Tu l’entends pleurer dans la nuit silencieuse. Tu entends les fracas de son âme et la colère de son cœur. Tu entends ses pas lourds sur le plancher de chambre, fonçant à travers la pièce pour aller trouver refuge là où il n’y avait rien à offrir à part le silence. Elle croit encore que ce genre de feinte peut tromper. Elle se figure encore qu’elle peut te tromper mais Sybilia te ressembles bien plus qu’elle ne pourrait l’imaginer. Ce genre de chose, tu le faisais bien avant elle. Tu le faisais à Seven. Tu partais dans un coin, prétextant une affaire non réglée et tu te renfermais dans ta solitude et dans ton malheur.
Alors tu sais, que ce n’est pas l’eau ruisselante du robinet, qui arrêtera ses pleurs. Ce n’est pas le calme plat de la nuit qui arrêtera les tambours de son âme.
Sans crier gare, tu te lèves, naturellement et tu défonces la porte de la salle de bain. Si elle croit que c’est une vulgaire planche de bois qui va te retenir, c’est qu’elle n’a pas appris à te connaître depuis lors.
Pourtant, sur le seuil, tu t’arrêtes. Le cœur serré, tu la regardes. Tu regardes cette boule repliée sur elle-même et tu t’approches, entrant dans la douche à ton tour, passant ton bras autour de ses épaules pour l’attirer vers toi, pour l’obliger à venir vers toi. Elle tremble déjà. Trempée.
Appuyant ta tête contre la sienne, repliée sur toi, tu souris en imaginant une histoire à lui raconter.
« - Il y a bien longtemps, dans un royaume fort fort lointain, existait un petit garçon, un voyou, né de la rue et de tout ce qu’elle avait à offrir. De plus loin qu’il puisse s’en souvenir, ce petit garçon a toujours été seul et peureux, oh oui, surtout peureux, il avait peur du noir…Constamment. Il se disait toujours qu’un jour l’obscurité l’engloutira vivant. Alors pour faire bonne figure, il allait souvent chercher la bagarre à droite ou à gauche dans son quartier. Il perdit plus de combats qu’il n’en gagna. Des bleus et des yeux au beurre noir, il en eut à plus savoir les compter. Puis, un jour, un commandant de l’armée de ce pays, passa par là et surprit par la détermination du garçon, ou par sa folie, il l’adopta. C’était un vieux bonhomme grincheux, sévère et autoritaire mais également doux, brave et fort…Ce fut longtemps le modèle de l’enfant. Ce vieil homme était marié à une femme aux cheveux argent et au cœur tendre et chaud. Il put grandir au sein d’un foyer, d’une famille, entouré d’amour, de compassion et de tendresse…Et de claque sur les fesses aussi de temps en temps. Le garçon grandit et devenu rapidement un homme avec beaucoup de responsabilités et ça le faisait chier mais malgré tout, il aimait bien s’occuper des gens l’entourant. Voir leurs sourires, entendre leurs rires…Même si un jour, tout ça, disparu, subitement, brusquement. Laissé pour mort, il eut la vie sauve grâce à un autre gars comme lui…Et je te dirais bien que c’est la fin de l’histoire mais je crois, qu’elle ne fait que commencer. »
T’as jamais vraiment parlé de toi depuis ton arrivée à Sabertooth…Même là encore, tu es resté évasif sur certains détails…sur ces gens perdus à jamais que tes larmes ont essayées de faire disparaître de ta mémoire.
« - Je ne te promets pas que ton année sera meilleure, que tes problèmes s’envoleront d’un coup d’un seul. Je ne te promets pas d’enlever cette douleur qui ronge ta poitrine chaque soir un peu plus…Mais je peux te promettre de rester-là. D’être cette épaule. D’être cette main qui te relèvera chaque fois que tu tomberas. Je peux te promettre d’être ton bâton sur lequel s’accrocher sur ce chemin hasardeux que tu as choisis d’emprunter. Je peux seulement te promettre d’être tout ça à la fois s’il n’y a que ça à faire pour toi….Mais en échange…Promets-moi une chose : N’oublie pas cette nuit-là. »
Tu écartes ses mèches dégoulinantes et plaquées sur son front d’un simple geste du pouce pour embrasser délicatement son front. Passant ton bras libre sous ses jambes et l’attirant en dehors de la douche, attrapant une serviette au passage avant de la poser sur ses yeux rouges larmoyant.
« - N’oublie pas cette nuit-là et cette promesse que je t’ai faite. Et surtout, ne raconte l’histoire du petit garçon qui a peur du noir à personne ! C’est un secret ahahaha.»
