Tu relis le papier qu'on vient de te faire parvenir. Le centre d'attribution des missions se moque de toi ou quoi ? Après le chat, tu vas devoir jouer les serveurs ? Tu arques un sourcil, avant de froisser la feuille, en faisant un vulgaire boulette de papier que tu jettes dans la poubelle la plus proche. De toutes façons c'est trop tard, tu es déjà en route. Tu vas t'occuper du service à l'Excelsior. Quel nom pompeux pour un tel établissement. Tu t'attendais à un restaurant à au moins trois étoiles, avec nappes en soie ainsi que des candélabres de cristal et des couverts en argent. Mais non, rien de tout ceci. Ce n'est qu'un restaurant basique, médiocre, qui a eu la chance de se faire une place au centre ville d'Era. Tu restes quelques instants à tourner en rond, flânant devant les vitrines de magasins, avant de regarder l'heure. Ton service devrait commencer dans encore une heure. Mais tu en as assez de battre le pavé et de trainer dans les rues. Quitte à devoir côtoyer le petit peuple, autant le faire en restant à l'intérieur. Il faut dire que le temps est très frais pour la saison... Tu rajustes ton écharpe, et tu prend la direction de l'établissement, devant lequel tu es passé en venant. Tu as pris le temps et la liberté d'aller faire un petit tour, oui. Mais tu n'as pas à t'en faire, puisque de toutes façons, tu seras en avance...

Tu pousses la porte du restaurant, arrivant devant une sorte de réception. Tu te présentes à l'employé installé derrière le guichet, visiblement en train de lutter contre la fatigue. Tu n'en a pas encore placé une qu'il bâille longuement. Quelle insolence, et quel manque de respect envers toi. Et si tu avais été un client, quelle image aurait-il donné de cet endroit ? Il aurait contribué à leur faire une bien mauvaise réputation, voilà tout. Et il aurait fini par se faire licencier, par excès de personnel et à cause de fonds réduits. Enfin, c'est là ce que tu supposes. Tu es peut être aussi dans le faux. Mais lorsque tu vois ses cheveux rougeoyants, ses yeux mordorés, tirant presque au jaune vif, ainsi que son expression de désintérêt et de moquerie arrogante, tu te dis que sa présence doit de toutes façons être désagréable à bien des gens. Quoique. Au fond, il ressemble vraiment à quelqu'un... Quelqu'un que tu connais, tu le sens. Mais c'est justement cette ressemblance qui te dérange et qui t'irrite tant. Tu te racles alors la gorge, et tu prends la parole, pour capter son attention.

Hum. Bonjour. Je suis...

L'employé de la société de ménage ?

Tu te stoppes. Il vient de te couper la parole, mais en plus de ça, il l'a fait dans le seul dessein de pouvoir se moquer ouvertement de ta personne. Tu fronces les sourcils, alors qu'il commence à rire. Tu enlèves alors un gant, le giflant avec.

C'est un affront ! Il sera lavé dans le s...

Tu n'as pas le temps de finir qu'il s'est déjà jeté sur toi, passant par dessus le comptoir. Il t'a attrapé par le col, tentant de te faire tomber pour te frapper. Tu te débats, tentant d'esquiver et de parer les coups du mieux que tu le peux. C'est alors qu'un cri vous fait vous arrêter, tandis que vous roulez sur le sol.

Stop ! Qu'est-ce qui se passe ici ? Relevez-vous ! On dirait deux gamins ! Toi là, qu'est-ce que tu fais ici ? Et toi Assad, file aider à la plonge !

Tss. Oui père.

Bon. Et toi ?

Euh. Pardonnez moi. Je suis Matthew Béryl Mac Ca...

Abrège !

Hum. Disons que je suis le mage envoyé pour aider au service de ce soir.

Ah. Tu es en avance, le service ne commence que dans une heure ! Bah, va donc voir dans l'arrière boutique, il suffit de traverser la cuisine. On te donnera ton uniforme pour ce soir, et ensuite, tu iras donner un coup de main pour dresser les tables.

Tu n'oses même pas répliquer, et tu te contentes d'acquiescer d'un hochement de tête. Tu n'oses pas faire face à cet homme. Il a cet air sévère, ce regard gris acier, froid et dur, souligné par des cheveux sombres parsemés de mèches poivre et sel, principalement au niveau des tempes... Tu ne saurais l'expliquer, mais il s'agit du genre de personnes avec une prestance et une présence suffisamment intimidantes pour te forcer à un minimum de respect. Un autre que lui se serait fait traiter de gueux ou d'un autre nom semblable, mais... Pas lui. Tu n'as pas réussi à quoi que ce soit, sinon à rester coi devant cette classe et ce charisme naturel qui émanent de lui. Toi qui pensait tomber dans un trou perdu et peu connu, tu auras au moins eu le moyen de croiser la route d'un homme de ce calibre. Ce genre d'individu qui en impose par un simple son de voix, voire même avec un bête coup d'oeil. Comme quoi, il est des surprises qui nous attendent partout... Tu te diriges alors vers l'endroit qu'on vient de t'indiquer, marchant d'un pas plus lent qu'à l'accoutumée. Tu entres dans les cuisines, saluant les quelques employés en avance qui commencent à s'affairer avec la préparation des casseroles, marmites et autre matériel de cuisine divers. Tu passes rapidement dans la pièce suivante, où tu trouves deux hommes en pleine discussion.

