Linus et moi étions rentrés la veille, très tard dans la nuit ! Lorsque nous étions arrivés au campement, Asgeird nous attendait devant la caravane. Après des salutations en bonne et du forme, nous entrâmes dans la roulotte, mes deux ainés discutant des dernières nouvelles et rumeurs qui avaient circulé durant notre absence : à les entendre, c’était de vraies commères ! A dire vrai, ces deux hommes étaient très complices : l’un comme l’autre avaient un (ou plusieurs) cadet(s) à protéger et, de ce fait, ils se soutenaient en toutes circonstances ! Parfois, j’étais jaloux d’Asgeird : sur certains sujets, il devait en savoir beaucoup plus que moi sur Linus, et ça, ça me rendait malade ! Même si je l’appréciais grandement, je ne pouvais pas m’enlever cette idée que le médecin était MON grand-frère et que je ne le partagerais jamais ! Naïf comme je l’étais, je ne me doutais pas vraiment que ces deux hommes me connaissaient par cœur !
J’écoutais d’une oreille distraite ce qui se disait, alors que je posais les derniers colis de Linus sur la table de la cuisine. Fatigué par notre voyage et par ma toute première mission que j’avais alors effectuée avec un mec un peu louche du nom de Fryleï, je baillais aux corneilles ! Néanmoins, je n’osais pas quitter la pièce de peur que mon grand frère s’évapore dans la nature ! Ce dernier ne me laissa néanmoins pas le choix de décider : « Mon grand, pendant que je prépare le thé avec Asgeird, va te laver ! »
Tout en gardant un œil sur notre invité, je lui répondis : « Non, mais c’est bon ! Je ne sens pas mauvais ! » Et en joignant le geste à la parole, je sentis mes dessous de bras, et je crus bon d’ajouter, après avoir grimacé : « C’est les vêtements qui ont oublié de se laver ! »
Linus s’approcha de moi, un sourire amusé en coin, et vint déposer un petit baiser sur mes lèvres : « Que tes affaires aient oublié de prendre une douche, c’est leur problème ! En revanche, vu le long voyage que nous avons effectué, tu ne dois pas sentir la rose non plus ! » Voulant vérifier les dires de Linus, je me mis torse nu et sentis à nouveau mes dessous de bras. Linus et Asgeird ne purent s’empêcher de rire face à tant de naïveté mais aussi à mon visage déformé par la mauvaise odeur de mon corps. Tout en mettant de l’eau sur le feu, il continua : « Tu n’oublieras pas de mettre tes affaires dans la panière de linge sale ! » Il réagit un peu tard lorsqu’il vit que j’avais continué à me déshabiller dans la cuisine ! Il m’arrêta alors que j’allais me débarrasser de mes sous-vêtements : « Mon grand, tu as un panier à linge dans ta chambre, tu finiras de te déshabiller quand tu seras là-bas ! »
Je le regardais, un peu contrarié dans mes plans : « Mais, si je passe par ce panier à linge là, je vais faire un détour ! Alors que si je mets directement mes habits dans celui de l’entrée, je sentirais plus vite bon et je pourrais être de retour plus tôt ! » Pour moi et ma logique imparable ! Je crus bon d’ajouter : « Et puis, c’est bon ! Vous avez déjà vu des garçons tout nus ! »
Linus m’attrapa par le menton, et souleva mon visage pour que nos regards se croisent : « Dis-moi, mon grand, rappelle-moi le post-it numéro 54 ! » Je me mis à grommeler. Je connaissais presque par cœur tous les post-it, mais j’oubliais souvent qu’ils existaient : « Je ne parle pas le ronchonnement, Alou’ ! Alors, ce post-it ? »
Je répondis : « Quand on va prendre une douche, on se déshabille dans sa chambre ! » Je soupirais et, après avoir noué mes vêtements entre eux pour faire comme un petit train, je partis en les tirant derrière moi !
