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Awake - Six ans d'absence
 MessageSujet: Awake - Six ans d'absence   Awake - Six ans d'absence EmptyMar 23 Déc - 19:29

Oméa K. Shizuka
Oméa K. Shizuka

Ajatar Virke

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I'm Awake


J’ai toujours imaginé le monde comme un immense bocal. Un bocal rempli de bille ou chaque couleur est différente de l’autre et a sa propre influence sur les autres. Dans cette vision-là, j’ai toujours été à l’extérieur de cette sphère de verre, éloignée de tous ce qui pouvait vraiment signifier quelque chose. Une prisonnière, un cœur déphasé de la réalité. Oui, tout ce temps, je n’ai été que ça. L’esclave d’un idéal faux et d’un chemin tracé dans le sang de mes ainés. Hantée par l’image subliminale de ce que je ne pourrais jamais être. Une partie libre de ce monde. Une partie ronde et uniforme à la couleur chatoyante qui n’existe pas. Puis un jour, cette sphère si parfaite et lisse avait disparu. Ce monde si clos et si éloigné avait perdu l’enveloppe qui le protégeait, cette même enveloppe qui m’empêchait d’y pénétrer. Le vide parfaitement noir n’était plus qu’éclairé par les milliards de billes colorées et irisées, éparpillées au milieu des éclats de la sphère transparente. Et moi j’errais là, les yeux pétillants en observant chacune d’entre elle comme si elle pouvait s’évaporer dès que j’aurais le dos tourné. Mes mains les effleuraient une à une, mes doigts se couvraient lentement de cette couleur étrange et le la lumière qui les animait avant qu’il ne m’abandonne de nouveau, dans le noir complet. Lorsque j’arrivais enfin au centre, là où s’était tenue la sphère qui m’interdisait tout passage, je tendais une main avide vers la plus belle bille de toute. Et, alors que j’effleurais la surface à bout de bras, je me retrouvais de nouveau dans le noir. Glacée jusqu’aux os et seule. Désespérément seule.

Aujourd’hui encore je tremble en saisissant ma propre arme, cachée dans la cabane ou je vis depuis six ans. Ce n’est pas de la peur, pas de la crainte qui anime ce mouvement. C’est le poids qu’il comporte. Un poids que j’ai si longtemps jugé comme dérisoire et qui maintenant ronge jusqu’au tréfonds de mon âme. Chaque meurtre m’a hanté depuis ses dernières années. Chaque visage, chaque esprit. Suis-je folle ? Suis-je morte ? Peut-être. Pourquoi pas, après tout ce temps ? Mes yeux caressent l’arme que j’ai faite apparaitre, comme chaque jour depuis que je suis ici. Jamais la même mais pourtant, je n’ai jamais eu autant l’impression qu’elles étaient semblables. Je n’ai jamais autant remarqué de détail que maintenant que je passe facilement la moitié de la journée à méditer, face à face avec elle. Mais malgré cette habitude, les enfants des villageois viennent me voir et me parlent. Du temps, de la pluie ou de la santé de la petite chèvre Dolly. Ils me racontent des histoires, me montrent des jeux dans la pénombre de la maison qu’on m’a donnée. Ils font de leur mieux pour que je me sente mieux, pour que je sourie aux autres chasseurs lorsque nous partons à l’aube. Mais rien n’est sorti depuis tout ce temps. Alors ils disent que je suis cassée. Que pour me réparer, il faut faire de leur mieux, travailler toujours plus dur pour qu’un jour cela se réalise.

L’ancienne femme que j’étais aurait souri devant cette ironie. Elle aurait aussi souri devant cette sorte de chagrin, de monotonie de l’âme qui me glace jusqu’aux os. Elle n’aurait pas compris. Elle ne comprendrait pas plus que ces enfants que rien ne pourra me rendre ce qu’on m’a volé. On m’a pris un père, un ami, pire, une sœur. Seulement, lorsque que la dette a été remboursée, je suis restée seule. Désespérément seule avec mon arme couverte de sang, au milieu des cadavres. L’Ordre, son culte et toutes les choses horribles qu’il avait orchestrées n’étaient plus mais l’équilibre n’avait pas été rétabli. Leur sang ne m’avait pas ramené ceux que j’avais perdus. Je n’étais plus qu’un pantin déchu, sans lien ni but. Juste une enveloppe vide qui s’était jetée à corps perdue dans un gouffre sans fin. Ayant quitté les lieux du massacre, j’avais fini par m’écrouler sur un chemin, transie par la soif et la faim avant qu’on me trouve et que l’on nous ramène ici, Azariel et moi.

Aujourd’hui, les enfants sont entrés avec des billes. Des dizaines de billes aux couleurs fades qui ont piqué ma curiosité. Pour la première fois depuis six ans, je me suis risquée à m’assoir près d’eux et à les regarder comme à l’époque, lorsque que je n’étais pas rongée par le vide. Azariel, devenu un fier lion, s’est même risqué à me rejoindre et à participer en poussant certaines des billes selon un étrange schéma que les enfants ne cessent de brouiller. Puis mon intérêt s’est détourné. J’ai alors fait sortir les gamins parce qu’ils gênaient le processus de mémoire qui risquait de me faire perdre la tête. J’ai vaguement esquissé une ébauche de sourire en faisant sauter l’un des sacs de bille dans ma main avant d’approcher de ma table pour la pousser contre la porte. Ce pressentiment n’est pas nouveau. Il me pousse à m’isoler parce que je sais que tôt ou tard, je vais hurler et revivre un souvenir horrible. Son souvenir à Elle, celui de Sa mort. Lentement, je m’assoie sur le parquet poussiéreux et je ferme les yeux en ignorant les grognements d’Azariel. Nous savons tous les deux que j’émergerais une poignée d’heure plus tard et que je me mettrais à regarder mes armes.

La triste réalité, c’est que le village tout entier me croit folle à lier. Personne n’ose me tenir tête ni m’arrêter lorsque je prends une décision, de peur que je ne m’en prenne à eux. Ils ont implicitement choisi de laisser deux d’entre eux me surveiller la nuit. Les villageois ont aussi tenté d’éloigner les enfants, craignant autant que je ne les blesse ou que je ne tente de les entrainer avec moi dans la folie. Un échec puisqu’ils viennent dès qu’ils le peuvent. Ils croient dur comme fer que je suis quelqu’un de bien. Une héroïne traumatisée comme dans les histoires que leur racontent leurs mères avant qu’ils aillent se coucher. Je n’ai jamais osé leur montrer le petit coffre d’arme qui git sous mon lit en attendant de retrouver son emploi un jour. Je n’ai jamais non plus réussi à leur faire comprendre pourquoi les villageois m’ont mises à l’endroit où arrive les voyageurs, espérant que cette tente constamment enfermée dans la pénombre et son occupante au visage vide ainsi que son lion de compagnie les dissuade de faire quoi que ce soit de néfaste aux habitants. Cela semblait marcher depuis six ans. Jamais aucun d’entre eux ne s’était encore plaint de vol ou d’attaque. Mais était-ce par orgueil ou par réelle absence de méfait ?

