Une lettre. Des mots griffonnés à l’arrache sur un bout de papier jauni par le temps. C’est la deuxième en un mois à peu près. La première ne faisait que parler de la pluie et du beau temps, des banalités dont tout le monde s’en fou et le reste des blancs étaient comblé par quelques politesses, sans plus. Pourtant les deux avaient un point commun et cela faisait un moment déjà que j’en entendais parler. Je me rappel de cette personne dont Luka m’avait parlé. Je me rappelle qu’il tenait absolument à me la présenté. Je me rappelle aussi qu’il disait l’avoir rencontré à Minstrel. Apparemment, ils voyagent ensemble et d’un certain côté, je suis heureuse de savoir qu’il n’est pas seul, là, quelque part dehors. Il ne sera plus jamais seul. Comme moi. Comme nous avant. Nous ne serons plus les enfants « tâches » de cet orphelinat maudit.

Alors je finis de lire les trois pages dans lequel il me détail son voyage à travers le continent, faisant quelques fois des allusions et des rapprochements avec notre enfance. Il n’y a que lui pour voir le bien dans tous ces souvenirs foireux. La dernière ligne me fait sourire quand je pense à son invitation à le rejoindre à Iceberg. Pourquoi pas. Cela fait longtemps que je n’y ai pas mis les pieds et parfois, j’en viens à me demander si j’ai fait quelque chose là-bas qui me vaudrait la peine de finir décapiter ou pire. Je ne trouve pas. Ça me reviendra.

Je fais mes bagages et décide à partir. J’ai besoin de changer d’air et de partir à l’aventure. Récemment, revoir des anciennes têtes m’a rappelé à quel point rien n’a changé et rien ne changera jamais. On échappe jamais à son passé. Revoir Senji me l’a confirmé.

« - Où est-ce que l’on va cette fois ?
- Vers Iceberg, apparemment Luka serait là-bas en ce moment.
- T’es vraiment obligé d’accourir dès qu’il t’appelle celui-là ?
- Lilith…
- Quoi ? Non mais c’est vrai hein et puis t’as pas déjà quelqu’un dans ta vie toi ?
- Luka est un ami donc ne commence à me lancer sur un tel sujet. Je le connais depuis toute petite et l’affection que j’ai pour lui et différente de l’affection que je pourrais avoir pour une certaine personne à laquelle tu penses.
- Ah bon ? En quoi ? Tu verrais comment il te regarde ! Moi je l’ai tout de suite compris.
- Je te l’ai dit, je ne tiens pas à avoir ce genre de conversation avec toi. Et puis qu’est-ce que les démons en savent de l’amour et des sentiments ?
- Oh que c’est méchant ça ! On a aussi nos propres sentiments tu sais ? Surtout moi !
- Parce que tu es la Reine ?
- Non…J’ai aimé aussi, tu sais, y’a longtemps.
- T’es mariée avec je ne sais combien de démons et autres créatures alors je ne vois pas pourquoi tu te plains.
- Bah disons que plusieurs millénaires de mariage sont assez éprouvants. Tu te vois aimé la même personne toute ta vie toi ? Faut pas se leurrer, l’amour, la passion, ça ne dure jamais pour l’éternité.
- Bon, je m’en vais avant que tu ne dises quelque chose d’autre ! »

C’est vrai. Ce que je ressens pour Luka est différent. Différent que de l’amour à proprement parler. C’était plus que de l’amitié et plus fort encore que de la simple affection pour quelqu’un mais ce n’était pourtant pas de l’amour. C’est vrai. Et puis qu’est-ce que j’en sais moi à tout ça ? Il m’avait demandé de le rejoindre, alors j’y allais. Je n’allais pas dire non à la possibilité de voir un ami.

****


Le voyage vers Iceberg ne fut pas de tout repos entre les cachettes, les courses poursuites avec une ou deux patrouilles de la milice, ce qui fut très drôle d’ailleurs, et autres ennuis aussi divers que variés. Voyager n’était même plus une partie de plaisir, cela relèverait presque du sport olympique. D’ailleurs, ça devrait être considérer comme tel.

