Another Day. Another Way

PV Duncan

Pal. En plein hiver, la ville bat d’un rythme étrange, dicté par les centaines de gens qui déambulent dans les rues colorées. La musique résonne dans le quartier, pour le plaisir de petits et grands. Un vieille femme, près de la fontaine, clame de par la couleur tapageuse de sa tente, sa nature de diseuse de bonne aventure. Près d’elle, la foule se presse pour observer son principal concurrent, l’ours dressé qui soulève des tonneaux de bière. La joie ambiante se respire jusque dans l’air qui soulève la jupe d’une riche Dame au détour du carrefour. On avait du mal à croire à la menace imminente des illégaux que le Conseil prônait à corps et à cris. Les inconnus rient, dansent et papillonnent d’étals en étals. Menace ou pas, la vie ne s’arrête pas. Cette constatation fait sourire la silhouette encapuchonnée qui s’est glissée dans la foule. Elle est bien étrange, emmitouflée dans son épais manteau noir, mais les regards curieux semble couler sur elle comme l’aurait fait les gouttes d’une averse. Bien vite cependant, on l’oublie pour retourner vers les nombreuses attractions du festival. La voyageuse cachée sous sa cape n’en connait pas l’objet mais cela ne l’inquiète pas outre mesure. En réalité, elle est venue pour jouer.

Un sourire s’étire sur son visage lorsqu’un groupe compact de mage du Conseil la dépasse. Visiblement, la patrouille ne doit pas chaumer. Leur pas sont pressés et la jeune femme a à peine le temps de les compter qu’ils ont déjà disparue à l’angle d’une nouvelle rue. Elle pouffe un peu et continue son chemin. S’ils savaient… Une mèche rousse s’échappe de la capuche et le vent soulève un peu la cape. L’éclat des fleurets se perd presque aussitôt dans la foule mais un observateur avisé n’aurait pas pu louper l’étrange baudrier qui disparait à nouveau sous le tissu. Un soupir échappe à l’inconnue et elle baisse un peu la tête, de peur que la bise ne lui arrache la maigre protection que lui offre son couvre-chef. A l’abri dans l’ombre, l’expression de la rousse change. Elle sourit aussi promptement qu’elle fait la moue, visiblement en grande conversation intérieure. Vraiment, si la milice savait, le capitaine de Pal ferait une syncope. Misto Shida secoue la tête. Se demandant pour la dixième fois de sa journée si sa témérité n’était pas la seule chose qui causerait leur perte, les loups ne cessent plus de réclamer à la jeune femme de partir. La vérité, c’est qu’ils meurent d’envie de sortir et de profiter de cette ambiance festive mais que la situation actuelle le leur interdit. Contraint et forcés de se cacher, les esprits se déchainent. Leur sujet favori ? L’endroit le plus à même de servir de lieu de représentation à une « criminelle ». Et si la bataille ne fait que commencer dans l’esprit de l’Impératrice, cette dernière semble avoir déjà choisi. Son pas se met peu à peu à ralentir, jusqu’à ce qu’il s’arrête à proximité d’une fontaine. Sa tête se relève et elle jauge l’espace d’un œil expert avant d’esquisser un sourire à l’idée du chao qu’elle allait sans aucun doute déclencher pour un simple concert. Qu’importe, personne ne pourra la priver de jouer. Avant d’être mage, elle reste musicienne après tout.

D’une main assurée, elle extrait un de ses ocarinas de son étui et ferme les yeux. Devant elle, la foule devient une étrange mer de couleur vive et improbable dont le brouhaha est incompréhensible. Tranquillement, elle cherche une âme qui l’inspire plus que les autres. Son esprit résonne de dizaine de chanson avant qu’elle ne réussisse à trouver la bonne. Après une longue inspiration, elle s’immerge entièrement dans la musique. L’instrument se met à chanter et sa musicienne cesse de se faire bousculer par la foule. Les enfants, amusés par la tournure nouvelle que prend la scène ennuyeuse du conteur, quitte le sage abri des saltimbanques pour rejoindre la drôle de personne immobile au centre de la place. Concentrée sur la silhouette immobile derrière ses paupières, Misto déroule lentement la mélodie. Portée par l’enchainement élaboré des notes, elle en oublie volontiers son environnement et se met à danser au dépit du cercle qui se forme. Brisant et rebrisant celui-ci selon les caprices du son qui s’échappe de son ocarina, l’Impératrice des Aigles se rapproche de la fontaine. Elle saute sur le rebord de celle-ci, galvanisée par une nouvelle série d’accords encore plus complexe que les précédents. La mage tourne sur elle-même tandis que la foule bat des mains en rythme sur l’air d’une chanson familière. La musique s’accélère brutalement et la demoiselle saute par-dessus le jeune homme assis sur la pierre. Sa capuche s’envole, libérant sa chevelure rouge et son visage si particulier alors qu’elle pose à nouveau les pieds sur le sol. Le dernier enchainement de note s’élève dans les airs et la musicienne relève la tête.

« Mes Dames, Messieurs, je vous salue. »

Misto s’incline face à la foule enjouée dans un sourire avant de rabattre son capuchon sur ses traits d’un geste sec. Elle se laisse tomber à côté du brun qu’elle a intégré malgré lui à la situation. Avant qu’elle n’ait pu reprendre une quelconque nouvelle chanson, une voix retentit au milieu du public. La rousse grimace en remarquant les lances. Ils étaient plus rapides que prévu mais tant pis. Une chanson perce la foule. Asulf, exact double de sa fille, émerge de la fontaine se met à jouer pour un public ravi, qui se concentre un peu plus. Misto se glisse dans le dos de l'homme assis à côté d'elle puis s’immobilise. La jeune femme croise les doigts alors que la silhouette de l’esprit part en courant vers la gauche, sa chevelure rousse servant de véritable pancarte pour la patrouille qui croit avoir mis la main sur l’authentique Impératrice. La foule suit le musicien et les gardes aussi, au grand soulagement de la mage. Lorsque le calme retombe enfin, elle regagne le rebord de la fontaine et essore le bas de sa cape avant de se laisser glisser parterre.

« Pouah. C’était moins une. Merci de ne pas t'être levé, tu viens de me sauver la vie. »