ce n’est pas de famille. Oh Mia ! T’en es où des préparatifs ? - J’aurais souhaité les terminés aujourd’hui mais comme tu le vois, j’ai été interrompu. - S’ils te gênent, tu nous le dis, on s’en occupe. - Laisse-moi régler ça comme une grande Basil. Tu seras gentil. - Comme tu voudras mam’zelle. »
Il te regarde avec cet air fier et débile à la fois avant de te passer devant, te chuchotant à l’oreille.
« - Ta sœur, c’est une bombe au lit. »
C’était tellement bas que seul toi aurais pu l’entendre. C’était tellement bas que seul toi, aurait pu le comprendre et sans réfléchir, ton poing s’écrase au milieu de sa sale tête de gros naze, l’envoyant s’écraser contre des caisses plus loin.
« - Putain le con ! Il m’a défoncé le nez ! Sale enfoiré ! - Robin ! - Viens Cassie, on s’en va. »
Tu lui attrapes le bras, la traînant dehors, hors de toi mais alors que tu détournes les talons, une rangée semble te bloquer la route. Armés jusqu’aux dents, l’air suffisant, ils te regardent comme si tu allais vraiment passer un sale quart d’heure. Mia elle, s’assoit sur sa poutre, balançant ses jambes dans le vide et faisant mine de regarder ailleurs.
« - Petit con, tu crois qu’on va te laisser partir après ce que t’as fait à Basil ? - Je n’ai pas envie de me battre avec vous mais lui, il ne l’a pas volée. - Faites-lui sa fête les gars ! Qu’on ramasse son cadavre à la petite cuillère. »
Et c’est bien ce qu’il faillit t’arriver. Malgré tout. Il leur fallut peu de temps pour t’acculer et te mettre une déculotté comme jamais encore tu n’en avais subit une. Peu de temps pour te massacrer jusqu’au plus profond de toi-même. Jusqu’à ce qu’une voix s’élève.
« - Ça suffit ! »
A l'intonation, tu savais qu’il s’agissait de Mia. A l’intonation, tu compris que le chef du groupe…c’était elle. Cela a toujours était-elle. C’était tellement évident.
« - Cassandra. Prends mon frère et allez-vous-en. Mourir ici ne sert à rien. Prends-le et emmène-le loin, que je ne le revoie plus. - Merci. »
Elle fit passer ton bras autour d’elle et te souleva avec une facilité assez déconcertante. Cassandra cachait quelque chose. Tu le savais. Dès l’instant que tu l’as eus en face de toi, tu le savais. Tu l’avais compris et là encore…
Ton intuition te hurlait que tu avais raison. Il te fallait des réponses. Tu avais tant de questions. Tant de questions qui se perdirent alors que l’obscurité grandissait en toi, t’enveloppant dans ses bras.
Dans ton sommeil, tu fis un rêve. Enfin, ce n’était pas vraiment un rêve mais plutôt un souvenir. Le souvenir des premiers pas de Mia. Elle n’était pas une petite fille comme les autres, ta sœur, non. Elle était malicieuse et elle savait en jouait. Elle riait en faisant des galipettes, elle riait dès que sa tête frôlait le carrelage froid de la cuisine alors que tout son petit corps heurta les jambes de ta mère devant ses casseroles. Ta mère riait, ton père riait, Mia riait et toi…Tu souriais. Il eut beaucoup d’autres de ces moment-là dans ta mémoire mais très peu dans ceux de ta sœur. Elle devait à peine se souvenir de vos parents. A peine se souvenir à quoi ils ressemblaient. Mia ne saura jamais qu’elle est née et a grandie entourée d’amour, de bonté, de gentillesse. Elle ne saura jamais qu’elle a été aimée et chérie comme jamais personne sur terre.
Tu te réveilles en sursaut, trempé, les cheveux en bataille. Tu te réveilles en voyant le spectre de ce bébé, écrasé de plein fouet par l’ombre de la jeune femme d’aujourd’hui. Tu te réveilles, grimaçant, ayant l’impression d’être passé deux fois sous une charrette.
« - Regardez qui nous reviens d’entre les morts ? »
En regardant à côté de toi, tu remarques Cassandra, assise dans un fauteuil, un livre entre les doigts. Les rideaux étaient tirés mais à l’obscurité de la pièce tu te doutais qu’il faisait nuit dehors. Tu ne dis rien tandis qu’elle te dévisage. Tu ne dis rien tandis qu’elle pose son livre et qu’elle se lève pour venir plus près.