Tu l’as su dès l’instant où tes yeux se sont posés sur elle. Tu l’a su dès que vos regards se sont croisés pour la première fois cette fois-là. Tu l’as su dès que tu l’as vu. Tu l’as su parce que tu as vu cette lueur dans ses yeux. Cette flamme pratiquement éteinte, ces yeux pleins de peine, de haine et de douleur. Ces yeux qui furent autrefois les tiens. C’est à cet instant que tu as compris, au loin, que Sybilia ne serait que le miroir de ton âme. Un reflet approximatif, flou. Vague. Et c’est justement parce que tu l’as su qu’à cet instant, tu as compris ce sous-entendu, comme elle a compris le tien. T’en es certain. Alors si tu restes ce petit garçon effrayé par les ténèbres, elle n’en reste pas moins cette petite fille qui ne s’est jamais vu offrir la chance de pouvoir sourire une fois dans sa vie. Une vie de misère. Peut-être que même, elle ne sourira jamais vraiment….Jamais de tout son cœur. Elle peut tromper les gens, leur dire « oui, je vais bien » mais elle ne trompera jamais quelqu’un qui saura à quel point, au fond d’elle-même, plus rien ne va.
Tu la suis des yeux dans la chambre tandis qu’elle retourne sur le lit après avoir récupérer la couverture et qu’elle s’allonge, te faisant signe de la rejoindre. Ce que tu fis, sans te faire prier, glissant un bras pour soulever ton visage pour le mettre à hauteur du sien…Pour écouter cette histoire qu’elle n’a peut-être, encore, jamais raconté.
« - Je t’écoute. »
Au fond de toi, une petite part, comme un être ayant sa propre conscience, se félicite d’être partit avec elle. Une part de toi est heureuse d’être là. D’écouter ses mots. D’essuyer ses peines. Une part de toi n’aurait pas aimée que ce soit quelqu’un d’autre en face d’elle en ce moment précis et ça, tu ne saurais dire pourquoi. Une petite part de toi, veut l’aider, depuis cette première fois. Une part de toi à toujours voulue l’aider. De n’importe quelle manière que ce soit. L’écouter, la consoler, l’insulter, se battre avec…Qu’importe la façon de faire, tant que le résultat était là.
C’est cette même part que tu as si souvent détesté d’exister. Cette part qui te retient. Cette part qui t’enchaîne aux gens, aux choses…Ces choses que parfois, tu veux oublier. Que tu veux chasser loin de ton esprit. C’est cette part qui te retient à la vie.
« - Tu n’es pas obligé de tout me raconter, si tu ne veux pas. Je veux dire, je t’ai raconté ma vie mais tu n’es pas obligé de me rendre la pareille. Je te fais une promesse, que je compte bien tenir, malgré tout ce qui arrivera à l’avenir et ça, tu peux compter dessus. Je ne t’abandonnerais pas. Ne te lâcherais pas. Je voulais juste que tu saches que… »
Tu ne finis pas ta phrase parce qu’il y a des mots encore trop difficiles à prononcer. Il y a des mots que tu n’as jamais dit et qui sont difficiles à énoncer à haute voix. Surtout face à un visage de hamster pareil. Les yeux rouges, gonflés, les joues rosées, les cheveux en bataille. Le visage humide.
Qui résisterait à ça ? Sans doute nul homme sur terre.
Tes doigts jouent machinalement avec ses mèches tandis que tu l’écoutes. Tandis que tu écoutes chacun de ses mots. Chaque bout de son histoire. Chaque souvenir de son passé. Ton esprit en dessine les contours, au plafond, tentant tant bien que mal d’imaginer une Sybilia à travers les âges. Une fille blessée, une femme brisée. Ton passé en comparaison devient bien moins triste et bien moins tragique car contrairement à elle et d’une certaine façon, tu as toujours été sauvé à la dernière minute alors que Sybilia…Combien de fois était-elle tombée ? Combien de fois une main s’est penchée au-dessus d’elle en lui disant « Aller, viens ». Combien de fois, les gens l’ont laissés tombée avant que quelqu’un, n’importe qui, ne passe par là et ne la remarque ? Avant que quelqu’un ne l’aide ?
Alors à la fin de son histoire, tu comprends ses mots. Tu comprends ce qu’elle dit et tu garderas pour toi, le souvenir à jamais gravé de cette soirée entre deux êtres apeurés.
« - Je te l’avais bien dis, que je serais cette oreille pour t’écouter ! »
Tu souris, tout content de toi et d’avoir réussis, sans doute là où beaucoup ont échoués. Tu te lèves et tu remarques qu’elle dort, sur toi. Là par contre, c’est une autre histoire. Tu la déposes légèrement, protégeant sa tête avec ta main que tu retires quand cette dernière rencontrer l’oreiller et tu remontes le drap sur ses courbes fines et légères.