Alors que je me dirigeais vers ma chambre qui se trouvait au rez-de-chaussée, Asgeird lança à Linus d’un ton amusé : « Ton frangin ne changera jamais ! » Puis d’un regard un peu plus sombre, il ajouta : « J’espère qu’il ne sera jamais touché par toutes les horreurs de ce monde ! Sa naïveté et sa perception du monde sont, certes enfantines, mais aussi tellement complexes et souvent si justes ! » Mon grand frère acquiesça en silence !
Mes vêtements finirent, comme presque à chaque fois, en boule, sous mon lit. Après m’être amusé dans la salle d’eau tout en me lavant, je revins vers ma chambre, après être passer devant le feu du salon qui ronronnait pour me faire un peu dorer ! Comme j’avais trop chaud, et que je ne trouvais pas mon pyjama que j’avais avant de partir, je pris juste une chaussette (non, pas la paire, juste une !). Et, comme je savais que j’allais me faire disputer si je redescendais tout nu en bas, je me dirigeais vers la chambre de Linus et m’allongeais sur son lit. Ma jalousie pouvait aller très loin, et je ne comptais certainement pas partager mon grand frère avec Asgeird. Pour être sûr de cela, j’étais venu l’attendre ici, quitte à faire un scandale pour le garder juste pour moi !
Mes yeux commençaient doucement à se fermer et, pour m’assurer que mon sexe n’attrape pas un rhume pendant la nuit, je le cachais dans la chaussette que j’avais emmenée avec moi ! Comme je ne redescendais pas, ils m’avaient cherché quelques instants, avant de me retrouver, endormi profondément, dans le lit de mon grand frère. Linus me couvrit d’une couverture, et mes deux ainés s’installèrent tranquillement dans la pièce, tout en discutant calmement pour ne pas me réveiller : ils rangèrent ainsi tous les achats que nous avions effectué à Shirotsume.
La nuit avait été courte pour moi, et mon entrainement avait été des plus durs, tant Morphée m’appelait pour que je retourne dans ses bras. Je revins aux alentours de neuf heures : le petit déjeuner était prêt, et Linus m’attendait tranquillement pour le prendre, tout en lisant le journal quotidien, café à la main. Je vins l’embrasser et, après m’être rapidement changé, je dévorais avec avidité ce qui se trouvait sur la table : « J’ai croisé Béralde tout à l’heure. Il comptait se rendre avec Astrid chez le tavernier Björn pour réparer les automates et les teintures que nous avions installés il y a quelques années ! Il a dit qu’ils avaient donné leur journée aux p’tits nouveaux du spectacle car ils avaient bien travaillé ! Et comme, de toute façon, on n’avait pas grand chose à faire… Tu veux venir avec nous ? »
Linus déposa sa tasse à café vide sur la table : sur les sept enfants qu’avait le tavernier Björn, il avait était le médecin référent pour cinq accouchements ! A dire vrai, quand on l’avait rencontré six ans plus tôt, sa taverne était un gouffre financier sans fond. Asgeird, Astrid, Béralde, Eric, Linus et moi avions eu la génialissime idée de tout retapé à neuf et avions fait jouer certaines de nos relations pour que cette taverne soit approvisionnée en alcool et liqueur de tout genre ! Aujourd’hui, l’auberge était connue pour ses automates et son décor tout à fait loufoque ! C’était aussi un lieu de passage pour les artistes en tout genre, et il n’était pas rare que des discussions enflammées sur les arts en tout genre de ce monde prennent naissance durant les longues soirées d’hiver ou durant les grillades d’été !
Nous partîmes une heure plus tard en compagnie de nos amis ! Les retrouvailles furent, une fois de plus, joyeuses et pleines d’attention ! Nous savions que nous serions toujours bien accueilli ici, et Björn serait même prêt à prendre le risque de nous cacher si nous étions recherchés par les autorités ou autre ! Comme quoi, il y avait toujours du bon à aider son prochain sans rien attendre en retour, la récompense n’en était que plus belle ! Nous n’abusions jamais de son hospitalité ni de sa gentillesse mais nous trouvions toujours le temps de venir le voir chaque année pour faire une révision complète des différents mécanismes de sa taverne.