Pourtant avec tout ça, il m’a fallu une semaine et demi pour arriver à destination, devant un petit chalet perdu au milieu d’une forêt plus blanche que verte. C’est fou comme je déteste ce pays. Il y fait tout le temps froid et il neige ou grêle tout le temps. Je déteste la neige.

En toquant la porte, ce fut avec surprise que je découvris un jeune homme m’ouvrant la porte et à ce moment-là, l’expression s’affichant sur nos visages devait être à peu près la même.

« - Je cherche Luka Monro. Est-il ici ?
- Vous êtes Enya c’est ça ? Entrez, il faut que je vous parle. »

Il m’agrippe le bras, regardant étrangement dans mon dos et referme à double tour derrière moi. Il m’assoit sur une chaise tandis qu’une jeune fille rouquine également, semble s’atteler dans la cuisine.

« - C’est elle ?
- Oui, oui ! Vient Flora.
- Donc …Je vois que vous vous attendiez à ma venue mais où est Luka ? »

L’expression sur leurs visages semblent changer du tout au tous leurs yeux se baissent machinalement sur le parquet tandis que la cheminée crépite. C’était comme si leur silence en disait long, comme si dans tout ce qu’ils ne disaient pas, je pouvais comprendre.
Comprendre la situation, comprendre ce qu’ils n’osaient dire. Ce qu’ils n’osaient ME dire.

« - Depuis combien de temps ?
- Environ 3 jours…
- Où est-ce que cela s’est produit ?
- Il disait qu’il n’en aurait pas pour longtemps et que tout serait régler très vite mais IL l’a attrapé et on a rien pu faire…Il disait que vous viendrez et que…Vous allez le sauver n’est-ce pas ?
- Non.
- NON ?!
- Non. Je ne vais pas le sauver. Je ne sauve pas les gens moi. Écoutez, si Luka vous a parlé de moi, il a dû vous en dire plus long que mon simple nom et les simples souvenirs d’enfance que l’on partage. Je ne suis pas quelqu’un qui sauve les gens, tout simplement.
- Mais qu’est-ce que l’on va faire alors ?
- On a qu’à se débrouiller Flora. Pourquoi on aura besoin d’elle si elle ne veut même pas nous aider ?
- Mais Toby…Luka est…Luka est…
- Roooh arrêtez de pleurnicher ! Tout ira bien.
- Comment vous pouvez le savoir ça ?
- Parce qu’il m’a fait venir. »

On se regarde tous les trois et tandis que la fillette du nom de Flora semble se décomposer en imaginant le pire des scénarios, le garçon lui, est d’un calme imperturbable. Ses yeux bleus brillent d’une lueur particulièrement familière.

« - Et si vous me racontiez toute l’histoire ?
- Je croyais que cela ne vous intéressez pas ? On a piqué votre intérêt au vif ?
- Pas vous. Luka l’a fait en me faisant venir. Il ne l’aurait pas fait si je n’avais pas quelque chose à voir ici. Lequel de vous deux voyage avec lui depuis Minstrel ?
- Nous deux…
- Ok… Donc je vous écoute ! »

Je croise mes pieds sous la table et attends le fin mot de l’histoire parce qu’il n’y a que comme ça que je comprendrais ce qu’il cherche à faire ici et qu’il n’y a que comme ça que je comprendrais ce que j’ai à faire ici. Il m’avait déjà fait un coup pareil en me faisant venir à Minstrel et je ne doute pas que la situation soit exactement la même ici-même.

Et c’est à la fin de l’histoire que tout semble prendre son sens.

« - Donc vous allez nous aider maintenant ?
- Vous irez sauver Luka, tous les deux, s’il s’est donné la peine de vous prendre avec lui c’est qu’il y a quelque chose chez vous qui l’intrigue. J’ai l’impression de le ressentir ici et puis c’est vous les héros de l’histoire non ?
- Mais comment on va faire ? On ne peut pas s’approcher du manoir, il y a des gardes partout !!
- Vous faire une entrée, ça, c’est mon soucis. »

Le tout maintenant était de réussir à s’approcher de la demeure d’un noble local, aux activités plus qu’illégales et d’y mettre un terme en réussissant à sauver cet imbécile voulant jouer à chaque fois au héros. S’il ne meurt pas sous le coup, je le tuerais de mes propres mains.

