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Requiem
Sujet: Requiem
Dim 23 Mar - 20:09
Uriel Rudraksha
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Titre
:
Rude crachat
Crédit
:
bebebe ♥
Feuille de personnage
Maîtrise Magique
:
(10638/35000)
Mérite
:
(272/400)
REQUIEM
« PARCE QUE TU TRACES LE FIL DE TA VIE A TRAVERS LE MONDE COMME LE FIL D'UNE LAME A TRAVERS LA CHAIR. SOUVIENS TOI DES DÉFUNTS, ILS SONT LE SUPPORT DE TA MARCHE MORTUAIRE. »
[
Note
: RP pré six ans]
« S
'épandent dans le ciel et sur la terre les coulées rouges du sang du soleil, agonie crépusculaire qui teinte le monde d'un éclat de guerre, béance ouverte qui plonge vers l'horizon, folie embrasée qui agonise et subsiste, darde ses rayons pour peindre ce qu'ils touchent de la couleur de la vie, celle qui a le goût de sang et de fer. Tout est colère, un jeu d'ombres et de lumière. Les silhouettes macabres et torturées des arbres nus s'envolent vers l'azur comme des prières restées vaines, se découpent, comme des traits d'encre, assistent immobiles à cet énième recommencement. Ici et là, des écharpes langoureuses de brume flottent comme entre deux courants d'air, lascives et dociles, estompant les contours du sol et ces trous d'eau mortels qui parsèment l'étendue du marécage en autant de petits pièges. Là, comme des signaux lumineux irréels, gravitent sans but ni âme les lucioles éparses qui, une à une, s'allument en autant de petites lanternes vacillantes. Dans l'air, résonne le bruit d'une nature sauvage qui grouille de vie, paradoxe troublant quand on sait de combien ces eaux s'en sont emparées, comme les corps des maris d'une amante jalouse, les plongeant en son sein pour l'éternité.
Malgré l'esthétique du tableau et l'élégance qui en ressort, je le trouve froid. Froid et sans émotions. Il y a quelque chose, là, qui me met mal à l'aise, comme une mise en garde silencieuse, un avertissement. Un frisson sur la chair et dans les os qui me garde de m'approcher plus avant. Tortueux, sournois, je me méfie de ce charme trompeur qui s'offre à mes yeux, persuadé que si je m'aventure en ces lieux, je pourrais n'en jamais revenir. Le froissement agité de ses mouvements vifs me tire de ma contemplation. Perché là sur un rocher qui affleure, il sautille comme pour observer les alentours, penche la tête, finit par me fixer. Je sens dans son regard l'intense curiosité qui me jauge, m'assimile et m'évalue. Comme menace, mais aussi comme ressource et, plus encore, qui estime la prise de risque et le gain potentiel, l'opportunité de ce qu'il peut me soustraire. Quelque part, c'est particulièrement dérangeant, mais je suis fasciné par l'éclat d'intelligence qui brille dans ces yeux d'ébène.
Il se dandine sur ses deux pattes, de sa démarche maladroite et confuse lorsqu'il est sur terre. Un peu comique, aussi. Mes yeux suivent la trajectoire de son mouvement.
_ MaiîTRe. »
Sa voix résonne dans le calme du soir comme une discordance sinistre, croassante et éraillée. Aigüe, aussi. Je fronce les sourcils, cette bestiole n'a jamais compris que nous avions deux conceptions profondément différentes de ce qui est bon pour moi.
_ Cesse. Ce terme m'insupporte. »
Il secoue sa tête noire et fragile de haut en bas dans une mimique humaine d'assentiment grotesque. Le soleil mourant chatoie sur son corps comme une flamboyance infernale.
_ Oui, MaîTrre. »
Intérieurement, je soupire, mais je ne dis rien. Je commence à me demander s'il se rend seulement compte du rôle qu'il tient, et du profond malaise que j'associe à sa présence. Parfois je me demande, quelle cruauté s'est donc penchée sur moi le jour où je l'ai rencontré. Néanmoins, j'ai conscience qu'une partie de mes réticences sont liées à ma condition humaine, et la vue que j'ai du monde qui m'a été transmise de notre société. Nous sommes un cycle, et le funeste fait autant partie de la vie que la vie de la mort. Je ne veux pas croire en l'absolu de cette fin telle qu'elle est habituellement conçue. Imposée, même. C'est pourquoi je suis là ce soir.