Le matin, il n’y avait jamais foule, surtout en hiver, bien que Björn servait d’excellents petits déjeuners ! Sa taverne était devenue plus qu’une taverne, mais aussi un restaurant et, parfois, il ouvrait ses étages pour permettre à certains des miséreux de la ville de ne pas dormir dehors par des nuits trop froides. Alors que je sortais mon matériel pour réparer les deux automates de l’entrée qui accueillait chaque visiteur, les enfants de Björn étaient venus me regarder travailler ! Puis, au fur et à mesure que les heures passaient, je me retrouvais seul face à ces deux colosses automatisés : l’année qui avait précédé, avait été dur avec les mécanismes de mes deux amis et je dus changer de nombreuses pièces.
Alors que midi approchait, les deux automates n’avaient toujours pas été remis en service : Astrid et Béralde tardaient à revenir avec des pièces de rechange et je ne pouvais plus vraiment avancer. Je saluais les quelques clients qui avaient commencé à affluer pour le repas de midi. Alors que je finissais de ranger mes affaires pour éviter que la devanture ne soit trop défigurée pendant les heures de pointe, je perdis l’équilibre et bouscula une cliente. Je devins aussi rouge qu’une tomate trop mûre : « Veuillez excuser ma maladresse, ma Dame ! » Ne sachant trop où me mettre, je finis de tout ramasser avant de disparaître dans l’arrière boutique. Mes deux camarades revinrent quelques minutes plus tard et, comme à notre habitude, nous primes nos places pour le service du midi : Astrid et Béralde prirent les commandes en salle, Björn et Asgeird prirent les commandes du bar, et Linus, Elsa (la femme de Björn) et moi prirent les reines de la cuisine. La bonne humeur régnait, quelque soit la zone où nous trouvions : des nouveaux employés avaient été engagés et nous fîmes rapidement leurs connaissances ! Les rires et les chants fusèrent de tous les côtés, alors que la taverne se remplissait de plus en plus !
Sujet: Re: La taverne des automates (PV Eileen) Sam 21 Fév - 15:29
Eileen Fa Long
Click
Titre : La chinoise mal démoulée Crédit : Sun Shang Xiang. Modifié par mes soins. Feuille de personnage Maîtrise Magique: (2585/35000) Mérite: (108/160)
Gears and Wood
Messire Alouarn
Dites-moi, mes amis, quelle importance offrez-vous à la notion du temps ? Ne faites pas les innocents, je sais très bien que vous avez une réponse précise, même si vous l’ignorez encore. Et ne me répondez pas que le jour, la nuit, les heures, minutes et secondes constituent le temps. Je suis certaine que vous seriez parfaitement de me dire pourquoi une demi-journée de cheval me semble plus courte qu’un repas dans une salle de taverne pleine à craquer. Je suis certaine aussi que vous ne comprendriez pas lorsque je vous dirais que cette femme-ci n’est pas plus rapide qu’une autre. Que ce tavernier n’est pas plus en retard que cette matrone qui sort de l’arrière salle encombrée de jambon pour aller chercher ses enfants. Que le fil d’une épée n’évolue pas différemment de la main qui le manie et qui pourtant, ne saurait être dans le même rythme. En définitive, le temps n’existe pas. Si facilement déformé, il ne saurait être autre chose qu’un rêve des hommes, sous prétexte que ceux-ci voulaient nommer et être maitres d’un élément qui les dépassent. Non, ne fuyez pas encore, restez près du feu. Cette ennuyante introduction est importante si je souhaite vous raconter ce qu’il s’est passé. Pour que vous puissiez comprendre que ceux qui réussissent à échapper à cette frêle définition du temps porte un nom spécial. C’est aussi pour que vous saisissiez que la folie n’existe pas dans un esprit qui n’a pas vieilli comme celui de l’homme dont je vais vous raconter l’histoire…