« - Aller on y va.
- Maintenant ? En pleine journée ? Mais ils nous verront !!
- C’est le but du jeu. Je vais jouer de ma popularité dans le coin pour servir de diversion, vous deux, vous vous infiltrerez dans la demeure, vous trouverez Luka et vous ressortirez d’ici. Je vous ferrais la porte d’entrée et de sortie.
- Vous êtes bien confiante pour une femme de votre âge…
- Dis donc petit con, avant de parler de l’âge d’une dame, apprends le respect.
- Je ne fais qu’énoncer une vérité. »

Je le déteste. Ce qu’il peut être irritable ce gamin. Toujours avec cet air hautain et cette suffisance incroyable. Si je n’étais pas déjà prise par un pseudo-sauvetage, je lui réglerais son compte.

Mais pas maintenant…Maintenant, j’ai d’autres chats à fouetter.

Ils montent tous deux dans leur chambre et j’entends leur murmure dans l’escalier. Je comprends un mot ou deux et je sais qu’ils parlent de moi. Ils me font rire, ils doivent avoir à peine 17 ans. A 17 ans, cela faisait longtemps que je savais déjà me débrouiller toute seule. A 17 ans, j’arrivais déjà à m’attirer les pires emmerdes du monde. A 17 ans…J’ai rejoint Blue Pegasus. Cela semble tellement lointain maintenant.

Puis ils finissent par redescendre, changés. Pas seulement dans leur façon d’être habillés mais dans leur regard. Il y avait quelque chose de plus. Peut-être qu’ils avaient bien plus à me montrer que ce je n’aurais imaginé. Rendons ça amusant les amis.

Faire l’ascension d’une montagne enneigée me rappelle étrangement cette mission de sauvetage avec Chris. A croire que j’ai développé un don pour aller sauver les gens dans la neige, comme si cela pouvait me poursuivre.

« - Vous êtes surs de vous ? Vraiment ? Regardez, y’a vraiment beaucoup de gardes.
- J’en ai compté 20 pour l’instant..Plus tous ceux à l’intérieur certainement, j’arrondis à approximativement une cinquantaine de personne. Dites..Ce noble que Luka a voulu arrêter, il fait quoi exactement ici ? Je veux dire, c’est plutôt éloigné de tout comme endroit.
- Justement, c’est parfait pour faire des expériences. On dit que c’est un ancien scientifique ayant perdue la raison et qu’il développe un sérum rendant les mages humains…Genre genre sans magie. C’est étrange non ? Pourtant quand on a demandé à un village voisin, les habitants se plaignaient de plusieurs disparitions. Des jeunes gens généralement.
- Bien…C’est à notre tour. Dès que vous avez l’occasion de vous faufilez à travers les sapins, vous le faites. Vous ne vous retournez pas…Vous ne vous posez pas de questions. Vous faites une ligne droite. Compris ?
- Vous êtes sûr que ça ira pour vous…Après tout…Vous avez dit que vous ne sauvez pas les gens.
- Justement. Vous ne vous retournez surtout pas. D’accord ?
- D’accord…
- Lilith, Lucifer, accompagnez les enfants.
- Corvée babysitting !!!
- Allez-y maintenant, je m’occupe de la grande porte. J’ai toujours aimé soigner mes entrées ! »

Je m’avance dans la neige jusqu’à la porte d’entrée où j’entends déjà que l’on beugle mon nom. Je m’attendais bien à être célèbre même dans cette partie-là du pays. Cela pourrait presque avoir que des avantages. Tant que les deux autres arrivent à se faufiler.

« - Satan…Fais-moi une porte d’entrée digne de ce nom.
- Compte sur moi boudin ! »

La muraille entourant le manoir explose entraînant la première rangée de gardes avec elle, signalant ainsi, un intrus à l’entrée principale.

M’asseyant sur les débris, croisant les jambes, je trouve un petit bout de roche bien taillé et finit par le ramasser pour me limer les ongles. On fera avec.

« - Arrêtez laaaaaaa !!!
- Ily, fais-toi plaisir. »

Le plus gros des effectifs semblent être de sortie tandis que le pêché de la colère poursuis sa route à travers le bâtiment en lui-même. Des fois ça explose, des fois ça résonne et ça fais des échos dans la neige. Presque trop facile.

