*Qu'est-ce qu'il s'est passé ?*C'est cette question qui se remuait dans ma tête depuis maintenant 5 minutes, à mon réveil de cette nuit sans fin.
- Il s'est réveillé., dit une voix féminine à côté de moi.
Ce n'était que maintenant que je prenais le temps de détailler mon environnement direct. J'étais dans une pièce toute blanche, mis à part les colombages et les poutres apparents. J'étais sur un lit aussi dur qu'une planche, et de nombreuses personnes s'affairaient autour de moi alors que la lumière à l'intérieur me brûlait les rétines et que le moindre son était pour moi une torture auditive. Et toujours cette pensée, insidieuse comme une vrille, obsédante comme l'odeur de la cannelle. Que s'est-il donc passé ?
Je ne m'en souvenais pas. Tout était flou. Je me battais, puis le noir, complet, parfait, insondable.
- Que... qu'est-ce qui s'est passé ?Il fallait que ma curiosité soit étanchée. Il fallait que je sache. Il fallait qu'ils me répondent. Une dame aux cheveux violets se précipita sur moi, me tendit un gobelet d'eau et me prit la main.
- Vous avez fait une chute de dix mètres lors de l'attentat. Votre amie a pu vous sortir des décombres, mais vous avez mis six jours pour vous réveiller... On pensait sincèrement que nous vous avions perdu...
- Et... où on est ?
- À l'hôpital de Magnoria.Je me retournais vers la fenêtre, et d'aussi loin que je le pouvais, je voyais une immense place, avec un gigantesque monceau de ruines en son centre.
*Et la guilde, Edward ?*La douleur s'empara de mon crâne à mesure que les souvenirs affluaient. L'auberge de la guilde avait explosé, et je m'étais précipité pour sortir ses membres de la purée de poix qui s'échappait de la bâtisse en ruines. Puis j'avais rejoins deux personnes, un gars aux cheveux bruns et une fille aux cheveux blancs, qui s'étaient approchés de la cathédrale. Puis, un grand vide, avant que tout ne s'effondre.
- Et... Et Fairy Tail ?, ne pûs-je m'empêcher de croasser. Je bus une gorgée d'eau.
- Vos amis vont bien. Certains aident à la reconstruction de la ville, et les autres sont ici, à l'hôpital...
- L’hôpital… Alors ils ont été blessés… Chiottes !Je me relevais de mon lit d’hôpital, malgré les protestations du personnel soignant. Je n’avais pas réussi à les sortir de la cathédrale indemnes. Travis. Lisanna. Bordel, dites-moi qu’ils n’ont rien ! Je n’ai pas réussi à protéger mes amis !
*Trop faible. Trop… vulnérable.*Cette voix… Je m’en souviendrais jusqu’à ma mort. Cet homme. Celui qui avait jeté papa dans cette fournaise. Je m’étais promis de le vaincre afin que personne n’ait à revivre l’enfer que j’avais vécu. Je devais le retrouver, l’affronter, et le tuer. Il n’y aurait aucune autre issue. Je ne pouvais pas continuer de vivre tant que cet abominable bonhomme continuais de fouler Earthland du pied. Bien que je n’avais pas le droit de l’assassiner, il avait perpétré tellement de crimes, avait volé tant de personnes, avait fait massacrer tellement de familles… Cette ordure devait le payer. Mais j’étais encore trop faible pour me mesurer à lui. Il avait réussi à circonvenir ma volonté et à la soumettre à la sienne, il fallait que je me renforce, mais avant toute chose, j’avais de nombreuses choses à faire.
Je repoussais les infirmiers qui se précipitaient pour me forcer à me recoucher. J’étais certes encore bien faible, mais il fallait que je sorte d’ici. J’ai passé six ans enfermé, endormi, prisonnier d’une guilde noire qui m’avait privé de ma magie pendant tout ce temps. Six années qui m’ont empêché de tenir mes promesses.
Au mépris de mes bandages, je repoussais le personnel à mes trousses. Je pris un papier et un crayon sur une étagère, puis sortais de la clinique pour m’éloigner du village le plus possible. Une fois auprès des vestiges de la guilde, je ne pus retenir ma rage. C’était venu juste après notre retour. Ils avaient attendu le moment où nous serions le plus vulnérables. Les petits bâtards !
* Ça y est, je commence vraiment à parler comme Travis… Désolé papa, mais je baigne dans cet état d’esprit depuis trop longtemps pour me défaire de cette sale habitude de dire des gros mots… *Je trouvais une pierre pas trop calcinée et m’en approchais, m’en servant d’appui pour écrire un message.