La lune est haute dans le ciel et les étoiles nombreuses. Tu te rappelles alors de cette soirée, passée avec Martha et Jo’…Elle disait souvent « Chaque étoile dans le ciel, représente une personne et celle qui brille le plus est sans doute celle qui t’aime le plus » alors depuis petit, tu t’étais toujours dis que cette étoile faisant une concurrence outrageante à la lune de par sa lumière, était sans doute la représentation de cette famille que tu n’as jamais eu. D’une mère ou d’un père. Tu t’étais dit, qu’un jour, ils viendront, ils viendront et ils te diront qui tu es. Pendant longtemps tu t’es satisfait d’être « Caleb » mais ce n’est pas ton nom…Tu restes ce petit garçon abandonné, inconnu de tous, celui né sans nom et celui qu’on affublé de surnoms débiles dans la rue parce qu’il était incapable de donner le sien. Tu restes ce petit garçon en quête de ton identité depuis toujours…Et peut-être…Peut-être qu’un jour, tu auras la réponse aux mille et une questions qui trônent dans ta tête. D’ailleurs, elles doivent sans doute être aussi nombreuses que les étoiles dans le ciel maintenant.
« - Aaaaaahhh Sting me tuerait s’il savait mes pensées…. »
Pourtant, tu ne peux t’y résoudre. Penser à cette histoire, à son histoire. A cette carapace et à ce masque qu’elle s’efforçait de porter quotidiennement pour faire face à la cruauté de la vie et des hommes l’ayant toujours entourée.
De la fenêtre, tu retournes vers le lit et tu souris quand tu repenses à cette menace qu’elle avait proféré plus tôt « Je dors au milieu »…C’est pas totalement faux, elle dort littéralement au milieu du lit, en position étoile de mer, les pattes et les bras écartés. Ahahaha, sacrée bonne femme. Déposant un léger baiser sur son front, balayant sa frange, tu pars vers le fauteuil et t’en viens à regretter ce bon vieux canapé. Tu devrais lui donner un nom d’ailleurs. Georges ? Non c’est moche. Rupert ? Ridicule. Randy ? Ah c’est bien Randy. Tu l’appelleras comme ça, parce qu’en plus, c’est drôle.
« - Je suis crevé… »
Tu t’étends et manque de basculer en arrière, tête la première…Qui a dit qu’un petit fauteuil était fait pour un homme de ta stature hein ? A la limite, t’aurais dû dormir à même le sol…C’est pas comme si t’avais pas l’habitude avec toutes ces nuits où ce vieux fou de Jo’ te faisait dormir dans des grottes, dans des arbres pour éviter les animaux de la nuit ou pire encore…Ton pauvre petit corps sans souvient encore. Quelques cicatrices restantes te rappelles constamment ce passé.
Et constamment, tu te rappelles qu’un jour, il te rattrapera.
Tu es de ceux qui aiment les réveils tranquilles, tout en douceur, sans bruits. Tu aimes prendre ton temps, t’étirer de tout ton long, te faire craquer le dos et enfin te lever. Pourtant, aujourd’hui, ta routine est perturbée. Tes habitudes sont perturbées parce qu’elle est là. Elle. Cette femme. Malgré l’image sauvage que tu as du décolleté de Sybilia sur l’instant tandis qu’elle te saute dessus sans aucune difficulté, les souvenirs de la nuit passée te reviennent en mémoire. Vos histoires. La sienne faisant un écho douloureux à la tienne. Tu te rappelles de ses larmes, de sa tête endormie sur ton torse, de tes joues devenues rouges en voyant qu’elle s’était complètement laissé aller avec toi. Pour toi. Cela peut paraître anodin mais pour des gens comme vous, raconter son histoire peut sans doute être le plus grand signe de confiance que vous puissiez démontrer l’un envers l’autre.
« - Je vois que Juliette a la forme ce matin…C’est rare de te voir dans une si grande forme. »
C’est surtout rare de la voir s’étaler sur toi sans gêne. D’habitude elle essaye toujours une ou deux prises de catch avant de finir dans cette position. Hmmm, elle aime donc brûler les étapes ? Ça te plait bien cet aspect-là tout à coup.
Ses yeux plongés dans les tiens, tu ne te retires pas, tu ne bronches pas, tu te contentes de sourire ironiquement en pensant ô combien la situation avait changée…Ô combien les choses avaient évoluées entre vous deux. Décidément, qui l’aurait cru ?