Puis des flammes bleues me passent sous le nez, traversant la neige à toute allure. Je me retourne et finis par trouver l’autre imbécile juste derrière moi, tout sourire et affichant clairement sa satisfaction d’avoir réussis son coup.

« - Qu’est-ce que tu fais-là toi ?
- Flora s’est occupée de Luka, ils vont sortir alors je suis venu vous aidez !
- Je n’ai pas besoin de ton aide ! Va-t’en ! Aller zou !
- Vous avez peur que je vous vole la vedette vieille femme ?
- QUOI ?! Sale petit morveux. Tu vas voir c’est qui la vieille femme ici !
- Oh attention derrière vous mamie ! »

Et il recommence alors que je n’ai même pas eu le temps de me retourner. Il y avait chez lui quelque chose d’étrange…Quelque chose de familier…Même dans sa magie. Pourtant, ce n’était que des flammes…et bleu en plus ! Il a tout pour me frustré celui-là !

« - Madame !!!! Toby !!!! Je suis sortie !!!! »

Plus loin Flora nous fait de grands signes tandis qu’elle semble traîner avec l’aide de Lucifer le corps de Luka.

« - Bon on s’en va, on n’est pas là pour se battre jusqu’à la mort.
- Mais ils vont nous poursuivre !
- Y’a des chances…Alors cours et tais-toi ! »

Je l’attrape avec moi et l’entraîne dans ma course jusqu’à hauteur de Flora. On fit un échange de garçon tandis que je pris Luka sur mon dos et qu’elle s’accrocha au bras de Toby.

Soudainement, un bruit étrange ce fit entendre plus haut et on remarqua que tout un flan de la montagne céda. Alors ça…Ce n’était pas du tout mais pas du tout prévu !

« - Les enfants ? Courez. VITEEEE !!!
- AVALANCHEEEE !!!!!!! »

Mais il lui fallut quelques minutes pour nous rattraper, comme une vague puissante, nous emportant sur son passage. Il n’y avait plus rien, plus personne. Plus un bruit.
Juste la nature reprenant ses droits sur la folie des hommes. Le blanc balayant le rouge tâchant.

Quand j’ouvris les yeux, il semblait n’y avoir personne d’autre que moi…Et Luka plus loin. Flora et Toby avaient totalement disparus de la circulation, certainement emportés plus loin encore et nous deux…Eh bien, on avait eu l’immense chance de tomber dans une crevasse. Génial. De mieux en mieux. Tout est bouché maintenant.

« - Luka ! Luka réveille-toi sale feignasse ! Luka !
- Hmmm…..
- Aller regarde-moi…Regarde par-là.
- Enya ? »

Il se redresse et se secoue la tête pleine de neige. Il me regarde tout sourire et à la fois intrigué de savoir où nous étions. Moi-même je ne le savais pas. Je ne savais même pas jusqu’où l’avalanche avait bien pu nous entraîner.

« - T’es venue finalement !
- Bien-sûr que je suis venus idiot ! Je t’avais pourtant prévenu de ne pas profiter de la situation ! C’est quoi cette histoire encore ?!
- Désolé ahahaha !! Mais je suis content que tu sois-là ! Tiens…Où sont les deux autres ?
- On a été séparés…Désolé.
- Oh non..Pas de soucis..Je suis sûr qu’ils vont bien.
- Tu m’expliques ?
- Ils survivent à tout ! C’est dans leurs gènes.
- Comment ça ?
- Flora est issue un clan réputé de Minstrel et Toby…Comment dire ? Eh bien Toby…est particulier…
- C’est-à-dire ?
- Tu n’as rien remarqué n’est-ce pas ? Et puis je suis presque certain qu’il ne t’a rien dit non plus. Il n’aime pas trop en parler.
- T’as finis de faire durer le suspense oui ! Qu’est-ce que j’aurais dû remarquer ?
- Sa queue ! Il a une queue mais il la cache souvent dans son pantalon pour faire croire qu’il est humain…
- Il ne l’est pas ? ET PUIS UNE QUEUE ?! C’est quoi ce gosse ?
- Enfin, il l’est…à moitié. Je suis étonné qu’il ne t’en ai pas parlé. Surtout à toi.
- Disons, que nous n’avons pas trop eu le temps de bavarder tous les deux. Une vrai tête à claque, plein de suffisance, arrogant et…
- Ahahaha ! Ça c’est de famille ! Après tout…C’est un Taylor ! »

Je manque de m’étouffer avec ma propre salive, l’avalant de travers quand j’entends ce nom de famille. Je regarde Luka, stupéfaite et choquée tandis qu’il semble mort de rire en voyant ma réaction.

