Oops, I did it again

Messire Maël, Travis et Dame Lisanna

De toutes les réactions, jamais Eileen n’aurait pu s’attendre à voir son adversaire tourner de l’œil. Sans même y réfléchir, le corps de la jeune femme se met tout seul en mouvement. Ses mains se tendent et sa posture de combat disparait dans l’impulsion quasi-féline qui la projette vers la blonde dont les genoux tremblent. Les bras de la soldate se referme sur la blondinette et l’accompagne doucement sur le sol, au mépris de la prudence la plus élémentaire. Après tout, pourquoi prendrait-elle des gants, alors que l’autre illégal est entre les pattes griffues de l’esprit ? Pourquoi craindrait-elle une fillette épuisée et un tueur qui joue les belles aux bois dormant ? Machinalement, la Fa Long pose la tête de son adversaire sur ses genoux et se penche au-dessus d’elle. Elle écoute longuement sa respiration, ténue, et chasse la poussière de son visage dans un geste presque maternel. Oubliée, la témérité insolente et l’implacable volonté de faire la lumière sur cette histoire. Eileen ne manque pas de sursauter quand une voix inconnue s’élève à ses côtés. Oubliés aussi, les réflexes de survie du soldat sur le champ de bataille.

« Eileen Fa Long, de Lamia Scale. Enchantée, Ma Dame. »

La combattante observe un long moment la main tendue vers elle avant de la saisir. Fairy Tail. Cette fois-ci, elle ne peut pas douter de la véracité des paroles de la nouvelle venue, ni même des identités de ceux avec qui elle a croisé le fer. Toutefois, elle marque une réserve presque instinctive envers le mage de foudre. A son sens, il n’est légal que de nom et la brune ne peut que se désoler de constater qu’une famille d’Harujion n’aura plus rien à son retour. Elle aimerait forcer le jeune homme à la reconstruire sur le champ, mais elle n’en a pas le temps, pas l’énergie. La situation toute entière la lasse aussi sûrement que les gesticulations de cette enfant destructeur et irresponsable. Leen relâche la patte félidée de Lisanna et porte son sifflet à ses lèvres. Le minuscule objet n’émit pas le moindre son à hauteur humaine mais pas un instant la soldate ne doute que son meilleur ami pourra l’entendre à l’autre bout de la ville : Sorrow avait toujours été un cheval intelligent et plein de ressources. La soldate reporte alors son attention vers la discussion, animée, entre la mage de Fairy Tail et son prétendu compagnon. Ses sourcils se froncent. Peut-être a-t-elle bel et bien fait une faute, tout à l’heure. Cependant, le déroulé du discours de Travis ne lui plut pas. Comment diable pouvait-il s’adresser ainsi à une amie ? Mieux encore, comment osait-il insinuer que tout cela était de sa faute ? La coupe fut pleine lorsqu’il parla de la maison. Instantanément, la jeune femme visualisa les occupants devant ses ruines et leurs larmes de désespoir. Il n’en fallut pas plus pour que Leen explose. Son naturel froid et détaché s’envole et la désapprobation enflamme ses traits. Lentement, le sarcasme se met à rugir dans les paroles qui se coulent vers Travis. Les autres civils ont sans doute raison. Les mages sont un fardeau.

« Je dois dire que je n’ai jamais vu quiconque tenter d’assommer un pauvre homme à coup de pieu dans l’estomac. Sans doute est-ce une délicate médication qui doit échapper à une non initiée comme moi. » Un large sourire ironique barre le visage de la jeune femme. « Aussi ne devrais-je pas relever votre manque d’observation et votre inexpérience, quant à la qualification de ma guilde d’illégale. » Elle désigne sa cheville nue où trône fièrement son tatouage vert-d’eau, symbole d’appartenance à Lamia Scale. « Mais sachez que je transmettrais vos affirmations, Obaba-sama doit savoir que nous ne sommes que de vulgaires criminels aux yeux de certains. »

Eileen dépasse son cadet sans lui adresser un regard, plus intéressée par le son éloquent des sabots. Elle se permet même un rire amusé en voyant que son hongre avait trouvé galante compagnie, même dans un contexte aussi sombre. La jument, dont la selle avait été visiblement vidée de tout propriétaire, trotte fièrement à côté d’un Sorrow dont la robe louvet n’avait jamais été aussi brillante sous la selle. Aucun doute, il a été bien occupé pendant son absence. La brune corrige sa prise sur la demoiselle prénommée Azulie et patiente tranquillement jusqu’à ce que sa monture parvienne à sa hauteur. Sans un mot, la membre de Lamia Scale fit le tour de l’autre cheval et lâche un grognement approbateur en reconnaissant la marque, gravée dans la selle, d’un de ses compagnons venu sur le front. Elle soulève la jeune femme sans effort et l’installe élégamment de l’animal. Sa main se referme sur la bride, guidant Dust et sa cavalière vers les deux mages.

« Il serait sans doute sage pour vos compagnons de sortir de la ville. Je ne doute pas de leur capacité, mais dans leur état actuel, ils risqueront plus qu’ils n’apporteront. On m’a dit qu’un camp de réfugié avait été installé en périphérie de la ville. Je ne saurais que trop vous conseiller de vous y rendre pour vous reposer. » Sa main flatte l’encolure de son destrier et elle tend les rênes de l’autre à Lisanna. « Je vous confie Dust, Dame Lisanna. Voyez ça comme une excuse de ma méprise avec Messire Ed et Dame Azulie. »

Elle ne fit pas mention de Travis. Elle en a déjà trop entendu de sa part et elle a déjà perdu trop de temps. L’inconnu qui vient de partir l’intrigue, bien plus que les pleurnicheries d’une fée. Des milliards de questions flottent dans son esprit. Pourquoi s’attaquer à des mages légaux ? Pourquoi plus particulièrement Fairy Tail ? Que diable lui avaient-ils fait ? Plus important encore, qu’est-ce qu’il faisait ici ? Etait-il l’un de ceux qu’on appelait membre du fléau Ajatar Virke ? Seul le silence trouve sage de lui répondre, ce qui l’agace prodigieusement. Aussi décida-t-elle de s’élancer à sa poursuite, désireuse d’y apporter elle-même une lumière. Sans autre forme de procès, elle enfourche Sorrow et lui fait faire quelques pas de côté. Elle s’arrête à hauteur de la mage féline, les yeux dans le vague, guettant des traces du passage du mage. Ses pupilles se fixent sur les gouttes d’hémoglobines qui courent le pavé d’une rue, trainée fort peu discrète mais malheureusement appelée à se multiplier à l’issue des prochaines heures. Quelle tristesse, pense-t-elle avant de se reporter vers les deux jeunes gens à pieds. Eileen reste un instant coite, cherchant une phrase appropriée pour les saluer, sans grand succès.

« Puisse vos recherches être fructueuse. Sorrow, Za'u ne. » lâche-t-elle en éperonnant sa monture.

Le galop de l’étalon de guerre brise le silence inhumain de la scène. D’autres combats font rage, mais Leen ne s’en préoccupe pas. Les yeux rivés au sol, elle suit soigneusement les trainées et les éclats de sang en enjoignant son cheval de presser l’allure. Il avait besoin de soin et elle avait besoin de se faire oublier. L’idée de se faire attaquer en pleine chevauchée ne la tentait pas plus que ça, même si elle savait se débrouiller. Plus vite elle parviendrait à retrouver l’homme, plus vite elle repartirait à la recherche de la bombe. Cependant, si les soupçons des fées étaient fondés, il y avait sans doute de forte chance qu’elle mette la main dessus en même temps que son mystérieux constellationniste.