Il s'ébouriffe et piétine. Il a compris que le moment où je vais cesser de le repousser est sur le point de voir le jour. De prisonniers, nous allons passer à égaux, et cela marque le tournant de la nature de ce lien qui nous unit. Je lui tends mon bras en une invitation explicite, il tourne la tête de côté pour mieux voir. Je l'observe encore, je n'ai absolument aucune idée de ce qu'il s'apprête à se passer, ni de la nature de l'épreuve qui s'en vient à moi. Il se ramasse, entrouvre son envergure et, d'une impulsion, se porte jusqu'à mon avant bras.
Le souffle de Ses ailes balaie mon visage comme une folle bourrasque, dans une modulation au grave presque inaudible. Le froissement de son manteau semble emplir le monde et seul le silence pénètre encore mes sens. S'envolent la poussière, les feuilles et autres débris organiques, et s'envole également la chaleur de mon corps. Pupilles étrécies, la pression qui m'accable soudain me fait vaciller et, lorsqu'il pose sur moi ses serres gigantesques, je mesure brusquement l'espèce d'insignifiance que je dois représenter à ses yeux, moi la poupée de chair entre les griffes d'onyx. Son toucher brûle mon âme, engourdit mes sens. Le cliquetis de la chaîne tinte à mes oreilles comme la seule chose qui me parvient encore, et je sais déjà ce que je vais trouver avant même de relever les yeux. Je redresse la tête vers le haut.
Il est là, dévoilé dans toute sa funèbre splendeur, et me fixe de ses trois yeux comme l'on transperce un corps. Les ailes déployées au-dessus de moi en une cyclopéenne couronnes de sinistres mais majestueux lauriers. Il est du noir le plus pur et seul le rouge et le feu de l'agonie du soleil fait chatoyer sa parure d'ébène en des reflets de brasier. Malgré sa taille, il ne pèse à mon bras que le poids d'un souffle, mais ce n'est pas sans efforts que je le supporte. Il replie ses ailes, sans un bruit. C'est moi qu'il attend. C'est moi mais je suis prêt, alors je rassemble ma volonté pour faire face et je sens la magie qui monte dans l'air.
Je sens mon essence arrachée à mon corps par un souffle impérial, une autorité froide et impitoyable qui m'ôte à moi-même de la même façon qu'un enfant briserait une brindille : sans même y prêter attention. Alentour, rien n'a changé, mais tout est plus flou, difficile à cerner, comme sous un voile semi opaque semi transparent.
_ U... Riel »
La sensation pétrifiante d'une dague de glace qui transperce le cœur comme un millier d'échardes. Je ne peux y croire, l'écho des souvenirs que vient de provoquer le ton de cette voix me coupe le souffle. Je n'ose me retourner.
_ Ur... Iel »
La difficulté à parler perce dans sa voix, comme si elle n'avait pas parlé depuis si longtemps qu'elle en avait oublié comment faire. Mon cœur palpite, saisi d'effroi, je finis par pivoter sur moi-même après quelques instants de silence et mes yeux se posent sur ce qu'ils ne veulent voir.
Elle se tient là, immobile sur ses deux pieds, vêtue de ces souliers et de cette petite robe que lui avait offerte sa mère. Sa peau blancheur d'albâtre était striée des marques de la violence, son visage était inexpressif et meurtri, son corps aussi, comme si elle avait oublié la sensation que cela faisait, d'être physique dans le monde réel. Seul son regard était vivant, mais les cadavres et les reproches qu'il charriait me tétanisait. A son cou, les marques violettes de la suffocation, et ces membres qui lui faisaient mal, ces membres brisés. Elle avait treize ans.
Elle avait treize ans et elle était morte. Et instinctivement je savais pourquoi elle était là.
_ Élaine... »
A bout de souffle. Voilà ce que prononcer son nom tabou me faisait comme effet. Cela faisait presque neuf années maintenant.
_ P-Pourquoi ? »
La peur s'insinue dans ma chair comme un poison vicieux. Elle veut des réponses, elle veut savoir pourquoi elle est morte, pourquoi
moi.
Je le sens, au fond, mais je sais que je ne pourrais rien faire, alors je reste tétanisé par cette culpabilité enfouie qui ressort brusquement, m'enserre la poitrine asphyxie mon esprit. Je me débats dans ma propre conscience, mais de la même façon que le poisson qui se débat hors de l'eau : vainement.
