Tout le monde étant affairé, je ne sais que faire. C'était tellement déstabilisant comme histoire, je n'avais jamais rien vu de tel depuis ma mission avec le fantôme des miroirs. J'avais cru y entendre quelques fois les cloches de l'Enfer alors qu'il n'en était rien. Et là, à la périphérie de mon champ de vision se trouve une bête noire accroupie sur la fenêtre. Je tourne la tête subitement pour la voir esquisser un sourire morbide et entonner un discours des plus énigmatiques, des plus sombres. Sans que je puisse réagir, elle s'enfuit dans le couloir, je tente en vain de la suivre, mais elle a disparue. Plongée dans mes pensées et mon incompréhension, un cri me fait sursauter, manquant que je renverse un vase posé sur un buffet.

- Les gens ne pourraient pas être un peu plus discrets quand ils discutent à la place d'ameuter tout le quartier... ?

Mais c'est en me penchant à la fenêtre pour voir ce qu'il se passait et que j'entendis le nom de la victime fuser à travers des insultes que je compris que quelque chose cloche. Les gens qui s'empressent autour du couple me peignent un air blasé sur le visage. Franchement, jamais le monde n'apprendra à s'occuper de ses problèmes que ceux des autres. Ils sont désespérants. Je sors dehors d'un pas rapide en faisant un vague geste de main vers les soldats postés pas très loin de l'entrée de la demeure de la victime. Et étant encore figée à l'entrée, la foule de pulsation cardiaque envahit ma tête, me collant une migraine terrible que je tente de chasser en évitant d'y penser. Malgré la foule de cœurs et d'âmes présentes, deux en ressortent plus fortes. J'essaye de me concentrer sur ces deux-là tout en essayant d'atteindre le centre du cercle formé. C'est là que je comprends le fruit de la dispute. La femme, le visage tirée par le chagrin et une once d'une émotion que je ne discerne pas, l'homme fou de rage. Une vieille dispute de couple. J'écoute brièvement les propos que chacun tenait à l'autre puis souffle. C'était tellement lamentable cette histoire d'adultère.

- Bon, maintenant je vais vous demander de baisser la voix et d'aller vous disputer là où vous n'aurez pas de public, toute la ville n'a pas besoin de savoir vos problèmes. Et je vous demanderais donc de vous disperser.

… Et personne ne bouge. On me regarde comme si je suis la bête de foire, ayant remplacé le couple qui se disputait en quelques mots. C'est dingue comme les gens ressemblent à des rapaces. Pour le coup, je ne cherche pas à cacher mon air totalement lassée puis fait craquer mes doigts avant de lancer de nouveau.

- Il va falloir que j'use de mes talents de mage pour faire comprendre ce que je viens de dire à l'instant ?

L'électricité crépite autour de mes doigts alors qu'un léger sourire déformer mes lèvres. Les gens se regardent puis finissent par passer leur chemin, en reprenant leur conversation là où elle s'était arrêté, reprenant leur vie, comme si rien ne venait de se passer. Comme si tout était normal.

- Rappelez-moi d'aller m'installer dans une grotte creusé dans le fond d'une montage quand tout sera terminé.
- Impossible, même si tu dis le contraire, l'effervescence humaine te manquerait.
- Sans parler de la bonne cuisine !

Je lève les yeux en l'air, légèrement amusée par leur comportement. Elles ont beau être toujours là pour moi, jamais elles ne me permettrait d'aller dans un mauvais chemin. C'est un peu comme suivre la lumière ou l'ombre. Jamais je n'irais de l'autre côté. Je me tourne du côté du couple qui se disputait à mi-voix derrière moi, essayant de se faire le plus discret possible maintenant que j'étais là. Je leur lança un regard encourageant quand la femme explosa littéralement de chagrin, elle se mit à pleurer à chaudes larmes. L'homme la regarde incrédule alors que je tente de la calmer tout en lui donnant un paquet de mouchoirs. Quand ses hoquets sont devenus plus calme, presque inexistant, elle finit par tout me raconter en détails. Son mari avait eu une liaison avec une femme, et une fois avoué, cette jeune fille venait de trouver la mort. Enfin, ils avaient appris ça, n'étant pas en ville. Tout ça ne me dit rien qui soit bon, mais pour l'instant je n'ai rien contre eux, je ne peux rien faire. A part essayer de réconforter cette pauvre femme...

- Il y a quelque chose de bizarre dans tout ça...
- Le plus étrange c'est que je ne ressens rien à part le chagrin et la haine.
- Peut-être parce que ce sont des cœurs purs, mais ça m'étonnerait, je ne ressens rien non plus.

Ils finissent par repartir chacun de leur côté en se boudant mutuellement comme deux enfants. Je les regarde s'éloigner avant de me rappeler l'enveloppe que je tenais dans la main. Je fais demi-tour pour rejoindre les soldats maintenant tous réunis à l'entrée de la demeure et me fraye un chemin jusqu'à l'intérieur, pour retourner inspecter la chambre de la victime au cas où j'aurais oublié quelque chose. Inspecter chaque recoins n'est pas franchement ce que je préfère faire, ce n'est pas trop mon boulot, mais je n'aime pas quand on accuse un groupe potentiellement innocent, quand on y réfléchit, ce sont toujours les mêmes qui ont bon dos.

- Bien, la victime était dans son lit, donc devait sûrement dormir et le meurtrier n'est sûrement pas passé par la porte. Elle fait trop de bruits, il est sûrement passé la fenêtre.