Je me réveille au milieu de ma pièce à vivre, tremblante et trempée de sueur. Mes yeux croisent chaque entaille, chaque meuble volé en éclat sous ma mélancolie, avant de se fixer sur les billes. Je tends la main et fais basculer le sac, éparpillant chacune d’elle sur le sol. Comme dans mon rêve. Mon autre main cherche à tâtons l’une d’entre elle dans la pénombre de la nuit où je viens de m’éveiller. Une paire d’yeux jaune irisé pétillent sans quitter le moindre de mes mouvements alors que les vases volent en éclat sous la chaleur. Je sursaute et tends l’oreille pour écouter un son que je n’avais pas entendu depuis six ans. Des cris et au milieu de ceux-ci, plus discret, plus ténu, des rires rauques. Des bandits, vraisemblablement. Je m’approche de mon lit à pas de loup et m’accroupis pour saisir mon secret. Le petit coffre et tous ses fourreaux sont toujours là, à m’attendre. A attendre le jour où leur temps serait venu. Mes dagues de lancer retrouvent leur place contre le tatouage des esclaves de Bosco contre ma hanche. Mon stylet coulisse dans un son feutré, parfaitement à l’aise dans ma botte. Je fais jouer mes épaules et décoche un coup de pied pour ouvrir ma porte, laissant l’odeur de fumée et de sang venir me chatouiller les narines. Je me jette dehors, saluée par le feulement de colère du lion.



« Luxury’s Gift. »

La magie me parcourt lentement et permute mes tenues sans que j’aie à m’inquiéter de quoi que ce soit. Le souffle court, je me glisse entre les maisons en proie à l’incendie pour me rapprocher de la source du bruit. Dans mon poing, fermé à m’en faire blanchir les jointures, se tient une des billes que j’ai empruntés aux enfants. Mon cœur bat la chamade. Pourvu que j’arrive à temps. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard. Pourvu qu’ils soient tous vivant. J’accélère le pas en sentant l’odeur âcre de la chair grillée. Ils n’oseront pas. Ils n’oseront jamais… Avant de m’en rendre compte, ma main libre s’est refermée sur le pommeau de mon arme. Je soupire. Je croyais qu’en six ans, un automatisme comme celui-ci aurait disparu mais on ne chasse pas le naturel, on dirait. Le visage d’Elena flotte dans un coin de ma tête, comme pour me rappeler la dernière fois que j’ai utilisé les démons pour obtenir vengeance. Cette dernière fois, j’avais tué ma propre sœur. Aujourd’hui, ce serait différent. Personne ne pourrait m’empêcher d’arrêter les bandits. Personne.

La première ombre qui passe dans mon champ de vision n’a pas le temps de se retourner pour croiser mon regard avant de s’effondrer, un couteau planté dans les cervicales. Je n’ai pas le temps de penser à qui ils sont. Ni à leur raison, ni même à la justesse de ce que je fais. Je suis un assassin, avec des réflexes d’assassin, des sens d’assassin et une conscience d’assassin. Jamais je ne pourrais exercer un semblant de justice. J’entends un cri dans mon dos, suivi par le rugissement d’Azariel. Depuis toutes ses années où il attend que je me décide enfin à me réveiller. Décidemment, il n’y a pas plus patient qu’un ange. En particulier quand ce même ange attend avec impatience quelque chose qui aurait dû être fait il y a des années. Un maigre sourire traverse mon visage alors que j’abats mon second bandit, m’approchant toujours plus vite de la source des pleurs qui ont remplacés les cris. Traquant la victime suivante, je remarque l’irrégularité de leur méthode. Ils se tiennent à chaque coin de rue, comme s’ils attendaient quelque chose… ou plutôt quelqu’un. Mon sang se glace. Personne ne s’intéresse aux petits villages désolés de Desierto. Personne sauf les esclavagistes, Oméa. Je cesse de bouger en plein milieu de l’espace principal et annule toute trace de magie sur moi avant de hurler aussi fort que je pouvais en tombant à genoux. Les hommes de mains ne tardent pas à m’attraper et me ficeler comme un saucisson avant de rejoindre les autres. En arrivant dans la tente principale, je prends soin de faire disparaitre jusqu’à la moindre trace de mon lien avec la magie. S’ils pensent que je suis faible et choquée, ils m’oublieront. Je me remets à hurler en mâchant les mots pour faire disparaitre le moindre sens dans mes paroles. Croyez-moi folle. Comme tous les autres. L’homme qui me portait jusque-là me jette violement sur le sol, espérant peut être me faire taire. Erreur. Alors que je me prépare à renouveler mes cris, je sens des dizaines de regard dans mon dos. Je tourne la tête et croise les yeux de quelques villageois et abandonne aussitôt mon idée. Ils sont terrorisés mais me regarde comme si je pouvais les sauver. Ils n’ont pas d’autre mage que moi dans le camp. Je frissonne et me tortille pour me rapprocher d’eux. Quand j’arrive à leur hauteur, les regards ont changés. J’y vois tous les sentiments s’y mélanger et prend conscience que chacun d’eux me considère comme des leurs. Je vois une des anciennes surveiller mes liens du coin de l’œil, surprend un jeune homme s’inquiéter de savoir comment je vais, une mère laisser échapper un soupir soulagé. Je me mords la lèvre et reporte mon attention sur les inconnus qui occupe la tente.

« Sharp Trick. »

Mon murmure passe inaperçu au milieu des sanglots et des grognements de frustration des prisonniers. Ce qui est cependant moins discret, ce sont les rires gras des hommes qui détaillent une de leur prise, le fer magique avec leur marque à la main. Je tranche proprement mes liens avant de glisser la lame à mon voisin pendant que les esclavagistes ne regardent pas. Peu à peu, chaque villageois retrouve sa liberté de mouvement et se calque sur mon comportement. Je révoque enfin l’arme et m’éloigne petit à petit du groupe. Pour la suite, j’ai besoin d’attirer l’attention, de prendre la place du prochain à monter sur les tapis pour être marqué. Quand j’échange avec la jeune fille tremblante de peur, celle-ci me remercie, me tirant un clin d’œil complice.

« Apporte la suivante que tu as détaché et met celle-ci dans la cage dehors. »

Le chef reprend sa discussion avec le noble à côté de lui. Une discussion très animée à propos des tendances de Bosco en matière d’esclave. Le larbin me soulève par le col et me pose délicatement sur les tapis, devant les deux hommes. Scrutant leur visage, je m’aperçois vite que j’en connais vaguement un. Un vieux murmure dans les tavernes d’il y a six ans devenu réalité. Le brun, à droite, s’appelle Jackie. Jackie du sceau des fauves. Il a pour coutume de marquer uniquement les femmes pour les éduquer et de revendre aussitôt les hommes aux plus offrants. Son signe distinctif, c’était sa lèvre tordue dans un rictus un peu étrange. Vraisemblablement la conséquence d’un affrontement ou de quelque chose du genre. L’autre par contre, devait être encore tout récent parmi les nombreux propriétaires terriens de Bosco.