« - Un Taylor genre…Comme….Enfin genre…enfin tu vois non ? Mais t’as dit qu’il n’était pas humain…Et puis ce n’est pas possible. Sara m’a assuré qu’on était les deux dernières.
- Ce n’est pas totalement vrai. Enfin, ce n’est pas totalement faux non plus. Toby porte bien le nom de Taylor mais euh…tu me promets de ne pas m’arracher la tête si..
- ACCOUCHE PUTAIN !!!
- Toby est mi humain, mi démon. C’est ton demi-frère…Et à la fois le fils de la Reine des Enfers. Tu ne le savais pas ? Je suis étonné…
- Ok..Là…Je meurs. Que l’on me dise que c’est un mauvais rêve. Un cauchemar. C’est ça. Ce n’est qu’une blague. Y’a un lacryma qui filme c’est ça ? Il est où ?
- Ce n’est pas une blague, je te l’ai dit que j’ai rencontré quelqu’un à Minstrel que j’aurais aimé te présenter. Toby a toujours servit de garde du corps à Flora qui était considéré presque comme une princesse. Ils ont toujours été ensemble.
- Dans quoi tu m’embarques Luka… ? Dans quoi…. »

Je fais une énorme boule de neige pour la jeter sur Luka avant de l’étrangler de mes propres mains en secouant sa tête d’abrutis dans tous les sens.

« - JE VAIS TE TUER !!!!!
- Non me tue pas ! Pitié ! Je voulais t’en parler tu sais hein !! Je voulais vraiment mais si j’avais su que tu le prendrais comme ça…Aïe arrête ! Ma tête se décroche arrête ! Je vais perdre ma tête.
- Je vais te tuer dix milles fois si j’en ai envie !!!! Lilith vient ici !!
- Tu m’as appelé ?!
- Sale pute !! Tu m’as mentis ! Tu m’as toujours mentis !
- Ah non, non…Je t’ai toujours dis qu’on formerait un jour, une belle et grande famille mais je ne pensais pas que ton ami ici présent gâcherait la surprise ! Vous êtes inutile vous !
- Je vous remercie, ça me fais chaud au cœur.
- Tu as…Tu as…Avec mon…Mon dieu. C’est dégoutant !!!!!!!!!! Répugnant !!! BEURK !!! J’ai presque honte maintenant !!!!!!
- Roh, c’est les choses de la nature tu sais…Tu verras une fois que t’y auras goûté.
- TAIS-TOI ! DISPARAIT !!!! HORS DE MA VUE !!! TOUS LES DEUX !!! »

Il y a de cela 8 ans j’étais seule. Toute seule. Je suis née et ai grandie seule. Je savais que ma mère était mage et que mon père avait disparu dès ma naissance mais je ne m’attendais pas à ça. Une jumelle…Ok…ça passe mais un faux demi-frère même pas humain ? Je dis non. Tout cela devient bien trop compliquer pour moi.
Beaucoup trop compliquer.

La colère finit par passer. Elle s’évapore sous la glace laissant derrière elle une légère traînée fumante. Je cherche encore des réponses, une logique à ce que l’on venait de m’annoncer. Je m’attendais à toutes sortes de nouvelles, j’y étais préparé..Enfin, je le pensais. Il ne manquait plus que ça. Un frère…Qu’il soit demi ou tiers, je m’en fou. Un frère. A force d’y réfléchir, je finis par oublier la crevasse, je finis par oublier Luka, je finis par oublier les emmerdes dans lesquelles nous sommes tombés.