Mais je n'ai rien à lui apporter, rien à justifier. Elle a subit les conséquences de quelque chose qu'elle ne pourrait même pas comprendre, simplement parce qu'elle était là, au mauvais endroit, au mauvais moment. Aucune raison valable, juste un immense et terrible gâchis. J'essaie de lui parler, mais je n'y arrive pas, et la seule chose que je puisse faire, c'est secouer la tête bêtement en un signe de dénégation impuissant, dans un déni pour l'effacer et l'oublier. Je t'ai oubliée, Élaine, tu ne fais plus parti de ma vie. Oubliée pour tout masquer.
Dans son regard, l'éclat change soudain, de regret il passe à colère, et la panique monte en moi lorsque j'acquiers brusquement la certitude qu'elle vient de lire ma pensée.
_
POURQUOI
. »
Son cri me transperce les tympans et déchire ma chair, une onde de choc qui me percute comme un violent coup. J'ai mal. Mal partout. La douleur monte dans mes os comme un feu qui éclate, aigüe et vive comme une aiguille. Je sens sur ma chair les coups pleuvoir, frapper au visage et dans la poitrine et les bras. J'essaie de me protéger, mais la panique me broie. Impuissant, les blessures s'impriment directement sur ma chair et la résistance que j'oppose est futile. Je tombe à genoux. Devant moi, le spectre d'Élaine observe et orchestre la scène, mais dans ses yeux pas l'ombre d'une réaction. C'est comme si elle avait attendu ça toute sa vie, mais que maintenant qu'elle y était, elle n'y prenait aucun plaisir. Mais il lui est impossible de s'arrêter, ou bien tout ceci n'aurait plus aucun sens.
Je sais ce qu'il va se passer. Je revois le déroulement des évènements avec une clarté étrangement lucide. Chacun des coups se rappelle à moi, chacune des violences que je lui ai administrée. Je sens mon bras gauche qui se brise sous un impact, mon cœur explose. Dans un râle qui tente d'expirer un cri de douleur, je n'arrive même pas à cracher ce mal. Je vacille, ma tête rencontre le sol. L'odeur du liquide rouge emplit mes narines à mesure qu'il envahit ma gorge. Je m'étouffe dans mon propre sang. Mon sang qui est celui d'Élaine. Alors les doigts glacés remontent le long le ma gorge, une main se pose sur ma bouche. Avec une lenteur macabre les phalanges enserrent mon cou, et vienne s'y loger comme un étau mortel. Je n'ai pas suffisamment de force pour résister. Je n'arrive pas à lutter contre cette culpabilité qui me ronge. Au fond, c'est plus facile de se laisser aller. Un spasme contracte ma poitrine, j'essaie de respirer. Impossible. Mon cœur s'emballe, l'oxygène me manque. Je vais mourir comme elle est morte. J'aimerais pouvoir dire que je suis content de l'apaiser, mais ce n'est pas la vérité. Tout ce qui m'obsède en ce moment, c'est l'idée de laisser mon jumeau se débattre seul dans ce monde.
Seul.
La peur s'ouvre en moi comme une fissure de l'esprit lui-même, je me craquèle, je me disloque. Le froid pénètre dans mon corps, et le noir m'accueille dans un dernier linceul.
***
J'inspire brusquement, les yeux grands ouverts. J'avale l'air autour de moi comme si c'était la première fois de ma vie. J'émerge, de ce néant insaisissable, en portant frénétiquement mes mains à ma gorge. Les yeux exorbités, il me faut plusieurs longues secondes pour me rendre compte que rien ne se passe, que je suis vivant, et que je vais bien. Je cille, ma tête me tourne. Je me redresse tant bien que mal et, soudain, je me souviens de tout ce qu'il s'est passé. Élaine, notre mort et cette horreur impossible à cracher qui s'emparait de moi.
Alors je ris, comme un dément. Je ris parce que mes nerfs lâchent. Je me suis vu mourir, et mon esprit a accepté cette condition inévitable, finalement lâché prise pour se résigner. Des larmes coulent. J'essaie de contrôler ce faciès de dégoût qui s'affiche sur mon visage, mais je n'y arrive pas. Je me sens mal. Profondément. Quelque part, je me dis presque que j'aurais préféré ne pas me réveiller, le goût de la vie a maintenant un quelque chose d'amer, un quelque chose de sale. Je me rallonge sur l'herbe, les étoiles sont apparues dans le ciel et le crépuscule n'est plus qu'une fine bande de ciel un peu plus claire que le reste de la nuit. Nulle trace de Solstyr, il s'en est évaporé. Sur le rocher, vient alors se poser la même silhouette curieuse et dandinante avec qui je parlais tout à l'heure. Il s’ébouriffe, remet en place une plume ou deux et finit par considérer ma présence d'une curiosité avide.
_ MaiîTRe ? »
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