« Lève-toi ma fille. J’aimerais te voir correctement. »

Je m’exécute en serrant les mâchoires. Ils ne doivent pas voir le symbole sur ma hanche. Jamais. Mes yeux furètent d’un bout à l’autre de la tente pour compter les gardes. Quatre plus les deux gugus devant moi. Je regarde les villageois et lâche un soupir lorsque le noble fait mine de me tourner autour. Je me retiens d’ouvrir la bouche pour répliquer lorsqu’il annonce qu’il me « prend ». Je ne suis pas un bout de viande. Mon sang bout en moi, dopé par la colère et l’adrénaline. Je n’ai jamais su me tenir tranquille. Mettre ça, maintenant, en pratique est un véritable supplice mais je tente de rester calme. De garder un semblant de contrôle entre les deux extrêmes que sont la haine et le vide alors que le type approche toujours plus près. Centimètre par centimètre avant de retourner s’assoir. Un sourire apparait alors qu’il me fait signe de me déshabiller.

« Va te faire voir. Chain of Envy. »

Deux cercles noirs de jais s’ouvrent dans le sol, crachant la chaine qui s’enroule comme elle peut autour des deux cerveaux du groupe d’esclavagistes. J’enchaine aussitôt avec la faux, passant dans leur dos pour faire face aux gardes. Le noble n’avait aucune utilité dans ma manœuvre et fut sèchement assommé. Je plaque mon arme sur la gorge de Jackie et montre les otages du menton.

« Vous allez libérer les gens dehors et ceux-ci aussi. Le premier qui tente de faire le malin aura la mort de son supérieur sur la conscience. » Mon regard dévie vers l’un des hommes qui vient de faire un pas en avant. Je rapproche lentement ma lame et dessine un trait fin sur le menton de ma cible. « Avance encore un tout petit peu. » L’homme me dévisage, surprit. « Oh si si, vas-y j'insiste. J'adorerais que cette histoire finisse en bain de sang.
- Vous êtes sourd ou quoi ? Elle a dit tout le monde dehors alors bougez-vous
. »

Tous les gardes se ruèrent à l’extérieur sans demander leur reste, me laissant seule avec les otages et le chef de bande. Première partie enclenchée. La chaine jaillit par un nouveau cercle et s’enroule autour des mains de Jackie. Extraire la totalité des maillons de l’Envie est un processus long et ennuyeux, sans parler de la concentration nécessaire à faire disparaitre les deux autres cercles de sortie. Cependant, le jeu en vaut la chandelle et emmitouflé dans mon arme comme il l’est, il ne causera plus le moindre problème. Je fais signe aux villageois et la tente se met à fourmiller. Le noble est attaché puis roulé dans un tapis alors que j’avance avec le cerveau du groupe jusqu’à la sortie avant de m’arrêter. Il peut y avoir un piège à l’extérieur. Pire, la mort elle-même peut m’attendre dehors. Je grogne avant de siffler Azariel. Un rugissement me répond de dehors et j’entends le fracas lourds d’une épée qui touche le sol. Visiblement j’ai vu juste. Je pousse l’homme hors de la tente et change d’armure. Belial sur le dos et Baal dans l’autre, je glisse à sa suite.

« Qu’est-ce que vous attendez pour me détacher bande d’incapable ? Cette salope est encore dedans, c’est le moment ou jamais !
- J’ai entendu, Jackie.


Un maigre sourire s’étire sur mes lèvres alors que le vendeur d’esclave devient blanc comme un linge et me cherche du regard. Je le pousse du bout des doigts, parfaitement consciente qu’aucun des gars tapis dans l’ombre n’ose bouger en voyant leur maitre pâlir et le lion décrire des cercles concentrique autour de nous. Ils me cherchent du regard, ne remarquant même pas l’ombre ténue qui se mouvoie dans l’obscurité. Je me retiens de soupirer devant cette bande de bras cassés et pousse mon prisonnier sur le chemin principal entre les tentes.

« Appelez tous vos bon à rien à l’entrée du village après qu’ils aient libéré les habitants. . »

Le brun se met à aboyer des ordres et je m’arrête pour observer les déplacements rodés du groupe qui se réunit en deux temps trois mouvements. J’entends des pleurs dans mon dos, des voix soulagées de proches qui se retrouvent après une grosse frayeur. Je pousse les bandits plus loin, les éloignant toujours plus des tentes. Je finis par arrêter la marche après une bonne poignée de minute et me retourne pour observer les lumières dansantes des flammes qui lèchent les tissus et les peaux huilées. La distance me semble suffisamment importante, je fauche le pauvre type que je détiens pour qu’il mange le sable. Mon pied se pose sur sa tête et ma voix retentit, impérieuse.

« A genoux, vous tous. . »

Ils sont une dizaine à regarder le vide d’où provient le son. A dévisager l’empreinte dans les cheveux graisseux de leur chef. Je répète mon ordre en faisant jouer mes épaules. Azariel grogne en se glissant dans les rangs, me rappelant que je n’avais pas pris la peine de les débarrasser de leurs armes. Foutaise. De toute façon ça ne changerait pas l’issue de ce qui allait arriver. J’échange discrètement mon stylet contre l’arc, que je bande aussitôt.

« Qui vous a envoyé ? .» Jackie sceau de fauve remue sous moi, me forçant à lui enfoncer un peu plus la tête dans le sable. « Silence poussin, laisse les grands discuter entre eux. Alors ? Qui vous envoie ? Dépêchez-vous, je risque de perdre rapidement patience…

Aucun ne pipe mot, tous fixé sur leur chef qui mangeait la poussière par bourse entière à force d’essayer de s’époumoner. Rien à tirer de ses types. Ils étaient persuadés qu’ils survivraient, quoi qu’il advienne. Soit. Il est temps d’écraser leur espoir dans l’œuf. Je vise la tête d’un des hommes de main et lâche ma flèche. Il s’écroule lentement, le trait noir de jais planté entre les deux yeux. Azariel rugit, faisant sursauter certains d’entre eux.

«Je n’ai pas toute la nuit pour ces conneries alors soit vous êtes coopératifs et vous avez une maigre chance de survivre, soit je vous abats sur place comme des chiens. Alors ? Toujours rien à dire ?
- On… on sait pas M’dame…
- Voyez-vous ça. Je peux donc en tuer un autre alors ?
- J’vous jure qu’on en sait rien, laissez-nous partir...
. »

Il s’écroule en hurlant, une flèche plantée dans l’abdomen. La majorité des survivants se lèvent, outré, pour se jeter sur moi. Je tire sur le plus proche, ne me préoccupant pas le moins du monde s’il y survivra ou pas.

