Ses sentiments flottent. Elle cherche un point d’appui alors qu’elle regarde avec fatalité ses environs. Le feu avait tout dévasté. Elle laisse ton regard glisser amèrement sur les décombres de ce qui avait été son foyer. Elle saisit négligemment une poutre qui se transforme en poussière sous ses doigts encore chaudement emmitouflés dans un bandage propre. Son œil valide se pose en juge sur les évènements lointain qu’elle a raté alors qu’elle s’accroupit pour souffler les cendres qu’elle garde enfermées dans sa paume.

« Je n’oublierais jamais, mes amis. Je n’oublierais jamais que j’ai échoué. »

Elle se relève et rajuste le bandana qui dissimule sa pupille blessée, entourée par ses mèches rousses que pousse le vent dans sa direction. Dans son dos, les loups sont silencieux. Ils observent tous d’un visage morne l’œuvre du temps. Malgré les couleurs fumeuses des âmes qui se détachent sur les cendres sombres, la scène ne se teinte pas. Tout semble figé dans ce camaïeu poivre et sel des déchets du feu et de la tristesse. La guilde. Sa main se crispe sur son épaule alors qu’un arc de douleur lui tire une grimace. Elle n’aurait pas dû bouger, pas encore. Mais elle n’a pas réussi à s’empêcher de réagir à cette espèce de pressentiment. Misto pourrait presque sentir les griffes d’aigles pulser à travers sa peau, comme un véritable être vivant. Elle inspire profondément, attrapant nerveusement la garde du seul souvenir qu’il lui restait. Le sabre de Nywell brillait de mille feux malgré les assauts que le temps lui avait fait subir. Et, même si sa lame était considérablement émoussée, l’arme n’en conservait pas moins le cachet et la menace qu’il avait toujours eu, que ce soit entre les mains de sa propriétaire ou sur le portant sur le mur attenant au bureau.

La jeune femme tourne les talons et se rapproche lentement du bout de la falaise. Son soupir trouble le silence qui s’est emparé des lieux comme une chape de plomb alors que la main posée sur son épaule arrache le bandage de son œil. La paupière, fendue dans ce que la jeune femme considère comme un trophée de guerre, s’ouvre douloureusement sur le soleil couchant qui nimbe les montagnes de fer de Jura d’un or presque idyllique. Le tissus blanc et moucheté par le sang quitte la main de sa propriétaire avant de descendre lentement le long de l’à pic et de disparaitre dans la cascade. Curieux, les esprits s’amassent autour de la jeune mage qui tente de placer le sabre de sa sœur à sa ceinture tout en tenant tête à l’astre solaire. Les huit cœurs faillirent ne pas remarquer la larme qui coule le long de la joue de la rousse. Une larme plutôt capricieuse qui refusait de rester avec les autres dans ce regard embué qui dévisage l’hostile montagne glaciale.

« Six ans. C’est plus que ce que je pensais finalement… »

Osulf sent ses traits se déformer sous la volonté de la mage. Celle-ci s’empare de la crête de plume de l’aigle géant avant de l’enfourcher en rappelant les autres âmes à elle. Son regard dérive vers la pierre ailée. Le N et le M. Misto lâche de nouveau un soupir. Sa recherche risque de lui prendre un temps fou mais elle n’a que ça de toute façon. Du temps à consumer alors que l’ombre brune la hante cruellement. La jeune fille n’a beau que pouvoir regarder ses lèvres articuler une phrase sans en capter le son, elle reste persuadée qu’elle a bien lu le nom du jeune homme. Seulement, elle est moins sûre de ce qui l’a suivit.

Allons-y. Nous avons du pain sur la planche.
Shirotsume ?
Shirotsume.

L’oiseau bat doucement des ailes avant de se jeter dans le vide. Il remonte quelques secondes plus tard, profitant des courants d’air ascendant pour s’élever toujours plus haut dans le ciel vermeil de la nuit prochaine.

« Danse, danse,
Roue du destin aux lèvres carmin.
Rit, pleure, chante, plaint,
Toi qui regarde de loin mourir l’enfance. »