« - Je ne sais pas si je dois préférer ta colère à ton silence.
- Chut. Je réfléchis.
- Ça, c’est encore plus terrifiant.
- Encore un mot et je te laisse crever la gueule ouverte ici même. Tu sais, tout le monde dit que je suis une horrible personne alors, je vais finir par le croire.
- Tu n’oserais pas…
- Tu veux prendre les paris peut-être ?
- Sans façon…Dis Enya…Tu m’en veux ?
- Non bien-sûr que non ! C’est juste que…Disons que la pilule est difficile à faire descendre tu vois ? Je veux dire, il y a 8 ans j’étais une orpheline cherchant partout un père disparu parce que je voulais savoir pourquoi j’ai été abandonnée et laissée pour compte. Puis il y a un mois j’ai rencontré ma sœur jumelle qui semble être le strict opposé de moi-même. Ou plus vulgairement, une meilleure version de moi-même et j’en ai eu tellement peur que je l’ai envoyé se faire voir. Et là, enfin, j’apprends que j’ai un frère qui se balade dans la nature depuis 17 ans et je n’en ai jamais rien su. Je ne suis même pas certaine que Sara soit elle-même au courant.
- Qu’est-ce que tu comptes faire ? Je veux dire…Si on ne meurt pas geler d’ici là…
- Je n’en sais rien. C’est bien trop le désordre dans ma pauvre tête que moi-même je m’y perds. Pour l’instant..Sortons d’ici. Tu peux te lever ? »

Luka se lève en s’appuyant sur la paroi faites de glace et retombe aussi sec sur ses fesses comme s’il ne lui restait plus aucune force. Ses yeux noirs s’assombrissent et dans son regard, je comprends sa supplique.

« - Je t’avais pourtant prévenue que je ne viendrais pas te sauver à chaque fois !
- Désolé, ce n’était pas du tout prévu comme ça. Vraiment. J’ai l’impression qu’à chaque fois que l’on se croise, ce n’est jamais bon pour toi.
- Satan…Fais nous une sortie à travers toute cette poudreuse, s’il te plait. »

Sortir de là en portant Luka sur mon dos ne fut pas une mince à faire et une fois dehors, il n’y avait que du blanc à perte de vue. De la neige et encore de la neige. L’avalanche avait rasée le peu de sapins qui auraient pu se dresser sur sa route et cela ne semblait pas être le chemin par lequel nous sommes venus tout à l’heure. D’ailleurs, je ne sais même pas où l’on est. Je ne vois pas de trace des deux autres non plus.

« - Qu’est-ce que l’on fait maintenant ?
- On survie. »

Des minutes. Des heures. J’en ai perdu le fil du temps. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps nous étions en bas. Je ne sais pas exactement non plus ce qu’il s’est passé après l’avalanche. Je ne sais rien. Rien de la situation et des nombreux secrets que me cache Luka.

On finit par trouver un chalet non loin de là, servant certainement de refuge pour les alpinistes du coin et fort heureusement pour nous, il n’y avait personne. Le fait est qu’une avalanche venait de produire avait dû refroidir l’ardeur de certains. Sans vouloir faire de jeu de mots pourris.

J’installe Luka sur un lit et allume un feu de cheminée. Il me fallut retourner tout le chalet pour enfin mettre la fin sur une trousse de soins.

« - Je voudrais que tu me dises…Ce qu’il s’est passé là-bas. Tu t’en souviens ?
- Je ….Non. J’étais venu pour enquêter sur les disparitions dont nous avaient parlé les villageois et puis finalement, cela ne s’est pas passé comme je l’aurais souhaité.
- Vingt ans.
- Quoi ?
- Cela fait vingt ans que l’on se connaît toi et moi non ? Tu crois que je ne saurais pas quand est-ce que tu essayes de me duper ?
- ……
- Je ne vais pas reformuler alors écoute moi bien. Qu’est-ce qu’il s’est passé là-bas Luka ? Je dois le savoir.
- Il ne s’est rien passé. Rien.
- Ouuuuuuuuhhhh que tu m’énerves ! J’aurais dû te laisser au fin fond de cette crevasse.
- Ou tu n’aurais pas dû venir aussi….
- …….
- Désolé. Surtout en sachant que tu es venue à cause de moi…
- Non. Pas à cause de toi mais pour toi. Ecoute, si tu ne veux pas en parler c’est ton choix, je ne t’oblige à rien. Après tout je ne suis personne pour t’obliger…
- Ne dis pas ça. Je n’aime pas quand tu dis ça…
- Et pourtant…Donc en attendant que l’on puisse retrouver Toby et Flora, fais-moi au moins cette fleur. Reposes-toi. Je m’occupe du reste.
- Tu vas t’occuper de moi comme quand on était gamins hein ?
- Il faut croire que tu ne me laisses pas le choix. La prochaine fois, je te laisse vraiment dans une crevasse si cela peut te servir de leçon !
- Ahahaha…Tu ne le feras jamais. Pas toi…. »