« - Tu le savais n’est-ce pas ? Tu l’as toujours su ….Je ne suis qu’un idiot. - Tiens. »
Elle sort un dossier poussiéreux d’un tiroir et elle te le jette entres les jambes. A la couverture, tu reconnais qu’il s’agit d’un dossier de l’armée.
« - Où est-ce que tu as eu ça ? - Est-ce vraiment important ? Lis. »
Tu ouvres le dossier et en épluche chaque page, chaque lettre, chaque mot, chaque détails. Tes yeux s’écarquillent au fur et à mesure de ta lecture et la nausée te vient. Un haut-le-cœur brusque.
« - Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi…Enfin…Je… - Cela fait plusieurs années que l’armée a un groupe d’activistes dans le collimateur. Ils sont soupçonnés de commettre des attentats un peu partout pour faire parler d’eux. Ils prônent la liberté et toutes les belles valeurs. Prochainement, une opération a grande échelle est prévue afin de mettre la main sur chacun d’entre eux. Ils seront tous emprisonnés. Jugés. Condamnés. Ta sœur, Mia, est devenue depuis deux ans, le leader de la branche régionale de ce groupe. Petite personne mais grandes responsabilités. Les photos des cadavres brûlés, des enfants égorgés vifs que tu as vu…C’est l’œuvre de sa troupe de gorilles. - Comment peux-tu savoir tout ça ? Comment as-tu accès à toutes ces informations ? - Voyons, un garçon aussi intelligent que toi l’a compris dès qu’il a franchi le seuil de ma porte non ? »
Ton seul reflex fut de reculer au fond de ton lit, t’arrachant une douleur au niveau des côtes. Cassandra était de l’armée. Cassandra…était…..avec eux. Ceux qui t’avais tous pris. Absolument tout. Cassandra était avec ceux qui avaient assassinés tes parents. Sans réfléchir.
A la vue du dossier, ton malaise revient encore, plus poignant, plus saisissant. Tu le jettes par terre, à ses pieds.
« - J’en déduis….Que pour avoir accès à ces informations….Tu es… - Ta sœur dirige une branche, j’en dirige une autre. C’est la même. Ne fais pas cette tête par pitié ! Tu crois vraiment que c’est le moment de jouer la carte de la surprise ? - Pourquoi est-ce que tu m’as fait venir Cassandra ? Pour m’arrêter aussi ? Tu as tout planifié c’est ça ? La rencontre avec Mia, les conséquences. Tout ? - Disons que j’aurais aimé que tu convaincs Mia d’arrêter ses bêtises tant qu’elle le pouvait. Elle est jeune, il n’est jamais trop tard mais au vue de l’échec sans précédent que tu viens de subir, sans parler de la raclée monumentale que tu t’es prise…Je vais me passer de tes services. J’aime beaucoup ta famille Robin, que ce soit toi ou ta sœur mais les choses ne peuvent plus durer ainsi. Cela doit cesser. - Comment cela a cessé avec mes parents ? Tu as aussi un joli dossier à me montrer sur eux ? De quoi étaient-ils accusés ? - Figure-toi que j’ai voulue me renseigner sur ce qui était arrivé à tes parents mais je n’ai malheureusement pas le niveau d’accréditation nécessaire. Peut-être qu’un jour… - Là c’est moi qui vais me passer de tes services Cassandra. - Comme tu voudras. Mais ne viens pas pleurer après. - Ce n’est pas mon genre. »
Tu te redresses difficilement et bascule sur le côté alors que ta pointe tes pieds frôle à peine le parquet.
« - Je peux savoir où est-ce que tu vas comme ça ? - Voir Mia. Faut que je lui parle. Il faut que je lui fasse entendre raisons. - Tu viens à peine de te prendre une déculottée que tu veux y retourner ? Ce n’est même pas la peine. Tu sais j’ai eu un mal fou à recoudre certaines plaies alors si tu pouvais rester ici bien sagement pendant que MOI, je fais mon boulot, ça m’aiderait beaucoup. Tu seras gentil. - Je ne vais certainement pas te laisser embarquer ma sœur comme une vulgaire criminelle. - Je crois que tu m’as mal comprise, malheureusement. Tu n’as pas le choix Robin. »
Elle s’appuie soudainement sur tes épaules, te faisant basculer en arrière par la même occasion. Dès que son visage fut en face du tien, elle se pencha et t’embrassa, volant par la même occasion, le peu de conscience que tu avais durement acquit.
