Juliette ajustait sa robe. Elle déglutit difficilement, observant son reflet dans le miroir. C'était le grand jour. Il ne restait plus que quelques heures avant que tout ne soit fini... et que tout ne commence en fin de compte. Elle tenta de refouler la vague de panique qui menaçait de l'engloutir. Tout irait bien. Il serait au bout de l'allée, à l'attendre. Elle avait quelque chose de vieux, la bague de sa grand mère. Quelque chose de bleu, le magnifique saphir incrusté dedans. Et quelque chose de neuf, le pendentif reçu deux jours auparavant. Elle mit son voile un instant, regardant son reflet dissimulé. Et nota qu'il lui faudrait prendre garde à avancer bien droit, elle y voyait peu une fois la coiffe en place. Mais elle ne craignait pas de tomber. Arthur serait toujours là pour la rattraper.
Et pourtant.
Une douce mélodie résonna à ses oreilles. Une chansonnette, qui résonnait dans la pièce, fredonnée par la voix douce d'une femme. Juliette sentit ses idées se brouiller. Elle avait si peu dormi ces derniers jours. Le stress du mariage. Elle pouvait s'accorder un bref instant de repos. Tant qu'elle prenait garde de ne pas ruiner le travail de sa maquilleuse. Juste un instant. La jeune femme s'écroula sur le côté. Et cette fois, Arthur ne la rattrapa pas. Mais des talons résonnèrent sur le balcon.
Arthur l'avait attendue. Longtemps. Mais elle ne s'était jamais présentée sur l'autel. Lorsqu'inquiets, ses parents s'étaient rendus dans sa chambre, ils n'avaient trouvé qu'une pièce déserte, avec pour seul indice un poignard planté dans le rembourrage de son siège. Et sur ce poignard, gravé, un œil et une larme.
La perte de Juliette avait failli rendre le jeune homme fou de chagrin. Ils étaient deux étoiles qui s'étaient trouvées, deux âmes qui avaient un écho si profond qu'il ne pouvait en être autrement. Mais plutôt que de s'effondrer, il choisit de lutter. Grand, bien bâti, le jeune homme avait servi quelques temps auprès de la garde locale. Et il comptait bien mettre tout ses talents en jeu pour retrouver Juliette. Ou sinon, la venger. Mais il ne préférait pas songer à cette option.
Il connaissait les règles du jeu. Défendre la loi n'était rien d'autre qu'apprendre toutes les manières possibles qu'il y avait de la contourner. S'il souhaitait la retrouver, il lui fallait d'abord recueillir des informations. Bien sûr, la milice locale avait mené sa petite enquête. Mais personne ne coopérait avec la milice, il était bien placé pour le savoir. Et c'était pour ça qu'il devait tenter le tout pour le tout, en solo.
Comme la milice n'avait pu trouver aucune information à propos du poignard, ou même d'une jeune femme trouvée, il se dirigea vers le meilleur endroit pour obtenir des informations. Une taverne. De préférence, la plus mal fréquentée possible. Pires étaient les malandrins, meilleures étaient les informations. Et si l'or ne pouvait délier toutes les langues, il n'hésiterait pas un instant à user du fer. Vêtu d'une large cape, il rentra donc dans le Vert Sureau. Si la cape était une nécessité pour lui s'il voulait rester discret, il se rendit vite compte que c'était proche d'un code vestimentaire dans cette taverne. Quasiment tout les clients en portaient. Des parieurs qui jouaient aux dés sur la première table. A l'étrange individu dont les yeux brillaient dans le noir, dans un coin de la taverne. En passant par la jeune femme qui buvait un thé près de la cheminée. Il marcha directement jusqu'au bar. Il se sentait observé. Jugé. Pesé. Les gens des ombres se méfiaient toujours des étrangers. Et plus encore, ils aimaient à calculer le coût de la marchandise potentielle avant de se déplacer plus avant. Bosco était toujours en manque d'esclaves après tout...