Eileen jette un regard dubitatif à l’étal du marchand qui lui sourit. L’homme, bedonnant et souriant, semble digne de confiance et pourtant, nul ne saurait ignorer l’unique but qui brille au fond de ses yeux pourceaux. Les cheveux un peu gras à cause de la transpiration, les dents étincelantes de gemmes incrustées, il vendrait, à n’en pas douter, père et mère pour le contenu d’une bourse. La jeune femme pourrait reconnaitre entre mille les rares personnes qui viennent de Joya pour affaire et leur accoutrement si original pour la populace de Fiore. Elle se penche d’un peu plus prêt sur l’article du stand, nullement préoccupée par l’expression absorbée de ce négociant. Plus vautour que négociant, d’ailleurs. La main de la brune se referme sur l’éventail et le soupèse avec précaution. L’objet est joli. Habillés de brocart et de soie, les phœnix reflètent la lumière du soleil comme des miroirs. En bougeant le poignet, les animaux semblent prendre vie, ce qui tire un sourire pensif à la jeune femme. L’éventail lui rappelle Changeling. Dans ses rêves, il en possède de semblable, dont la couleur bleue semble prendre corps même dans l’océan, transformant par cette même voie, les oiseaux en sirènes appartenant à une toute autre légende. Esquissant un mouvement ample, la soldate se laisse convaincre par le mouvement lascif de la corolle de tissus qui n’est pas fixée sur l’armature. Ni trop lourd ni pas assez, son pas de danse est presque étrange si l’on considère la rigueur militaire qui gouverne sa tenue. Satisfaite, la demoiselle lève les yeux et considère le marchand qui se frotte les mains devant elle.
« Excellent choix m’dame. C’t’une pièce de qualité qui nous viens d’Joya. Une véritable rar’té qu’j’f’rais volontiers à moitié prix pour d’si beaux yeux. - Je vous en prie Monsieur, c’est inutile. - Ah si j’insist’. A v’voir bouger, on dirait qu’y sont fait pour vous. »
Leen se contente de hocher la tête poliment, son sourire faussement jovial plaqué sur son beau visage. Elle n’aime que peu ce genre d’égard, non pas par orgueil mais parce qu’ils ne sont en définitive qu’un meilleur moyen de prendre un pigeon dans ses filets. Reposant l’objet sur la devanture, elle s’éloigne nonchalamment et se laisse porter par la foule du marché. La jeune femme n’est pas pressée, bien au contraire. Sa journée de repos auto-proclamée lui offre une occasion fantastique d’éviter de retourner à Lamia Scale et de subir l’affreuse colère d’Obababa-sama au lever du soleil. Mais ne vous y trompez pas. Malgré les apparences, l’étrangère aime sincèrement cette nouvelle famille et cette mère un peu trop étouffante qui vous fait tourner en bourrique pour un oui pour un non. Le pas trainant de la brune la ramène bientôt devant l’endroit ou patiente tranquillement Sorrow. Le cheval, heureux de la revoir, manque d’échapper aux mains de l’enfant qui le gardait précieusement et tentait en cet instant de grimper sur son dos. Le hongre secoue la tête à l’adresse de sa maitresse et hennit. La main de la mage se pose entre ses naseaux et il cesse enfin de trainer le pauvre gamin derrière lui. Navrée, Eileen se penche vers lui et glisse quelques Jewels dans la paume de sa main en guise d’excuse. Le petit gardien du cheval roucoule de plaisir et fait signe à la soldate de s’approcher. Curieuse, elle lui prête une oreille attentive dans laquelle il glisse quelques mots avant de reculer en souriant. Conquise, la combattante ébouriffe sa tignasse blonde déjà en bataille et l’abandonne là pour partir à la découverte du lieu fantastique qu’on vient de lui décrire.