À vous, Travis, Lucy, Yù et tous les autres.
J’ai besoin d’un peu de temps pour moi. Je serai rentré d’ici dans trois ou quatre jours, ne vous en faites pas pour moi. J’ai juste quelques promesses que j’aurais dû tenir il y a longtemps, et ce n’est que maintenant que je me rends compte à quel point elles sont importantes. Si je ne suis pas revenu d’ici la semaine prochaine, envoyez quelqu’un en forêt de Kunugi pour me tirer les oreilles, mais je ne devrais pas mettre autant de temps.
Bon rétablissement à vous tous,
Ed
Sur quoi, je cherchais à tâtons dans les décombres ma bonbonnière qui, par le plus grand des hasards, avait été épargnée par l’explosion. Mon manteau en lambeaux dans les bras, je pris le récipient dans ma main droite, puis laissait la lettre un peu à l’écart du chantier, en évidence pour que tout le monde puisse la voir. Tout le monde cherchait à me prendre dans ses bras, mais j’évitais le contact : ça m’aurait encore ralenti dans ma quête, et elle avait trop tardé ces six dernières années.
Je prenais le sentier de terre battue dans le sens inverse, puis me dirigeait vers la gare. Ça faisait six ans que je n’y étais pas retourné, et c’était à croire que ces six années l’avaient métamorphosée en un effroyable carnage. Mais j’aurais dû me douter que le bâtiment avait aussi été attaqué, car il faisait partie avec la cathédrale et la guilde des trois bâtiments les plus importants de Magnoria. Les deux derniers avaient été attaqués, c’était normal que la gare subisse le même sort. Elle était toujours en chantier, mais trois trains étaient tout de même à quai, le service devant sûrement être réalisé envers et contre tout. Heureusement pour moi, l’un se dirigeait vers Clover, et s’arrêtait à Kunugi comme je m’y attendais.
J’avais pris toutes mes économies avec moi, et je piochais dans l’un de mes innombrables porte-monnaie le prix d’un aller-retour Kunugi-Magnoria. Après avoir payé au contrôleur, je prenais place dans le train. Je me souvenais de mon premier voyage, justement pour le même voyage, mais en sens inverse ; j’étais impressionné par la vitesse des motrices, m’étonnant de voir le paysage défiler aussi vite… J’étais effaré, tout allait trop vite pour moi. j’avais toujours cette appréhension d’aller toujours trop vite, je voulais prendre mon temps… Mais je ne pouvais pas me le permettre. Plus maintenant. La guilde était encore vulnérable, je devais faire au plus vite. Et je retournerais à l’hôpital à mon retour, j’ai vraiment pas été gentil avec les infirmières ; elles ne faisaient que leur travail, et je leur avais tout gâché en partant comme ça.
Mes bandages me tiraient encore beaucoup, et je ne m’en rendais compte que maintenant, à mesure que les cahots du wagon me faisaient tressauter. Je pensais même que Wendy aura du boulot quand je serais rentré. Si jamais je rentrais…
Toutes ces aventures que j’ai vécues me faisaient penser que la vie de Mage était décidément trop dangereuse.
*Pourtant, c’est toi qui as voulu le devenir, Ed…*Ça, je le savais. Ça a toujours été mon rêve depuis que j’avais vu cette femme aux cheveux rouges débouler dans la rue dans une voiture alimentée par magie. Depuis que j’avais vu Erza aux commandes de ce véhicule pour aller combattre la guilde d’Eisenwald. La vie de mage était la mienne, je l’avais choisie, ou plutôt c’était elle qui m’avait choisi ; je ne crois pas vraiment au destin, mais là, j’étais sûr d’une chose : peu importe ce qui serait advenu, j’aurais été Mage de toute façon. La vie de mage est certes dangereuse, mais c’était depuis que je suis entré à Fairy Tail que j’avais l’impression d’être enfin véritablement à ma place. Fairy Tail… Ma deuxième famille… Je n’avais pas été capable ne protéger ma première famille, et maintenant ma seconde venait de subir un nouveau coup dur, et je n’avais pas été en mesure de riposter, de vaincre cet adversaire qui avait si lâchement attaqué la guilde.