Il but posément un verre. Il n'avait pas besoin d'approcher quelqu'un immédiatement. Il savait comment marchaient les choses. Il rageait de ne pouvoir progresser vers Juliette, mais il lui fallait rester patient pour le moment.
Après deux verres, il se leva, et quitta la taverne, tournant pour une ruelle isolée. Un léger bruit lui prouva que son plan avait marché. Il se tourna vivement, dégainant sa lame. Droit sur la gorge d'un des clients. Celui ci leva lentement les mains, arborant un rictus de colère, et lâchant sa dague. Il y avait toujours un imbécile pour suivre le premier étranger, espérant lui faire les poches. Mais Arthur avait la situation bien en main. Et il ne comptait pas le lâcher de suite. Entraînant son voleur du dimanche au fond de la ruelle, il l'interrogea méthodiquement. Les disparues, les assassinées, les vendues, les achetées, tout y passa. Mais rien n'avança. Jusqu'à ce qu'il présente le poignard. L'homme lui parla d'un « voleur de pions ». Comme le pion aux échecs. Celui ci enlèverait des personnes, puis les enfermerait dans un donjon, une caverne... Il laissait alors une semaine à des proches pour tenter de les libérer. S'ils réussissaient, les prisonniers leur seraient rendus, et ils ne seraient plus jamais pris pour cible. Encore un jeu né d'un esprit malade et corrompu.
Usant du pommeau de l'épée, Arthur assomma son informateur, et l'abandonna là. Juliette avait disparue trois jours auparavant. Il ne lui en restait donc que quatre pour la trouver, et la libérer. Et malgré tout... malgré tout... Il ne put retenir un battement de cœur plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Elle était en vie. Il en avait la preuve. Mais il ne pouvait se permettre de se relâcher. Il lui restait encore beaucoup à faire. Il retourna au Vert Sureau. Le message était clair désormais. Ils savaient tous ce qui arrivait quand deux hommes quittaient la taverne à quelques minutes d'intervalle. Il revenait, prouvant qu'il était le plus fort, et qu'il avait le pouvoir. L'accueil fut plus chaleureux, et il fut invité à la table des dés, à laquelle il manquait désormais un joueur. Puisqu'il était accepté, il représentait autant d'informations extérieures pour eux qu'ils ne l'étaient pour lui. Donnant donnant, la juste loi du commerce et du troc. Oui, ils connaissaient la légende du voleur du pions. Mais selon eux, ce n'était qu'une légende urbaine, ils n'avaient jamais vraiment vu de poignard marqué par l'oeil et la larme. Non, ils ne savaient pas où il était possible de se trouver du... personnel particulier de Bosco ces jours ci. A la fin de la soirée, Arthur ressortit avec plus de frustrations que de réponses.
Oui, certains évoquaient la légende. Mais comme toutes les légendes, elle était drapée de mythes et d'allusions. Certains évoquaient ainsi la possibilité que le voleur ne soit pas humain, mais un spectre maudit. D'autre que c'était une excuse utilisée par ceux qui voulaient fuir et changer de vie.
Un froissement de tissus dans son dos le fit réagir. Il dégaina sa lame plus brusquement qu'il ne l'aurait voulu, si bien qu'il trancha le lien de la cape de son poursuivant. Ou plutôt de sa poursuivante.
Il reconnut surpris la jeune femme de la cheminée. Celle ci n'était apparemment pas armée. Sa cape déliée coula bientôt sur ses menues épaules, révélant son visage et son corps. Un visage gracile, des yeux violets qui fixaient avec surprise la lame pointée sur sa gorge. Un corps fin aux courbes attrayantes, dissimulé par une tunique légère aux manches longues, et des bottes montantes.
Une bien curieuse voleuse...
Qui recherche un bien curieux voleur, adepte de jeux.
Il se figea.
Navrée. J'ai écouté votre conversation avec ces hommes dans le bar
Et vous êtes ?
Minerva. Cela suffira je pense
Il prit le temps de réfléchir. Il sentait quelque chose d'étrange, la rencontre était trop fortuite.
Qu'est ce qui vous relie à ce voleur de pions ?