De mémoire, je ne me souviens pas avoir foulé le sol de pareille auberge. Prisonniers entre les tentures et la vitrine, les automates de la devanture donnaient à ce petit coin de paradis l’allure d’une antique boutique pour marionnettiste. Il ne m’en a guère fallut plus. J’ai franchi le pas de la porte, intriguée à l’idée de savoir comment était décoré l’intérieur. Je me souviens avoir poussé un soupir ravi. Quand j’étais enfant, j’adorais le spectacle des itinérants qui s’arrêtaient au château d’Amethyst. Ils m’ont toujours donné l’impression d’être baignés dans une joie permanente, bien plus colorée et divertissante que celle que je pouvais tirer de mes course-poursuites avec mon tuteur. Pour moi, ils représenteront sans doute à jamais cette musique entrainante qui résonne dans les rues les jours de fêtes. Des instants précieux, sur lesquels j’avais pu rire devant la maladresse de mes compagnons d’arme qui dansaient comme marchaient les chiots nouveau-nés. Un passé révolu que je revivrais put être un jour, à Lamia Scale, sans qu’Obababa-san n’y mette son grain de sel. La tête en l’air, j’ai commencé à détailler l’entrée puis me suis avancée vers l’homme accroupit près des jouets de bois. Ses mouvements, mesurés, précis, portaient une attention si particulière aux petits mécanismes usés que je dû me pencher pour apercevoir plus longuement chacune des pièces. Bien trop près car lorsqu’il se releva, je n’ai rien pu trouver de mieux à faire que tomber à la renverse en clignant des yeux pour me sortir le ballet concentré de ce drôle d’artisan.
« Veuillez excuser ma maladresse, ma Dame ! »
Eileen n’a pas le temps d’esquisser la moindre réponse que, déjà, son mystérieux magicien des automates disparait. Redressant la fleur dans sa coiffure, elle continue à observer pensivement la porte qui vient de se refermer dans un petit grincement moqueur. La jeune femme se surprend alors elle-même à rire et se redresse pour épousseter le postérieur de sa tenue. Changeling vibre sur son poignet, lui tirant une vague lueur boudeuse qui s’étiole bien vite dans la neutralité de ses prunelles. La brune adresse un sourire poli aux clients qui la dépasse, nullement perturbée par cette façon peu orthodoxe d’être présentée à autrui. Elle se laisse alors lentement aller vers la salle et se retient de pousser un sifflement admiratif. L’odeur de bois et de miel se mélange avec celle des plats portés par les serveurs et soulève dans le cœur de la petite soldate, une bouffée de nostalgie. Elle se met à regretter ses jeunes années en prenant place à l’une des tables vides les plus éloignées de la foule bruyante. Inconsciemment, elle pose son menton dans ses mains et se met à rêver. Son regard se perd dans le décor et essaie de lire à travers les pas cadencés de l’homme chauve qui passe et repasse sans cesse devant elle. Son petit guide ne l’avait pas trompé. Un mince sourire sincère s’étire sur ses lèvres, emprunté à l’ambiance festive et colorée de la salle. Personne ne s’attarde sur ses pommettes pâles ni sur son visage un peu trop rond, pas plus que sur ses yeux légèrement bridés. D’aussi loin qu’elle se souvient, Eileen n’a jamais vu de chaleur semblable. Pas un instant elle ne se sent décalée de l’humeur de bonhommie qui flotte dans l’air, malgré qu’elle soit aisément identifiable comme étrangère. A n’en pas douter, les lieux jouissent d’une petite renommée et rien qu’à l’odeur, la mage peut deviner que celle-ci n’est pas volée. Perdue dans ses pensées, elle sursaute lorsque la silhouette du serveur lui bouche la vue. Clignant un instant des paupières, elle hausse les épaules pour toute réponse à sa demande. Elle n’a pas la moindre idée de ce qui peut être préparé en cuisine et ne saisit que difficilement le flot ininterrompu du menu qui s’échappe des lèvres de son interlocuteur. Quand bien même les mots lui parviennent, ils se retrouvent balayés par le brusque éclat de rire de ses voisins. La demoiselle lâche un long soupir et secoue la tête.
