Depuis peu, j’ai réussi à m’associer avec l’un des membres de ma guilde. Malgré son air détaché et lunatique, il n’en demeurait pas moins investi et plein de passion pour sa guilde. C’est au moins cette passion que j’attends de mes membres. Sans cette flamme brillant en eux, je ne peux rien attendre de spectaculaire de leur part lorsque la guilde réussira à atteindre ses projets ténébreux et secrets. Pour le moment, ils ne sont situés qu’entre moi et mon tout nouveau et jeune conseiller. Je pense que nous allons y parvenir et aller loin, très loin. Les aigles battront puissamment des ailes, aidés par un vent qui les soulèvera jusqu’à l’horizon…

Tous ces projets-là ne sont pourtant qu’en suspend. Malheureusement, je ne peux me lancer dans de grands projets tant que je ne serai pas débarrassée de cette menace de disparaître bientôt, menace qui s’approche de jour en jour comme si la Lune allait s’écraser sur notre planète. Malgré un bond en avant à l’aide de la jeune fille aux cheveux verts que j’ai failli égorger, et qui n’était autre que l’un des ravisseurs qui avaient enlevé Asako, je ne trouve pas de piste suffisamment fiable pour me guider jusqu’à la solution de cette malédiction. Je dois me dépêcher…

Ce handicap n’est pas la seule chose qui empêche notre projet. Malgré des membres puissants, nous ne sommes encore que trop peu pour parvenir à nos objectifs. Les nouveaux membres puissants et réguliers n’affluent pas à la guilde, et nos forces sont beaucoup trop réduites. Nous ne pouvons cependant pas parvenir à attirer les membres par de simples prospectus en exhibant nos objectifs : ils sont à garder précieusement. Et ce n’est pas ma réputation qui nous aidera : on m’accuse de plus en plus de meurtrière. Le seul point qui pourrait éventuellement nous aider est l’aide que nous avons apportée face à Legion lorsque la plus grande menace connue de tout le siècle s’est attaquée à Angel’s Sky.

Endormie sur la table de mon bureau, je voyais le temps défiler de la manière la plus inutile qui soit. Et pourtant, malgré les conseils de mon messager ( qui me sert plus de valet… ), je ne me lance pas dans la pile de travail qui m’attend et qui s’accumule de jour en jour. Le soleil avait beau être déjà haut dans le ciel, mon bureau était plongé dans la pénombre et dans un silence complet. Mon messager envoyé en mission, je n’avais d’autre compagnie que mes bouquins d’administration et un silence de glace.

Et pourtant, rompant au loin le silence, j’entendis la lourde porte de la guilde s’ouvrir lentement en un long grincement, me sortant de ma somnolence. Attrapant mon fourreau, je me glissais hors de mon bureau avec discrétion et grimpait sur l’une des poutres, bien en hauteur et discrète. Avec curiosité, j’essayais dans un premier temps de m’habituer à la lumière du Soleil qui avait envahi la salle, puis tentait de distinguer le visage de mon visiteur.

Accroupie avec agilité sur la poutre principale qui soutenait le toit et le bâtiment-même de la guilde, poutre qui m’avait bien souvent servi de siège hors de la portée de tous, j’observais avec attention la scène qui se déroulait devant mes yeux. Tout était bien plus intéressant en cet instant, puisque je n’avais pas la visite d’un mage seulement, mais deux. Du moins, je supposais qu’ils étaient mages : sinon, il n’y avait aucune raison pour que ces voyageurs se soient aventurés dans une guilde indépendante réputée pour la maître de Guilde soupçonnée de meurtre.
Avec tout de même une certaine excitation douce-heureuse qui faisait vibrer mon sang avec vitesse dans mes veines, j’observai avec calme et silence le jeune homme mener la marche avec une certaine appréhension dans le regard. De toute évidence, l’aperçu de cette guilde sombre et vide ne lui inspirait pas tant confiance. Pourtant, cette méfiance n’avait pas été instantanée : la jeune fille qui l’accompagnait me surprit d’abord par son sens de la réflexion très poussé malgré le très jeune âge que laissait supposer son visage. A peine entrée qu’elle avait détecté une attaque éminente. Cette première capacité était déjà bien intéressante…

Je laissais le duo s’avancer un peu pour lui permettre de se mettre à ma merci en observant avec attention l’orientation de leurs mouvements et de leurs regards. La petite fille, prenant encore plus de précaution, me donna la réponse ma supposition : elle se changea en un petit rongeur blanc à la fourrure soyeuse que l’on avait plus l’habitude de voir sur des manteaux qu’animée. Cette action me confirma ainsi que la petite fille était mage, et s’étant réfugiée sur l’épaule de son compatriote, je me convainquais que celui-ci était mage aussi. Un duo de mages s’aventurant dans ma guilde déserte… voilà qui était intéressant.

Le rongeur observa tout autour de lui. J’étais tout à fait consciente des capacités qu’avaient ce genre d’animaux dans le domaine de la vue, de l’odorat et de l’ouïe. Craignant avec un certain amusement d’être repérée, je laissais chercher l’enfant dont le regard craignant était un véritable délice spirituel. Lorsque j’entendis sa petite voix, je compris qu’elle avait repéré quelque chose, et je l’observa avec stupeur. Cependant, ce n’était pas moi qu’elle désignait, mais quelque chose dans mon dos.
Tournant légèrement la tête pour ne pas faire de bruit, je remarquai avec surprise Lund Saleight, mon cher conseiller, assis sur une poutre éloignée de la mienne, en train de siroter un thé en observant la scène avec amusement. A cette vue, je souris, et ce pour deux raisons. Premièrement, il avait réussi à venir avec une discrétion si grande que je ne l’avais remarqué à aucun moment, que ce soit dans mon bureau ou sur ma poutre. Deuxièmement, son expérience personnelle était suffisamment approfondie pour connaître mes intentions, et Lund s’était contenté d’observer la situation avec détachement. Je reconnais bien là mon conseiller rêveur…

Cependant, ce petit rongeur avait beau avoir été futé pour avoir découvert la menace qui pesait sur le duo, il était déjà trop tard. Le garçon était déjà largement à ma portée, et de là, s’il ne réagissait pas, je pourrais le couper en deux sans la moindre difficulté. Atteindre la petite bestiole serait sûrement plus compliqué.

Avec douceur et lenteur, je me relevais sur la poutre et sortait très lentement et délicatement mon sabre de son fourreau. Je tourna encore légèrement la tête pour voir la réaction de mon ami l’aigle rêveur, et sans plus attendre, me jetais dans le vide en abattant mon sabre vers le bas.
Je me rapprochais très rapidement du couple, mais n’avait guère le temps d’observer leur réaction. J’espérais qu’ils éviteraient au moins le coup, qu’ils le parent serait inouïe de leur part. Sinon, ce serait une perte… Cette petite peut se changer en animal, j’aimerai vraiment savoir ce qu’elle peut faire d’autre. Quant à ce jeune homme inconnu, il doit avoir des capacités intéressantes s’il fait équipe avec lui.
Seuls leurs réflexes me révèlera cela.