Je suis à la recherche d'une de mes parentes, qui a été enlevée il y a trois jours.
La date correspondait à celle de l'enlèvement de Juliette.
J'ai conscience qu'il s'agit à l'origine d'une légende urbaine. Cependant, vos questions sur le sujet m'ont suggéré que vous en étiez vous aussi une victime. Et donc que certaines légendes ont un fondement.
En somme, vous m'avez suivi
Elle parut gênée.
Oui. Un allié ne sera pas de refus si ce jeu est à la hauteur de la légende.
Qu'importe le jeu. Je n'ai pas pu trouver où se situait sa cache. Et le temps passe
Le barman a pu me renseigner, grâce à hmm... certaines méthodes
Elle se trémoussa de plus belle. Sa gêne semblait être à la hauteur de sa beauté, rien que le fait d'oser entrer dans cette taverne, puis aller le voir avait du lui coûter des trésors de courage.
Selon lui, le seul lieu adapté serait un ancien égout, qui a depuis été asséché et condamné
...Je vois...
Si vous me promettez de m'aider, je vous indiquerai le lieu...
Il hésita. Si c'était vraiment un jeu de vie et de mort, il n'était pas certain de pouvoir compter sur elle. Minerva semblait trop fragile et peureuse pour ça. Et pourtant... Il ne pouvait s'empêcher de se sentir lui aussi gêné. Mal à l'aise. Comme s'il pressentait quelque chose de puissant sous ces iris mauves.
Marché conclu
Minerva le conduisit à travers le dédale des ruelles. Même si elle semblait réservée de nature, elle se dirigeait d'un pas sûr, de celui des conquérants, ou des désespérés. Et ils l'étaient.
Alors, lequel d'entre vous a un talent particulier ? Si ce n'est pas trop indiscret...
Je vous demande pardon ?
Elle lui jeta un léger coup d'oeil par dessus son épaule.
Le voleur de pions ne porte pas ce nom par hasard. De la même façon que les pions ont un potentiel redoutable aux échecs, il n'enlève apparemment que des personnes, ou des proches, qui ont un potentiel certain. C'est pour cela qu'il lui est tout aussi profitable de gagner sa... partie.
Arthur réfléchit un instant.
Juliette a... toujours eu un instinct très sûr concernant l'avenir, certains disent qu'elle entend la voix des anges.
Je vois.
Un simple constat. Pas de surprise, ou de remarques. Même s'il était vrai que le talent de Juliette semblait se limiter à prévoir le sexe d'un enfant à naître, ou le chemin le plus sûr lors d'un voyage, Minerva devait connaître quelqu'un d'extraordinaire pour se laisser si peu intimider.
...Et vous... ?
Elle hésita un instant, ralentissant sa marche.
J'ai... quelque chose de particulier susceptible de l'intéresser. Mais étant une proie trop difficile à attraper directement, ma sœur a fait une victime parfaite. Si je gagne, je la récupère. Si je perd... J'imagine qu'il nous gardera toutes les deux...
Oh...
Minerva était à l'évidence fragile, quoi que soit cette chose particulière. Mais il avait désormais la certitude qu'elle se battrait jusqu'au bout, de toutes ses forces. Parce qu'elle avait quelqu'un de précieux à sauver. Et plus encore, parce qu'elle était responsable de l'enlèvement. Sa culpabilité serait un moteur efficace.
Elle le mena jusqu'à un dessous de pont, sous lequel se dessinait une arche de pierre, maintenue scellée par un cadenas. Minerva l'observa un instant, jugeant de son état de délabrement avancé. Elle se pencha dessus, Arthur entendit le crissement dérangeant du métal contre le métal, et quand elle se releva, le cadenas tomba au sol, tranché net. Il la considéra un instant avec suspicion. La « fragile » Minerva avait visiblement plus d'un tour dans son sac. Et il savait ce à quoi le désespoir pouvait conduire les gens.
Allons y...