« Je ne connais pas les coutumes locales, Monsieur. J’ai crainte qui vous ne perdiez votre temps à me faire la liste du menu. Laissez donc le cuisinier s’amuser, je suis sûre qu’il y trouvera son compte. » L’homme fait mine de partir mais la brune l’arrête. D’un geste ample, elle lui désigne les marionnettes, ses yeux trahissant malgré elle le grand intérêt qu’elle leur manifeste. « Vont-elles être bientôt réparée ? J’avoue être curieuse de les voir bouger. Il n’y en a pas de semblable, de là où je viens. »
Ce brave homme est reparti presque aussitôt après m’avoir répondu. Je me souviens encore de la vitesse avec laquelle la salle se remplissait et du ballet toujours plus soutenu imposé aux deux serveurs. Le temps figé qui se reflétait sur les murs du restaurant me donnait l’impression d’observer des interlocuteurs venu d’un autre monde. Leurs vêtements juraient avec les décorations anciennes et colorées, avec les curiosités savamment cachées dans les recoins, avec la musique avinée qui s’échappait des lèvres d’une paire de soudard. Il y avait tellement de chose à voir que j’en perdis la notion du temps et que je me suis surprise à sourire lorsqu’ils se sont écroulés sur leur chaise. Sans doute me serais-je jointe à eux, dans d’autres circonstances. Il y a des millions de chanson à boire, à travers ce continent, et je suis certaine que vous ne connaissez pas celles de chez moi. Promis, la prochaine fois, je vous parlerais de celles de Joya.
Spoiler:
Je tiens à m'excuser pour cette attente pharaonique. Je suis navrée que la qualité de mon post ne puisse même pas la justifier.Toute mes excuses, Messire Alouarn.
Sujet: Re: La taverne des automates (PV Eileen) Jeu 26 Fév - 16:29
Alouarn Grimgorson
Click
Titre : Incestuous People. Hmm pchhh :perv: Crédit : Yuukiel Feuille de personnage Maîtrise Magique: (5345/35000) Mérite: (216/400)
Le conte n'est pas de moi. C'est un conte chinois que j'avais pris sur je ne sais plus quel site il y a un moment. Et ta réponse était très bien ! ^^
Le temps. Il se jouait continuellement de nous. Il s’amusait à prendre son temps comme à faire passer des heures pour quelques minutes seulement. Je me mis à penser au Chapelier fou. Celui-là même qui, après avoir battu la mesure, avait estimé que le temps avait été vexé. Ainsi, il se voyait prendre inlassablement le thé avec ses comparses. Est-ce que le temps était aussi suspendu par chez nous ? Non, non, non, ne vous méprenez pas. Les aiguilles de la grande horloge tournent toujours. Elles continuent leurs admirables courses alors que le jour et la nuit se succèdent, comme deux pôles qui n’auront jamais la chance de vivre ensemble. Le temps. Il continuait à défiler sous nos yeux, à échapper à nos doigts qui se tendent vers l’inconnu, à faire mariner les idées, les pires comme les meilleurs. Non, le temps était vicieux. Le temps se joue de tout, le temps se joue de nous. Ainsi va le monde, ainsi va la vie.