« - Quand tu auras finit de m’écraser de tout ton long…Tu me feras signe. »
Non pas qu’elle soit spécialement lourde mais elle n’est pas non plus toute légère. Puis quand elle se relève et qu’elle mentionne le beau temps, tu ne pus t’empêcher de regarder à l’extérieur. C’est vrai. Le soleil est avec vous. Comme pour vous donner un nouveau départ, une nouvelle chance. Aujourd’hui, il fallait aller à la pêche aux infos.
Aujourd’hui… Il fallait jouer.
« - Désolé mon amour mais je suis du genre à me décider en voyant la carte. On y va ? »
Elle passe devant, te tirant avec elle comme une gamine allant à la rencontre du père noël. Pourquoi est-ce qu’elle est si excitée tout à coup ? S’est-il passé quelque chose durant la nuit dont tu aurais raté le résumé ?
Une fois à table, tu sens son pied contre le tiens et son sourire derrière sa carte. Ah ouais ? Elle veut jouer à ça hein ? Quitte à jouer le faux couple, autant le faire dans les règles de l’art. Publiquement. Ouvertement. Non sans mal ta jambe s’étire et ton pied retrouve le sien pour une nouvelle rencontre quand tu faufiles ta main vers la sienne pour l’attraper, tes doigts s’entremêlant aux siens.
« - Madame serait-elle d’humeur joviale ce matin ? Dis-moi ma chérie qu’est-ce qui te rends d’aussi bonne humeur ? »
Tu souris, mordant tes lèvres tu te lèves légèrement et atteins son oreille. D’un geste de la main, tes doigts libres viennent écarter délicatement les mèches rebelles et ton souffle chaud se heurte à sa nuque dégagée, t’en viens à lui susurrer secrètement ces quelques mots :
« - Ou alors faudrait-il que l’on aille jouer ailleurs ? Rien que toi…Et moi. »
Soufflant dans son oreille comme on soufflerait sur un vieux livre plein de poussière, tu t’écartes brusquement et retourne à ta place en rigolant, la regardant avec un léger air de défi.
Il n’est pas difficile que de jouer avec Sybilia et au lieu de la voir marcher à chaque perche tendue, elle court. Quelque part, ce genre de relation, cette complicité et ce petit jeu de fausse drague, te rappelles le genre de relation que tu avais avec Zentha. Elles étaient pareilles toutes les deux et c’est justement parce que Sybilia te rappelles à son souvenir que tu t’accroches à elle sans vraiment le savoir. C’est justement parce qu’elle fait écho à elle que tu restes suspendu à l’éclat de ses yeux, à son sourire timide mais à la fois amusé, à ses joues rosées et à cette mine boudeuse.
Elles se seraient surement bien entendues si elles avaient eu l’occasion de se rencontrer toutes les deux.
Tu sens les pieds de Sybilia s’étalant sur toi et tu ne bronches pas. Tu la laisses venir empiéter sur ton territoire tandis que le serveur arrive et prends votre commande.
« - Eh bien mon amour, si tu n’avais pas pour habitude de manger comme un ogre, je pourrais presque croire que tu es enceinte. Tu me le dirais si c’est le cas n’est-ce pas ? »
Faisant un léger clin d’œil au serveur qui vous regarde tout aussi amusé que vous, tu te dis que n’importe qui dans cette ville pourrait être une cible ou ceux que vous recherchez tant que vous n’en apprenez pas plus sur eux.
« - Juste un café pour moi… »
Il repart et vous voilà désarmés mutuellement de vos menus, obligeant à vous faire face tandis qu’elle te demande quel endroit tu veux visiter. Elle est sérieuse ? Une visite en amoureux ? T’auras qu’à l’emmener dans ce parc où tu étais hier…La fontaine à vœux, ça pourrait être lui plaire. Qui sait ? Les femmes aiment bien ce genre de chose généralement.
« - Tu sais qu’on est en mission quand même ? D’ailleurs parlant de ça…Tiens, j’ai trouvé ça tout à l’heure »
Une brochure. Un dépliant sur une soirée de bienfaisance qui se tenait ce soir à l’hôtel de ville. Une grande soirée avec un bal d’ouverture. Le genre de soirée où il pourrait y avoir vos « amis ».
« - Je pense, ma chérie, mon rayon de soleil, qu’on devrait aller faire les magasins avant midi. Histoire de te trouver une robe digne de nom. T’en dis quoi ? Quitte à profiter des rares moments où tu ne râle pas, autant t’emmener dans ce genre d’endroit. Je veux que ma femme soit la plus belle de la soirée…Je veux que tu attires les regards et …»
Un silence passe. Tu détournes les yeux des siens pour regarder à l’extérieur, la rue animée, la vie prenant place, voir le sourire sur le visage des passants.
« - Et je veux que les gens puissent te voir…Comme moi, je te vois maintenant. »