Il hésita un instant. Il était celui qui était armé, donc il convenait qu'il passe en premier, mais après avoir vu ce qui était arrivé au cadenas, il n'était pas encore tout à fait sûr de vouloir lui tourner le dos. L'obscurité du couloir ne lui laissait guère le choix.
J'imagine que vous n'avez pas de torche sur vous Minerva ?
Elle le regarda légèrement surprise.
Euh... non, je n'ai rien prévu de tel...
Il soupira, et alluma la sienne.
Restez près de moi, ces torches n'éclairent pas beaucoup
Oui oui...
Ils s'engagèrent alors tous deux dans les méandres de l'égout condamné. Et il savait que quelque part au bout, Juliette l'attendait.
Au bout du premier couloir, ils trouvèrent une lettre au sol. Les félicitant pour leur participation à ce petit jeu, d'une jolie écriture penchée. Arthur la brûla froidement dans les flammes de sa torche. Mais au moins, ils savaient qu'ils étaient au bon endroit.
Malgré la torche, leur progression était lente et difficile. Arthur ne cessait de butter sur des dalles inégales, de se heurter au plafond bas, de frôler les murs. Et pourtant, Minerva derrière lui ne faisait aucun bruit. Elle semblait se déplacer comme un spectre, ne faisant aucun bruit, évitant chaque obstacle avec une précision parfaite. Trop parfaite. Personne ne pouvait être aussi habile dans cette obscurité. Ses soupçons se faisaient de plus en plus fort. Minerva cachait quelque chose.
Soupçons qui furent soudain confirmé, quand dans un léger gémissement, elle le rattrapa soudain par la manche, et le tira en arrière.
Attention !
Il se retourna en la fixa, les sourcils froncés.
Ahm... euh... il y a un fil tendu en travers du chemin... et considérant où nous sommes, c'est sans doute un piège...
Il baissa doucement la torche en direction du sol. Et soudain, il le vit, dans un bref reflet. Un fin filin tendu. Mais trop fin pour que quelqu'un de normal ait pu le remarquer dans cette lumière faiblarde.
Est ce que vous allez enfin me... ?
Il s'interrompit en entendant le bruit derrière eux. Un bruit de pas. Traînant. Un léger gémissement, guère plus qu'un courant d'air dans une vieille bâtisse. Il tendit légèrement la torche en avant. Et éclaira la blanc de l'os. L'argenté du métal. Et le rouge démoniaque qui brillait dans les orbites de la créature. Un squelette en armure avançait doucement vers eux, gémissant sa vengeance.
Minerva poussa un hurlement. La créature leva une masse d'arme en réponse. Et avança d'autant plus rapidement vers eux. Arthur et Minerva commencèrent à reculer. Le squelette passa en travers du fil tendu au sol, se faisant frapper par une dizaine de flèches, mais sans provoquer la moindre réaction de sa part.
D'accord, vous aviez raison pour le piège...
Il s'élança, entamant son duel avec la créature. S'il avait l'avantage de la vitesse avec son épée, il était en revanche plus facilement gêné par les murs que le squelette et sa courte masse. Sans compter que s'il était presque certain qu'un coup de masse lui briserait les os, les coups qu'il donnait à la créature la laissait de marbre, entaillant à peine l'os. Il lui faudrait vaincre la créature par la ruse, plutôt que par la force. Tout les non-morts avaient un point faible, qui les mettait à terre. Il misa sur la tête. Celle ci serait trop solide. Mais en revanche, s'il tranchait au niveau de la nuque, entre deux vertèbres... Il tenta le tout pour le tout. Délaissant sa garde, il s'élança, et appliqua un coup précis entre les vertèbres de la créature. Sa tête vola, tombant un peu plus loin, les orbites s'éteignant. Arthur poussa un léger soupir de soulagement. Il se retourna pour voir si Minerva allait bien. Ce qui fut une erreur. Les lueurs rouges dans le crâne s'étaient rallumées.
Arthur, attention !
Minerva s'était élancée. D'un rapide flip, elle était passée au dessus de lui, s'était glissé derrière le corps désormais sans tête du squelette, qui avait levé sa massue, et d'un délicat mouvement, sembla le disloquer entièrement. Tout la partie supérieure tomba dans un bruit de porcelaine brisée. La partie inférieure commença à courir dans tout les sens, désorientée, avant de s'écraser dans un mur.