La taverne afficha bientôt complet alors que les premières pizzas étaient envoyées en salle. Je sentis une goutte de sueur se glissait dans mon cou, puis descendre le long de mon dos : des frissons me parcoururent entièrement le corps. Il faisait si chaud en cuisine. Nous ne chômions pas, toujours sur le qui-vive, à chercher l’harmonie parfaite dans les plats que nous proposions aux clients. Elsa menait d’une main de maitre ses ouvriers, alors que Björn surveillait avec grand soin les serveurs en salle. Bientôt, Asgeïrd du aller aider Béralde et Astrid. Et même avec une troisième personne, la cadence restait soutenue. Béralde, essoufflé, rentra dans la cuisine et demanda un verre d’eau alors que les plats finissaient d’être garnis. On lui servit sans attendre alors qu’il se mettait à feuilleter son calepin. Il annonça des menus que des commis s’empressèrent de recopier sur du papier à carreaux. Ils notèrent le numéro de la table, et nous commençâmes à jouer avec les assiettes. Béralde s’approcha d’Elsa et lui demanda :
« J’ai une cliente qui m’a demandé de laisser au cuisinier son esprit créatif. Qu’est ce que j’annonce comme plat ? »
« Tu annonces un paquet surprise. »
« Et un paquet surprise pour la table 41. »
« Alouarn, tu t’occuperas de cette assiette. »
« Qu’est ce que je mets dedans ? »
« Ce que tu veux. L’essentiel, c’est que ça soit beau visuellement, et bon au gouter. »
Mes yeux s’illuminèrent. Oui, j’allais pouvoir jouer avec les aliments. Je me dirigeais vers un coin plus calme de la cuisine, après avoir laissé à l’un des employés ma place à la salade. Je me mis face à mon assiette et je me mis à réfléchir. Au bout de quelques minutes, je fermais les yeux pour oublier les bruits alentours. Non, ce n’était pas la bonne solution. Il fallait que je m’imprègne des bruits et des odeurs. Je ne devais en laisser échapper aucun. Non, aucun n’allait m’échapper. J’écoutais attentivement, cherchant à respirer de grandes bouffées d’air. Il fallait que tout soit mien. Je me pris alors à imaginer que le plat que je préparais était un dragon. Un immense dragon. Non, il était deux. Il représentait le Yin et le Yang. Puis, ils furent cinq, cinq frères. Mon plat était un conte, une légende. Et voilà ce qu’il racontait.
Il y a fort longtemps, dans un passé lointain oublié de beaucoup aujourd’hui, vivaient dans ce monde cinq dragons, cinq frères d’une même portée. Leur mère les avait enfantés dans la grande vallée du pays sauvage. Les cinq petits étaient bien chétifs, à l’aube de leur existence, et plusieurs fois, les crocs des monstres qui partageaient cette contrée avec eux manquèrent de les déchiqueter. Quand ils devinrent plus fort, les cinq dragons partirent et s’octroyèrent chacun un territoire. Un jour, la mère mourut et le temps continua à s’écouler ainsi. Les cinq frères restaient cantonnés dans leurs royaumes, qu’ils dominaient alors, n’étant plus inquiétés, désormais, par les autres espèces. Ils se rendaient visite de temps en temps, pour se voir ou pour se défier parfois, et se combattre souvent. Un autre jour pourtant, l’un d’eux, celui qui vivait sur le plus petit et le plus découpé des territoires de chasse, entreprit de prendre le pouvoir sur les autres. C’était le dragon rouge et blanc. Astucieux et ambitieux, il entreprit de faire la guerre et de soumettre ses quatre frères de sang. Bien préparé, il parvint à ses fins. Devenu le plus puissant de la fratrie, mieux nourri aussi, car les quatre autres se devaient désormais de lui livrer chaque jour une partie de leur richesse et de leur repas, il grandit plus que de raison. Il entreprit de découvrir et de s’accaparer les rares territoires encore vierges de ce monde. Le temps s’écoula ainsi, assez longuement, sans qu’il fut lassé. Un jour enfin, il trouva, un peu au hasard, l’huile magique des entrailles du monde. Cette huile jaillissait de la grotte noire, dans le pays des sables. C’était un élixir magique, qui avait emmagasiné une puissance infinie, depuis la nuit des temps, et qui n’attendait qu’un dragon, soiffard de pouvoir, pour se déverser en lui. Il s’exécuta sans retenue… Il grandit, grandit encore. Il lui semblait alors que cela ne finirait jamais et cela le ravissait. Mais cela prit fin… Il avait beau boire et boire encore, il ne grandissait plus ! Pris de panique, il interrogea le seul être