Les esprits se matérialisent un par un, prêts à donner un coup de main, comme d'habitude. Je fais le tour de la chambre une première fois, sans voir quelque chose de particulier. Les esprits se faufilent un peu de partout à la rechercher du moindre indice. Au moment, où je cherche près du lit de la jeune brune, la voix de Miki m’interpelle.

- Tu devrais voir ça...

En m'approchant de la fenêtre je remarque sur le cadre en bois des petits bout de tissu de couleur mauve. Comme si quelque chose avait été râpé par mégarde contre le rebord... En sortant. Je retourne du côté du lit et continue d'en faire le tour en pensant à quoi pouvait appartenir ce tissu...

- Ah bah tiens, je crois avoir trouvé.

Tous les esprits se retournent de mon côté pendant que je brandis devant moi un bout de tissu arraché à ce qui semblerait être une écharpe de couleur... Mauve. Ça fait un élément mais ça revient à chercher une aiguille dans une botte de foin, génial. Plus je continue, plus j'ai l'impression de tourner en rond et de ne rien faire pour empêcher le meurtrier d'agir de nouveau. Quelle poisse. Nous refaisons le tour de la chambre une fois de plus sans rien trouver de suspect puis je finis par me dire qu'il serait bon d'aller interroger les gens dans la rue. Je prends mon temps pour redescendre, étant épuisée. La garde me jette un coup d’œil que je balaie d'un geste de la main signifiant que tout va bien. Après quelques minutes de marche, je me rends dans le premier bar que je croise, ne connaissant pas la ville – ni le royaume je tente le tout pour le tout et au pire, je serais juste malade. Installée à même le comptoir je commande le cocktail du jour sans prêter attention à son nom.

- C'est parfois tellement compliqué le métier de mage que ça me déprime.
- Peut-être, mais ça te permet d'être plus forte, plus intelligente et de rencontrer beaucoup de personnes et peut-être de nouer des...
- Stop, ce n'est pas la peine, ça n'arrivera pas.
- Mais Amy...
- Tu sais, ça ne peut que te faire du bien.
- Stop. On ne change pas une personne comme ça, il faut du temps, de la patience et du courage. Il n'y a qu'en écoutant son cœur qu'elle pourra y arriver, mais ce n'est pas à nous de juger quand elle le fera, ce sera simplement quand elle sera prête.

Je n'écoute pas la suite de leur dialogue, même s'ils ont parfaitement raison. Pourtant, Dia sait comment interpréter ma personnalité et c'est vraiment rassurant. Du moins, seulement dans un sens. Car ce n'est pas tout à fait faux que je devrais faire des efforts et m'améliorer. Mais nouer des liens importants c'est tellement compliqué, tout tient sur un fil, je ne veux pas revivre la même chose, j'ai assez donné.

- Vous allez l'air désespérée, je me trompe ?

Je redresse la tête et visse mon regard dans celui du barman qui me regarde on ne peut plus sérieusement, avec une once de compassion. C'est sûrement bien l'une des rare fois où je laisse mes émotions déborder. Ça ne vaut que des questions, j'en aurai presque oublié pourquoi je le fais.

- Eh bien je tourne en rond dans une enquête que je mène sur les meurtres récents. Et ce n'est pas simple.
- Une bien tragique histoire tout ça... Mais c'est tellement sombre. Je peux vous être d'une quelconque aide ?
- Je ne pense pas, merci quand même.

Je me force à étirer mes lèvres en un sourire que l'homme brun et baraqué me renvoie de plus bel. J'avale une gorgée du cocktail posé devant moi avant de jeter un regard circulaire sur la salle très peu bruyante pour une fin d'après-midi. Mes yeux s'attardent sur une femme rousse plus âgée que moi, habillée élégamment avec un foulard autour du cou pour ajouter une note romantique à son tailleur. Un foulard...

- En fait, je crois que si, vous allez pouvoir m'aider. Du moins je l'espère...

Je me retourne vivement près du barman qui me jette un regard interrogateur. Je sors de ma poche le morceau d'écharpe que j'ai trouvé plus tôt puis je lui tends en le fixant dans les yeux de nouveau.

- Vous savez si dans cette ville il y a une entreprise ou une boutique qui vend des écharpes de cette texture, de cette couleur, ou qui vend tout simplement des articles de mode ?
- Oui bien-sûr, à l'autre extrémité de la ville il y a un grand entrepôt où de nombreux textiles de cette qualité sont produits.

Je me redresse, le remercie rapidement et quitte le bar en laissant le prix de la consommation sur le comptoir. Je retrouve la garde un peu posté de partout, je leur explique ce que j'ai trouvé, suspicieux, un petit comité restreint se forme autour de moi alors que la journée décline déjà. Je me rends alors à l'entrepôt, qui quand y pense, était décrit énigmatiquement sur l'invitation. J'entre prudemment, l'air frais et le silence de la pénombre me glace le sang alors que je continue à avancer. Un rire éclate et rebondit contre les grands murs. Puis une seconde fois, dans un autre coin, comme s'il se déplace à une vitesse fulgurante. Toutes les lumières s'allument dans un bruit lointain alors que le tueur se trouve juste là, à quelques mètres de moi, un masque sur le visage, les bras grands ouverts avec un rire cinglant provenant du fond des entrailles. Tout ça me paraît alors bien plus sombre que ça ne l'était déjà...

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