La torche révéla une lueur métallisée. Au bout de chaque doigt de Minerva, ce qui ressemblait à une longue lame scintillait. Remarquant l'air choqué d'Arthur, elle replia les bras vers elle, et les lames parurent se rétracter. En observant plus attentivement le phénomène, plus que des lames, Arthur nota qu'elles dérivaient des ongles de la jeune femme. Des griffes à l'allure d'épées.
Je... je peux tout expliquer...
Mais que diable êtes vous ?
Une larme roula sur la joue de la jeune femme.
Je subis une... forme de possession. Une noire créature m'habite, ce qui explique mes... facultés. Et ce que le voleur de pions me voulait...
Alors depuis le début, vous voyez en fait... vous voyez parfaitement, y compris dans le noir... tout s'explique...
Elle eut un petit rire nerveux.
Personne ne peut voir dans le noir complet, mais votre torche m'éclaire comme un soleil oui...
Elle pleurait à chaudes larmes à présent.
Je suis un monstre...
Arthur se sentit soudain gêné d'avoir été si méfiant. Il enlaça doucement la jeune femme, qui hoqueta de surprise.
Je vous dois par deux fois la vie. Je suis votre obligé, et ces actes ne peuvent correspondre à ceux d'un monstre. Ne vous en faites pas.
Les frêles épaules de la demoiselle s'agitaient silencieusement à présent. Il serra un peu plus fort.
Quelque part dans les catacombes, cette scène fit rire quelqu'un en silence.
Suite à cette expérience, la relation entre Arthur et Minerva changea. Il y avait une confiance certaine qui régnait dans leur duo, la certitude de pouvoir compter sur l'autre. La vision perçante de Minerva se révélait d'ailleurs extrêmement précieuse. Elle pouvait voir les pièges longtemps avant qu'ils ne les atteignent, et pouvait vérifier chaque carrefour, pour leur éviter un cul de sac. Elle se montra doucement de plus en plus ouverte, et vivante, au grand plaisir d'Arthur. C'était quelqu'un qui gagnait à être connu.
La seule ombre au tableau était le temps. Le sablier se vidait, et ils n'avaient toujours pas trouvé leurs proches. Le dernier jour, une nouvelle lettre fut trouvée par Minerva. Bien moins courtoise que la première. Cette lettre ci expliquait dans le détail à quel point ils étaient coupables. Minerva, parce que sa sœur avait été arrachée à cause du talent de son aînée. Et Juliette, simplement parce qu'Arthur existait. Malgré son talent propre, elle aurait été sauve de ce jeu s'il n'y avait eu personne pour se battre pour elle. Arthur avait été la clé de son enlèvement.
Cette lettre le rendit extrêmement morose. Malgré les efforts de Minerva, il ne se dérida pas. S'il n'avait pas été aussi épris de Juliette... elle n'aurait jamais vécu cet enfer. Jamais elle n'aurait été enlevée et séquestrée ici. Et s'ils arrivaient trop tard... elle perdrait la vie, parce qu'il l'aimait. Il ne supporterait pas de la perdre par sa faute, par sa soif d'amour. Il ne pourrait simplement pas.
Ce fut un cri perçant de Minerva qui lui fit quitter ses idées noires. Au bout du couloir, il y avait de la lumière. Ils avaient trouvé les prisonniers. Ils se hâtèrent, tournèrent au coin, pour trouver une porte close. La lumière filtrait d'en dessous.
Un cri perçant filtra à travers la porte.
Juliette !
Nous arrivons trop tard... Le temps est écoulé...
Non !
Il entama la porte à coups d'épée.
Je ne la laisserai pas mourir par ma faute !
Il finit par causer un éclat dans la porte, révélant une partie de la pièce. Juliette était enchaînée au mur. Au dessus d'elle flottait une silhouette informe, couverte d'un fin voilage de tissus noirs et troués. Le voleur n'était vraiment pas humain.