« Assis ou je vous élimine.
- Je vous en supplie… Laissez-nous partir…
- Vous n’alliez pas laisser partir les gens de ce campement, pourquoi je le ferais avec vous ?
- Ma fille … Elle n’aura plus personne pour…
- La belle affaire. Tu aurais pu y penser avant d’enfermer ces pauvres gens. Vous n’avez même pas idée de ce qui allait leur arriver et vous osez demander pitié ?
.» Ma pression sur Jackie se renforce malgré moi et je le sens lentement faiblir. Il étouffe dans le sable. Je change d’appuis pour le laisser respirer et reprend ma conversation. « Vous me donnez envie de gerber. Si ça ne tenait qu’à moi, je vous tuerais sur le champ. Sauf que je veux une réponse. Maintenant.

Un autre larbin tente de négocier son sort et s’effondre dans le sable, les mains en coupe autour de la flèche qui lui orne la poitrine. Ma maigre patience touche déjà à sa fin. Je bande à nouveau l’arc et écoute le suivant pendant qu’il génère la flèche qui me servira à m’en débarrasser. Azariel passe entre les rangs pour mieux tenir les bandits en respect, les yeux fixés sur moi. Je sais qu’il est mécontent, il n’aime pas le sang. J’aurais pensé que le fait qu’il soit déchu le ferait changer mais non. Il reste fidèle à lui-même, immaculé comme l’ange qu’il était. Un nouvel homme s’effondre avec le son ténu de la corde de l’arc vibrante en fond.

« Je … Je sais qui nous a commandé des gens de Desierto. . »

Mon attention se tourne vers le type qui vient de se lever sous le regard désapprobateur de ses camarades. Le voilà, mon traitre et parfait collaborateur. Il déballe lentement toute l’histoire en suant à grosse goutte. Tous ses petits copains le dévisagent comme s’ils allaient le tuer, même Jackie, le nez dans sa poussière, s’y met. Apparemment, c’est du lourd. Une collaboration entre deux groupes de chasseur pour une grosse commande de Pergrande Kingdom. Sceau de fauve et Ouroboros du désert. Le dernier nom me fait frémir et je baisse involontairement les yeux vers ma hanche. Le sceau est toujours là, marqué à l’encre indélébile sur ma peau pâle, comme un vieux rappel de ce que j’ai été. Voilà sans doute pourquoi la situation me hérisse autant le poil. Je siffle Azariel et il tire le traitre à l’écart. Il a gagné un sursis. Je jette le chef à ses subordonnés et je me glisse dans leur rang compact. Les chaines se détachent et disparaissent sournoisement dans un trou sombre. Je n’ai plus rien à faire avec eux.

« Infernal Pride.. »

L’épée à deux mains s’enfonce lourdement dans le sable alors que j’en attrape la poignée pour faire volteface. Le sang me gicle dessus mais je n’y prête pas la moindre attention. Je n’aime pas cette sensation qui accompagne le poids supplémentaire des gouttes d’hémoglobine sur ma peau mais on ne peut pas y échapper quand on tue à courte portée. Deux des larbins s’effondrent sur leur chef alors que je reprends ma danse macabre. Je fais peu à peu place nette alors que les lumières s’éteignent au loin. Les habitants ont dû s’occuper des tentes. Je finis par acculer le dernier survivant contre un rocher et me rend de nouveau visible. Dans ma main, l’acier froid de l’épée batarde semble se délecter de ce sang qui lui glisse le long de sa lame. Je n’ai pas besoin de me regarder dans un miroir pour savoir que mon visage, taché par les morts, est aussi glacial que mon arme. Je reconnais à peine ma voix lorsque, après un mouvement un peu trop brusque, j’appuis sur le thorax de l’ultime victime de mon massacre.

«En miséricorde, je t’accorde ton dernier souhait..»

*


Le campement se lève aux aurores aujourd’hui. Même moi, pourtant peu matinale, je tâche de me remuer un peu. Personne n’a posé de question sur les bandits quand j’étais rentrée pleine de sang et puant la mort. On avait caché les yeux des plus jeunes, laissé les adolescents me dévisager. Les centaines de regards se disputent entre le dégout naturel et la reconnaissance sans qu’aucun ne réussissent vraiment à l’emporter. Un vieil homme s’assoit près de moi alors que je défais lentement chaque pan solide de la yourte. Son attention entièrement tournée vers moi, il me donne l’agaçante impression qu’il a besoin de quelque chose. Plus encore, il joue avec un petit sac dont le tintement ne fait aucun doute pour moi. Le métal qui s’entrechoque n’a que deux mélodies pour moi. Celle, aussi belle que terrible, de la bataille et l’avilissante sonorité de cloche qui nous transforme tous tôt ou tard en esclave. L’argent. La porte solide se désolidarise des parois renforcées et tombe sur le sol, soulevant un grand nuage de poussière qui me fait toussoter. Le vieil, lui, se met à ricanner.

« Hé bien, hé bien. Où est passé la silencieuse et imperturbable jeune fille ?

Sa question me surprend un peu et je lève les yeux de mon ouvrage. La bourse se met alors à voler dans ma direction et instinctivement, je l’attrape et la sous pèse. Mon regard change mais je ne lui réponds pas. Il y a trop d’argent là-dedans. Pour une troupe nomade, sa simple existence tenait plus du miracle que de la nécessité, alors une quantité d’argent pareil n’avait rien de naturel pour un homme sensé pratiquer le troc. Azariel tire sur la manche de ma robe. Ce matin, une petite fille me l’avait apporté à la clairière où l’on se lave. Timidement, elle m’avait remercié et noué mes cheveux en tresse comme elle. Je me souviens encore de l’odeur de blé qui émanait d’elle, de son expression intriguée quand je lui avais adressé un sourire bienveillant ou encore de son pas sautillant lorsqu’elle m’avait quitté pour retourner voir sa maman qui m’avait donné l’espèce de robe claire, fendue, en tissus fluide. J’ignore pourquoi c’est cela qui me revient maintenant. Un avertissement, peut-être. Mon regard croise celui du vieillard qui attend toujours que je parle. Au lieu de ça, je lance la bourse à ces pieds et tire sur les cordes épaisses enroulées autour des piliers de la tente.

« Je n’en veux pas.
- Ce n’est pas un cadeau mais une requête, assassin.
- Je n’en veux pas plus, vieillard, fais-je en pliant le pan de toile que je viens de finir de détacher.
- Tu ne sais même pas de quoi il en retourne et tu refuses.
- Ce n’est pas parce que je me suis réconciliée avec mes armes que je reprendrais ma vie d’avant.
- Qui t’a dit qu’il s’agissait de ça ma petite ?
- Il n’y a pas trente raison pour s’adresser à un assassin, monsieur.
»

Mon ton est involontairement devenu venimeux, faisant sursauter mon interlocuteur. Il se met à cligner des yeux en cherchant ses mots tandis que je caresse Azariel, mécontente d’avoir laissé mes sentiments prendre le dessus. Aussitôt je me sens décalée vis-à-vis des évènements, ce qui ajoute un nouveau sentiment à mon visage qui tente de se concentrer sur le poil doux et rassurant du lion. Le vieil homme se lève difficilement de la pierre sur laquelle il était assis depuis le début de notre échange. Il se traine jusqu’à moi, tremblant sur ses jambes en s’aidant de sa canne de bois. Lentement, je me rapproche de lui pour lui faciliter la tâche. L’ange semble réagir comme moi et vient s’assoir à côté de l’ancien pour qu’il glisse sa main tremblante dans sa crinière. Maintenant que j’y fais plus attention, son souffle est saccadé, la poussière n’arrangeant surement pas ses difficultés. Mais cela ne l’empêche pas après avoir toussé, de reprendre la conversation.