De retour parmi les vivants, ton dos te fit remarquer que tu étais allongé sur quelque chose de plus dur, de plus froid. Les quelques rayons du soleil pénètrent à peine par la minuscule fenêtre. Ton poignet était attaché par des chaines aux barreaux du lit alors que juste derrière ceux de ta prison, il y avait Cassandra, dans son uniforme. Celui-là lui donnait un air que tu reconnaissais tout juste. Ses cheveux habituellement en bataille étaient coiffés en chignon retenus par une pince et elle te regarde, l’air grave.
« - Ceci est une mesure provisoire et parfaitement sécuritaire. - Alors tu m’enfermes aussi ? - Non. Je te laisse ici pour t’empêcher de commettre une énième bêtise. Tu attendras la fin de l’opération avant d’être relâché. - Pourtant, ne suis-je pas un fugitif moi aussi ? - Les choses ont changées en ton absence Robin. Tu es redevenu un citoyen lambda. Un monsieur tout le monde si tu préfères. L’armée n’a rien contre toi. - Je présume que tu y es pour quelque chose et que je devrais te remercier ? - Hm mm peut-être. Je n’ai jamais aimé les injustices. T’en faisais partis, j’ai réglé ça au mieux de mes capacités comme je vais régler la situation présente. - Parce que ma sœur est une « situation » ? - Non. Mais je me comprends quand je dis ça. - Je t’en supplie Cassandra…Ne l’enferme pas à son tour. Pas elle. C’est tout ce qu’il me reste. Ne me l’enlève pas. - Cela ne dépends plus de moi. - Je t’en prie. Tu connais Mia depuis qu’elle est toute petite ! Tu as veillé sur elle ! Tu sais qu’elle n’est pas méchante ! Je t’en prie…Ne fais pas ça. - Je te l’ai dit…Cela ne dépends plus de moi. Pourquoi aurait-elle droit à un traitement de faveur ? Parce que c’est une gamine ? Parce que je la connais ? Elle n’est plus cette petite fille qu’il suffisait de gronder quand elle dépassait les bornes. Il faut que tu le réalises, c’est impératif. Ne te rends pas malade pour ça. - Je suis déjà fou à l’idée…Cassie, je t’en supplie, à genoux…Ne fais pas ça. - Tu sais, c’est drôle parce que tu ne m’appelles Cassie que quand tu essayes de m’avoir par le côté affectif de la chose. Je t’ai aimé Robin tu le sais n’est-ce pas ? Je t’ai aimé et sans doute, je t’aime toujours actuellement et crois-moi, la situation ne me réjouis pas et ne me fais pas plaisir. Oui, je connais Mia. Ou du moins je l’ai connue mais c’est rendre service à tous ces gens morts que de l’arrêter dans sa folie. - Cassie….Je… - Pas maintenant hein ? C’est fou ce que t’es prévisible. Bon. J’y vais. Un garde repassera dans quelques heures quand il en recevra l’ordre. - Pitié…. »
Elle te tourne le dos alors que sa silhouette disparait dans le long couloir silencieux. Elle te tourne le dos alors que le bruit des talons s’éloigne progressivement. Elle te tourne le dos, sans dire un mot.
Et c’est à ce moment-là, que tout est devenu noir. Obscure. L’idée de voir ou de savoir Mia, enfermée, là, derrière des barreaux sinistres, elle qui a toujours été pleine de vie. Elle qui, dés qu’elle t’as vu, t’as sauté dessus. Tu sais que ta sœur, celle que tu as connus est toujours là, quelque part, en elle. Tu sais que ta sœur est là. Tu y croyais.
Tu fermes les yeux. Tu fermes les yeux alors que les larmes te brouillent la vue. Tu fermes les yeux, adressant une prière silencieuse à n’importe quel dieu pouvant t’entendre. Tu fermes les yeux, priant pour qu’on mette fin à ce cauchemars.