Tout doucement mais sûrement, il finit par s’endormir.

C’est étrange la façon dont tout semble s’être calmé. Le fait qu’il n’y ait plus un bruit, plus un seul craquement étrange dans la charpente. Tout semble s’être apaisé.

Soudain la porte s’ouvre à son tour et deux têtes blanches font leurs apparitions. Couvertes de bleus et d’égratignures comme si elles venaient de se faire passer à tabacs.

« - Vous !
- Vous !
- Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où est-ce que vous étiez ?
- Bah on vous a cherché ! Forcément, vous nous avez lâchement abandonnés !
- Je suis tellement contente que l’on se retrouve enfin !!!! Oh Luka !!!
- Chut. Faites moins de bruits. Donc ? Vous ne répondez pas à ma question. Vous étiez où ? Comment vous vous en êtes sortis ?
- Grace à moi ! AHAHAHAHAHAHA !!!!! »

Un côté vantard de la famille peut-être ? Si quelqu’un ose me dire que je suis comme ça..Ou pire. Sachez que je m’en excuse d’avance.

« - On dirait que vous vous êtes battus tous les deux…ça va aller ?
- Ce n’est rien, on a vu pire …Mais vous ?
- Moi ça va…Luka…
- Vous pensez que…Enfin qu’il a…
- Sans aucun doute. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé en deux jours mais il a sûrement dû servir de cobaye.
- Mais c’est grave !!!
- Il n’y a plus rien que l’on puisse faire.
- Vous dites ça sur un ton tellement…Froid.
- Parce que c’est la vérité. Vous devriez vous reposez tous les deux…Avec tous les soucis que vous avez eu ces derniers temps, vous devez être crevés.
- Ah bah non, non..ça va ! Je pète la forme un truc de fou !
- Je ne demandais pas votre permission…Belphegor. »

Ils s’écroulent tous les deux dans mes bras tandis que je tente tant bien que mal de les caler près de la cheminée. S’ils ne sont pas dans mes pattes, alors je pourrais y aller. Seule. Je pourrais faire ce pourquoi je suis la femme que je suis. Je pourrais faire couler le sang, sans me poser la moindre question. Sans réfléchir, cachant aux yeux de tous, cette flamme qui me consume à l’idée que mon meilleur ami ai pû servir de rat de laboratoire.

Le bâtiment parait encore habité, il y a de la lumière par ci par là. Il y avait encore de la vie ici-bas.

Claquant des doigts, le tout explose, s’écroulant et tuant certainement ceux encore à l’intérieur. Des fois, on entend des cris. Des hurlements. Ceux ayant eu le moins de chance, sont morts, immolés. D’autres pris de surprise dans la soirée, se sont retrouvés écrasés. Pourtant, faire sauter tout un bâtiment, ne me calme en rien. Je veux la tête et la peau de celui derrière tout ça. Je veux qu’il connaisse le même sort. Je veux un nom et un visage. Je veux ….
Je finis par faire demi-tour, laissant les flammes ronger le peu qu’il restait à ronger. Personne ne saura que je suis passé par-là. Personne ne saura que je venge des gens, par moment. Mais tous sauront, un jour, que cette nuit-là, j’ai tué. J’ai tué plusieurs dizaines de vies. Ils sauront que je suis venue et que j’ai pris ces vies, sans hésiter, sans sourciller. Parce qu’on ne changera jamais vraiment.

En revenant dans le chalet, je finis par trouver Toby assis sur une chaise, sa queue toute noire et toute fine comme celle de Lilith, se baladant comme celle d’un chat énervé. Il est là, me dévisageant passablement en colère.