*Pourquoi tu nous as laissé tomber, Ed ? Tu nous avais promis…*L’image de Simon me revenait en tête alors que j’arrivais aux abords de la ville de Kunugi. Mes amis orphelins avaient-ils trouvé une famille ? Un hébergement ? Étaient-ils toujours ici, dans cette ville où j’ai passé presque la moitié de ma vie ? Mais une promesse est une promesse, je me devais de la tenir.
- Kunugi, deux minutes d’arrêt !Je prenais ma bonbonnière, me passait rapidement mon manteau en lambeaux, et descendait de ma voiture. Je m’arrêtais sur le marchepied, soudain pris d’une vague de nostalgie. Les rires, les larmes, les joies, les peines. J’avais vécu tout cela dans ces rues, sur ces mêmes quais. Où êtes-vous, mes compagnons de jeu d’antan ? Je versais déjà une première larme, et je continuais de pleurer à mesure que je marchais inexorablement vers la forêt. C’était là la première étape de mon pèlerinage.
Je me souvenais toujours de la route qui menait à Edelweiss. Mes pas se faisaient claudicants à mesure que j’approchais de mon village natal. Le jour y était à la fête, mais mon coeur n’y était pas. J’avais échoué. Sans prendre part aux vivats et aux éclats de rire de la foule, je traversais le hameau sans mot dire. Plusieurs personnes m’avaient reconnu, mais je les ignorais. Trop de souvenirs revenaient, mais aucun ne concernait les habitants. Sans prononcer le moindre mot, je m’enfonçais sous les frondaisons des arbres centenaires qui faisaient la fierté de Kunugi, tout en continuant de pleurer.
Un quart d’heure plus tard, je parvenais à la clairière qui jadis était ma maison, mon foyer. On y voyait encore les vestiges calcinés de la cahute dans laquelle je vivais. Là, devant les trois pierres qui étaient derrière la cuisine, je ne pouvais plus me retenir. Je tombais à genoux devant ce qui fut mon “chez moi”, l’endroit où j’avais vécu les 10 premières années de ma jeune vie.
Je ne pouvais plus retenir le torrent d’émotions que j’avais jusque là refoulé. Malgré moi, je libérais ma tristesse, ma peine, ma détresse, et je me mis à hurler tandis que mes larmes se déversaient sur mes joues, mon visage et mes épaules.
- Revenez, les copains !
J’avais six ans à l’époque. Les blaireaux quittaient mon chemin alors que je les pourchassais, jouant à chat avec des amis qui ne pouvaient pas me comprendre. Je continuais de courir dans les bois à la poursuite des rongeurs, me prenant dans les racines. Papa ne restait jamais loin de moi, et je ne fus pas surpris de l’entendre m’appeler pour le goûter. Je laissais mes nouveaux amis qui venaient juste de s’installer dans un terrier proche et retournais dans la cabane pour manger les pains aux pains aux raisins que mon père avait acheté le matin même au marché d’Edelweiss.Je ne m’étais pas aperçu qu’à mesure que je hurlais ma détresse, je déversais aussi ma magie en un tumulte que je ne connaissais point. Au fur et à mesure que je pleurais, l’herbe, flétrie par le froid de cette fin d’automne, repoussait autour de moi, la terre s’aérait par quelque miracle, et mon manteau se réparait au fur et à mesure de ma lamentation.
Une odeur de fumée me tirait de ma partie de cache-cache avec les écureuils. Ce cauchemar, je l’avais fait je ne sais plus combien de fois depuis ce funeste jour. Je m’en rappelais dans les moindres détails, si bien que je savais exactement, à la seconde près, ce que j’allais voir. L’affreux monsieur balafré, la maison en feu, la jolie madame qui pleurait… Moi entrant dans la fournaise contre mon gré…
*N’oublie pas ta promesse, Edward…*Mes larmes s’étaient taries depuis un temps incertain. Cela devait faire des heures que je suis arrivé ici, si bien que le soleil qui était haut dans le ciel à mon arrivée a désormais parcouru les trois quarts de sa course. Je quitte la lande en jetant un seul regard derrière moi. Un rond est désormais couvert d’une herbe verte et grasse, là où je m’étais agenouillé, au milieu de la terre nue. Je n’ai plus la moindre poussière de magie en moi, mais ma fatigue s’était tarie en même temps que mes pleurs.
Une résolution s’est ancrée en moi.
Plus jamais je ne laisserais quiconque ou quoi que ce soit m’empêcher de tenir mes promesses.
Dès le lendemain, je me mettrais à la recherche de mes amis, et je leur remettrais le reste de mes économies après avoir passé une nuit à l’hôtel.
Je tiendrais mes promesses, papa.