« Je vous en prie, j’aimerais que vous protégiez mon fils.
- Les esclavagistes sont partis, il ne craint plus rien.
» Le vieil homme secoue la tête.
«Ce n’est pas d’eux que je m’inquiète. » Il reprend son souffle et se met à tousser bruyamment. Il me donne l’impression qu’il va finir par cracher ses poumons avant que je n’en sache plus. Mais heureusement non, il a beau être frêle, il est bien plus résistant que ça. « Chaque année, les clans se réunissent pour une fête. Celle-ci donne lieu à des concours, des échanges et surtout, à une série d’affrontement très populaire. Chaque clan choisi deux de ses membres et les fait donc combattre pour savoir qui est le plus fort d’entre nous. Cette année, mon fils a été choisi. J’en suis honoré mais, malheureusement, il n’est pas mage, contrairement à la plupart de ces adversaires… »

Sa voix se brise, me laissant songeuse quant à l’issue de ce tournoi pour un type comme lui. Tout d’un coup, la requête me parait étrangement contraire à ma nature. Je suis assassin, je tue, je ne protège pas. Et ce n’est pas une quelconque puissance que je leur fais miroiter qui changera la donne. Je regarde l’ancien sans réellement savoir quoi dire. Je ne peux que refuser, ma seule solution serait d’éliminer tous les participants pour permettre à son fils de continuer mais ce n’est pas là sa requête non. Il me demande de le protéger. Chose que je n’ai jamais fait et sans doute que je ne sais pas le faire. Le contact de sa peau sèche me tire de mes pensées et je baisse les yeux sur la main qu’il vient de saisir.

« Je sais que vous maniez les démons, que celui-là est un ange déchu. Je sais aussi que les clés de cette réussite sont entre vos mains, Oméa. C’est pour ça que pour une fois et sans doute la dernière, je vais vous apprendre ce que je sais. Mais je vous en supplie, sauvez mon fils. »

Ma main libre se verrouille sur celle du vieil homme et j’acquiesce. Il sait qui je suis, il semble peut-être même en savoir plus que moi, sur moi-même. J’ai entendu dire par certains qu’autre fois, il avait un don mais aucun n’avait jamais été d’accord sur son essence. Pour moi, seul quelqu’un capable de fouiller dans mon esprit pourrait savoir tout ceci. Je ne connaissais pas un très grand panel de mage pouvant répondre à cette description et ils étaient à mon sens, sans doute les pires parias de l’humanité, utilisés, menacés par les autres à cause de cela. Cependant, la question ne put s’empêcher de franchir mes lèvres. Elle tire un sourire mélancolique à mon interlocuteur.

« Je le sais parce que j’ai déjà passé un contrat avec les anges. Si celui-là est toujours ici, c’est parce qu’il t’a choisi pour les mêmes raisons que moi.
- Je ne comprends pas.
- Est-ce que tu m’aideras, jeune fille ? Fait-il en esquivant mon affirmation.
- J’imagine que la décision a déjà été prise
. »

Azariel me regarde intensément. Nous savons tous les deux que c’est une chance. Lui qui espère que je change, moi qui ne pense qu’à voir le monde autrement pour le recolorer. Le vieil homme se redresse lentement, malgré son dos qui crie grâce. Son regard est devenu intense et, plus singulièrement encore, il a changé de couleur. Le gris sombre de ceci est devenu vert comme les miens. Au loin, une femme appelle l’ancien avec douceur et celui-ci me lâche. Quand il fait demi-tour pour saluer l’inconnue, il murmure à mon attention.

« Fait route avec nous pour les prochains jours. Je vais vous présenter. »

Il s’éloigne tranquillement mais son allure est tout autre. Un vague sourire flotte sur mes lèvres quan je remarque la légère aura dorée qui circule sous sa peau nue ainsi que l’armure renforcée qui déforme discrètement sa veste ample. Ce vieil homme cachait réellement bien son jeu.

*

« Tu es trop lent, vermisseau

J’appuis mon affirmation et esquivant à nouveau son coup d’épée rageur. Ma main le poursuit dans son mouvement et le pousse sans ménagement. Dépassé par sa propre vitesse, le jeune homme s’emmêle les pinceaux et s’effondre dans la poussière en grognant. Je le regarde faire, me retenant de sourire. Moi-même, j’étais passée par là et je ne comprenais que trop bien ce qu’il ressentait. Toutefois, si je faisais preuve de clémence, je savais parfaitement qu’il ne serait pas prêt. Je le vois trainer un peu sur le sol, par pure flemmardise. Cette fois-ci, mon sourire apparait malgré mes efforts.

« Bon, cinq minutes de pause. »

Le garçon se retourne sur le dos et se met à regarder le ciel en soupirant. Je m’assoie sur le sol chaud et craquelé et l’observe. Plus jeune que moi d’une poignée d’année, il est long et quelconque. Il dissimule une musculature fine et souple sous de frêle bras et un très bon jeu de jambe malgré qu’il s’escrime à me dire le contraire. Son teint hâlé et son caractère philanthrope le rendent presque invisible dans la foule du campement, ce qui en fait là son plus grand atout. Seulement, il ne sera à mon sens parfait que quand il pourra rivaliser de vitesse avec moi. Trop grand et pataud, il a la fâcheuse tendance d’utiliser ses caractéristiques à outrances. Même si elles peuvent être efficaces, il faut doser chaque chose pour obtenir un équilibre parfait. Et c’est fatalement ce qui le mène à finir tête la première par terre. Le clan s’est arrêté il y a deux jours sur les lieux du rassemblement. Le chef avait volontairement choisi d’arriver très tôt dans la saison, comme d’autre petit clan. Les plus ne pointeraient sans doute leur nez que plus tard dans le mois, ce qui me laissait une avance acceptable pour préparer Asan.

« Dis-moi, d’après toi, pourquoi je peux t’éviter ?
- Je suis trop lent, d’après ce que tu racontes, siffle-t-il entre deux respirations, moi je pense plutôt que je manque de temps.
- Mais encore ?
- A chaque fois, on répète le même mouvement. Tu ne changes pas du tout ta façon de m’éviter et je ne change pas celle que j’ai d’attaquer.
- En effet. Mais pourquoi parler de temps ? fais-je
- Tu risques de te moquer mais je pense que tu agis en rythme. Je veux dire, un peu comme si tu te calquais sur mes mouvements et que tu utilisais ça pour m’envoyer bouler plus loin. Donc toi aussi, tu dois avoir un rythme comme ça qui me permettrait de faire la même chose, non ?
- Tu vas pouvoir vérifier ça tout de suite. Fin de la pause, on échange les rôles. J’attaque, tu esquives.
»

Je me lève et attend patiemment qu’il en fasse de même. Je recule alors à quelque mètre de lui, le temps qu’il se mette en position, fourreau croisé sous son nez et pieds légèrement écartés. Je grommelle et il corrige sa stature en se courbant un peu.