« - Vous auriez pu prévenir.
- Tu sais qui je suis alors cesse le vouvoiement.
- Luka t’en as parlé alors ?
- Oui.
- Qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Rien, je veux dire, tu es libre de tes choix, je ne t’imposerais rien. A vrai dire, ça m’arrangerais si je n’ai pas à m’occuper de toi aussi.
- Donc ça s’arrête là ? Aux simples banalités ?
- Comme je l’ai dit à quelqu’un d’autre. Nous n’allons pas feindre d’être une heureuse et grande famille fêtant nos retrouvailles. Nous sommes tous, sans exception, maudit à notre façon. Tu n’as pas en plus à porter le fardeau de deux sœurs.
- Et si je le veux ?
- Tu ne le veux pas justement. Je l’ai dit. Nous ne sommes pas et nous ne serons jamais une famille. Je ne peux pas m’accorder ce luxe maintenant. Je ne peux plus, plus depuis longtemps.
- Alors qu’est-ce que je vais devenir ?
- Je pense que tu as déjà la réponse non ? Tu vas rester au service de Flora et la protéger. Tu resteras toujours à ses côtés. Si l’envie, un jour te prends, de venir à Fiore avec Luka, alors je me ferais une joie de vous revoir mais nos rapports n’iront jamais plus loin. Après, peut-être, si tu as plus de chance, tu tomberas sur Sara. Forme donc une famille avec elle. Mais moi, j’ai encore tout un tas de choses à faire. »

Et je ne veux pas. Je ne veux pas qu’un jour mes erreurs soient les vôtres. Je ne veux pas que l’on vous chasse plus que l’on ne vous a déjà chassé pour être qui vous êtes. Je ne veux pas que vous vous mêliez de ma vie et que certains voient en vous, ma faiblesse. Je ne leur en ferrais pas cet honneur. Peut-être que je me mens en me disant que je vous protège, comme je me suis mentis en me disant qu’en quittant Senji, je le protégeais. Qu’en quittant Blue Pegasus, je les protégeais. Je ne protège personne. Je ne sauve personne. Je ne suis qu’une menteuse, qu’une voleuse, qu’une criminelle. Je tue. Je vol. Le tout de sang-froid. Alors je me protège de vous. Je me protège de ce que vous pourrez faire, à deux. Je me protège de cette seconde chance que m’offre la vie.

« - Et Luka ? Tu ne lui diras jamais hein ?
- De quoi ?
- Ce que tu ressens.
- Sans doute…Jamais d’ailleurs. Si tu l’as deviné, il le devinera un jour aussi.
- Tu vas partir ? Retourner à Fiore ? Pourquoi tu retournes là-bas ?
- Parce que là-bas, tu vois, y’a des gens qu’ont besoin de moi. Pas comme vous. Pas pour sauver des vies mais pour en prendre justement. Je te l’ai dit, je ne sauve pas les gens moi. Parce que si je venais à disparaître maintenant…Je crois que beaucoup trop de monde commencerait à se tourner les pouces. Ils s’ennuieront.
- Tu devrais te faire un ami. Ou deux. Tu verras, c’est bien d’en avoir.
- Je crois…que j’en ai un…ou deux ahaha ! Laisse donc Flora s’occuper de Luka.
- Parce que…Tu as compris..
- Qui elle est ? Bien-sûr. Je suis Enya Taylor…Il y a beaucoup de choses que je sais. Et puis s’il peut se permettre de jouer les entremetteurs entre les membres de ma famille alors je peux bien faire de même non ? Laissons-les se découvrir. »

Parce que les liens, qui nous unissent, bien malgré nous, sont tous un peu tordus et farfelus à leur manière. Certains d’entre nous s’aiment, s’admirent, se protègent et d’autres ne peuvent juste pas se supporter et se voir pourtant, réfléchissez-y. Si cette personne que vous détestez tant venait à disparaître, du jour au lendemain, que ressentirez-vous ? De la joie…Et puis ?

Un immense vide parce que malgré vous…Cette personne, vous vous y êtes attaché. Comme on dit souvent, il n’y a qu’un pas entre l’amour et la haine.