| Sujet: Tuer le père. Mar 3 Juin - 14:06 | |
|
Hirata Kôta
| Kôta est enveloppé dans un drap fin qui se soulève lestement avec le murmure du vent. La fenêtre est ouverte et le ciel prend une teinte violacée à cause du soleil qui se lève. A cause ou grâce à ? La grâce renvoie à la bénédiction et est positive, la locution rivale serait donc négative ? L’astre est noir comme mes yeux faussement salés. Tout mon corps a l’impression que je pleure mais mes joues sont sèches. Paradoxe létal. Pleurer devant Uriel la première fois et devenir un ami puis finalement le tuer. Seulement un double mais tellement éprouvant. Le garçon fit glisser le drap de quelques centimètres sur son torse pour dévoiler de nombreuses cicatrices. Marqué à perpétuité. Zéro douleur mais arborer un corps meurtri jusqu’à la mort.
J’ai 18 ans mais je suis né il y a 24 ans. Paternité floue. Des insectes rentrent dans la chambre et s’avancent en meute. Toujours été seul, famille tardive. Bob. Réapparu quand on a disparu. Décalage fatal, destin contrarié, symbole trop fort pour n’être qu’une coïncidence. Et les autres ? Ils ont failli mourir par ma main. Qui est le père. Hirata l’aventurier, Hirata l’archéologue, Hirata le voyageur. Hirata le traitre, l’allié d’Archibald, le mesquin, le menteur, l’assassin. Grand-père n’était pas au courant non il ne l’était pas. Et mère ? Loin, disparue. Des lettres pourtant arrivée pendant l’absence. Bob les a posées sur le bureau couvert par la poussière du temps. De qui de quoi. Délaisse. Tes parents, Kôta. Trop tard. Ils ont raté.
Il se lève et s’habille rapidement. Il sort et croise dans le couloir un pégase. Disparu voilà six ans et leurs retrouvailles intimes. Ils s’étreignent avec humilité et se lancent un sourire. Tout est comme ça depuis le retour. Joie. Ambiance aux retrouvailles. Aucun absent. Sauf lui. J’offre mon corps à n’importe qui veut ma chaleur mais cela ne ramènera jamais Damaz. Où est-il ? Il n’est pas perdu, ce n’est pas le genre à se perdre. Il perd les autres pour s’échapper. Evasion. Fausse mort. Tout te fuit qu’importe les moyens. « Ca va, Kôta ? Tu as bien dormi ? _ Oui. » Non. Yeux creusés par le sommeil. Rêve envolés et inaccessibles. Damaz a disparu au palais et ils sont partis sans lui. Complètement malade. Fou. Et s’il les rappelle ? Et s’il les attend ? Non. Le palais n’est plus. Vols nocturnes infructueux. Damaz est loin et sait ce qu’il fait. Amour brisé, frère perdu, néant. Tremble. Plus jamais de nous.
Descendre les escaliers sur la pointe des pieds alors que tout le monde te regarde dans la salle principale. Croire s’échapper et se rendre invisible mais impossible d’y parvenir. Bob est là et sourit. Ne peux que se réjouir de voir tous les pégases réunis. La guilde au complet. Mais non, un absent et on l’oublie. Cœur serré. Chute. Kôta s’avance et évite ceux qu’il croise. Où sont Kyugan, où sont Leck ? Que sont-ils devenus ? Chris, Abigail, Drake. Ils étaient avec lui. Se rendent compte. Les Trimen continuent à se pavaner et à dynamiser l’assemblée. Autre perspective de vie à Blue Pegasus. Rires dans la foule. Bar ouvert. Tables écartées. Groupe compact. Femme en retrait. Nœud dans le ventre. Ma mère.
Kôta tu as de la visite quelqu’un t’attend elle semble heureuse de pouvoir te revoir après ce temps tu lui as manqué elle s’est fait du soucis c’est bien que vous puissiez vous recroiser six ans déjà voire plus comme elle était loin tu te demandes qui c’est hein tu te demandes non tu n’as aucune idée pourtant c’est logique ne cherche pas trop loin c’est quelqu’un que tu apprécies beaucoup et elle t’attend elle t’attend à l’écart et veut te parler te revoir te toucher allez souris montre que tu es heureux et ne la fait pas attendre.
Ma mère.
Lâche tu m’as trahie tu m’as laissé tu n’es pas une mère non tu n’es pas tu m’as oublié tu m’as abandonné tu es partie pourquoi pourquoi je pleurais et tu es partie tu n’as rien à redire j’ai raison tu as tord tu l’as suivi alors que tu venais de me mettre au monde sans morale tu n’es jamais revenue jamais quand j’en avais besoin sauf quand tout était trop tard comment as-tu pu croire que j’allais suivre une inconnu je n’ai pas de mère jamais eu de mère tu es repartie sans un mot et tu m’as laissé seul.
Il s’assoit en face d’elle souriante.
« Bonjour maman. »
« Mon garçon. Tu as énormément changé ! _ Je suis resté le même qu’il y a six ans pourtant. _ Et malgré cela tu es devenu un homme désormais. Moi. Je suis vielle. _ Oui. _ Tu ne demandes pas où est ton père ? _ Il est mort ? (glacial) _ Je l’ai quitté. »
Le cœur bat fort et l’instant est irréel et rien ne semble plus ahurissant que mère à l’intérieur de Blue Pegasus venue prendre non donner des nouvelles.