Pas encore. Pas elle.
En regardant à l’intérieur de ton tee-shirt, tu remarques le tatouage d’Echoic sur ta poitrine. Tu remarques ce symbole qui fut autrefois, ton seul espoir.
On dirait que ta prière a été entendue par le Dieu Enya. Comme c’est ironique. Si tu ne l’avais jamais suivit, tout ça, ne serait jamais arrivée. Ta sœur, ne serait pas ce qu’elle est.
Alors tu te rappelles de cette condition qu’elle vous a imposée à tous. Tu te rappelles de ce à quoi te lier le tatouage d’Echoic. Une seule fois. Vous n’aviez qu’une seule et unique chance.
« - Lilith, je t’invoque ! »
Alors que le vent se lève, la silhouette apparaît mystérieusement devant toi.
« - Je savais que j’aurais dû refuser d’être liée aux humains. Ce que c’est désagréable d’être appelée de partout. Bon qu’est-ce que tu veux toi ? Oh mais t’es en prison ?! Ahahaha Enya va trop rigoler quand je vais lui en toucher deux mots. T’as vraiment pas de cul toi l’intello. Ahahahaha ! - J’ai un service à te demander, s’il te plaît. Ecoute-moi. - T’as de la chance, c’est mon jour de bonté. Bon aller, dépêche-toi, j’ai pas que ça à faire de mes journées ! - Je voudrais que tu sauves ma sœur. Prends-la avec toi et emmène-la loin d’ici. S’il te plaît. - Et ce n’est même pas pour sauver tes fesses de beau gosse que je suis là. Pouaa, la chance m’a abandonné également. Elle est où ta sœur mon gars ? Je ne vais pas parcourir le pays à sa recherche moi. - Je te donne l’adresse. Promets-moi que tu vas l’aider. - Je ne promets rien. Je suis un démon, d’où t’as cru que j’étais le Père Noel toi ? Mais bon, comme t’es mignon et que t’as un joli petit cul, je vais faire de mon mieux. Aller à la revoyure l’ami ! Mille bisous de la part d’Enya ! »
Et elle disparaît. Sa voix s’éteignant dans l’écho. Remerciant le ciel d’être à Pergand et non à Fiore, tu as pu réussir ce petit tour de passe-passe de vitesse mais Lilith, a toujours été ton assurance vie et voilà que tu viens de griller ta cartouche pour ta sœur. Tant pis. Tu ne le regrettes pas. Tu espères seulement que Lilith arrive avant Cassandra. Tu n’aimerais pas que les deux se croisent.
Les heures passent et s’écoulent avec une lenteur incroyable qui ne fait que prolonger ton agonie et ton doute. Mia était-elle sauve ? Loin de Cassandra Loin de l’armée ?
Soudain, un garde vient, ouvre ta cellule et t’enlèves tes chaînes en t’annonçant que tu étais un homme libre. Ta première pensée fut de te précipiter dehors et une fois à l’air libre, tout ce que tu remarques est une épaisse fumée noire et montante dans le ciel. Certains passants parlent d’une explosion. Une grosse explosion. Tu n’as rien entendu, c’est bizarre.
Au loin, dans la rue principale, Cassandra revient, chancelante, appuyé contre un autre garde et elle s’arrête net à ta vue.
« - Je suis désolé. »
Appuyant sa main sur ton épaule, tu comprends le message qu’elle essaye de te délivrer mais au fond, au plus profond de toi, tu sais que Mia est là.
Tu sais qu’elle est quelque part, dans le monde et tu la retrouveras.
« - Suis-je un homme libre à présent ? - Tu peux partir. »
Tu détournes les talons et t’apprêtes à partir, quitter ce pays définitivement où plus rien ne te retiens. Pas même ton sang.
« - Robin ! Un jour tu me diras pourquoi tu es parti ?! - Quelque chose me dis que tu le sais déjà. N’est-ce pas Cassandra ? - Reviendras-tu ? - Non. Adieu Cassie. »
Tu ne la regardes pas. Tu détournes les yeux comme elle l’a fait avant toi. Tu détournes les yeux comme elle l’a fait pour toi. Parce que maintenant, vous étiez différents et plus rien ne te retenais ici. Plus rien ne t’appelais également.
C’était juste, la fin d’un passé qu’il te fallait enterrer.