« Plus petit tu es, moins de prise et d’ouverture tu offres, lui rappelais-je. Maintenant observe et trouve le temps que tu cherches. L’exercice s’arrête si je parviens à te mettre au sol ou si tu réussis à parer toutes mes tentatives.
- Bien
. »

Il me regarde me baisser et passer mes mains dans un pot d’onguent que nous avait confié son père. Un joli colorant bleu turquoise, qui maculait déjà sa tenue d’entrainement tant ses efforts intenses manquaient de résultat. J’allais m’élancer quand je m’aperçus que je n’avais pas enfilé mes poids pour rétablir l’équilibre des forces. Je fais mine d’aller les chercher mais Asan me stoppe.

« Tu vas le regretter tu sais ?
- Les autres ne porteront pas de poids, pendant le tournoi.
- Soit. En garde.
»

Mon premier mouvement me propulse en avant. Avant même que mon élève ait pu réagir, ma main se pose sur son abdomen et le repousse en arrière. Il recule de quelques pas en clignant des yeux, stupéfait. Son regard passe de ma position initiale à ma main puis il secoue la tête. Sa demande me fait alors sourire. Encore. Cette fois-ci, au lieu de me présenter en face à face, je le contourne. Cette fois-ci, il pivote lorsque ma main appuie sur son épaule. Concentrée, j’ignore son regard et me propulse par-dessus lui. Il me suit du regard, modifiant imperceptiblement sa garde et ma main s’engouffre dans une brèche évidente. Il grogne en sentant le contact de mes doigts et fait volte-face pour tenter de m’assener un coup. Lorsque ces fourreaux touchent le sable, je ne suis déjà plus là.

« Tu ne changes pas d’avis Asan ?
- Non.
»

Il jette ses armes à côté de lui et se remet en place. Ce raisonnement me fait sourire. Il ne compte plus se protéger mais éviter mes passages. Voilà déjà un progrès notable. Je reprends ma course et, lorsqu’enfin nous réussissons à parvenir à sa première esquive, il se prend les pieds dans ses armes et bascule. Sans pouvoir me retenir, j’éclate de rire en le voyant se frotter la tête. Alors qu’il se relève, je lui ébouriffe les cheveux. Au loin, le soleil est proche de l’horizon et une savoureuse odeur e ragoût nous parvient. Prenant le chemin de notre repas durement mériter, j’entends Asan ruminer sa presque réussite. Sans rien dire, je souris. D’ici quelques jours, il aura compris et on pourra de nouveau inverser les rôles. Ce mois risque de passer à vive allure et j’aurais bien du mal à en voir le bout moi-même. Malgré mon esbroufe de la journée, ce soir, je risque de déchanter. Shan, le vieillard, est loin d’être aussi doux que moi. Je grimace déjà devant mon assiette, rien que d’imaginer ce qui m’attend. Mais quelque part, cela me réjouis. Dans un mois, nous serons prêt tous les deux.
 MessageSujet: Re: Awake - Six ans d'absence   Awake - Six ans d'absence EmptyMar 23 Déc - 19:30

Oméa K. Shizuka
Oméa K. Shizuka

Ajatar Virke

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« Tu es prête ?
- Pourquoi avoir choisi une robe ? C’est bien la pire chose que vous auriez pu…
- Père a insisté. Il disait que ce serait stupide de ne pas jouer sur ton naturel avenant
, me coupe Asan. Alors ? On y va ?
- Humpf
, dis-je en sortant de la tente. »

Tous deux, nous nous glissons dans la foule pour rejoindre l’esplanade dégagée pour l’occasion. Mon regard se perd de toute part, dévisageant le moindre passant. Non, je ne suis pas nerveuse. Quoi qu’un peu inquiète, je l’admets, je ne suis pas nerveuse. Non, vous dis-je. Ce n’est pas parce que je tripote une de mes mèches de cheveux qu’il faut en venir tout de suite aux extrêmes. A côté de moi, le jeune homme rayonne. Depuis un mois, il a beaucoup changé. Son corps, tout autant que son esprit se sont affutés et, à mon plus grand plaisir, j’ai réussi à trouver en lui un égal et surtout un parfait partenaire d’entrainement. Non, ce n’est pas de là que viendra le problème. J’évite pensivement une femme qui tente de me bousculer. Le père du garçon me tenait depuis un mois à un endurcissement sommaire. Je mangeais moins souvent, buvait plus et surtout, j’avais appris à me libérer à son contact lorsqu’il me montrait des images par l’intermédiaire de l’une de ces armes. Mes nuits s’étaient alors transformées en méditation contemplative puis en mise à l’œuvre sur le frêle vieillard. Hier soir, il m’a montré une ultime fois comment recourir à la technique qu’il m’a enseigné et m’a regardé répéter, mainte fois, le mouvement. Azariel trotte au niveau d’Asan. Je suis toujours aussi surprise de constater à quel point ils se sont habitués l’un à l’autre, et encore plus à la vitesse où ils ont appris à compter l’un sur l’autre. Je soupçonne l’ange de tricher d’une quelconque manière mais je ne peux rien affirmer. Il est déchu et, d’après mon instructeur, privé du plus petit pouvoir.

Je saute par-dessus la rambarde et m’accroupit sur le sol de l’arène en plein air. Une bonne vingtaine de personnes sont réunies là, s’échauffant pour certains, se donnant l’accolade pour d’autre. Je ne les ait jamais vus mais Asan, lui, semble parfaitement à l’aise au milieu des participants. La confiance qui émane de lui me satisfait d’autant plus que la plupart des gens des grands clans nous dévisage. Le symbole du petit village errant est parmi l’un des rares à être présent, d’autre ayant préféré déclarer forfait pour préserver leurs enfants. L’expression de certains me tire un sourire ironique. Parmi eux se tiennent de très rares femmes. A vraie dire, nous ne sommes que trois. L’une, élancée, la peau brulée par le soleil, m’adresse un signe de tête en guise de bienvenue. L’autre s’approche de moi et me touche l’épaule en souriant narquoisement.