« J’ai envoyé plusieurs lettres pour avoir de tes nouvelles ces dernières années puis Bob m’a appris que tu avais disparu. On a cru que tu étais mort. J’ai voulu rentrer au pays, te chercher, savoir par moi-même si ce qu’on venait de m’annoncer était vrai. Ton père voulait terminer son expédition avant. Nous nous sommes longtemps disputés puis je suis partie. Ça n’allait plus bien depuis des années alors il ne m’a pas retenu. Il savait que ça ne servait à rien qu’il me retienne. »
Et s’il l’avait fait ? Et si je l’avais fait ? Et si bébé j’avais pu parler et te dire de ne pas partir de rester avec moi ton enfant ton seul enfant ton amour à qui tu tournais le dos.
« Je suis arrivée à Fiore il y a trois ans déjà. J’ai rencontré Bob qui m’a tout expliqué. Je suis parti en bateau à l’emplacement de l’île du Battle Royal, j’ai fait mes recherches pour te retrouver mais en vain. Puis tu es réapparu voilà quelques jours. Je n’ai jamais été aussi heureuse. »
« Mère tu mens. Tu n’avais plus père donc tu es revenue vers ton fils, tu es revenue vers moi mais tu ne m’as jamais aimé. Tu aimes un fantôme. Tu aimes quelqu’un que tu ne connais pas. Tu as recherché pendant trois ans un garçon inconnu et tu as devant toi un inconnu. _ Continue. »
Continue. Son arme ; le laisser parler. Elle sait que ça va mal que je vais mal que je suis hargneux haineux mais elle veut m’écouter expier ma colère. Non c’est impossible. Ça ne va pas se passer comme ça. Ca ne peut pas se passer comme ça. « Non. Tu as fait ton choix. Tu as préféré vivre ta vie et ne m’y incluant pas. Tu aurais pu être ma mère mais tu n’as pas accepté ce rôle et tu ne peux pas le reprendre. Peut-être pouvons-nous être amis. Mais je ne vois rien de plus. _ Je ne te demande rien. »
Silence. Je dois demander.
« Qu’est-ce qu’on a à voir avec Archibald Leight ? »
La femme devint blême, sans couleur. Elle se leva et s’en alla vers les marches. S’élever. Elle surplombe l’assemblée et se retourne pour t’inviter à la suivre. Elle ouvre la voie de la vérité. Céleste Deus Ex Machina. Le garçon se lève lentement, s’appuyant sur la table pour se maintenir debout. Fermé de visage. Mais il fuit direction la porte d’entrée. Il traverse la foule bruyante de mages enchantés. Bousculé. La porte close. Repos.
Non pas la fuite jamais la fuite change combat affronte-là.
Détour. Retour à la chambre où mère attend posée contre le rebord de la fenêtre. « Bon, Kôta, si tu veux la vérité… _ Non je ne la veux pas si je suis venu ce n’est pas pour t’entendre c’est pour te dire que je ne veux rien savoir de toi que je m’en fiche de la vérité que si tu veux te faire pardonner tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même que je n’ai rien à voir avec ça avec toi. _ C’est ce que tu penses ? _ Je ne pense à rien d’autre qu’au moment où tu cesseras d’être hypocrite. »
Silence. Les insectes s’accumulent dans la chambre elle pose son pied dessus. Bob en bas, foule tumultueuse extatique. Silence pesant. Elle se redresse et s’avance et embrasse son fils et ouvre la porte et disparait. Il s’avance vers la fenêtre et la voit s’éloigner dans le parc de la guilde sans jamais se retourner. Il ferme les rideaux avec une brutalité indicible. Tuer le père. Il ne veut pas vivre au crochet de ses parents qui ne sont pas des parents. Il a été abandonné à la naissance et ils sont venus le chercher des années plus tard mais ce ne sont que des inconnus hypocrites. Riches, pouvant subvenir aux besoins du nourrisson, mais préférant ne pas s’encombrer d’un enfant pour leurs expéditions à travers le monde. Enfant délaissé, parents comblés. Rupture.
Un tas infini de lettres mais pas la peine toutes désintéressées il les brule. Il sent ses cicatrices sur son torse. Jusqu’où aller ? Il sort un stylo et commence à écrire Bonjour à tous j’ai un message à faire passer et je ne veux pas troubler votre fête en vous l’annonçant en face donc je le fais par écrit donc voilà ce que je dois vous dire : rature. Le ciel est bleu dehors, calmé. Angel’s Sky flotte toujours. Les guildes puissantes restent debout malgré les éclats, même Blue Pegasus a retrouvé une certaine force aujourd’hui. La guilde céleste alliée secrètement à la guilde renégate des aigles. Il aurait pu aller là-bas. Fier emblème. Autre famille. Non, la sienne est ici. Là-bas c’est détruit. Tout est rompu.
Brigands, voleurs, assassins, terroristes. Mages noirs, légionnaires, Black Jack, Candice. Ajatar Virke. Et Damaz Elandez. Trop c’est trop. Sur le bas de la feuille raturée il note tous ces noms de personnes qu’il souhaite retrouver, revoir, (tuer) stopper. Il observe avec une gravité extrême la liste puis, une fois qu’elle est bien imprégnée dans sa tête, il brûle la dernière page. Il se lève, vide les placards, rassemble ses affaires, ferme son sac. Il ouvre les rideaux, la fenêtre, se pose sur le rebord. Toc toc. C’est Bob qui entre dans la chambre, son regard inquiet. « J’y vais Bob, on se reverra sans doute plus tard, mais là je dois partir. Ne le dit pas directement aux autres. Laisse-les s’amuser un peu. Pas la peine de venir à ma poursuite j’ai besoin de temps d’espace. Je suis désolé Bob. _ Prend ton envol, Kôta. »
Pas de Kôta-chou ou de Kôta-chéri ou de Amour-Kôta ni rien. Juste Kôta. Sa manière au maître de montrer qu’il acceptait cette ultime fuite.
L’Aigle prit son envol et s’éloigna des pégases.
|
|