Désastre. S'il y a un mot à choisir pour qualifier la situation, je prendrais celui-là. Désastre, pour les pierres tombées lors de cet affront. Désastre, pour le sang qui a coulé tout du long, pour la vie de nos proches qui s'en vont, pour les flammes charognardes qui s'en prennent aux derniers blessés. C'est un brasier qui s'approprie le champ de bataille qu'on nous a laissé, des fumées éparses à l'odeur de cadavre qui, comme une prière, s'élèvent vers le ciel. En guise d'offrande des nuées de carbone aussi noires que la peau calcinée des arbres qui ont lutté au nom de la guilde, vaillants soldats, fruit de la magie d'un disciple de l'inconnu. Du moins c'est ce que je crois car cet homme, je ne l'ai vu que de loin et pourtant sa chevelure ne m'est pas inconnue. J'étais dans les airs quand je l'ai vu arriver, j'étais à côté de sa magie et j'ai senti quelque chose de connu sans que cela ne me paraisse familier. Une rencontre d'un jour, un échange de regards qui s'est exercé à notre concours, mais son visage sûrement pourra me rappeler son identité.

Toujours dans les airs car mon esprit à repris son envol après l'explosion, je plane au-dessus des décombres à la recherche des survivants. La plupart d'entre nous avait l'air bien amochée, même bien plus pour d'autres alors il faut croire que c'est à mon tour d'agir. Je n'ai pas pu rattraper Christina alors autant m'assurer qu'il n'y ait pas d'autres morts.

"Iron, descends si tu veux bien. "

La machine ailée virevolte en un cercle pour descendre et se rapprocher de la terre tandis que je tente de repérer quelqu'un. Je vois alors deux silhouettes au milieu des flammes et je reconnais alors ce mage et pourtant son nom ne me vient pas à l'esprit. C'est cet homme avec qui j'ai partagé un numéro de cirque et d'ailleurs il me semble qu'il ne s'est jamais présenté. Quelle enflure ! A cause de lui je l'ai oublié trop facilement. Iron atterrit au beau milieu du cercle embrasé, face aux deux loques ensanglantées et je mets un pied à terre tout en essayant de reconnaître la femme aux côtés du mage. C'est... Anri ? Ma tête se courbe sur le côté pour la voir sous un autre angle mais je pense pouvoir reconnaître sa chevelure. Je la soulève alors et la dispose sur le dos d'Iron qui décolle alors pour la ramener dans un lieu épargné par les flammes. Je regarde alors le mage qui est dans un piteux état et je me rappelle encore que je lui en veux de ne m'avoir toujours pas donné son nom, je pourrais le laisser ici rien que pour ça... Mais je lui dois quelque chose, nous lui devons quelque chose.

"Bon, je vais devoir me salir cette fois par ta faute, alors retiens bien ce que je vais faire parce que c'est pas pour tout le monde que je fais ça."

Je retrousse mes manches et soulève le corps d'Altiel avec quelques difficultés premièrement, trébuchant presque et soufflant face à l'effort et la chaleur des flammes. Puis un halo jaune naît autour de mon corps, fruit de ma magie, me procurant la sensation d'être béni par la lumière et de sentir la vitesse malgré le fardeau sur mes épaules. Et je cours, je traverse les flammes malgré leur danse macabre et menaçante qui s'étend sur plusieurs mètres. Je plisse les yeux, je serre les dents et je crie de douleur face aux picotements qui naissent un à un, et à chaque fois que le feu vient caresser ma peau il me semble que la douleur est encore plus forte. Puis le vent la balaye, elle ainsi que la flamme qui s'écarte tandis que de l'autre côté une nouvelle vient me caresser. Finalement je sors de cet enfer, je m'écroule à terre de douleur et Iron vient pousser le corps d'Altiel pour me libérer de sa charge. Je le regarde alors que ses yeux semblent toujours fermé puis, la joue collée contre le sol, je lui dis en face.

"Tu t'es battu pour ma guilde, inconnu, mais maintenant nous sommes quittes. "

L'absence, le néant, l'inconscience. Comme un spectacle étrange, un spectacle où les méandres d'une scène improvisée se constitue, une scène dont les filaments d'énergie semblent partir dans toutes les directions, des filament s'unissant en un point, son coeur alors qu'il se trouve face à l'étrange spectacle. Un spectacle aux allures d'absurdité tragique, de ces histoires montreuses que le temps nous a donné pour le plus grand plaisir de nos pulsions déjantées, comment est-ce qu'ils appellent ça déjà ? Catharsis.