« Retourne chez toi, princesse, ta peau ne survivra pas à la bagarre.
- Oh. Excuse-moi, j’ai cru que j’étais sur le terrain des vétérans. Asan, tu es sûr de toi hein ? Je m’en voudrais de coller une raclée à des débutants
. »

Les yeux de mon interlocutrice se mettent à pétiller et elle me lâche. Alors qu’elle s’éloigne, mon élève me jette un regard stupéfait qui me fait rire. Je me contente de lever les mains en l’air et d’embêter Azariel pour le faire rugir. Il finit par abandonner l’idée de comprendre notre échange précédent et s’assoit dans la poussière en baillant. Tous ainsi réunis, nous attendons la foule mais, encore plus, nous attendons le son qui nous donnera l’autorisation de commencer. Le jeu, d’une simplicité étonnante, consistait à mettre son adversaire à terre. Si l’un des membres d’un duo se faisait sortir, le second perdait le droit de se joindre aux joutes. Tous les coups étaient donc permis pour éjecter l’adversité. Quand enfin je parviens à arracher un grognement à mon compagnon à poil, je remarque un petit homme richement habillé qui tente de capter l’attention du public. Quand finalement il y parvient, son suivant sort une petite flute de ses fontes et salue les combattants. Nos noms sont énumérés, ainsi que les clans représentés, avant qu’ils ne se décident à laisser souffler le frêle enfant dans son instrument. Et alors que je tourne la tête vers mon premier adversaire, le chaos se déchaine sur l’esplanade. Concertés ou pas, j’ai la surprise de découvrir le duo d’un des grands camps de nomade qui se fraye un chemin vers nous. Grands et larges, ils me donnent la désagréable impression d’être faible. Un désagréable sentiment d’infériorité qui me fait presque oublier qu’Asan se tient derrière moi. Il m’arrête alors que je fais mine d’avancer et secoue la tête. Je grommelle. Ce petit est trop réfléchi à mon goût. Je me renfrogne et laisse les deux armoires à glaces venir nous cueillir. Et alors qu’ils arrivent à ma hauteur, nous ne bougeons pas d’un pouce. Lorsque leurs grosses pognes se rejoignent au-dessus de nos têtes, nos regards se croisent, entendu.

Nous avançons vers nos adversaire, sans nous presser plus que ça, et contrattaquons sans plus attendre. Mon poing heurte le plexus de mon adversaire. Celui-ci se plie à peine mais là n’était pas le but de la manœuvre. Alors que ses bras se referment sur moi, je souris. La magie s’immisce en moi avec une puissance renouvelée, aussi fraiche et douce qu’une brise de printemps au milieu de la chaleur du désert. Lentement mes lèvres esquissent deux mots oubliés depuis longtemps et la puanteur des enfers me prend à la gorge un bref instant avant de se volatiliser. Mes mains gantées touchent ma tenue et je claque des doigts. Mon armure toute entière s’anime, glissant le long des bras épais qui tentent de m’étouffer contre le poitrail de mon adversaire. Le tissu se rue sur sa gorge et s’y verrouille, commençant à serrer peu à peu afin de le faire suffoquer. Je n’ai qu’à attendre une petite minute de bataille pour qu’il bascule en arrière et me libère. Lorsque je reprends ma tenue première, mon élève me dévisage. Pas une seule fois au cours de son entrainement, je n’avais usé de magie. Tant et si bien qu’il a surement dû songer que je n’en possédais pas. Enfin je suppose, avec lui rien n’est jamais acquis. Je jette un œil à son adversaire et fait une légère moue appréciatrice. Il l’a séché bien plus vite que moi. Mieux encore, je doutais même qu’il ne se relève avant une bonne semaine, vu l’angle étrange de l’un de ses genoux.

« Maintenant, au suivant
- Non Asan. On attend.
- Mais
… »

Je ne prends pas la peine d’écouter sa plainte et m’assois sur mon ennemi assommé. Mes yeux se perdent dans la bataille, passant en revue chaque personne visible, et mon visage s’illumine. Les deux femmes que j’avais croisées plutôt se disputent chèrement la victoire. Leur mouvement est fluide, à tel point que le combat semble plus proche d’une danse que d’un véritable crêpage de chignon. L’arrière fond de musique locale se marie à merveille avec la scène, bien qu’entre coupé par le son des armes et des os qui craquent en série. Ce déchainement de force me donne des frissons, si ça ne tenait qu’à moi j’y serais déjà l’une des actrices. Cependant, le regard d’Asan qui me brule le dos m’en empêche. Je ne suis pas là pour m’amuser, Azariel non plus. Le lion a beau fureter un peu plus près que moi, il recule presque aussitôt qu’on le remarque pour ne pas être mêlé à un combat qui ne le concerne pas. Tout comme moi, il semble étudier l’adversaire, compter armes et techniques, magies et enchantements pour établir un plan.

« Battez-vous, bande de trouillard ! . »

Sur le bord, caché entre les nuages de poussière et les couteaux qui volent, la foule nous houspille. Cette bande de bête affamée de sang n’attend qu’une chose : que nous rejoignons le ballet sanglant devant nous. Asan piaffe dans mon dos, sa main se pose sur mon épaule et me secoue un peu. Lui aussi, il en veut plus. La fougue de la jeunesse, bien sûr. Je lui adresse un sourire sans pour autant bouger et reporte mon attention sur le combat qui m’intéresse. Celui-ci se finit avant même d’avoir commencé, le coéquipier de l’une d’elle ayant été mis à terre. Rageuses, elles se quittent, l’une allant vers la barrière de tapis, l’autre cherchant le prochain adversaire des yeux. Quand ceux-ci croisent mon regard, je sais que les jeux sont faits. Je tends une main libre dans le vide et murmure.

« Sharp Trick.. »

Asan se met en position. Au même moment, ma main se referme sur le stylet et j’ajuste mon tir. Le souffle court, j’attends une fenêtre favorable pour lancer l’arme. Je ne peux pas m’amuser à croiser le fer avec les autres, pour la simple raison que je sais que j’en oublierais ma mission. Chacun de mes combats doit se dérouler différemment d’avant, cela me donne une drôle de sensation. Je ne peux ni jouer, ni chahuter, je dois juste les éliminer en un minimum de temps, comme lorsque je faisais la course avec Bastian pour savoir qui ferait le meilleur score sur son tableau de chasse. L’éclat des sabres d’Asan me déconcentre un peu, c’est complexe de viser un genou lorsque le soleil vous en reflété sur le visage. Je soupire et désarme mon bras. Tant pis, je ne peux pas courir le risque d’une erreur. Sans un mot, je saute de mon perchoir. Lorsque mon pied touche le sol, je fais un clin d’œil au jeune homme.

« Hidden Fate.. »

Je me volatilise sous son regard stupéfait. Mon ombre me trahit sans doute mais au milieu de la poussière et des groupes de combattants, elle ne se verra qu’à peine, et trop tard. Je m’élance à la rencontre de mon adversaire, plongeant sous elle alors qu’elle me cherche du regard. Le stylet, encore serré dans ma main, lui tranche les tendons proprement. Elle s’effondre au sol et regarde l’arme plantée dans le sable devant elle, sans comprendre. Je me détourne d’elle pour regarder Asan. Il est toujours au même endroit, dans sa position de garde, le visage inquiet. Son expression me tire un sourire et je décoche un coup de coude à un adversaire qui vient d’en envoyer un autre au tapis. Peu à peu, sans que je ne m’en mêle de trop, le tri se fait. L’homme qui avait sonné le départ se fait de nouveau entendre et tout le monde lâche ses armes. J’apparais le plus innocemment du monde derrière deux hommes qui viennent de poser leurs épées. Asan, à l’autre bout de l’arène, me rejoint en courant, Azariel sur les talons. Ses bras nus sont ornés d’éraflure mais il va bien. Je vois bien qu’il est mis à l’épreuve, devant autant de combat et d’action. Son petit mois d’entrainement me parait tout à coup bien maigre quand je vois son visage rougi par l’effort et la façon dont il peine à reprendre son souffle. Visiblement, je ne suis pas la seule. Chaque binôme nous dévisage à sa manière, me faisant glisser quelques sueurs froides le long du dos. Inutile de nier que nous serons les prochains à sortir.