Juliette !
Arthur !
Sur la table près d'elle, un énorme sablier reposait. Vide. Minerva avait raison. Le temps était écoulé. Juliette allait mourir parce qu'il l'aimait. Parce qu'elle était la femme qui comptait pour lui, elle allait payer le prix ultime. S'il en avait aimé une autre, elle n'aurait plus eu aucune valeur pour le voleur. S'il en avait aimé une autre. Un schéma commença à se tracer dans son esprit.
Eh ! Vous êtes le voleur de pions ?
La silhouette sembla se retourner, l'observer silencieusement, avant de glisser légèrement dans sa direction.
Vous avez commis une erreur. Juliette n'est rien pour moi.
La silhouette poussa un léger glapissement perçant, plus animal qu'humain. Juliette paraissait choquée sur le mur.
Arthur... ?
Minerva et moi sommes venus dans le but de vous capturer pour empocher une prime. Juliette n'est qu'un appât. Mon véritable amour n'est personne d'autre que Minerva.
Il saisit fermement la jeune femme surprise par le bras. Et pour appuyer ses dires, il la souleva contre sa poitrine, avant de l'embraser. Il ferma les yeux pour ne pas voir la surprise dans les yeux de Minerva. Pour ne pas laisser ses larmes couler. Mais il ne put fermer son cœur pour ne pas entendre le hurlement de douleur de Juliette.
Arthur... non...
Celui ci sentit soudain une fraîche caresse sur sa joue. Et Minerva mit fin à leur baiser. Sauf que lorsqu'il ouvrit les yeux. Il se demanda soudain s'il connaissait vraiment la jeune femme dans ses bras. Celle ci lui adressait un léger sourire moqueur, ses yeux remplis de la joie perverse d'un chat qui aurait attrapé sa proie. Avec une force surprenante, elle se détacha de lui, reculant d'un pas, ne cessant de sourire.
Mon pauvre petit Arthur désespéré...
Minerva... ?
Il y a des erreurs qui ne se commettent pas, tu sais... Tu viens de jeter un cœur pur et t'aimant sincèrement, pour l'affection factice d'un cœur sombre...
Il sentit revenir en force la sensation qu'il avait eu en la rencontrant. Celle d'une puissance cachée au fond de ces yeux violets. Mais cette fois ci, il y avait quelque chose de plus. Un sentiment instinctif, existant en l'homme depuis la nuit des temps, tenant bien plus de l'animal que de l'humain. La peur. Les yeux de la Lady se mirent à luire.
L'amour est une chose puissante, particulièrement quand il nourrit la trahison. Le fait d'être prêt à s'abaisser à n'importe quel acte, pour se préserver soi et son cœur, qu'importe le prix à payer. Ceci est la faille dans l'armure de ton cœur, et tout ce dont j'ai besoin pour te faire mien...
Arthur glapit. Ses yeux se vidèrent lentement de toute émotion. Puis il s'écroula. Pour ne plus bouger.
Arthur ! Arthur !
Oh ciel, cesse de gémir...
Alicia ouvrit la porte à l'aide la clé autour de son cou. Elle retira rapidement le voile du « voleur », révélant Soupir, Echo et Murmure, ses fidèles compagnes de la nuit. Puis elle ouvrit les fers qui retenaient Juliette.
Le "voleur" n'a qu'une parole, nous sommes arrivés ici, donc tu es libre...
Arthur !
La stupide blondinette se jeta sur son prince charmant à terre. Ecoeurant.
Arthur, je t'en supplie, parle moi...
Je ne vois même pas pourquoi tu t'obstines. Il t'a jetée pour moi. Il aurait parfaitement eu le temps d'entrer et de te sauver avec de la chance. Mais pour gagner une vie d'amour véritable et éternel, il aurait d'abord fallu prendre un risque... celui de te perdre. Et plutôt que risquer un potentiel chagrin, qu'il n'avait aucun moyen de prédire avec certitude, il a préféré te jeter comme une misérable, pour s'assurer que son cœur à lui ne se briserait pas. Alors cesse donc de gémir pour cet idiot, il ne le mérite pas...