Je te dis qu'ils ont envoyé un message. Ils comptent revenir ce soir !

Bah, arrête de t'arracher les cheveux pour ça, on verra bien, au pire j'ai...

Euh. Excusez moi ? Je suis …

Ah, c'est toi le nouveau serveur dont on nous a parlé ? Bien, viens par là ! Je me présente, Shawn, je suis le responsable du service.

Et moi c'est Mike. Je bosse ici depuis pas mal de temps, mais on s'y fait très vite, tu verras. En fait, si tu veux, on est un peu comme les vétérans de l'équipe !

Le premier va fouiller dans un placard, alors que le second t'adresse un clin d'oeil rieur. Ils ne sont pas tout jeunes, mais pas vieux non plus en réalité. La trentaine, peut être la quarantaine pour Shawn. Tu ne saurais pas dire exactement. Bah, aucune importance. Et puis, au moins, la convivialité est au rendez-vous au sein du personnel. Tu ne saurais dire si tu préfères ça à une équipe frigide et uniquement professionnelle. En fait, tu penses qu'il faudrait pouvoir réunir efficacité et plaisir de travailler, mais est-ce vraiment possible ? Tu ne sais pas. Et tu y réfléchiras une autre fois. Le responsable revient alors en te tendant un costume, qu'il te présente comme étant ton habit de service pour ce soir. Tu prends le cintre sur lequel reposent les vêtements, pour aller te changer dans la petite pièce qu'ils t'indiquent. Tu fais vite, et tu ressors en espérant trouver un miroir. Tu n'as pas envie d'avoir l'air ridicule. Mais cela te va d'après eux... Tu les accompagnes alors qu'ils retournent dans la salle principale, où tu trouves enfin une glace. Et forcé de reconnaître qu'ils avaient raison. On dirait que ces habits ont été taillés sur mesure pour toi. A tel point que c'en est étrange. Mais tu ne poses pas de questions, et tu vas chercher les couverts, sur indication de ton nouveau « chef d'équipe ». C'est alors que tu croises l'effronté que tu as croisé quelques minutes plus tôt, une pile d'assiettes dans les mains. Tu le vois qui te jette un regard, avant de s'insurger.

Eh ! Shawn ! Me dis pas que tu as donné mon costume de rechange à ce guignol ?

Oh, ça va Assad, c'est pas la fin du monde. Et puis de toutes façons, le bleu jure beaucoup trop avec ta couleur de cheveux.

Tiens, t'as remarqué ? On dirait deux frères habillés comme ça...

Ne me compare pas à ça !

Tu tournes la tête alors que vos voix viennent de résonner ensemble dans une même protestation. Tu finis par te dire qu'il va falloir ignorer cet... Assad. Mais pas seulement lui. Il faudra aussi passer outre les plaisanteries douteuses de Mike. Mais tu ne devrais pas avoir de problèmes à gérer tout ça... Après tout, tu n'es pas n'importe qui. Tu n'es pas comme ce plébéien aux cheveux rouges. Toi au moins, tu as un minimum de tenue et de sang froid...

Tu as fini de mettre les derniers couvert sur la table, les assiettes sont mises, les tables réservées sont prêtes, vous avez eu le temps de manger un morceau, et voilà le directeur qui rentre dans la salle. Tu te ranges avec le reste du personnel de service. Vous n'êtes que cinq. Shawn, Mike, le sale gosse aux cheveux rouges, Maria, arrivée entretemps, et toi. Vous écoutez le petit discours d'encouragement de votre employeur, sorte de petit rituel avant chaque service d'après ce que tu as compris, avant de commencer à attendre les premiers clients. Clients qui ne tardent d'ailleurs pas à arriver. Et le service commence. Voilà, votre valse entre les tables débute, avec d'abord les carnets à la main, puis les assiettes. Tout se passe bien. Tu enchaines les aller-retours avec la cuisine, tandis que les tables se remplissent de plus en plus. Tu n'as pas le temps de prêter attention aux petits désagréments du début de soirée, et tu te fonds petit à petit dans cette grande famille qu'est le personnel de ce restaurant. Aussi bien dans ton travail d'équipe avec les autres serveurs que dans tes échanges avec les cuisiniers. Tu t'intègres de plus en plus, sans t'en rendre vraiment compte...