Pendant que chacun observe l’autre, des gens passent dans l’arène ramasser les vaincus qui y sont toujours. Ils administrent quelques encouragements à leurs vieilles connaissances et disparaissent presque illico presto, comme si le combat était sur le point de reprendre à tout moment. Le murmure de la foule nous baigne dans une sorte d’ambiance irréaliste où l’on devient non plus des humains mais des bêtes sur lesquels les paris vont bon train. J’entends mon nom, quelque part à ma gauche, suivi de ma côte. Cela me tire un petit rire nerveux. Asan lui tremble comme une feuille. Je n’arrive pas à savoir si c’est la peur ou l’excitation mais je sais qu’il a remarqué les regards et les voix grasses qui raillent, d’un bout à l’autre de l’esplanade. Quand on se résout enfin à se regarder, on hoche la tête et il enlève ses amples bottes tandis que je fais apparaitre celle de Gaap. Lentement, il défait les poids qu’il portait et je lui lance la paire de sandale. Il me regarde d’un air interloqué et j’hausse les épaules.

« Mets les, tu poseras les questions après. »

Il s’exécute pendant que je me penche vers le lion. Celui-ci ronronne en sentant mes lèvres sur sa tête, il roule au sol lorsque j’entreprends de lui gratter les flans. La sensation douce de son pelage me détend, j’en oublie presque la pression grandissante qui s’empare de moi. La suite, je ne ferais que la regarder ou presque. Si jusqu’à présent, j’avais été plus proche du fer de lance que du bouclier, ce rapport allait changer. Les yeux clos, j’entends encore les instructions de Shan. Respire, ne pense à rien d’autre qu’à ce que tu vas faire, qu’à ce que tu te dois de faire. Mon cœur bat la chamade. Jusque-là, il n’y avait eu aucune pratique, juste une vague théorie de comment je me devrais d’agir pour que cela fonctionne. Cela rendait, à mon sens, la tâche encore plus difficile. Je ne serais pas aussi rapide qu’Asan, mais ce n’était pas là mon but, ni le sien. Notre plan se résumait à ma capacité à tenir avec cette nouvelle technique et à celle de mon élève à courir et frapper. Je suis loin d’avoir le travail le plus dangereux, maintenant que j’y pense, mais nous n’avons guère plus de solution dans la situation actuelle. C’est eux ou nous. Azariel semble saisir ce que j’attends de lui. Depuis le début de ses caresses, il ne cesse de me regarder de ses yeux violets. Lorsque la flute résonne, nous savons tous les deux que nous sommes prêt. Dans mon dos, Asan inspire profondément. Il doit être aussi stressé que moi.

« Un…. » Il soulève un gros nuage de poussière en partant. Un premier type tombe le nez dans le sable. L’entrainement lui a été profitable, j’ai du mal à le suivre maintenant qu’il a mes chaussures aux pieds. Et si moi je ne suis plus, les autres l’on presque complètement oublié. Ils préfèrent se concentrer sur moi, qui me tient encore au-dessus du lion, qui ronronne les quatre fers en l’air. « Deux. » Ils se massent autour de moi. Ceux que je ne vois pas sont sans doute couché sur le sol ou aux prises avec Asan. Azariel a sauté sur ses pattes dès que j’ai fait mine de me lever. Ma main se glisse dans sa crinière. J’ai le cœur au bord des lèvres. Pour la première fois depuis une éternité, j’ai peur. « Trois.. » Le premier s’élance vers moi et je relâche tout ce qu’il me reste de magie. L’air ondule un peu puis converge peu à peu vers l’animal. Ce dernier rugit, surpris. Mon assaillant se heurte à quelque chose et repart dans l’autre sens. Asan n’est visiblement pas loin, comme un ange. Lorsque je sens que le moment est venu, j’ose.

« Gate of Heaven, Heavy Compassion.. »



Une croix se dessine sur le dos de l’animal puis s’enroule autour de mon bras. Une sensation nouvelle m’emplit. J’entends la voix d’Asan, qui me dit de tenir bon, l’espoir sincère de son père. La chaleur me recouvre entièrement avant de s’évaporer. Inquiète, j’ouvre les yeux. Est-ce que j’ai échoué ? Le gant métallique sur ma main gauche me prouve que non. Le vent qui s’engouffre dans l’ouverture de l’armure me fait frissonner. Voilà donc à quoi elle ressemble, l’armure d’Azariel. Je recule d’un pas et lâche le lion. Il vacille un peu mais semble sourire, satisfait. Aussitôt, je me détourne de lui pour regarder le groupe compact. Tous font une tête différente. Ils ont reculé, comme s’ils avaient craint une onde de choc mais maintenant, ils reforment le groupe compact initial, armes en avant. J’inspire profondément et joint mes deux mains devant moi. Les sentiments des deux hommes résonnent en moi, ils prennent presque possession de moi tant ils sont fort et décuplé par la magie. Consciencieusement, je projette ça au travers de mes paumes. Un timide voile doré m’entoure et offre une résistance solides aux épées, masses et haches. Il frémit lorsqu’une boule de feu le lèche, ondule sous le coup d’une flèche enchantée. Mon front se teinte de sueur. Puiser dans ces sensations étrangères me brule les mains, me vrille le cerveau sous leur puissance. J’ai mal mais je dois tenir bon. Le bouclier est malmené, mais pas autant que ceux qui tente de passer à travers. A chaque fois que l’un d’eux menace, Asan apparait. Je tombe à genoux, dépassée par la quantité de magie qui m’est enlevée à une vitesse vertigineuse. Ma respiration se saccade, chacun de mes muscles me tiraillent. Lentement ma vue se voile. Je n’arrive plus à suivre, trop absorbée par mon objectif. Tenir, je dois tenir à tout prix. Le son des armes se tait et, sans même m’en apercevoir, je m’effondre dans le sable au pied d’Azariel. Le sourire aux lèvres, je sombre dans les ténèbres.

*

La brusque sensation glacée et le manque d’oxygène me fait ouvrir les yeux. Je regarde la bulle d’air qui quitte mes lèvres. Mes mains se précipitent à la surface et je saisis les rebords de la bassine. Quand j’émerge le souffle court, je me retrouve face à Asan et son père. Avant même que je ne me mette à jurer, ce dernier m’attrape dans ses bras. Surprise, je reste sans bouger, les fesses dans l’eau à l’entendre sangloter.

« Tu l’as fait petite, tu l’as fait. Tu es fin prête pour rentrer à Fiore.. »



   
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