de ce monde capable de lui dire ce qui allait advenir, le serpent des profondeurs obscures. Le serpent ne chercha pas à lui cacher la vérité. D’ailleurs, il partageait avec lui une certaine mégalomanie. Il lui dit ainsi : « Pour devenir encore plus puissant, tu dois laisser un de tes frères partager le breuvage. Il va, à son tour, devenir grand et fort. Enfin, tu pourras grandir à nouveau ! » Cette hypothèse sembla, soudain, bien raisonnable à notre dragon. Il trouva même un peu de compassion dans cette solution car, après tout, c’était plutôt noble de sa part de partager un peu avec un de ses frères. C’est le dragon du pays du soleil levant qui fut le plus rapide. Il fut choisi. Il devint vite, lui aussi, très grand. Les deux rois de ce monde laissèrent même les autres dragons, moins habiles ou moins ambitieux qu’eux, gouter, avec parcimonie, à l’huile magique. Durant les temps qui suivirent, tous devinrent gigantesques. Mais rien n’est définitif, surtout devant de tels excès… Malheureusement pour nos cinq dragons, leur monde devint bientôt trop petit pour eux ! Vous imaginez ? Pour rassasier de tels géants ! La nourriture vint rapidement à manquer… Les autres espèces, décimées, étaient en train de disparaître et, ce n’est pas là le plus gai. Les fientes des dragons géants finissaient par ne plus pouvoir se décomposer, laissant planer sur ce monde agonisant, une puanteur qu’il n’était plus possible de masque. Par ailleurs, les cinq frères étaient devenus dépendants les uns des autres, pour manger. Bien que rivaux dans l’âme, ils étaient désormais tous liés. En plus, pour couronner le tout, l’huile magique, garant de leur puissance, vint à manquer et impossible de continuer à se la partager, en tout cas, non sans avoir une arrière pensée… Les cinq dragons se trouvèrent ainsi devant une impasse et un terrible paradoxe : accepter de maigrir, de rapetisser le premier, c’était à coup sûr se faire dévorer par les autres ! D’un autre côté, guerroyer, éliminer les autres, semblait une mauvaise pensée. Car aucun des cinq n’était désormais à ce point supérieur aux quatre autres, qu’il puisse espérer les faire disparaître sans se faire lui aussi dépecer… En plus, ils le savaient, ils étaient tous à présent si puissants qu’une guerre entre eux aurait pour effet de disloquer le monde qui les hébergeait. Le dragon rouge et blanc, celui qui avait découvert l’huile vertueuse, s’évertuait à contenir les velléités de son frère du soleil levant, devenu son égal. Il ne pouvait imaginer voir son frère prendre le dessus sur lui. Même dans cette situation critique pour tous, c’est ce qui lui occupait l’esprit avant tout. Mais, pris à son propre jeu de pouvoir, il ne contrôlait plus rien. Il ne lui restait la force physique alors, chaque jour, il répétait à son frère du soleil levant : « Si un jour, il te venait l’idée de ne plus me nourrir, toi qui as tant à manger, j’aurais assez de force pour te barrer l’entrée de la grotte noire et tu n’auras plus d’huile ! » Mais un jour le dragon du soleil levant en eut assez de ces semblants, car lui aussi savait être arrogant ! Ce jour là, ce monde vacilla. A côté du gouffre, il passa, mais ne trébucha pas… Le temps du changement était venu… Pour la première fois, les cinq dragons prirent conscience que la solution, si elle existait, ne pouvait venir que d’eux cinq réunis. La guerre ultime ils ne déclenchèrent donc pas. Ils se réunirent autour d’un grand feu, allumé par l’un d’eux, et discutèrent. Et, pour la première fois, ils s’écoutèrent vraiment ! La fin de cette histoire n’est pas écrite. Ce n’est pas là faire preuve d’ironie, c’est juste qu’elle n’est pas finie…
Lorsque je revins à moi, une assiette composée de poisson, de riz, de légumes et de petits fours, se tenait devant moi. Elle avait été assaisonnée avec des épices et de l’huile. J’espérais que le rendu au gouter serait aussi bon que le visuel était beau. J’envoyais l’assiette au comptoir, après être passé auprès d’Elsa pour qu’elle valide mon paquet surprise. Je glissais à l’oreille de Béralde lorsqu’il vint prendre le plat :
« Peux-tu faire passer un message pour moi ? »
Il fit oui de la tête.
« Pourras-tu demander à la dame qui attend le paquet surprise de bien vouloir attendre la fin de mon service, s’il te plait ? Je pense que nous avons des choses à nous dire elle et moi. »