J'avais perdu le coquillage, j'avais perdu Abigail au fond de cette eau profonde et sombre. J'avais échoué pour aider ces sirènes, j'avais échoué à comprendre ce qui se tramait derrière ce mystère que je redoutais, voilé par ma folie. Oui, folie qui me consommait lentement, grugeant lentement les parois internes de mes tripes, parfois une parcelle de mon cerveau. Je soufflais, j'inspirais une dernière fois l'air, tentant de surpasser le fait que j'aie baissé les bras une nouvelle fois, condamnant mon amie à une malédiction dont ce coquillage était porteur. La lèvres tremblante, l'envie de pleurer me prenait, mais la voix d'Abi revenait encore et encore, résonnant comme un écho lugubre, mais brillant, ordonnant, mais rassurant et apaisant.

Je rouvris les yeux et croisais ce regard froid... si froid que d'un mouvement de panique, je nageais vers la rive opposée. Je faisais le plus rapidement que je pouvais, nageant en vitesse sans respirer, trop concentré à battre des bras et des jambes dans cette eau que je troublais de ma silhouette paniquée. Chris. Manipulateur de l'eau, mage puissant qui pouvait faire qu'une bouchée de moi s'il le voulait, mais je devais faire passer le message au moins une fois, au moins cette fois avant de m'éteindre de ce stupide concours de force brute. Je terminais ma course à quatre pattes sur le sable et respirais enfin le grand air. Je m'assurais que les mots sortiraient comme je le voudrais avant de dire quoi que ce soit:

« Chris, Abigail est en danger. Elle a été possédée par cette sorte malédiction reliée à un coquillage. Il y a d'autres femmes comme elles qui attendent au fond de l'eau. Il faut faire quelque chose! »

Je n'avais jamais été un grand sportif et moi-même, me rendre tout au fond de l'eau était impossible. Chris pouvait se débrouiller et aider Abi dans une circonstance comme celle-là et il devait le faire. J'espérais compter sur lui pour cela et que cet esprit de compétition pour cette épreuve ne l'ait pas possédé de la tête au pied, le rendant bouché de bon sens. Maintenant debout sur mes pieds, les poings serrés, il ne restait qu'à espérer, attendre que la logique l'emporte et que lui aussi veuille sauvé la Dame de Fer.

Cette haine qui m'était destinée, cette haine de connaître la vérité me détruisait l'âme de simples pupilles. La vérité ne faisait pas que choquer, elle blessait, elle détruisait aussi les hommes. Je n'avais jamais vraiment parlé à Chris, ayant trouvé d'avantage d'affinités auprès de Damaz, je n'avais pas pris le temps de connaître les autres membres de la guilde, leur personnalité, leur passé. Chris m’agrippa la jambe avec une sorte de fouet fait à base d'eau et me tira vers le centre du lac, me catapultant carrément pour que j'y retourne. Il me rattrape, main au cou, me dévisage, probablement pour voir si je disais la vérité avant de me lancer sur la rive, s'excusant et me désertant en plongeant vers le fond de l'eau. Je fis quelques roulades avant d'arrêter net devant un arbre. Devais-je être rassuré? Ou devais-je m'inquiéter? Chris saurait se débrouiller dans l'eau et il retrouverait Abigail.

Je soupirais et me demandais ce que je pouvais bien faire par la suite. Il m'était impossible de les suivre étant donné que je n'avais aucune particularité avec l'eau et je ne savais pas vers quelle direction cette mer se terminait tout au fond. Je soupirais encore et me rhabillais de ces vêtements que j'avais laissé sur la rive et repris mon chemin vers le nord-ouest. Devais-je avertir les autres et risquer de causer la panique? Non, je devais laisser faire Chris et avoir confiance en eux. Cependant, je n'avais plus du tout confiance en moi. Mon âme errait, vide de sens et de contrôle, corps bougeant machinalement sans expression à travers les sentiers. Qu'allais-je devenir après ça? Retrouverais-je la raison? Ou bien la vie aura-t-elle eu raison de moi? Je me dis qu'à ce rythme, jamais je ne saurai trouver la recette parfaite à cet or, mais de toute manière, je n'en avais plus rien à faire. Plus d'objectif, plus de passé ni de futur, plus rien...