C'est comme une jointure, l'endroit où se rejoignent l'ombre et la lumière dans un espace indéfini dans le temps et l'espace.
Solitude, incertitude & silence.
Est-ce ça mourir ?

Une question sans réponse alors que les files d'énergie tissés tel une toile d’araignée dans l'espace semblent soudain s'agiter, certains sont plus brillant, certains comme sur le point de s’évaporer, reliés en un point unique : son coeur.
Le coeur de l'âme.

Dans les ombres les filaments semblent se noyer, comme s'étendant vers une terre inconnue, un silence brisé alors qu'une voix répond, sa silhouette aqueuse émergeant sur la scène, une silhouette où vibre la toile étrange alors qu'elle traverse son coeur. Une simple phrase alors qu'elle le toise de ces yeux d'opale. Tu n'es pas mort.

Et comme le prélude macabre d'une pièce ancienne, c'est une à une que les silhouettes s'imposent sur la scène lui faisant face, la toile comme vibrant alors que c'est chaque coeur que les arabesques semblent relier en un congloméra d'énergie sur le point de saturer. Tous sauf une.
Il est là, ce lien faible et ténue, comme sur le point de se briser, cesser d'exister, partant de son coeur, de son coeur et des leurs comme pour rejoindre un inconnu que l'on ne voit pas.

Et lentement dans son esprit les images reviennent au rythme d'une litanie furieuse dans les méandres de son esprits, désolation et violence. La douleur venant lécher son corps de son horrible touché, celle d'avoir l'impression de se désagréger, le souvenir ancien et ténu de la peur et de la panique dans les profondeurs de la forêt, celui d'une course pour la survie, celui d'une chute, d'une chute et de la violence d'un coup avant le néant. Le souvenir de la terre s'engouffrant dans sa trachée et ses poumons, l'envie impétueuse de crier, la frénésie des gestes prisonniers d'un étau de terre humide. Puis tout simplement le souvenir de la mort, le souvenir d'un flux étrange, comme syphon pour nous aspirer alors que notre corps disparait, s'engouffre dans les profondeurs obscurs, le souvenir d'une explosion alors que c'est comme si cette puissance qui nous dépasse nous unissait à la terre, aux racines grouillant dans ses profondeurs, comme si à travers chaque plante, chaque fleur, chaque écorce, chaque bourgeons on renaissait, on respirait.
Les images cessent en un tourbillon brutal, comme pour nous pousser plus loin dans les méandres d'un lien indicible, indivisible, des souvenirs qui ne sont pas les notres alors que pourtant quelque chose nous y relie. Celui d'une naissance et d'un cri.

Rupture alors que tout s'arrête, que tout se fige, qu'au loin les silhouettes semblent se noyer alors que notre corps semble tirer vers le haut, comme pour nous arracher à cet endroit, nous arracher à un savoir que nul ne doit atteindre, une connaissance interdite.

Que l'on rejoint cette lumière étrange, comme scintillante et brillante, une lumière dans lequel on plonge alors que l'écho sourd d'une voix retentit dans un battement brumeux de paupière, les traits trouble d'un visage que l'on connait. Une incompréhension alors que doucement l'esprit s'éveille, que le visage disparait sans que nous comprenions les paroles qui nous sont adressés. Un état de flou et de brume, de douleur alors qu'elle revient comme un pic brutale et violent pour meurtrir la peau et les eaux dans une fumée épaisse.

Les éléments qui s’éditionnent pour se remettre en ordre alors que l'on distingue le décor de désolation et une chevelure rose, que tout est fumant alors que le feu a cesser de corrompre de son touché. Puis cette sensation de bien être, comme une sérénité du corps alors que lentement la douleur disparait, le corps retrouve ses sens et l'esprit une certaine lucidité alors qu'il se redresse brutalement en une respiration haletante, un réflexe étrange alors que sa main vient se plaquer contre son propre coeur comme pour le serrer. Un regard hagard et perdue alors que s'imposent les visages inconnus pour la plupart, à l'exception de deux dont les noms lui échappent.

La reprise d'une certaine contenance, une peur furtive alors que son regard se braque sur Anri, que son visage affiche la quiétude d'un enfant emmené par Morphé, un soupire de soulagement et l’espérance désuète de croiser parmi ces visages le reflet du siens, espérance morte née alors que lentement il se relève, titubant légèrement, encore choqué de tout ce que son esprit et son corps avaient vue défiler. Puis la vision d'un tatouage familier, le souvenir d'une promesse, voir les poneys alors que tout finit de se remettre dans l'ordre au sein de son esprit.

La compréhension soudaine alors que c'est à mi-mot, comme un souffle prêt à mourir étouffé par le vent que sa voix retentit faiblement.

" Poneys... "