Quoi que vous disiez... quoi que vous disiez... Il a fait ça pour me protéger... Il voulait que je vive, quitte à ce qu'il se brise lui même le cœur... Il a été prêt à tout donner, tout sacrifier pour que je vive...
Oh, peu importe... est ce que tu es heureuse au bout du compte ? Non. Est ce qu'il l'est ? Non plus. En somme, il a sacrifié la chance d'un avenir radieux, pour la certitude d'un avenir désolé. Imbécile en plus de traître
Arthur...
Il va bien de toutes façons... enfin presque...
Un sourire se dessina sur les lèvres de la Lady.
Arthur ?
L'homme tressaillit au sol.
Arthur !
Juliette se jeta à son cou. Il était en vie. « Enfin presque ». Il se releva lentement. Mais le regard qu'il posa sur Juliette était vide et morne. Absent.
Arthur... ?
Ciel, ne connais tu donc qu'un seul mot ? Je comprend pourquoi il voulait t'épouser, ça lui évitait la conversation. Arthur est désormais à moi.
Quoi ? Mais...
Arthur s'inclina brièvement. Le visage toujours aussi peu expressif.
Maîtresse.
Roh, qu'il est adorable ce vil flatteur...
Arthur ! Que lui avez vous fait ?!
Moi ? Rien. Il s'est livré de lui même à moi. Il m'a présenté un cœur accessible et fragile. Je m'en suis emparé. Désormais, il sera mon dévoué chevalier, n'est ce pas Arthur ?
Maîtresse.
Non... non...
Oh, tu en trouveras un autre un jour, ne t'en fais pas...
Vous... vous...
Juliette chargea la Lady comme une furie. Qui la renvoya au fond de la cellule d'une gifle phénoménale.
Sois donc sage... Ton Arthur n'a rien de particulier, si ce n'est qu'il me servira bien...
Je vous hais !
Oh, ma chère, on m'aura déjà dit tellement pire que ça...
Un jour... un jour... vous aussi vous y goûterez. Un jour vous trouverez une personne qui vous sera particulière. Une personne qui sera unique pour vous, que vous aimerez autant que j'aime Arthur. Et il vous sera froidement arraché, que vous goûtiez aussi à cette souffrance.
Allons, pas de grossièretés, il serait dommage que je demande à Arthur de t'éliminer... Maintenant allons y mon doux chevalier.
Alicia, portée comme une mariée par son nouveau jouet, quitta ainsi les égouts, laissant une Juliette effondrée dans sa salle. Qu'importe ce qu'il pouvait arriver à cette petite dinde. A la base, c'était sur elle qu'elle voulait poser ses griffes. Mais son cœur ne présentait pas de faille apparente, et en faire apparaître sur le cœur d'une telle niaise était atrocement long et difficile. Alors que récupérer celui de son amant... D'autant qu'il n'était pas intérêt. Bel homme, habile bretteur, elle pourrait même s'en servir pour infiltrer les milices. Par contre, il allait avoir besoin d'un peu de programmation, sa personnalité s'était changée en véritable confiture... Heureusement qu'elle avait prévu cette semaine de délai pour apprendre à le connaître, et ainsi lui créer une nouvelle personnalité aussi proche que possible de l'ancienne. Il faudrait qu'elle pense à se faire ramener le squelette aussi. Elle ne pensait pas que cette trouvaille qui datait de plus d'un an pouvait encore servir. Comme quoi. Mais surtout. Elle était fière de son pouvoir. Désormais, elle pourrait s'emparer de leurs cœurs. Concevoir son armée d'esclaves dévoués. Et ainsi, régner à la place qui lui était due. Et ce, quelles que soient les malédictions des petites sottes qu'elle piétinait au passage. Car contrairement à eux qui sacrifiaient et se vouaient au chagrin... elle était joueuse. S'il y avait la moindre chance de réussir, elle prenait le pari. Car après tout, elle ne perdait jamais.