Tu reviens dans la salle, une assiette dans chaque main. Direction la table 102. Enfin, tu l'aurais fait si cette irruption n'avait pas eu lieu. Un coup de feu retentit en l'air. Tu poses tes assiettes, regardant la cause de tout ce trouble. Trois hommes encapuchonnés viennent de rentrer, le premier armé d'un revolver, alors que les deux autres portent chacun une épée au poing. Un hold-up, comme on te l'avait fait savoir. Le premier hurle ses ordres. Mains en l'air, et que personne ne bouge ? Peuh. Amusant. Tu te tournes vers eux, avançant malgré les ordres de ce macaque. Tu l'entends te hurler de rester à ta place, alors qu'il pointe le canon de son arme vers toi. Tu le regardes dans les yeux, sans même parler, d'un air de défi. Tu fais alors apparaître ton bouclier de cristal, à l'instant où le coup de feu retentit. Tu entends un cri d'horreur venant d'une cliente, qui manque de défaillir. Jusqu'à ce que tous se rendent compte que la balle a simplement fait une légère fissure dans ta protection. Tu profites de l'effet que tu viens de produire pour faire jaillir un bloc de cristal du sol, le faisant se disloquer en une dizaine de morceaux, alors qu'ils comprennent petit à petit ce qui se passe. Tu commences à manipuler tes morceaux de cristal avant qu'ils n'aient pu élaborer un quelconque moyen de s'en sortir. Tu en projette deux sur chacun des malfrats. Le premier se fait embrocher par un cristal acéré, tandis que le deuxième se fait assommer d'un coup de pierre précieuse sur la tempe. Quant au troisième... Disons que ce pseudo as de la gâchette a des méthodes vraiment pitoyables. Tu as du stopper tes cristaux en le voyant se cacher derrière un des clients, l'utilisant comme bouclier humain. Il te somme de jeter ton bouclier et te mettre à genoux, mains sur la tête. Sinon, il exécutera son otage. Tu n'as pas le choix. Tu jettes alors ta protection à ses pieds, alors qu'il pointe de nouveau son arme vers ta personne. Et plus précisément ta tête.

Mesdames et messieurs ! C'est ainsi que périssent ceux qui s'opposent à moi !

Tu déglutit difficilement. Alors c'est la fin pour toi ? Tu le vois se rapprocher, et finir par poser le bout de son arme au milieu de ton front. Tu soutiens son regard, dans un ultime air de défi. Qu'on ne dise pas que tu n'auras pas osé regarder la mort en face. Qu'on ne dise pas que tu auras baissé les yeux devant qui que ce soit. Tu es l'arrogance même, alors tu ne cèderas pas devant cette tentative d'intimidation minable. C'est alors que part le coup de feu. Et que tu vois ton agresseur tomber en arrière, une balle logée au milieu du crâne. Tu vois alors Shawn, à l'autre côté de la pièce, le bras tendu, un revolver à la main. C'est donc de ça qu'il parlait tout à l'heure. C'est ça qu'il avait préparé. Il savait que ces bandits allaient venir, et il avait préparé une arme pour parer quelques éventualités. Et il a bien fait. Tu lui dois la vie. Tu pousses le cadavre, pour t'avancer au milieu de la salle, pour calmer les clients. Certains applaudissent. D'autres hurlent au meurtre. Et le tumulte est complet. Tu élèves alors la voix.

Calmez vous ! Calmez vous ! Au nom du Conseil magique, je vous ordonne de vous calmer ! Vous serez dédommagés pour les désagréments causés ce soir, ne vous en faîtes pas. Mais restez calmes, et vous serez priés d'évacuer les lieux le temps de dégager les corps !

Tu vois alors les serveurs et quelques cuisiniers trop curieux commencer à faire sortir la foule, alors que le patron du restaurant et le responsable du personnel te rejoignent autour des deux cadavres et du bandit encore dans les vapes. Tu regardes les corps un instant, avant de prendre la parole, tandis que Mike vous rejoint avec une corde, pour ligoter le survivant.

Désolé de vous avoir mêlé à tout ça... Je pense que je devrais appeler la caserne et repartir maintenant. Mon travail est terminé, mais... Je tenais au moins à vous remercier pour cette expérience plus qu'enrichissante. Quand aux dédommagements, je...

Pas besoin de te formaliser avec ça voyons. Enfin, je ne pense pas. Pour ce qui est de nous impliquer, nous avions déjà décidé de nous en occuper nous même s'il le fallait. Mais cela faisait plusieurs jours qu'ils sévissaient ici, alors il fallait que ça cesse... Et vous patron, votre avis ?

J'en dis que les gardes vont arriver, j'ai envoyé Assad les chercher. Quant à toi Matthew... C'est à moi de te remercier pour le service que tu nous as rendu. Et je ne veux pas de paiement ou quoi que ce soit. Tu as assez fait pour nous. Mais si tu y tiens vraiment, reviens donc faire le service un jour où tu seras libre.

Tu le vois alors sourire, tandis que les soldats de la caserne la plus proche arrivent. Ils ont fait vite. Tu en reconnais quelques uns que tu salues au passage, finissant par te mêler au groupe de gardes. Tu ressors du restaurant avec eux, restant un peu en retrait. Tu en profites pour t'arrêter un instant, faisant signe de la main au personnel, regroupé devant l'établissement, avant de tourner les talons, partant pour de bon cette fois. Aujourd'hui encore aura été une journée pleine de surprises et de rebondissements. Mais c'est ce genre de jours que tu apprécies. Ces journées où tu as tant à apprendre. A comprendre. Ces expériences uniques, et si enrichissantes. Tu pensais encore une fois t'ennuyer. Preuve en est que ce ne fut pas le cas...